Hi'.
Je me suis doucement remis à lire, et j'ai fini "Elle attend". Et ce n'est pas un mauvais one-shot, mais la première chose qui m'a sauté aux yeux a concerné la description. Je me rappelle que c'était un sujet à discuter alors profitons-en, sans quoi il me faudra attendre encore des mois avant d'y revenir.
Au départ, j'ai cru qu'il me faudrait partir de la "description-liste", vous savez, mettre le texte en pause pour faire l'inventaire exhaustif de ce qu'on voit, la chose à ne pas faire par excellence, et que partant de là j'allais voir tout ce qu'on avait imaginé pour l'éviter.
Mais "Elle attend" montre que, même en maîtrisant tous les moyens d'éviter la description-liste, on a toujours un écueil qui fait que typiquement un critique va dire "c'est des bonnes descriptions mais... eeeeeeeh..." et c'est là-dessus que j'aimerais m'arrêter.
Allez puisque j'en ai parlé, revenons vite sur la description-liste. Typiquement c'est ce qu'on trouve chez Victor Hugo, et ses livres sont formidables mais c'est des pavés imbuvables pour l'enfant de quinze ans que j'ai été. Genre une chambre :
1) Twilight entra dans la chambre. Il y avait une fenêtre et sous la fenêtre un lit au cadre de bois clair avec la couverture défaite et le coussin par terre. Il y avait aussi un évier avec à côté un tabouret. Également une armoire ancienne avec des fioritures qui imitaient l'art de Cloudsdale, et une petite étagère...
La première technique pour l'éviter consistait à mélanger narration et description. Au lieu de tout décrire en un bloc, on éparpillait ça durant l'action :
1a) Twilight entra dans la chambre. Elle avisa sous la fenêtre le lit au cadre de bois clair, avec sa couverture défaite et le coussin par terre. Elle s'en approcha, pass devant une armoire ancienne et s'arrêta, frappée par les fioritures dessus qui imitaient...
Et ainsi de suite. C'est exactement la même chose qu'avant mais le personnage agit, donc il se passe des trucs, donc c'est plus mieux ta gueule. La seconde technique pour l'éviter consistait à ce qu'on a appelé à l'époque la "description dynamique", c'est-à-dire une description qui était une action en soi, qui dirigeait le regard du lecteur :
1b) Twilight entra dans la chambre. La lumière du jour éclairait à travers la fenêtre un lit au cadre de bois clair, illuminait la couverture défaite et jusqu'au coussin par terre, puis le cadre de lumière remontait en bordure de l'évier avec, à côté, un petit tabouret. Le reste était dans l'ombre. Une armoire ancienne plongeait la moitié de la pièce dans ses ténèbres, ...
Idem, exactement la même chose en plus long mais on suit la lumière, on a le regard qui progresse, y a du mouvement donc ça bouge donc c'est plus mieux ta gueule. La troisième technique consistait à suivre Tolstoï, dans "Guerre et paix", qui au lieu de tout décrire se contentait de deux ou trois traits distinctifs :
1c) Twilight entra dans la chambre. Un lit défait, une armoire imitant Cloudsdale, quelques livres épars. Elle eut un pincement au coeur à l'idée que...
Voilà, c'est court, c'est simple et ça dit l'essentiel, on peut imaginer sans peine le reste de la pièce à partir de ce peu-là. Ah oui et ta gueule.
Revenons à "Elle attend". Première phrase :
2) Une lanterne posée à côté d'elle éclairait à moins de quinze mètres de diamètre mais elle pouvait compter sur ce bon vieux phare pour voir davantage plus loin grâce à sa forte lumière.
C'est une description-liste ? Nope. Toutes les techniques ci-dessus sont appliquées, la description est bonne. Twilight est "active", il y a un mouvement (de la lanterne à Twilight, de Twilight au phare à travers la lumière) et on se concentre sur l'essentiel.
Maaaaaaais...
Ben moi ce qui me saute aux yeux c'est "à moins de quinze mètres de diamètre" et "davantage plus loin" qui ne passent pas. Donc corrigeons, sans rien expliquer :
2a) Une lanterne posée à côté d'elle éclairait à peu de distance mais elle pouvait compter sur ce bon vieux phare pour voir davantage grâce à sa forte lumière.
Et maintenant ce qui me pose problème est "mais elle pouvait compter sur". Donc à nouveau, on corrige sans discuter.
2b) Une lanterne posée à côté d'elle éclairait à peu de distance, mais elle comptait sur ce bon vieux phare pour voir davantage grâce à sa forte lumière.
Voilà, à présent c'est "ce bon vieux phare" qui okay on corrige.
2c) Une lanterne posée à côté d'elle éclairait à peu de distance, mais elle comptait sur le vieux phare pour voir...
Très bien ! Maintenant c'est "à peu de distance" et "mais" et "forte" qui me posent problème punaise de ta mère le sécateur en bobine de fil à coudre !
2d) La lanterne posée à côté d'elle peignait avec peine ses quelques lueurs jusqu'aux vagues, et dans la nuit noire elle comptait sur les feux du phare pour dévorer cet horizon de ténèbres autour d'elle.
Okay ! Okay ! C'est bon là ?! Il faut que je te fasse quoi, foutu texte, des alexandrins !? Mais le pire c'est que tout ce peaufinage.. peaufinement... tout ce bricolage ne sert à rien. La phrase en (2d) est certes très jolie toute mignonne toussa, c'est toujours... eeeeeeeh...
Alors comment faire pour corriger ? Non, avant même cela, comment faire pour trouver le problème ? Pour cela, avançons un peu dans le texte.
Nous voici donc plus loin dans le texte. On a appris que "elle" c'est Twilight, qu'elle attend un étalon et ah oui il fait nuit, au passage. Voici donc le prochain paragraphe :
3) L'air se rafraîchit un peu au fur et à mesure que la nuit avançait. La licorne frissonna. Elle sortit de son sac une couverture offerte par cet étalon dont elle s'enveloppa puis sortit un sandwich. Elle n'avait pas spécialement faim mais il fallait que sa bouche occupe quelque chose. Elle mâcha donc le pain plutôt sec sans grande conviction mais se surprit elle-même à le manger entièrement. Son ventre gronda, réclamant une nouvelle tournée alors elle obéit à son organisme.
Est-ce qu'il y a de la description ? Si vous me dites non, je vais vous faire un regard blasé du type "vraiment ?" pour que vous vous sentiez mal. Oui, on décrit. On décrit l'air, on décrit la nuit, on décrit Twilight, on décrit le contenu de son sac... veuillez jeter à la poubelle la définition scolaire de la description et concentrons-nous. Et laissez-moi mettre en avant deux passages :
3a) ... dont elle s'enveloppa puis sortit un sandwich.
3b) ... réclamant une nouvelle tournée alors elle obéit à son organisme.
Ça. Ça là. Ce truc. C'est aussi de la description. Je sais, d'après la définition scolaire c'est de la narration, on dit ce qu'il se passe, mais la question c'est "comment". La description c'est "comment". Et le comment, en littérature, c'est la moitié du texte.
En l'occurrence "Elle attend" est une romance. On a une jument qui attend son étalon la nuit près d'un phare, et le but du texte est de partager ses émotions : espoir, doute, crainte, joie, dépit...
Le problème alors n'est pas qu'elle sort un sandwich. Elle pourrait très bien aussi vouloir aller au petit coin, et ça resterait une romance. L'important c'est le "comment".
Donc okay elle sort un sandwich. Comme ça, paf. Le rapport avec la romance les émotions et tout et tout ? Zéro. Aucun. Néant. Nada. Zilch. Tout du moins, à la phrase suivante on fera le lien avec l'attente mais est-ce qu'on pourrait décrire la façon dont elle sort un sandwich question de faire ce lien tout de suite ?
3c) ... dont elle s'enveloppa puis fouillant encore elle trouva un sandwich.
3d) ... dont elle s'enveloppa puis de dépit elle sortit un sandwich.
Quasiment rien n'a changé mais, avec quelques mots de plus, on explique sa motivation. Le petit détail qu'on rajoute est là pour faire le lien. Elle prend le sandwich parce qu'elle attend, elle se protège du froid parce qu'elle veut attendre, elle respire pour attendre, elle attend. J'ai précisé qu'elle attend ? Mais on peut aller plus loin :
3e) ... dont elle s'enveloppa avant de fouiller encore un peu le contenu. Elle avisa les deux sandwichs emballés côte à côte. Soupira, hésita, en prit un.
Pareil qu'avant, en plus long. On s'est juste contenté de rajouter un sandwich et, comme pour la couverture, soudain ce sandwich est lié à son histoire d'amour. Même ses petits gestes, comme l'hésitation, ont une signification vis-à-vis de l'attente. Est-ce que, en mangeant déjà, elle n'est pas en train de céder ?
3f) ... Son ventre gronda et elle, pour le faire taire, se força à manger encore.
Tout ce qu'elle fait, tout ce qu'on dit, tout doit graviter autour de cette idée : Elle. Attend. Et tous les détails, et toutes les actions, et tout doit se concentrer sur cette seule vérité absolue de l'instant. Elle. Buckin'. Attend.
Ce qui nous ramène à la première phrase, que je remets ici en rappel, avec sa version "corrigée" :
2) Une lanterne posée à côté d'elle éclairait à moins de quinze mètres de diamètre mais elle pouvait compter sur ce bon vieux phare pour voir davantage plus loin grâce à sa forte lumière.
2d) La lanterne posée à côté d'elle peignait avec peine ses quelques lueurs jusqu'aux vagues, et dans la nuit noire elle comptait sur les feux du phare pour dévorer cet horizon de ténèbres autour d'elle.
Qu'est-ce qui ne va pas ? Simple. La phrase dit que Twilight veut voir dans les ténèbres. Et le titre nous avait déjà dit pourquoi. Elle attend. Quelque chose doit venir. Elle le cherche. Bien.
En termes de description, maintenant : qu'est-ce qui, dans la phrase, est lié à l'attente ? Au fait qu'elle veut voir ?
Le diamètre de lumière n'a aucun rapport, ce pourrait être huit ou vingt-cinq mètres, ça ne risque pas de lui permettre de voir arriver un navire. Même si ce navire a probablement ses propres feux et sa sirène mais passons. Le fait qu'elle connaisse le phare, qu'il soit vieux... n'a rien à voir non plus. Le passage de la lanterne au phare non plus, ce mouvement ne joue aucun rôle. Dans le principe, cette phrase est adaptée : Twilight veut voir, on se concentre donc sur ce qu'elle a à disposition. Mais dans la pratique ça passe mal, et plutôt que s'acharner à corriger, il faudrait tout réécrire avec cet impératif en tête : la description ne dit qu'une et une seule chose. Une seul. Rien que ça. Mais elle le dit. Elle. Attend.
2e) Elle était là, dans la nuit noire, avec le vieux phare pour seul compagnon et sa lumière qui fouillait l'horizon.
Et là, là, enfin, on a une bonne description.
Et une bonne première phrase. Parce qu'on a tout dit. Elle est là parce qu'elle attend. Dans la nuit noire parce qu'elle est là depuis longtemps, parce qu'elle attend. Avec un phare pour tout compagnon parce qu'elle est seule, et c'est pour ça qu'elle attend. Et elle fouille l'horizon parce qu'elle attend. Est-ce que. Tu comprends. Qu'elle attend.
Est-ce qu'on a mélangé narration et description ? Oui. À ce stade vous ne devriez même plus faire de distinction. On découvre le phare, on fouille l'horizon. Est-ce qu'il y a un mouvement ? Oui, c'est dynamique, on passe de Twily' au phare, du phare à l'horizon. D'ailleurs ce mouvement est écrasant : on passe de la petite jument à l'énorme phare, à l'immensité du monde. Est-ce qu'on se concentre sur l'essentiel ? Définitivement. On reparlera de la lanterne si celle-ci sert à quelque chose mais là, tout de suite, elle. Attend.
C'est aussi l'occasion de comprendre pourquoi la description-liste n'est pas forcément une mauvaise chose. C'est utiliser la description-liste sans avoir la finalité du texte en tête qui est problématique. Un exemple ?
3g) ... dont elle s'enveloppa puis fouilla encore le contenu du sac. Sa longue-vue, ses deux livres, deux sandwichs emballés côte-à-côte. Un petit médaillon. Quelques photographies âgées par le sel marin. Elle soupira, hésita, sortit un sandwich et mordit dedans. Elle n'avait pas spécialement faim...
On a fait une description-liste. Et c'est adapté. Pourquoi ? Parce qu'elle fouille son sac, forcément qu'elle va en faire l'inventaire. Mais surtout, elle prend le temps de le faire, pourquoi ? Parce qu'elle veut être proche de son étalon, qu'elle cherche dans chaque objet la présence de son étalon -- comme pour la couverture -- et tout ça pour quoi ? Pourquoi ? Parce que, une fois encore, une fois de plus, bon sang de bonsoir de bachibouzouk, elle attend.
C'est cela la différence entre une description bien faite et une bonne description.
La différence entre narration et description est scolaire. Décrire, au final, c'est dire comment sont les choses, et cela vaut pour les actions, pour les pensées, les paroles. Parler de description revient à parler de narration et la même règle s'y applique : pertinence. Le texte a un objet (et un seul) et tout, absolument tout doit s'y rapporter d'une manière ou d'une autre. Tout sera jugé là-dessus.
Sans cela vous pouvez faire les plus belles tournures du monde, vous tournez à vide. C'est très joli. Mais c'est pas le but.
Et dans le cas de "Elle attend", c'est un peu ce qui manque. L'idée est très bien, la fin sympathique mais on a l'impression d'être passé à côté du sujet. Est-ce qu'on a vraiment partagé son vécu ? Est-ce qu'on a pu être anxieux, angoissé, excité, attristé, hésitant ? Tous les événements sont là pour qu'on le soit, une nuit de solitude et de promesses lointaines. Et je suis content que le texte n'essaie pas de me placarder ça au visage, mais il manque toute la série d'indices, de petits détails, de description qui, justement, donnerait sa dimension à l'attente.
Alors oui, on pourrait décortiquer un tas de petites techniques, d'outils et de mécanismes pour peaufiner la description. Mais le but reste le plus important. Pas besoin de faire de belles phrases si ce que vous dites est pertinent.
2f) C'était la nuit. Twilight attendait son étalon.
C'est bon, c'est tout, c'est suffisant. Le reste c'est de l'expérimentation, de la découverte, de la curiosité, pas mal de fainéantise de ma part et beaucoup de passion à soumettre, fanficers,
à vos plumes !
Hi'.
Pour l'anecdote, j'ai passé en revue deux fois la liste de mes articles, persuadé que j'étais d'avoir déjà parlé de la "première phrase", tant c'est un sujet qui m'obsède. Pourquoi ? Parce que dans ma vision des choses, la première phrase doit contenir toute l'histoire. Et j'ai bien dit TOUTE l'histoire.
On va faire un bref rappel et on s'y met, d'accord ?
Ah ça j'en avais déjà parlé. C'est la bonne vieille équation "mot + contexte = sens". Mais on va en avoir besoin pour ce qui suit alors faisons vite.
Si je veux parler d'une voiture, je peux dire "la voiture", "le véhicule", "l'engin", "la machine", "la caisse à savon"... du moment qu'on comprend que je parle d'une voiture, on considère ces mots comme s'équivalant. Par contre, je ne peux pas dire "l'appareil" pour une voiture :
1a) Il monta dans la voiture.
1b) Il monta dans la machine.
1c) Il monta dans l'appareil.
Par contre, si je parle d'un avion, je peux dire "l'avion", "le véhicule", "l'engin", "la machine"... et "l'appareil" :
2a) Il monta dans l'avion.
2b) Il monta dans l'appareil.
Cela ne vous surprend pas ? Je me souviens comment, petit, je n'arrivais pas à comprendre pourquoi on ne pouvait pas dire "il versa du liquide" pour dire "il versa du vin". Le vin c'est du liquide, mince. Et ici, si l'avion est un appareil, et l'avion est une machine de transport... pourquoi la voiture, qui est une machine de transport, ne serait pas un appareil ?
Si un enfant de neuf ans n'arrive pas à le comprendre, c'est que c'est communi- c'est que quelque chose cloche.
L'équation "mot + contexte = sens" signifie que le mot lui-même, tout seul, n'a pas le moindre sens. Il ne signifie rien, nada. C'est l'emploi qu'on en fait qui permet de comprendre ce qu'il veut dire, et c'est pour ça que le mot "appareil" s'appliquerait pour un avion et pas pour une voiture. Ça n'a rien à voir avec la définition du mot dans le dictionnaire.
Ce qui nous importe, pour la suite de cet article, c'est le poids, l'importance, l'influence du contexte sur le mot.
Et qu'est-ce qu'on va appeler "contexte" ? Les mots qu'il y a autour. Le reste du texte. Dans les exemples (1) et (2), le contexte est "il monta dans". Et pour ceux qui veulent vraiment se compliquer la vie, les littéraires ont un mot pour désigner le contexte qui ne porte que sur les autres mots du texte : c'est le "cotexte". Sans le "n". Parce qu'on est des trolls (et parce que ça veut dire le "texte à côté", "co-texte").
On est bon ? Okay.
Vous avez votre histoire, pour le moment on s'en fiche de laquelle, vous êtes devant votre page blanche et vous vous apprêtez à en écrire la première phrase. Quel est le contexte ?
Le contexte, ou "cotexte", est vide.
Pas un seul mot. Tout est encore à faire. On va donc commencer, d'accord ? Écrivons notre première phrase, au pif.
3) "J'aime les tartes aux pommes."
Maintenant, changeons de bottes. Vous avez écrit nawak après cette phrase, puis vous avez envoyé votre texte à votre meilleur pote pour qu'il relise et tandis que vous stressez en boule dans votre coin en attendant sa réaction, lui il pose les yeux sur cette première phrase. Qu'est-ce qui se passe ?
Là, comme ça, nous on sait que la phrase (3) a été écrite au pif. Mais le lecteur s'apprête à lire une histoire, il part donc du principe que ça ça veut dire quelque chose. Et il va lire cette phrase comme une histoire.
Donc "je". L'histoire est à la première personne. "Pommes". Applejack. Non désolé mais juste Applejack. Tu ne peux pas dire "pommes" dans une fanfic' MLP sans qu'aussitôt les gens y pensent, c'est juste ancré dans l'univers. On s'attend donc à un récit à la première personne où il y aura Applejack.
Mes deux hypothèses seraient alors soit un self-insert romance, soit un récit où Applejack est l'héroïne. Quelque chose comme ça.
À partir d'une phrase complètement tirée de nulle part, type "les gants sont dans la boîte à vis", on obtient une interprétation du lecteur sortie du Tartare sur l'histoire. Une histoire qui commence par des gants dans une boîte à vis ? Mh, "gants", humain, "vis", technique, le héros est probablement un ouvrier humain, peut-être sur un chantier. Probablement un HiE. Non sérieusement la phrase pourrait même être "douze" ou "biopolymère". J'ai dû wiki' le mot biopolymère, je ne suis toujours même pas sûr de ce que ça peut bien vouloir dire mais si je lis ça en première phrase d'un texte... Mh, probablement sci-fi.
Si vous avez compris qu'il y a ce moteur qui tourne dans la tête de votre lecteur, pour donner du sens à vos phrases (et la même machine dans votre tête, pour donner des mots à vos idées), alors il est temps de jouer avec.
Je vais vous proposer une première phrase anodine :
4) "C'était le matin."
Premier prix de jépudidée ! C'est générique, c'est passe-partout, ça pourrait être collé au pif à un bazillion d'histoires différentes et... et pourtant... et pourtant ça pourrait être, au contraire, très, très unique.
Pour s'en rendre compte, commençons par nous demander ce que le lecteur y a vu.
Alors on peut jouer les analystes et là la première chose à dire c'est à quel point cette phrase est courte. Trois mots. Ou quatre, suivant comment tu comptes. Pas d'adjectif, pas de rien du tout, juste un constat balancé là comme une brique. On peut s'attendre à une narration sobre, taillée au scalpel, sans concession. Juste la réalité, quelle qu'elle soit. J'y reviendrai plus tard.
Pas besoin de jouer les analystes, cependant. On peut aussi paraphraser : la phrase nous dit que c'était le matin. Le mot "matin" est donc la seule information dont on dispose, et on peut penser qu'elle est sans importance. Mais ça, on peut le tester. Et on peut le tester en la remplaçant.
4a) "C'était le soir."
Même phrase, même cotexte "c'était le", même analyse foireuse mais le mot a changé. Et qu'est-ce que ça change ? Une fois encore, mettez-vous dans les bottes du lecteur. Le lecteur est en train de construire (avec vous) une histoire.
Déjà, le matin, le personnage commence sa journée -- comme nous on commence l'histoire. Tandis que le soir, il la termine. "C'était la fin de l'après-midi" le dit mieux : "fin". On a loupé, en tant que lecteur, une journée entière où il a pu se passer un tas de choses. Ou si ce n'est toujours pas clair :
4b) "Applejack revenait de la bataille."
Vala' c'est clair là ? Quelle bataille, comment ça, qui que d'où ? Le soir peut provoquer, à son échelle, le même effet. Et le soir est aussi, dans les histoires -- et dans FiM -- ce moment de mystère, de danger et d'interdit. C'est l'ombre, c'est la nuit, c'est que des trucs pas cool arrivent. Une histoire qui commence le soir en général s'apprête à être sombre, à parler de choses pas mignonnes. Ou alors on va parler de Luna. Parce que soir. Luna. Ouais.
En un mot, on a changé le programme.
Cela ne signifie pas que cette phrase en est moins générique. On peut la faire suivre de n'importe quoi. Le soir peut être le moment où Twilight va aller voir allez je sais pas Flash Sentry pour roucouler innocemment ensemble. Le matin peut être le moment où votre personnage dépressif se rappelle qu'il est en prison pour tentative de meurtre. Mais, du simple fait que c'est une histoire, et du simple fait que cette phrase est la première, simplement en passant du matin au soir, on a changé radicalement la vision (potentielle) du lecteur.
Jusqu'à présent on a donc vu comment des phrases tirées au hasard pouvaient impacter la vision du lecteur. Maintenant j'aimerais passer à la vitesse supérieure. Laissons tomber le hasard. Prenons une "vraie" histoire.
Pour les besoins de la cause, on va dire que l'histoire c'est Spike qui doit sauver Owloviscious de... de... oh je sais, Owloviscious est appelé par un artefact de Starswirl et Spike part à sa rescousse. Vala'. On a notre histoire, on part freestyle, allez première phrase !
5) "Spike vit qu'Owloviscious était appelée par un artefact de Starswirl et parti-
Bordel de-dslvk j'ai pas dit de spoiler l'histoire ! Bon okay blague à part.
6) "Un matin Spike vit qu'Owloviscious n'était plus là."
Voilà, typiquement le genre de phrase qu'on pourrait faire pour démarrer l'histoire. Tout y est. On a nos deux personnages principaux, on a le problème ("plus là"), c'est bon il ne manque rien. Tout ce qui est nécessaire est là. On peut partir à l'aventure.
Parce que votre histoire sera cela : un récit d'aventure, rien de plus. C'est juste "Spike va sauver Owloviscious" et vous y collerez des trucs en cours de route, méthode patchwork pour le drama avec cette révélation que waaaaah en fait Owloviscious c'est la compagne millénaire de Starswirl et toussa...
C'est vraiment ça, votre histoire ? Si c'est le cas, okay cool. Allez-y. Ce genre d'histoire est divertissant, léger, je peux m'y plonger avec plaisir.
Et c'est ce que me promet votre première phrase : un récit simple, sans prise de tête, on va sauver Owly' et viens pas me compliquer la vie. C'est bon j'adhère.
Mais et si vous vouliez aller plus loin ?
Par exemple, disons que vous êtes fan de Spike, que vous en avez marre de le voir humilié à chaque fois qu'il a un épisode et donc vous voulez le glorifier dans votre fic'. Vous voulez le montrer faible, mais persévérant, et capable, surprenamment capable quand il se dévoue à quelque chose. Votre fanfic' n'est plus "Spike va sauver Owlol" mais "Spike y te poutre tes basques discute même pas". C'est de ça dont votre texte va parler pendant deux cents pages. Et c'est ça que doit... devrait dire votre première phrase.
7) "Spike il est tellement fort il mange les spaghettis bolo' sans jamais tacher ses écailles."
Bon okay c'est pas subtil mais là c'est clair. Le texte sera comique mais le texte est là pour glorifier Spike. Le lecteur, dès la première phrase, sait exactement à quoi s'attendre.
Mais est-ce qu'on peut être subtil ? En fait, oui.
Vous vous rappelez les phrases aléatoires plus haut dans l'article ? On va les reprendre, et on va les modifier pour intégrer combien Spike il poutre.
3a) "J'aime les sols propres."
4c) "C'était un autre jour bien rempli."
4d) "Encore un jour bien rempli au service de Twilight."
À nouveau, remettons-nous dans les bottes du lecteur.
En (3a), qu'est-ce qu'il voit ? Le personnage lui parle et parle de sols nettoyés. Qui nettoie les sols ? Spike. À quoi Spike est bon ? À nettoyer les sols. Il est bon à quelque chose. Mais en général on pense qu'il n'est bon qu'à nettoyer les sols. Et là tu as tout dit. TOUT. Comment Spike est déconsidéré par les autres, alors même qu'il montre, chaque jour, à quel point il est fiable. Et son dévouement : il aime ce qu'il fait. Il ne se plaint pas. Toute ta fic', toute sa problématique, ta raison même d'aligner les mots en quoi, cinq mots ? Quatre, suivant comment tu comptes. Le lecteur ne s'en sera jamais rendu compte, il est resté au stade du "ça doit être Spike" voire même pas, mais tout est déjà là.
En (4c), que voit le lecteur hypothétique ? Euh, pas grand-chose. On a un personnage actif, qui remplit bien ses journées et qui a l'air satisfait. Okay donc... Applejack ? Rarity ? Bon pas Dash elle fout rien, pas Twilight c'est une flemmar- oui, déjà à ce stade et sans même s'en rendre compte, le lecteur est déjà en train d'essayer de savoir de qui on parle. Il est en train de construire l'histoire (avec vous), il construit le personnage également.
Mais (4c) n'est pas terrible. (4d) va plus loin. Le "service de Twilight" dit clairement que c'est Spike. Et on voit aussi, au passage, comment "un autre jour" a été reformulé en "encore un jour". Par contre, difficile de savoir si le personnage est satisfait, content de sa situation. On sait, en tant que fan, que Spike est content, mais le texte peut décider que mince, Spike en a marre d'être exploité. Si ça se trouve on veut glorifier Spike en le faisant se rebeller. Donc (4c) et (4d), en fait, ne disent pas vraiment ce qu'on veut...
4e) "La journée n'avait pas commencé, les sols étaient déjà propres."
On mélange donc (3a) et (4c-d) et paf. Le texte n'a même pas commencé que le personnage a déjà tout nettoyé de fond en comble. En fait là le lecteur est plus dans les sabots de Twilight, à découvrir une biblioth- pardon un château récuré à la perfection. On joue sur le moment pour renforcer l'idée que Spike poutre -- et son dévouement, punaise, il s'est levé à quelle heure pour réussir cet exploit ?
La première phrase n'est donc pas un gros spoil. On n'a même pas mentionné Owloviscious. On a, par contre, mentionné le "core" du texte, son concept, sa raison d'être. Oui je sais je suis lourd à le répéter sans arrêt mais c'est ça : ce texte est là pour glorifier Spike et on vous le dit d'entrée de jeu.
De façon plus ou moins subtile.
Mais et si on ne voulait pas glorifier Spike ? Et si on s'intéressait plutôt à la relation entre Spike et Owloviscious ? On n'a jamais vraiment enterré la hache de guerre entre les deux, un texte serait l'occasion de relancer ça... et si Spike apportait autant à Orly que la chouette a apporté à Spike ? Et si, alors même que l'histoire montrait combien Owloviscious est en fait mystique et liée à Starswirl, on montrait que Spike, qui n'a ici pas le moindre passé mystérieux, est en fait plus héroïque, plus fascinant encore ? Comment ils se complètent. Cette amitié qu'on ne leur soupçonnait pas. Ou au contraire, cette haine qu'ils ne s'avouaient plus.
On va donc réécrire notre première phrase avec pour projet qu'Owloviscious a besoin de Spike :
8) Il y avait des plumes partout dans la bibliothèque.
Scène de crime potentielle à part, en supposant qu'un oiseau perde ses plumes comme un chat ses poils, arrêtez de rire et concentrons-nous. Les plumes dans la bibliothèque, c'est Owloviscious. Qui d'autre ? Mais, en même temps, ces plumes devront être nettoyées, et qui s'en charge ? Spike. On ne l'a même pas nommé et on le voit déjà s'énerver contre Oily. Autrement dit, sans nommer un seul des deux personnages, on les a mis en avant et en interaction.
Tout le texte est là. Tout le texte n'est qu'une excuse, cette histoire d'artefact, tout ça, une vaste excuse pour pousser leur relation à ses limites. Et si le lecteur ne s'en rend pas compte, ce n'est pas grave : vous l'avez dit, c'est dans le texte et quand il s'en rendra compte, il n'en sera pas surpris. On l'avait averti.
Mais est-ce que Spike et Owloviscious s'entendent bien ? Ou s'entendent mal ? Guerre ? Ou paix ?
Modifions la phrase (8) pour le décider, et modifions le moins possible pour y arriver.
8a) Des plumes partout dans la bibliothèque.
8b) Il y avait des plumes plein partout dans la bibliothèque.
La différence ? Rappelez-vous notre analyse en herbe de "c'était le matin". La phrase (8a) fait pareil : on fait court, on fait froid, on constate. Je vous avais dit qu'on y reviendrait. Imaginez Spike, avec son balai, devant le désordre. Les yeux froncés. Ça ne le fait pas rire. Du tout. Mais ça le fait rire en (8b) et pourquoi ? Parce que "plein partout" est une tournure plus enfantine, plus moqueuse, plus expressive. Il est plus en mode "t'es sérieuse ?!" un peu comme quand Twilight fait nawak avec ses livres. Sûr, ils vont se disputer, mais au final ils sont bons amis.
Et tout cela n'a été dit qu'à travers le style.
Texte froid. Narration brève, sans détour. Le texte va être rempli de conflits. Texte enjoué. Narration longue, exagérée, insouciante. Le texte prend les choses à la légère. Le lecteur qui débute le texte ne s'en rend pas compte, mais les fondements de la relation entre Spike et Owloviscious sont là, sous ses yeux. Et tout le texte va suivre le même "ton", la même "atmosphère", parce que cette relation sera la même tout du long.
Cette relation évoluera, en surface, mais à moins qu'elle ne change fondamentalement, alors le style, fondamentalement, ne changera pas. Texte moqueur et joyeux parce que ces personnages veulent être ensemble. Triste quand ils se séparent.
Et si l'histoire était sur l'insignifiance ? Deux personnages minuscules, écrasés par une destinée qui les dépasse. Emportés par cette machination universelle où ils ne sont que de simples rouages ? Comment le dire, quels mots choisir ?
9a) Balayer, frotter, lustrer, répéter.
9b) Une chouette sur la tête et un balai dans les pattes rendait Spike heureux.
9c) Owloviscious ferma les yeux au passage du plumeau.
Tellement de variantes différentes possibles, tellement de fois où le lecteur ne se rendra pas compte que tout ce qu'on lui dira jamais à travers toutes les pages est là, juste devant son nez, contenu en quelques (dizaines parfois de) mots.
Et parlant de mots, une fois encore, on peut tester leur impact en les changeant. Pourquoi "balayer" plutôt que "récurer" ? Pourquoi "heureux" plutôt que "enjoué" ? Pourquoi "ferma les yeux" plutôt que "frémit" ? Quelle différence entre "fermer les yeux" et "frémir" quand le sujet est l'insignifiance face au monde ? La manière dont on le subit. Et, potentiellement, l'aveuglement d'Owloviscious quand elle partira trouver cet artefact.
Ah ben voilà ! Je savais que j'avais dû en parler quelque part. La première phrase n'a pas l'impact que je lui donne, mais il est vraiment possible, au pire en un ou deux paragraphes, de montrer au lecteur l'ensemble du texte. Que ce soit ce dont il va parler ou la manière dont il en parlera.
On ne spoile pas l'intrigue. On annonce le concept, dans la forme et dans le fond, sans que le lecteur n'ait à s'en rendre compte, simplement pour qu'intuitivement il "sente" ce qui se prépare.
Pour moi c'est là, bien plus que dans la description de la fic', dans l'image ou dans les tags, que je passe mon contrat avec le lecteur. C'est dans la première phrase que je lui dis "voilà ce que je vais faire". Et, plus personnellement encore, c'est la première phrase qui, quand j'écris un texte, me permet de me rappeler, même des semaines après, la raison même qui me poussait à le faire.
Si, en reprenant un brouillon, la première phrase ne me parle pas, ce n'était même pas la peine de continuer. Je recommence de zéro.
Inversement, une fois la première phrase cimentée, peu importe ce qui arrive, je sais exactement où je vais.
Reste à voir comment cela s'applique, fanficers,
à vos plumes !
Hi'.
Je sais. Je sais. On a le groupe cinéma pour causer de l'épisode tout notre saoul et déjà un autre article sur la temporalité de l'épisode et si tout le monde s'y met on va flooder les articles. C'est d'autant plus impardonnable pour moi que j'ai quelque part déjà dit ce que j'avais à dire avec les mondes possibles.
Mais le logicien qui est en moi supplie d'écrire un pavé tellement ce final est le meilleur puzzle de logique que la série nous ait offert. Et ça va loin. Très loin. Et effectivement, vu le pavé qui nous attend, le faire en commentaire n'est juste pas possible.
Donc de quoi on va causer ?
Des voyages temporels. Des futurs alternatifs. Et de la suranalyse en général, pour ne pas tomber dans les deux extrêmes, ou bien de dire que c'est stupide de tirer des plans sur la comètes sur une série pour mioches de six ans, ou bien de s'écharper parce que dans tel épisode Applejack utilise le sabot gauche au lieu du droit.
Notre but, ici, ne sera pas seulement d'expliquer "comment" toutes ces histoires de voyages et de poneys sont possibles. Notre but sera aussi de le faire avec le minimum d'hypothèses -- rasoir d'Occam -- et en tenant compte qu'on fait de la suranalyse, donc, en comparant avec ce que la série fait vraiment.
Par exemple, pour les futurs alternatifs, la série se contente de prendre un méchant et de montrer Equestria avec ce méchant. Ils ne se sont jamais demandés comment ce futur était possible. C'est pas leur boulot. C'est celui du fan. Notre but va être de justifier ce futur alternatif avec le moins d'efforts possible.
Pendant que tout le monde se pose les grandes questions du type "comment les futurs alternatifs ont pu se produire" ou "comment ça fonctionne le voyage temporel", moi je me suis concentré sur deux ou trois instants infimes dans l'épisode mais qui seront notre point de départ pour le casse-tête à venir.
1) Applejack dit n'avoir jamais vu la table auparavant.
Dans le futur de Sombra, on apprend avec Applejack que la table n'apparaît dans ce futur qu'au tout dernier moment, à l'arrivée de Twilight. Après on peut argumenter que le château est récent et qu'AJ était occupée avec ses boîtes de conserve mais c'est assumer beaucoup de choses et ce serait des raisons pour elle de douter. On doit partir du principe que la plaine était vide jusqu'au dernier instant.
2) Zecora dit que ce sont eux qui ne devraient pas être là.
Quand Zecora barbouille le héros (et Twilight), ceux-ci brillent et Zecora découvre que l'univers est anormal. Je m'arrêterais bien dix minutes sur la façon dont elle encaisse que toute sa vie est une illusion mais okay. L'important est que la magie est capable de dire si le monde est normal ou non.
3) Starlight Glimmer.
Juste. Starlight Glimmer. Quand elle empêche le Rainboom, Twilight est renvoyée dans le futur. Mais on ne voit jamais Starlight être emportée. On ne sait, de fait, rien de ce qui l'attend, seulement qu'elle retourne également dans le passé, avec Twilight, qu'elle a la mémoire de la confrontation précédente mais aucune mémoire du futur qu'on a vu -- sans quoi Twilight n'aurait pas besoin de le lui montrer.
Ce dernier détail nous amène immédiatement à formuler notre première théorie sur la manière dont fonctionne le voyage temporel, et je vais avoir la prétention de dire que c'est la théorie qu'utilise la série.
Dans cette théorie, il y a un seul monde, le monde réel. Quand on change quelque chose dans le passé, le futur est effacé et remplacé par un nouveau.
Cette théorie n'explique pas comment les futurs alternatifs sont possibles. La série s'appuie sur l'effet papillon mais soyons sérieux, que Dash trébuche ou mange du popcorn ne va rien changer au compte à rebours des méchants.
Cela dit ce n'est pas le seul problème, et de loin. S'il n'y a qu'un monde, alors il n'y a qu'un passé et à chaque fois qu'on y retourne (avant le moment de la modification), on devrait y voir nos passages précédents. Sans même citer Doctor Who, on peut se référer à la saison 2, "It's about time" : Twilight se rencontre elle-même. Pourquoi ça n'arrive pas ici ? Il faut faire l'hypothèse qu'on se remplace dans le passé, ce que pas mal de voyages temporels font, et toussa toussa.
Et maintenant, nos trois détails.
Comment expliquer que la table reparaisse dans le futur ? On va dire qu'elle est un reliquat du futur "réel", ce qui implique l'hypothèse que ce monde aurait moyen de savoir quel futur est "réel" et lequel est modifié, mais eh, on y parle de magie et de destinée donc cool. Dans la foulée ça explique aussi pourquoi Zecora fait son commentaire. Ce qui n'est pas expliqué, c'est pourquoi ce reliquat n'apparaît pas plus tôt. Pourquoi AJ n'a pas vu popper la table un beau matin, des mois avant l'arrivée de Twilight ? Où sont les Éléments d'Harmonie et tout ça ? Si Twilight remplace Twilight, la table devrait remplacer les Éléments... aaaaargh.
Mais tout ça encore on peut gérer. Et honnêtement à ce stade cette théorie est simple, confortable et correspond à notre perception de ce qui se passe.
Sauf pour Starlight Glimmer.
Une fois Twilight retournée dans le futur, Starlight reste derrière. Combien de temps ? Combien de temps avant qu'elle ne soit renvoyée dans le passé ? Et là vous allez voir que c'est retors. Elle dit elle-même que c'est lié au sort : si Twilight retourne dans le passé, elle y retourne également. Mais du coup comment le sort sait, dans le passé, que dans le futur Twilight va le lancer ? Comment le sort sait à quel moment renvoyer Starlight dans le passé ?
Ces questions ne sont pas insurmontables, loin s'en faut. On peut proposer que le sort, en remontant dans le passé, "happe" Starlight au passage. Que le sort est actif en même temps dans le passé et dans le présent. Ou bien, ce qui était mon hypothèse, que Starlight restait aussi longtemps dans le passé que Twilight dans le futur : le sort leur a donné leur propre temporalité. Mais la question fondamentale demeure. Comment le sort sait ? Parce que tant que Twilight n'a pas échappé à Moon pour repartir dans le passé, elle peut toujours se faire dégommer, échouer. Et tant qu'il y a cette possibilité, le sort n'a aucune raison de renvoyer Shim- Glimmer dans le passé. Autrement dit, Starlight Glimmer devrait être dans ce futur également, jusqu'à ce qu'elle n'y soit pas.
C'est un paradoxe. C'est absurde. Et le seul moyen pour le résoudre est que le sort n'attende pas de savoir et la renvoie quoi qu'il advienne, ce qui ouvre encore plus de problèmes.
Et ça, c'était la théorie la plus simple.
Ce qui précède est probablement ce que la série a opté pour. En gros, le présent c'est là où est Twilight, le monde se réorganise autour et puis marre. Et ça fonctionne très bien tant qu'on ne tient compte que d'un seul personnage, un seul point de vue. Mais dès qu'on fait rentrer Starlight dans la danse, ça déraille.
Ce qui suit est la théorie privilégiée des fans, notamment de ceux qui lisent le comic. Le multivers, bien sûr. L'idée qu'il y a un tas de mondes réunis au sein d'un méga-univers (appelé "multivers"). Les futurs alternatifs y sont simplement d'autres mondes.
Cela n'explique pas comment ces alternatives sont possibles si on n'exploite pas jusqu'au bout le potentiel du multivers.
Même dans cette théorie, la tentation est de faire simple. Twilight retourne dans le passé de son monde à elle, puis ce passé change. Cela crée un monde parallèle dans lequel Twilight est envoyée. Son futur à elle continue d'exister parce que... parce que ta gueule. Twilight revient dans son passé à elle et rechange le passé autrement : le premier monde alternatif est détruit (ou pas) et un second est créé. C'est comme la théorie précédente, mais en plus compliqué.
Et ça pose tous les problèmes précédents. Glimmer devrait être dans ce futur alternatif. La table aussi, ou pas, ou peu importe. Il va falloir créer tout un système complexe d'interaction entre les mondes parallèles -- parallèles on a dit -- tout ça pour obtenir le même résultat qu'avec un seul monde.
En fait, cette approche fait pire que la précédente parce qu'on n'a désormais aucune excuse pour ne pas voir de multiples Twilight combattre de multiples Starlight dans le passé. Et Zecora n'a aucune raison de dire que SON monde est anormal vu que c'est SON monde, avec SON passé. C'est comme si dans Equestria Girls Twilight disait "vous devriez être des ponettes" et tout le monde autour d'elle fait "ah ouais ouais elle a raison".
Le multivers semblerait donc se casser la gueule.
Sauf que, comme dit, c'est mal l'exploiter. Et c'est là que je vais vous proposer une solution que j'appelle la solution "de l'annuaire", que j'avais conçu dans le cadre du projet Hydre. L'annuaire dit simplement que quand tu veux aller quelque part, si ton portail ne trouve pas la bonne adresse au lieu de te renvoyer un message d'erreur il va tenter de trouver l'adresse la plus proche.
Qu'est-ce que ça signifie ? Que quand Starlight veut aller dans le passé, la table fait "euh non ça va pas être possible". Parce que dans le passé Starlight n'a jamais été là. Donc ce que la table fait, c'est prendre le monde parallèle le plus proche du sien et d'envoyer Starlight dans ce passé-là. Pourquoi dans ce monde là-bas c'est possible je sais pas mais on fait avec ce qu'on a. La table va faire ça à chaque retour dans le passé, à chaque fois un nouveau monde donc dépourvu de Starlight et de Twilight à leur arrivée. Le passé est ensuite modifié et comme c'était déjà un univers parallèle à la base, il différait déjà probablement du monde de Starlight et Twilight au départ. Si ça se trouve, dans tel monde parallèle les étoiles n'allaient pas aider Moon. Et cetera. Et cetera.
C'est génial hein ? On a expliqué comment les futurs alternatifs sont possibles. Ils sont possibles parce qu'on est déjà dans un monde parallèle, avec déjà des différences dans le passé, et ce que dit Zecora sur l'effet papillon s'y applique donc à fond. Et la table qui apparaît de nulle part peut s'expliquer aussi mais tout aussi bien que dans la théorie précédente.
Reste Starlight Glimmer.
Ouais, pour que la théorie de l'annuaire fonctionne vraiment, il faut comprendre que quand Twilight retourne dans le futur, le sort n'essaie pas de l'envoyer dans le futur du monde parallèle dont elle vient de modifier le passé. Le sort veut la renvoyer dans son monde à elle, mode "okay t'as foutu le dawa là-bas, retour à la case départ". Et c'est là vraiment que l'approximation fonctionne. Le sort est parasité par le changement induit et va donc à nouveau trouver le monde le plus proche tant du futur du monde de départ que du futur du monde parallèle. Et donc Twilight débarque dans le futur d'un monde dont elle n'a en vérité jamais modifié le passé, qui a été modifié pour d'autres raisons, et où Starlight, donc, n'existe pas non plus.
Punaise ! Cette tonne d'efforts pour expliquer les trucs. Et c'est pas parfait, il reste des tas de trucs qui collent pas mais ça va, ça va, on s'en sort presque mieux qu'avant. On a jeté le rasoir d'Occam à la poubelle mais yup, ces deux théories se valent, ceux qui veulent faire du multivers peuvent largement le défendre.
Je vais passer rapidement sur cette troisième théorie parce que, comme dit au départ, j'ai fait tout un article dessus. Pour rappel, juste, c'est aussi un tas de monde mais sans "méga-univers" pour les contenir. Il y a autant de mondes possibles qu'il y a de mondes... possibles. Si quelque chose est possible, alors il y a un monde où cette chose est vraie.
Et, point essentiel, par définition même du monde possible il est nécessairement impossible de voyager d'un monde possible à un autre.
Il est juste possible qu'un monde permette à des voyageurs temporels d'y apparaître. Ces voyageurs temporels ne viennent de nulle part, ils appartiennent uniquement à ce monde. Mais si c'est possible, alors il y a un monde comme ça.
Je dis ça parce que si on regarde le multivers, dans la première approche on disait qu'on créait un univers parallèle (un futur alternatif) en changeant le passé. Ensuite, ce monde pouvait être détruit ou pas. Dans l'approche de l'annuaire, on ne détruit rien du tout. On se contente de foutre le dawa dans un monde qui existait déjà et qui continuera d'exister. Et ce point est pour moi essentiel parce que Twilight promet à Applejack de tout régler ; idem, Zecora lui dit de repartir empêcher que ce futur se produise. Or, dans les deux cas, ces univers vont continuer d'exister. Twilight n'a rien changé pour eux. Et, de mon point de vue, elle les a abandonnés. Elle a fait une fausse promesse à AJ. Et autant pour les changelings c'est sûr qu'elle arrivait un peu tard, autant pour Sombra et Moon elle avait encore les moyens de donner un coup de pouce avant de partir.
Mais soit. Admettons qu'elle ne pouvait plus rien pour eux. Mieux valait repartir éviter que cela se produise dans son propre monde. Pas vrai ?
Sauf que dans son propre monde, son futur n'avait pas changé du tout. Pinkie Pie avec son gâteau mettrait encore des heures sinon des jours à réaliser que Twilight était partie. Tout allait autrement au mieux dans le meilleur des mondes. Twilight n'allait rien empêcher du tout, il n'y avait rien à empêcher. En fait, si Twilight n'avait pas suivi Starlight dans le passé, Starlight aurait simplement disparu, et marre.
Ce constat est encore plus brutal dans la théorie des mondes possibles, et dites-vous bien que c'est comme ça que j'ai regardé l'épisode. Dans la théorie des mondes possibles, un voyageur temporel se suicide. Repartir dans le passé signifie disparaître du monde -- ça équivaut à mourir -- tandis que, sans le moindre lien, simplement parce que c'est possible, un tout autre individu qui n'est pas nous, qui ne sera jamais nous, dont on n'avait même pas conscience, apparaît dans un autre monde.
Combien de fois Twilight a utilisé le sort ? Disons une demi-douzaine de futurs alternatifs, donc une demi-douzaine de Cloudsdale plus deux fois son présent à elle, mettons au moins 13 voyages. Elle est morte. Treize fois. On a vu certaines Twilight vivre moins d'une minute. Même les mouches vivent plus longtemps.
Et même si une Twilight, qui n'est pas celle de départ, revient dans le monde de départ, il y a une infinité de mondes où aucune Twilight n'est jamais revenue. Une infinité de mondes où Twilight n'a pas pu convaincre Starlight. Une infinité où elle est restée en arrière aider ceux du futur, et a réussi / échoué. Les Twilight qu'on a suivi, d'après cette théorie, n'avaient aucun rapport entre elles, simplement qu'à chaque fois chaque monde considérait cette Twilight comme étant possible, et on les a assemblées arbitrairement. Et ces Twilight-là, dans chaque futur qui est le leur, puisqu'elles appartiennent fondamentalement à ce monde et à celui-là uniquement, ont préféré se suicider plutôt que d'aider.
Ouais.
Ouais la logique parfois ça donne une toute autre perspective des événements.
Mais soyons honnête. Les mondes possibles ne sont pas la meilleure théorie pour expliquer ce qu'on a vu dans l'épisode. Elle peut tout expliquer, mais avec autant sinon plus de mal que le multivers, et je n'entrerai pas dans le détail tellement il faut empiler de sous-théories.
À la place, voici la solution la plus simple, à mes yeux, pour régler toutes les incohérences qu'on aurait pu voir.
Et tout découle, une fois encore, de ce qu'a dit Zecora.
Tout ce qui se déroule est une simulation. Un monde fictif, artificiel, comparable à un monde virtuel créé par ordinateur. Lorsque le parchemin a dit à la table "eh, transporte-nous là", la table a fait "euh, je peux pas", et tout comme dans la théorie de l'annuaire, elle a fait ce qu'il y avait de plus proche. C'est une théorie qui existait déjà pour Equestria Girls, où on proposait que tout l'univers d'Equestria Girls pouvait exister dans le miroir lui-même. Ici, Starlight et Twilight (et Spike) n'ont jamais quitté leur monde, ni leur présent. Elles ont simplement rejoint un sous-univers créé, généré, contenu dans la table.
Et ça, ça explique tout.
Pourquoi les futurs alternatifs ne semblent pas avoir de chronologie logique, pas sans faire appel à des théories folles ? Parce que la table a approximé un futur possible. La table a calculé un futur "vraisemblable", approximatif. Pas de mane6 ? Sombra pourrait revenir. Elle n'a pas réfléchi plus loin et paf, tout un monde créé là autour. À chaque fois que Twilight retourne dans le passé, l'effet papillon n'y est pour rien : la table tente un autre futur, toujours dans le but d'obéir aux instructions du parchemin. La table est un peu en mode "mais bordel t'attends quoi de moi ?!"
Pourquoi n'y a-t-il à chaque fois qu'une Starlight et une Twilight (et un Spike) ? Parce que c'est une simulation. Et non seulement dans cette simulation il n'y a qu'une Starlight et une Twilight (ets.) mais la table n'a pas reçu pour instruction de les renvoyer dans un passé où elles agissaient déjà. Voilà pourquoi Cloudsdale -- et les futurs, à cet égard -- sont exactement ce que les ponettes qui lancent le sort pouvaient s'attendre à trouver.
Pourquoi la table apparaît de nulle part ? Parce que c'est une simulation. Probable que c'est dans ses consignes de suivre Twilight, vu que c'est le présent, tandis que dans le passé le sort lui dit "t'es pas censée être là". Une fois encore, c'est la table qui décide ce qui existe et ce qui n'existe pas.
Ce qui nous amène à Zecora : Zecora a une réaction de PNJ. Elle découvre qu'elle est un tas de pixels et comme elle est un tas de pixels, la table va lui donner les réactions que Twilight pourrait attendre de son mentor. Ou alors Zecora poutre, je dis pas, le nihilisme a ses avantages. Et l'explication de l'effet papillon vaut toujours, mais à plus vaste échelle : à chaque fois qu'on renvoie Twilight dans le futur, la table doit calculer un nouveau futur en tenant compte de l'échec passé -- considéré comme un échec vu que Twilight se barre. Bien sûr, Zecora n'en a aucune idée.
Et Starlight ? Encore une fois, c'est une simulation. Il y a juste deux simulations qui tournent en même temps, le futur et le passé. Starlight continue tranquillement dans la simulation de Cloudsdale jusqu'à ce que Twilight relance le sort, et là la machine arrête les simulations et régénère une simulation du passé toute neuve pour toutes les deux.
Au passage, ce n'est pas nécessaire -- et pas tout à fait exact -- mais on pourrait pousser plus loin et dire que la table ne considère vraiment qu'une seule Starlight et une seule Twilight. Ce qui signifierait qu'elle éliminerait volontairement toute autre présence d'elles (et de Spike) dans les simulations. Ce qui expliquerait pourquoi Twilight ne se rencontre jamais elle-même (en vérité c'est surtout pour simplifier et gagner du temps, pour les scénaristes). Pas tout à fait exact parce qu'on voit Twilight pouliche rater son sort, mais bon.
La simulation résout tous les problèmes et le fait avec une aisance folle. C'est aussi un "multivers" mais où le contenant est le monde de départ, et ça évite tous les pièges logiques dans lesquels on pourrait tomber.
Et là aussi, la vision de l'épisode en devient assez sympa' -- plutôt comique. Les futurs sont au mieux des cauchemars, sans la moindre conséquence. Si Twilight n'avait jamais suivi Starlight, il ne se serait rien passé : Starlight aurait été enfermée dans la simulation aussi longtemps qu'on l'y aurait laissée. Si Twilight avait échoué à convaincre Starlight, on se serait rendu compte, dans le monde réel, de la disparition de la princesse, on aurait fini par comprendre où elle était enfermée et on aurait pu la libérer -- bon ça risquait de prendre quelques millénaires mais eh, on a vu pire comme prison.
Dans cette théorie, Starlight Shimm- Glimmer était vouée à échouer. Elle torture Twilight, mais c'est tout, et le sort du monde n'avait jamais été en jeu. De fait, on ne saurait jamais ce qui se serait passait réellement.
Toutes mes excuses encore pour m'être permis ce que tout le monde se force à ne pas faire pour ne pas spammer d'articles sur toutes nos théories farfelues.
Au final, que conclure ? Que chaque théorie se vaut. La plus simple et la plus efficace reste la simulation, mais la plus proche de la série reste la première, et on explique les incohérences par l'amitié ou quelque chose. Et personnellement, je reste accro aux mondes possibles.
J'ai peut-être loupé d'autres théories, eh, ça arrive.
L'important pour moi était de partager à quel point cet épisode permet d'aller loin, très loin dans la réflexion. Expliquer que le sort semble fonctionner différemment. Expliquer les mots de Zecora. Erreurs involontaires des scénaristes ? Eh, ça a donné Derpy. Cet épisode permet la suranalyse, et pas juste "ouais non c'est foireux" et claquement de porte.
L'important était de montrer comment chaque théorie, qui encore une fois se valent, permettait un regard différent sur les événements qu'on a vus, du plus tragique au plus comique et avec la possibilité de penser vraiment "dans la cheminée".
Ce qui importe, en suranalyse, n'est pas d'avoir raison, mais d'avoir tout envisagé, de pousser le plaisir de la découverte jusqu'au bout. Secrètement j'espère voir des fanfics' exploiter les futurs alternatifs qu'on a vu, et exploiter le voyage temporel (à nouveau), et si c'est le cas, alors je porterai une attention toute particulière à la théorie pour laquelle aura opté l'auteur.
Autrement dit, et comme d'habitude, le premier mot revient réellement, fanficers,
à vos plumes !
Hi'.
Vers juin-juillet, alors que je me préparais à expliquer ma vision de l'écriture loin loin loin de chez moi, je me suis dit okay, la conception c'est le fondement de la linguistique, ça se résume à "l'histoire a un et un seul objet", pas de problème. Le développement c'est l'histoire de pertinence, mon éternelle équation "texte + contexte = sens". Tout cela est carré, (pseudo-)scientifique et très purrrrrr... et puis il y avait ma troisième partie, planification, et là j'ai bloqué.
En fait, comme un abruti, je me suis rendu compte que je n'avais jamais réfléchi au plan, au-delà d'un simple "j'ordonne (et subordonne) mes éléments".
Ma théorie du plan date de quand j'avais quinze ans et qu'on parlait de "fil rouge", avec l'idée qu'il y avait en gros une quête principale, des quêtes secondaires et des événements accessoires, et blablabla... théorie à peine retouchée quand on m'a appris à faire des plans à l'uni', avec par exemple l'idée que chaque partie doit faire à peu près la même taille. Tout ça c'est bien joli mais c'est du niveau de Cro-Magnon.
Du coup je me suis mis à réfléchir à la théorie linguistique qui pourrait s'appliquer au plan.
Et soudain, je me suis fichu une claque.
La linguistique est la science du langage. La sociolinguistique est une science du langage qui considère le langage comme une activité humaine et, pour simplifier, regarde l'influence de l'élément humain (social) sur cette activité. Par exemple tu dis "tu" à telle personne et "vous" à telle autre, ou encore les djeunes y parlent pas comme que les vieux. Tavu. Ouais on a progressé un peu depuis Labov quand même.
Au sein de la sociolinguistique existe l'interactionnisme, qui dit en gros que quand tu parles tu interagis avec quelqu'un, et du coup ton activité va devoir prendre ce quelqu'un en compte. La communication sert toujours à transmettre un contenu (genre "on t'a volé tes bottes") mais sert aussi à négocier la communication elle-même (genre "me tape pas dessus mais..."). En termes moins commerciaux, même quand une seule personne parle, tout le monde coopère pour rendre la communication possible.
Tout le monde est actif, ou ça échoue.
Et cela, quand on y pense, va à l'encontre de notre représentation la plus basique de la lecture (et donc, de l'écriture). L'écriture est décrite comme une activité passive : le seul effort qui nous est demandé est de débrancher notre cerveau le temps d'une escapade dans l'improbable, et ah oui de tourner la page une fois arrivé en bas. Il en va de même pour les autres arts, et on ne pense vraiment à l'activité que si le spectateur se met à parler ou presser sur un bouton. En tant qu'auteur, on s'imagine complètement coupé du lecteur.
Difficile de nier cette idée. On ne peut pas répondre à l'auteur. On ne peut pas empêcher le héros de monter ce fichu escalier. On n'a clairement pas une manette en main et la possibilité de tuer des hordes de pajenti(tm). Cela dit, la conséquence de cette vision est d'écrire en supposant que le lecteur connaît son boulot et que ça passe ou ça casse. Parler au lecteur, c'est briser le quatrième mur genre "mais toi et moi, lecteur, savons qu'en fait elle est toutdous(tm)". Dans un texte normal, on ne parle pas au lecteur. Enfin si mais uniquement pour lui raconter l'histoire.
On n'imagine pas un seul instant avoir à coopérer avec lui pour dire "comment" on va la raconter.
La plupart d'entre nous ont entendu parler du "contrat de lecture", que perso' je sais toujours pas bien ce que c'est mais qui est en gros l'accord tacite passé entre l'auteur et le lecteur au moment où ce dernier commence à lire. Ça dit en gros "ouais je sais les poneys existent pas fais semblant et lâche-moi les basques" ou encore "ça va parler de bisous et du dessous des sabots, t'es prévenu". Mais pour la majorité d'entre nous, ce contrat est assez général et comparable à des clauses d'utilisations que tu lis pas quand tu installes ta nouvelle app. Et ça correspond aux tags, au pitch, à ce genre de choses. L'appliquer à l'intérieur du texte... inimaginable.
Cela dit, j'avais déjà une autre notion, quoique assez vague, pour cela. "Préparer" ou "annoncer" quelque chose dans le texte. Par exemple, l'héroïne pète les plombs mais le lecteur n'est censé le savoir que d'ici deux chapitres. Si on ne fait rien et que dans deux chapitres on découvre qu'elle était folle, ça va sembler tomber du ciel. Si on déballe tout dès le départ, ben tout l'intérêt, toute la tension, tout ça part dans le caniveau. L'idée est alors de simplement donner des indices, des signaux que "y a un truc" et que "ça pourrait être ça". Genre elle se met à collectionner les crayons, ou bien elle coupe toutes les conversations au beau milieu comme sur un coup de tête. Elle n'arrive plus à coiffer sa crinière. Des détails tout bêtes mais qui, une fois arrivé à la révélation, prennent tout leur sens et permettent au lecteur de faire "aaaah c'était donc ça" ou "JE LE SAVAIS ! (bang)".
Sans le savoir, ce système d'annonce au travers de détails, de "signaux" comme je dirais maintenant, est une forme de coopération avec le lecteur.
Et sans le savoir, on peut aller beaucoup, beaucoup plus dans la coopération.
L'interactionnisme dispose d'une grille d'analyse quand il s'agit d'étudier une conversation. Le principe est simple. Le langage est une activité entre plusieurs sujets parlants. Une activité implique des actions. Chaque action implique une réaction. Donc dès qu'une personne dit quelque chose, ce qu'il dit est une action qui va demander une réaction de la part de l'autre personne.
Ces paires "action - réaction" fonctionnent très bien pour les dialogues, par exemple les discussions au téléphone où, basiquement, l'autre répond. Mais, et c'était là une petite découverte du temps où j'étais bachelier, les personnes qui monologuent utilisent la même structure. J'avais vu un politicien argumenter avec un interlocuteur fictif, fabriqué de toutes pièces par son discours. Et nos textes eux-mêmes, qu'on en soit conscient ou non, utilisent aussi cette structure.
Ce qui signifie que c'est aussi la structure minimale d'un plan.
Ce sont des paires "action-réaction", entendu (on n'a pas encore vu d'exemple), mais pourquoi adjacentes ? Parce qu'elles se suivent, bien sûr. Et pas seulement parce qu'il y aurait des suites de paires genre "action-réaction" - "action-réaction" - "action-réaction"... mais parce qu'une réaction est, fondamentalement, également une action. Ce qui signifie qu'elle aussi demande une réaction. Un peu comme une escalade de la violence, où chacun dit "mais c'est lui qu'a commencé", sauf que là c'est pour demander à quelqu'un s'il veut négocier.
On parle alors de "paires imbriquées" et, une fois encore, c'est facile à voir quand vous causez avec quelqu'un. L'exemple typique est la paire "question-réponse" où la réponse demande en général une confirmation, mode "j'ai bien répondu ?" Discuter est une activité, on veut savoir comment cette activité se passe.
Maintenant, la question en or : est-ce qu'on peut appliquer tout ça à nos textes ? (Et surtout, à quoi ça nous sert ?)
La réponse est oui.
Et pas seulement pour les moments où nos personnages conversent, pour expliquer comment rendre leurs répliques plus cinglantes. Mais oui, on peut commencer par là.
Déjà, ça nous explique pourquoi on va se passer de tous les "bonjour-salu-sava" vu qu'on n'a pas besoin de négocier l'ouverture du dialogue. On ne conserve que les paires qui nous intéressent, et comme le début est une réaction, ça nous permet de faire "exister" ce qu'on a coupé. Type "Rarity salua Twilight et après avoir causé un peu : 'mais au fait, tu n'as pas vu blablabla...' dit la diva." Ce "mais au fait" indique un changement de sujet, on a l'illusion qu'elles ont pu se dire des tas de choses sans importance avant.
Ensuite, ça nous dit comment les faire réagir. Alors oui je sais, ça dépend énormément du personnage (et de nos propres compétences sociales), mais la tension d'un dialogue, son intérêt, ne se trouve pas seulement dans l'information transmise, type "Twilight, qu'est-ce qui se passe ?! - C'est horrible, Dash ! Spike est mort !" L'intérêt du dialogue se trouve aussi dans la manière dont les personnages coopèrent, négocient ou même se battent pour diriger la conversation. "Parlons du contrat. - Parlons de ma récompense." En deux répliques on a créé le conflit, et dit en gros : "bouffe-le ton contrat je ferai plus rien pour ta tronche avant d'avoir vu mon argent !" Si le premier ne veut/peut pas payer, il va tenter de parler du contrat (et de l'argent futur). Si le second en a marre de se faire avoir/ n'a plus confiance, il va revenir sans cesse à l'argent. Ils n'ont jamais besoin de le dire explicitement : chacun va parler de ce qui l'intéresse, et créer ces fameux "dialogues de sourds" jusqu'à ce que l'un d'eux cède et s'aligne sur l'autre.
Mais ce qui doit nous intéresser ici et maintenant, c'est qu'on peut appliquer les paires adjacentes à la narration.
Quand l'auteur écrit son texte, il monologue. Et le narrateur, en narrant l'histoire, fait exactement de même. Personne ne risque de les interrompre, ils peuvent continuer aussi longtemps qu'ils veulent. Par contre, ils doivent retenir l'attention du lecteur et pour cela, ils ont besoin que le lecteur coopère. Yup, il y a interaction.
"Carrot Top revenait des champs, la bêche à l'épaule, à trois pattes par le sentier qui serpentait la colline. L'air chaud d'été cuisait doucement les blés alentours. Entre les bosquets d'arbres, oasis d'ombres sous leurs feuillages, elle pouvait s'arrêter un instant et retirer la sueur qui lui coulait du front.
En bas du chemin, seul dans les champs, il y avait Big Macintosh."
Comment argumenter qu'ici il y a interaction ? Où sont les paires ? On peut, pour se simplifier la vie, décréter qu'à la place des répliques d'un dialogue, ici on a les phrases du texte. Première phrase ? Carrot Top revient des champs. Seconde phrase ? Il fait chaud. Troisième phrase ? Euh... arbres oasis sueur je sais pas moi. Quatrième phrase, y a Big Mac. C'est de la paraphrase et on n'a pas de quoi faire des paires, encore moins les imbriquer.
Mais rappelez-vous l'équation "texte + contexte = sens". Ici, on a seulement le discours du narrateur. Et si on rajoutait le discours d'un lecteur fictif ?
"Carrot Top revenait des champs (elle foutait quoi là-bas ?), la bêche à l'épaule, (ah d'accord), à trois pattes (wat) par le sentier qui serpentait (ranafiche) la colline. L'air chaud d'été (tu t'fous d'moi) cuisait doucement les blés alentours (c'est quoi ce ton mièvre ?). Entre les bosquets d'arbres, oasis d'ombres (t'es sérieux ?) sous leurs feuillages, elle pouvait s'arrêter un instant et retirer la sueur (il est sérieux) qui lui coulait du front.
En bas du chemin, seul dans les champs, il y avait Big Macintosh (okay romance)."
Bien sûr que le lecteur réagit au texte, il le lit, ce serait inquiétant qu'il n'en pense rien. Se mettre à la place du lecteur permet d'essayer de deviner ce qu'il va "dire", et donc d'y répondre par avance. Tout le texte est la simulation d'un dialogue avec un lecteur fictif posant ses questions de phrase en phrase et forçant le narrateur à développer tel ou tel point. Si je dis juste :
"Carrot Top revenait des champs par le sentier qui serpentait la colline. L'air chaud d'été..."
On peut se demandait ce qu'on fichait aux champs. Avec AJ c'est facile, c'est une fermière, mais même si certains peuvent se dire que Carrot Top cultive les carottes, ce n'est pas évident pour tout le monde. Donc on rajoute la bêche, et là c'est clair. Pourquoi à trois pattes ? Parce que ça m'amusait, mais aussi pour recentrer la conversation : ce qui nous intéresse, c'est Carrot Top, pas ce qu'elle fait. Quand on reprend le texte et qu'on parle du décor, ce qu'on garde de Carrot Top ce n'est pas sa bêche, c'est la jument.
De même, quand on finit par "la colline", une question légitime est : elle ressemble à quoi, cette colline ? Si on ne dit rien, une fois encore, le lecteur va remplir les trous pour nous, et ce n'est pas (toujours) un mal, mais le texte peut lui répondre en développant la description et, une fois encore, c'est l'occasion de recentrer la discussion : tout il va bien il est beau les petits oiseaux le facteur ta femme le canapé. Et si on pense que le lecteur n'aime pas les bucoliques ?
"L'air chaud d'été cuisait doucement les blés alentours. Il y avait de la routine dans ces paysages, mais la jument aimait à s'y perdre après le travail. Entre les bosquets d'arbres..."
Non, la jument en a ranafiche, la jument n'existe pas. Ce que cette phrase en plus dit en vérité c'est "toi, lecteur, tu peux trouver ça barbant, mais tu vas me faire le plaisir de t'y intéresser j'ai passé des nuits blanches sur ce texte bordel fais un effort !" Pas besoin d'interpeller, on a été subtil et au final le résultat est le même. Le lecteur va s'intéresser au paysage ne serait-ce que pour savoir ce que la jument pense ou ressent et tout le monde est content. Mais ça, le texte a dû le dire. Le texte a dû le négocier. Le narrateur, en pleine narration, a dû faire "okay maintenant on parle de ça" et obtenir l'assentiment du lecteur.
Et si on essayait un texte qui ne coopère pas ? Bon c'est impossible mais qui n'essaie pas de négocier son contenu ?
"Twilight gagna la chambre. Dehors, les calèches passaient à grand bruit, leurs larges roues cahotant sur la grand rue du village. On vendait les légumes par brassées entières aux étals où la monnaie allait de patte en patte sous le couvert des appels des marchands et des badinages. Dans le meuble, une lettre."
Qu'est.lfkasvdlhslk qui s'est passé ?! On arrive dans la chambre, okay, y a quoi dedans ? Dehors, les calèches... okay je suppose que c'est le bruit par la fenêtre... okay roues cahot si tu veux on peut revenir à la cham- j'en ai ranacirer de tes légumes ! Pourquoi qu'on me parle de monnaie, de marchands et de badinage non d'un chien on parlait de Twilight ! Et là soudain, un meuble. Okay. Donc tout ce bordel sur le dehors, le marché de village, ça a servi à quoi ? Texte ? Non ?
Ce n'est pas mal écrit, c'est juste que le texte n'en fait qu'à sa tête et ne coopère pas. Et forcément quand quelqu'un n'écoute pas, en général on n'a pas envie de l'écouter non plus.
Le lecteur n'est donc pas passif. Il faut constamment, partout dans le texte, négocier avec lui du sujet de discussion. Le convaincre de nous laisser encore deux phrases pour décrire telle robe. Accepter de répondre à telle question même si qu'on voulait garder le mystère. Changer de sujet quand il se rend compte que bordel Canterlot et Manehattan c'est minimum plusieurs heures de trajet c'est quoi cette fumiste- ooooh une pouliche comme c'est meugnon !
Ça se passe en narration, de phrase en phrase et même à l'intérieur des phrases, et cela se passe au niveau du plan.
Fondamentalement, une histoire se résume par "problème - solution". Les poneys sont en danger ! Mais après vingt chapitres, la solution c'était l'amour, un Trixshy et au lit. Et s'il n'y a pas de solution, on met le tag sombre et marre. Poser un problème est inévitable, sans ça il n'y a pas de tension, donc pas d'intérêt, pas de texte - il faut un but, un enjeu et bien sûr, un conflit. Offrir une solution est nécessaire, même si cette solution se résume à "y en a pas", pour pouvoir écrire "the end" à la fin. Donc fondamentalement, notre texte est une paire.
On peut ensuite détailler cette paire, et c'est là vraiment que commence la conversation. On ne va pas chercher à savoir "quelles questions le lecteur va se poser", ça on ne le saura jamais. Non, on va chercher à savoir "quelles questions on veut que le lecteur se pose". Bêtement, disons qu'on débute l'histoire avec un personnage amnésique récupéré par le mane6 arrêtez de rire bande de saligauds. Est-ce qu'on a prévu que ce personnage recouvre la mémoire ? Si oui, est-ce qu'on a envie que le lecteur s'intéresse à cette mémoire ? Est-ce qu'on veut que le lecteur passe son temps à se demander "qu'est-ce qu'il savait ?"
Si on le veut, alors le plan va le refléter. On va passer plus de temps sur les événements qui impliquent cette mémoire. On va s'assurer qu'elle revienne à intervalles réguliers. Sinon ? On va réserver la question de la mémoire à des parenthèses assez courtes ici et là.
Le but n'est pas juste de dire la place que ça occupe dans l'histoire. Le but est de dire au lecteur la place que ça doit occuper pour lui.
"Une fois revenu de la fête, après avoir dit bonne nuit à Twilight, après avoir refermé la porte et gagné son lit, l'alicorne passa un moment dans la pénombre à regarder la photographie de toutes ces juments, ses nouvelles amies, qui le cajolaient. Il observa un moment ce mensonge, puis secoua la tête et acheva de s'endormir."
Un mot. Toutes ses préoccupations, tout ce qu'il peut jamais ressentir, en rapport à son amnésie, réduit à un mot. Puis il secoue la tête, limite lui aussi il s'en tape, et direction dodo. En gros là le texte a fait "je sais que t'as pas envie d'en entendre parler donc je glisse juste ça rapidement et on passe à autre chose okay ? On est cool ? On est cool". Le texte dit au lecteur qu'il n'y a pas de problème s'il ne veut pas s'en préoccuper. Ce n'est pas grave, il peut faire sans. Mais, juste... ça existe.
"À peine revenu de la fête, sans même dire bonne nuit à Twilight, l'alicorne s'enferma dans sa chambre pour réfléchir. C'était effrayant. C'était grisant. La pénombre lui rappelait combien la compagnie était douce. Il songeait, dix fois, cent fois, à frapper à la porte de Twilight, demander, comme un poulain, à passer la nuit avec elle. Puis en riait. Puis enrageait. Chaque instant de plus où ces souvenirs nouveaux effaçaient un peu plus de lui-même."
Ah ouais parce que je vous ai pas dit, c'est une romance. Ouais. Sauf que là la romance - mal foutue - passe largement au second plan, et l'alicorne veut juste du réconfort face, une fois encore, à son amnésie. Ce qui d'ailleurs est complètement wtf en soi mais passons. Le texte te met son intrigue dans la gueule et si tu veux pas écouter tant pis pour toi parce que là c'est clair c'est le sujet et rien d'autre. Merci de ne plus se préoccuper que de ça.
"Une fois revenu de la fête, l'alicorne s'attarda encore un peu avec Twilight, à lui dire bonne nuit, à paraître gêné, à s'excuser puis une fois éclipsé dans sa chambre, à se traiter d'imbécile. Son coeur battait. Il s'en voulait d'oublier son ancienne vie. Il suppliait d'en commencer une nouvelle. Et torturé entre ces deux idées il ne pouvait plus dormir."
Roooomaaaaance ! Le texte veut mettre ici sur un pied d'égalité amour et amnésie, on est censé s'intéresser aux deux, se soucier des deux tout comme le personnage s'en soucie (l'identification, c'est magique). Si, comme moi, la romance nous gonfle, on peut s'occuper de l'amnésie : l'amour devient un enjeu secondaire. Si, comme la vaste majorité du monde et de l'univers, on veut voir des petits coeurs flotter au-dessus de leurs crinières, on peut s'occuper de l'amour : l'amnésie devient un enjeu secondaire.
Le texte ne le dit jamais directement, mais au travers de la narration il négocie avec nous ce dont on va parler, constamment, même et y compris quand l'auteur ne s'en rend pas compte.
Les paires adjacentes nous disent donc que chaque fois qu'on écrit quelque chose, le lecteur y réagit, et ce qu'on écrit ensuite est censé réagir à ce que le lecteur aura "dit". Comme on ne sait pas comment il réagira vraiment, tout ce qu'on peut faire est de lui indiquer comment on aimerait qu'il réagisse. Une sorte de didacticiel, tout au long du texte, pour lui permettre de profiter de l'expérience.
Essentiellement, vu que le texte est déjà fini (à nuancer, et c'est un sujet intéressant, avec les commentaires à chaque chapitre d'une fic'), la négociation se résume à "pense ça - maintenant pense ça - maintenant pense ça - maintenant pense ça..." et forcément si on dit aux gens quoi faire, et que les gens ont pas envie, en général ils vont claquer la porte.
Alors oui, on peut décréter que "de toute manière Vuld il est débile il aime pas la romance il est chelou quand même" et on abandonne les réfractaires en chemin.
Et j'approuve.
Mais on peut aussi décider que mince, ce serait bête de s'arrêter à des préjugés. Après tout le mec chelou a quand même ouvert le livre - ou la page web - c'est donc qu'il a un minimum de curiosité. C'est donc là qu'il va falloir négocier un peu comme avec un pote à qui vous devez deux cents euros. Avec beaucoup, beaucoup de stratégie.
En interactionnisme symbolique, des stratégies il n'y en a que deux :
- L'atténuation
- L'évitement
L'atténuation, c'est l'euphémisme, c'est tenter de réduire la gravité du sujet. C'est juste deux cents euros, ça peut attendre, qu'est-ce que c'est comparé à une chouette amitié toussa ? On brosse les gens dans le bon sens du poil, on est poli, etc. L'évitement, c'est le changement de sujet. Si on n'a pas parlé de l'argent alors il n'y a aucune raison de se disputer. "Mon pote a perdu la tête, il s'est disputé avec moi parce que je suis allé au cinéma." Là c'est pas le moment, on est occupé, on va être en retard, on parlera des deux cents francs plus tard, bien au calme. Plus tard.
Ces mécanismes sont aussi bien présents dans nos dialogues. Direct :
"Twilight, qu'est-ce qui se passe ?"
"Spike est mort ! C'est clair, là ?! MORT !"
Atténué :
"Twilight, qu'est-ce qui se passe ?"
"C'est Spike ! Il avait les yeux fermés, alors j'ai cru qu'il dormait, mais il ne dormait pas !"
Évité :
"Twilight, qu'est-ce qui se passe ?"
"Laisse-moi ! Laissez-moi toutes ! Je veux qu'on me laisse seule !"
Dans le premier cas Twilight est en colère (ou alors le texte est comique) et c'est son sabot dans ta face. Dans le second cas Twilight n'a pas encore accepté ce qui s'est passé, elle le refuse - elle veut croire que ça peut encore changer. Dans le troisième cas Twilight l'a accepté et se sent seule, et ouais elle a besoin de le faire savoir. C'est toujours son sabot dans ta face mais cette fois c'est pas contre toi, c'est contre elle.
Et ce qui vaut pour le dialogue vaut pour la narration :
"Spike était mort. Les autres parlaient encore, mais il n'y avait plus rien à faire. Alors Twilight se remit à chercher parmi ses ouvrages, vaillamment, se mit à les empiler puis, plus doucement, puis presque plus, puis elle se rendit compte que les autres ne parlaient plus, puis elle se rendit compte qu'elle pleurait. Elle demanda, d'une petite voix : 'C'est vrai ?' Et elle leur suppliait de répondre."
On commence par être direct, eh, c'est des trucs qui arrivent, passe à autre chose, Twilight le fait bien. Retour à l'intrigue en cours, genre sauver le monde, tout ça. Mais ensuite on commence à négocier. On montre l'impact que ça a eu sur le monde (et sur Twilight) et on fait au lecteur "tu es sûr de ne pas vouloir y passer un moment ?" On a atténué. Et de fait, durant tout ce temps, on est aussi en train d'éviter une question : "comment ?" Ou pourquoi. Quand où qui tout ça quoi. Twilight ne voudra jamais savoir. Les autres n'oseront pas lui dire. L'histoire n'a pas envie d'y répondre.
L'important n'est pas ce que le lecteur aurait voulu penser. Une fois encore, on ne le contrôle pas. L'important est qu'ici on lui dit quoi penser : "pense comme Twilight, essaie d'oublier la mort" puis "pense comme Twilight, sois affecté par la mort" puis "pense comme Twilight, cède".
On dit au lecteur ce qu'on attend de lui. Et le lecteur, lui, passe son temps à n'en faire qu'à sa tête.
Tout ça, pour être honnête, est très nouveau pour moi.
L'idée que le lecteur soit actif est contre-intuitive. Mais fondamentalement nos textes fonctionnent effectivement, de phrase en phrase, en termes de paires action-réaction où le lecteur réagit à ce qu'on dit, et où ce qu'on dit réagit au lecteur, de sorte à enchaîner la "conversation".
L'idée est que si on se contente de céder constamment au lecteur, en lui donnant uniquement ce qu'on veut, on joue le rôle d'un bête distributeur à bonbons. Le lecteur - ou du moins le vieux grognard - veut être actif et veut avoir l'impression de converser avec le narrateur, de ne pas "subir" un monologue. Le but est donc, quand on planifie le texte, et jusque dans les paragraphes, de toujours voir dans le texte l'histoire et la négociation sur l'histoire.
En somme, tout au long du texte, on discute avec le lecteur de ce dont l'histoire parle.
Cela aussi doit être mis en scène. La conversation entre le narrateur et le lecteur, avec tout ce que le narrateur essaie de dire et de cacher, et tout ce qu'il espère que le lecteur acceptera de faire ou refusera de suivre pour l'impliquer dans l'histoire. Un peu l'exact contraire de ce que je fais dans ces articles, en fait.
Ou alors je ne sais pas, peut-être que cet aspect est depuis longtemps coutumier, fanficers,
à vos plumes !
Hi'.
J'ai envie de réfléchir à la manière dont la fanfiction est perçue. Y compris par nous.
À la mi-octobre, je me suis remis à écrire. Je suivais alors, chaque nuit vers une heure du matin, un artiste américain dans sa lutte éternelle pour animer des dessins moches, et en bon fanboy j'avais envie de montrer que j'appréciais son travail. J'ai alors, après une plaisanterie sur son chat, décidé d'écrire une fanfiction sur son univers, et après l'avoir finie je lui ai passé le lien.
Et ce mec l'a lue. Devant tout le monde. (Et il l'a aimée.)
Ouais j'étais content.
Mais surtout, à ce moment-là je me suis rappelé pourquoi j'écrivais de la fanfiction. Un bête détail : ses personnages n'ont que des prénoms, mais pour cette fanfic', même si objectivement ça ne rajoutait absolument rien, j'avais voulu leur donner des noms de famille. Et pas juste piochés au hasard, non, j'avais passé une bonne heu- ah ah ah non vingt minutes sur chaque juste pour avoir le plaisir de dire "voilà. Là. Dans mon fanon, ça c'est leur nom de famille."
J'avais envie de rajouter ma pierre à l'édifice. L'impression, fausse certes, de contribuer à une oeuvre que j'appréciais énormément.
On a chacun nos raisons d'écrire des fanfics', et ces raisons peuvent même changer de texte en texte, voire de chapitre en chapitre pour ceux pas foutus de tenir leur saga en laisse, et chercher à dire ce qui fait une "bonne" fanfiction serait vain.
Mais, inversement, on connaît tous le sens péjoratif du terme "fanfiction". Et j'ai deux exemples en tête, dans des médias complètement différents, où ce terme s'applique parfaitement.
Rien ne crache "fanfiction" mieux que cette ouverture de la saison 3. Je n'ai aucune idée de ce qui s'est passé réellement mais voilà l'impression.
Lauren Faust se casse en laissant cette petite perle qu'est le wedding (les nouveaux dans le troupeau doivent avoir du mal à comprendre pourquoi certains bavent autant sur cet épisode) et c'est à la nouvelle direction de reprendre les choses en main. On leur donne les clés d'une voiture déjà lancée à pleine vitesse et il leur faut faire leur galop d'essai. Donc les mecs font "okay, qu'est-ce qui fait le succès d'MLP", ils regardent la surface, ils reprennent les éléments à succès et ils te font le Crystal Empire.
Et c'est exactement, exactement ce qui se passe avec une fanfiction.
Le fanficer regarde la série, adore, veut écrire dessus et du coup il se dit "pourquoi j'adore ?" Qu'est-ce qui a fait le succès de la série pour lui, qu'est-ce qu'il va mettre en avant ? S'il adore les personnages, genre un en particulier, alors il mettre en avant ce personnage, et même les traits chez ce personnage qu'il apprécie le plus. Et il va faire un Crystal Empire.
Je ne sais pas combien de fois je l'ai dit, je m'en rappelle comme si c'était il y a oh bien plus de deux ans, lorsque j'ai vu Luna ce jour-là dans cet épisode ma réaction a été "wow, salut Fanfic-Luna".
Pourquoi ? Parce qu'elle était froide, distante, qu'elle balançait des phrases pleines de mystère et ensuite basta, merci d'être passée. Pourquoi elle est froide ? Parce que c'est Luna ! Et tant pis pour la Nightmare Night où on l'a vue toute aussi prête à troller que sa soeur. Et oui, il y en aura pour m'expliquer que "mais non elle est froide parce que passé drama toussa" mais au risque de me répéter, Nightmare Night bon sang. Quand les gens l'ont vue foudroyer Twilight du regard on s'est tous demandé pourquoi qu'elle voulait assassiner l'élève.
Et ce n'est qu'un exemple parmi la foule qu'en comporte cet épisode.
Une mauvaise fanfiction est superficielle. Oublions deux secondes les fanfics qui ne sont qu'une excuse, une histoire avec collé dessus plus ou moins grossièrement l'univers d'Equestria. Je parle d'une fanfiction où l'auteur a honnêtement voulu faire la meilleure histoire possible. Il a pris ce qu'il pensait être le meilleur, il a utilisé ce meilleur et les gens comme moi se sont plaints. Le coup de l'examen est débile, le truc de la foire est foiré, on va pas refaire la liste de tous les griefs. Ce n'est pas que l'auteur n'y a pas mis du coeur et des tas d'efforts.
C'est qu'il est resté à la surface.
Après le miracle du mariage, la série voulait lancer sa saison trois avec classe, en grandes pompes, nous en mettre plein la vue. On va ressusciter un foutu EMPIRE, on va ramener un méchant BADASS aux limites de ce que le 6+ permet, non mais tu le sens le potentiel ?
Alors même que je critiquais cet épisode, je réfléchissais à ce que moi j'aurais fait, et déjà à l'époque je me rendais compte que si je ne ramenais pas le bouclier en début d'épisode deux, euh, ça allait être "compliqué". Ne pas faire tomber le bouclier ? Garder Sombra loin de la cité ? Le défi pour obtenir la même tension sans ensuite tout casser est un casse-tête insoluble. Idem pour le "tu dois le faire seule". Comment rendre cela viable ?
Autrement dit, quand un auteur découvre que sa fanfic' a foiré de façon monumentale, comment il corrige ? Parce que, très souvent, cet auteur n'est pas prêt à abandonner ses idées même si objectivement lesdites idées plombent son texte.
En tant que relecteur -- que je ne suis plus, pour rappel -- on est constamment confronté à cette question.
Et parce que dire à quelqu'un "ton idée est nulle" est en général contre-productif, ce qu'un relecteur fait est de dire "eh, essayons de tourner ton idée comme ça". Et on la tourne "comme ça" jusqu'à ce que l'auteur, à force de dire non, en vienne à admettre que peut-être il lui faut abandonner son idée de départ.
D'où l'importance du concept. Dans le Crystal Empire, mettons que ce soit la peur, ou le désespoir. Mettons qu'on veuille corriger le coup de l'examen.
Ma première proposition serait, comme d'habitude, d'inverser la logique : Twilight refuse de faire les choses seules, et ce faisant s'appuie trop sur ses amies. Quand c'est son tour de sauver la situation, que les autres ne sont plus là, elle se sent perdue. Désespoir. Mais outre de devoir réviser l'ensemble du plan de l'épisode, c'est aussi répéter ce qui s'était passé avec Discord. Intérêt plus ou moins zéro.
Ma seconde proposition serait que Twilight ait mal compris Celestia. Cette dernière lui aura dit "tu es la seule à pouvoir le faire" au sens de "je compte sur toi", et sur ce malentendu Twilight va tout foutre en l'air. Cela peut donner une réplique solide quand, à son tour, elle dit à Spike "tu es le seul à pouvoir le faire" et cela impliquerait aussi qu'il y ait un second malentendu en cours de route qui l'empêche d'avancer. J'utiliserais probablement le groboukin de la bibliothèque pour qu'elle fouille le château, mais elle interprète mal le vieux texte et paf, porte kifépeur.
Cela ne résout pas le problème de la foire ou du bouclier ou de Sombra ou... la liste est longue, mais le spectateur sait désormais qu'elle se trompe et que ça va être cause de problèmes. Il ne reste qu'à mettre ces problèmes en scène et on a résolu la moitié des défauts de l'épisode. Woohoo.
Et ce n'est pas la seule option. Une troisième proposition serait d'explorer le passé de Sombra, de découvrir qu'il était solitaire lui aussi, que pour x raison ça lui a permis d'être super puissant et je sais pas pourquoi comment mais en agissant seule aussi, Twilight peut s'opposer à lui. Un peu comme le plan foireux du "tiens cache nos pouvoirs en toi rien ne peut aller de travers". Celestia avait une raison de dire ça : c'est peut-être même le moyen dont elle a usé pour vaincre le greuh, le seul qu'elle connaît. Mais Twilight, à la fin, soit échoue soit réalise que ce faisant elle sacrifie une trop grande part d'elle, et du coup elle agit, vraiment, en "princesse de l'amitié". Et à la fin c'est elle qui, indirectement, donne une leçon à Celestia. Justifiant que celle-ci, plus tard, pose le genou devant elle.
Et pas de "c'est une série pour enfants". Tout cela peut être fait sans que le public ait eu à faire bac +42. Pour la fille de six ans ça reste "Sombra kifépeur" bouh poneys en danger yay on a gagné. Mais les scénaristes n'ont plus six ans, et s'ils peuvent suggérer des parents au travers d'une comète alors faire les trucs ci-dessus est à leur portée.
Toutes ces propositions tournent autour d'un même pilier : le désespoir. On prend l'idée, on cherche le moyen d'exprimer une forme de désespoir au travers.
Pour pouvoir le faire, on ne peut pas rester superficiel. On ne peut pas se contenter de dire que Luna est froide parce que passé torturé snif snif et compagnie. Non. Elle est froide parce que Celestia préfère Twilight à elle. Elle est froide parce qu'elle croyait que Twilight aimait ses nuits. Elle est froide parce que Celestia a refusé qu'elle y aille elle. Il y a tellement de raisons à mettre en scène qu'on peut excuser un débutant, mais pas un scénariste professionnel.
Une réplique, un soupir, un simple détail aurait suffi à donner toute sa profondeur à cette scène, et sa qualité à la fanfiction.
Jeu vidéo cette fois. Sonic est une franchise maudite et peut-être la seule dans laquelle les fans eux-mêmes crachent plus sur Sonic que quiconque. Après le... truc... en 2006 et un retour quand même pas si mal avec Unleashed, peaufiné avec Colors et le truc assez cool qu'est Generations, désespérant de satisfaire ses fans, le studio a dû se dire "okay punaise y en a marre, tu sais kwa ?! On va prendre une de LEURS histoires et on va faire un de LEURS jeux."
Dixit Lost World.
Non sérieux, si vous avez lu des fanfictions de Sonic, le scénario de Lost World est juste ça. Mais ça. À la lettre. Un exemple parmi d'autres ? À un moment, de nulle part, un truc menace un héros. Là le grand méchant qui pour raison x s'est allié aux héros (tu le sens le truc déjà ?) sauve le héros et les personnages lui demandent "pourquoi t'as fait ça ?" Et il ne donne pas de réponse.
C'est bien de la mer- je veux dire... non non c'est ça c'est fait à la truelle. Quand tu écris ce genre de choses tu te dis que tu es subtil, que tu es en train d'approfondir le personnage... mais non. Non. Tu as juste fait qu'il sauve un héros pour pas de raison et on n'en reparlera plus jamais. Et encore une fois, dans un texte de fanficer sans prétention c'est pas grave, mais là on parle de scénaristes pro' dans une licence à millions !
Je pourrais citer tellement de passages de ce jeu qui sont "fanfic"... Regardez un let's play de ce truc, remplacez juste les méchants secondaires par des OC's genre les quatre saisons ou Ultimessa la marâtre de Celestia et Luna revenue avec toute la petite famille foutre le bronx. Même niveau. Ah oui et vers la fin de la fic' Twilight regarde une orbe où Pinkie en train de tousser lui dit que tout est perdu avant que la magie se brise et que l'héroïne soit seule ? Check. Ouais ouais c'est dans Sonic Lost World.
Sérieusement.
À ce stade on ne me fera pas croire que c'est un accident. Non non. Les scénaristes savaient parfaitement ce qu'ils faisaient. Ils ont littéralement copié le style des fanfictions sur Sonic, à croire qu'ils suivaient un cahier des charges écrit par les fans eux-mêmes (on me dira qu'il n'y avait ni Fang ni Hill Top donc mon argument est invalide mais bref) et cela vaut aussi pour les mécaniques du jeu. De l'innovation partout. Des parcours multiples partout. Des nouvelles capacités partout. Ah ouais et la plainte qu'y avait trop de personnages ? Ça a été le nettoyage au karcher.
En fait je suis tellement persuadé de cette théorie que le jeu suivant, développé par un autre studio, a vraiment dit, noir sur blanc dans une entrevue, "buck you" à la communauté de Sonic. Marre de vouloir leur plaire, on fera le truc comme on l'entend.
Le fanficer est confronté à la même chose.
Déjà, il veut faire comme les fics "qui marchent". Parce qu'il a besoin de repères, de modèles. Et c'est pour ça que je râle autant sur certains modèles : parce que je SAIS que le débutant, en les suivant, va droit dans le mur et se fera descendre en flèche, y compris par ceux-là mêmes qui ont écrit lesdits modèles.
Mais le fanficer, même endurci, a aussi envie de faire plaisir à son public. Et du coup il va souvent faire "okay tu veux quoi ?" Et on va leur faire une liste de ce qu'on veut. Et il va le faire. Diligemment. Avec les meilleures intentions du monde. Et quand il a fini, on est comme devant les robes de Rarity en saison un : "mais qu'est-ce qulkasdkvh".
Alors oui, on peut dire "fais comme tu l'entends" mais alors le fanficer risque de faire n'importe quoi, et on va toujours grogner.
Non, à mon sens c'est juste que quand les gens disent ce qu'ils veulent, une fois encore, il restent superficiels. Fondamentalement, ce que veulent les fans de Sonic, c'est que "Sonic court vite". Autrement dit, des contrôles impeccables et des circuits qui mettent ces contrôles à l'épreuve. C'est tout. On s'en fiche qu'Eggman sauve Tails, que Knuckles ait des muscles ou que le Tornado appartienne à un vieux pépé barbu. Sonic kikourvit. Point.
Le fanficer doit approcher son texte de la même manière.
Et une fois encore, tout repose sur le concept. Ou ce que moi j'appelle le "core".
Une mauvaise fanfiction n'a pas de concept. Une fois encore, je ne parle pas des histoires qui prennent comme excuse les poneys. C'est autre chose. Non non, je parle du gars qui a envie d'écrire sur ses poneys préférés et qui commence "Pinkie Pie détestait qu'on se moque de son Pinkie sens. Elle..." okay stop. Donc dans ce texte Pinkie est colérique. Parce que... dans ce texte les poneys se moquent d'elle. Pourquoi ? Depuis quand ? On est avant la S1 ? Non parce qu'Applejack la prend au sérieux, et euh un peu toutes les autres aussi... mais enfin je suis prêt à l'accepter mais tu cherches à faire quoi là ? C'est quoi l'histoire ?
L'histoire c'est que le fanficer adore le personnage de Pinkie, ou de Pinkamena, et a voulu écrire une histoire "sombre/triste/violence(/romance/etc)" sur elle, ou quelque chose du genre. Et non, "une histoire où on se moque de Pinkie Pie" n'est pas un concept. C'est superficiel.
Maintenant creusons. Pinkamena, c'est quoi ? C'est Pinkie Pie dont la vie entière s'effondre. Tout ce qu'elle a fait, tout ce en quoi elle croit, balayé d'un coup de balai. Ouais c'est autre chose que "je suis grognonne". Le Pinkie Sense, à l'origine, c'est quoi ? Une métaphore de la religion, ou à minima des croyances, ou des phénomènes inexplicables. Un relecteur dirait : "additionne les deux". Ma proposition serait : Le Pinkie Sense ne fonctionne plus.
Pourquoi ? Parce que "remise en question". Ça, c'est un concept. Je veux Pinkamena ? Je fais s'effondrer son monde. Ou une toute petite partie de son monde : son Pinkie Sense. Celui-ci ne fonctionne plus, elle a toujours ses tics mais les prédictions ne se réalisent pas. Elle se raccroche à ses idées et avec le temps, on se moque d'elle, au moins gentiment. Mais elle a besoin d'y croire, parce que c'est une partie d'elle.
Avec cette simple idée, je peux avoir mon "Pinkie pas contente", j'ai exactement la même chose qu'avant mais en sus, grâce à mon concept, je peux explorer en profondeur les motivations du personnage. Ses émotions, ses aspirations, tout. J'ai le conflit, avec le monde entier qui lui dit de changer et elle qui refuse.
Mais ce concept ne plaît pas au fanficer. Lui, ce qui l'intéresse, c'est le rejet. J'aurais dit la "cruauté" mais restons-en au rejet. Il veut que Pinkie soit rejetée, donc moquée, et dans le cahier des charges ça doit être lié à son Pinkie sens. Okay. Nouvelle proposition : ce n'est pas lié au Pinkie sens. Rangez ces torches et laissez-moi m'expliquer. Elle a été rejetée du mane6 pour pas d'raison, genre elle a fait un truc impardonnable ou peu importe, et du coup elle se sent moins que rien. Les poneys la rejettent et trouvent, comme toute bonne brute, le plus expédient pour ça : son Pinkie sens. Ce qui était jusqu'alors respecté, voire admiré, devient une cible de choix. Et Pinkie se persuade alors qu'elle n'a pas été rejetée pour la raison x d'avant mais à cause de son Pinkie sens. Voire, ce peut être le Pinkie sens qui a tout fait foirer au départ, et qui l'a exclue du mane6, genre elle a fait bugger la carte ou je sais pas.
Dans les faits, les poneys ont désormais une raison de se moquer d'elle. Une raison de la rejeter, même s'ils ont déjà oublié pourquoi. Et elle a une raison de se braquer, de ne pas juste "passer à autre chose" ou se faire des amies de cette foule hostile. Au fond, c'est elle-même qui se rejette. L'obstacle, c'est elle-même. Et là encore, en une phrase on peut avoir tout exprimé :
"Le matin, Pinkie Pie allait devant son miroir ordonner à ses oreilles de ne pas tiquer, à sa queue de ne pas trembloter, puis satisfaite elle sortait et, une fois dehors, elle rasait les murs."
Tout est là.
Pinkie n'a plus besoin de sauver des héros d'un danger tombé du ciel pour approfondir le personnage. Pinkie n'a plus besoin d'appeler au travers d'une orbe en toussant pour pouvoir faire du drama. Il lui suffit d'avoir une raison.
J'aurais pu donner un troisième cas de "fanfic" au sens péjoratif avec la dernière extension de Starcraft 2 mais restons-en là.
Dire ce qui fait une "bonne" fanfiction est difficile. Chacun son avis et moi-même je ne sais pas. Je me dis que c'est sans doute cette impression que la fanfiction est, vraiment, une pierre supplémentaire à l'édifice des poneys. Une contribution. Mais ça peut vouloir dire tout et son contraire.
Par contre, la "mauvaise" fanfiction, cas à part du texte avec des poneys collés dessus, est tout de suite visible. Elle est superficielle. Elle veut bien faire en reprenant ce qu'elle pense être le meilleur de l'oeuvre, et ce faisant elle passe à côté du concept, de ce qui fait l'intérêt de cette oeuvre au départ. Elle veut faire plaisir aux gens en oubliant de creuser au coeur de ce que ces gens veulent.
Et là je peux citer Unexpected.
Cette fic' a objectivement tous les défauts du monde, mais elle a un concept. Et parce que cette fic' ne perd jamais de vue ce qu'elle veut raconter, peu importe les OOC's, les wtf et la foison d'autres problèmes. Les personnages vivent vraiment à travers des questions qu'ils ne pensaient jamais se poser. Une petite pierre discrète qui rend hommage à la série et à son atmosphère.
Mais je commence à trop en faire, et je n'en laisse pas assez, fanficers,
à vos plumes !
Hi'.
Voilà une semaine que je replanche sur Icorne, pour réécrire les passages qui me bloquaient (sans surprise, un dialogue) et à présent que c'est fait j'arrive doucement au bout du premier quintile du premier chapitre de la première partie ouais ce texte va être long.
Durant cette énième réécriture je me suis rendu compte à quel point je me reposais sur la présupposition pour produire mes effets et donc même si je sais que parler des dialogues (et comment les rendre aussi crédibles que vivants) serait la priorité, j'ai envie de discuter plutôt de ça.
En commençant en douceur par ce passage :
« Oh, Blueblood, c'est si mignon ! Mais ce sont juste des ornements. Plus aucun poney n'y prête d'attention. »
« Oui. » Gronda mon neveu. « Même plus vous. »
J'avais du mal à conserver mon sourire après cette gifle.
Les deux répliques ne sont là que pour le contexte. Celestia fait sa Celestia, Blueblood fait son Blueblood : c'est la dernière phrase qui m'intéresse. Et pour ça je vais devoir vous parler de pragmatique.
Dans le langage, il y a ce qui est dit explicitement, noir sur blanc, genre "la pierre est bleu" signifie que la pierre est bleue.
Mais à côté de ça il y a aussi, et constamment, énormément de non-dit, d'implicite. Typiquement : "j'ai vu ton amante sur le trottoir" en dit un peu plus que juste le fait d'avoir rencontré une personne familière. On sépare cette information supplémentaire en trois catégories :
- L'implication : c'est juste une conclusion nécessaire et absolue. Impossible de la nier. L'exemple canonique est "Rarity a tué Tom" qui implique que Tom est mort. Il est mort. Il ne va pas revenir dans trois épisodes il est mort. L'implication est aussi forte que si on l'avait dite explicitement. Dans le cas de l'amante, le mot "trottoir" implique qu'ils étaient en extérieur. À moins qu'il y ait des trottoirs dans les maisons ?
- L'implicature : c'est une conclusion qui n'est pas nécessaire. C'en est une parmi une infinité, qui peut être niée. L'exemple canonique est "il pleut" qui peut signifier par exemple qu'on n'ira pas pique-niquer. Dans le cas de l'amante, "j'ai vu" peut signifier "j'ai parlé à" mais ce n'est pas nécessaire, on peut se tromper en le supposant.
- La présupposition : ce n'est pas une conclusion. C'est une information nécessaire pour que ce qui est dit soit vrai. L'exemple canonique est "tu veux prendre quel nounours pour aller chez mémé ?" pour dire à un enfant qu'il va aller chez mémé. Dans le cas de l'amante, bêtement, pour qu'on puisse dire "j'ai vu ton amante" il faut que "tu" aie une amante. Si on nie la présupposition, on nie ce qui est dit (et on traite l'autre de menteur).
Ce sont là, normalement, les trois moyens de sous-entendre quelque chose dans un texte. Celui qui m'intéresse est la présupposition parce que, comme l'exemple le montre, elle permet de sous-entendre des choses parfois énormes et pleines de conséquences. Soyons clairs là en ce moment y a un gars qu'est en train de passer un mauvais quart d'heure (pour dire le moins).
La présupposition permet de forcer la personne en face, dans notre cas le lecteur, à accepter des choses qu'il pourrait autrement nier. On court-circuite son raisonnement parce que, pour comprendre la phrase, il doit d'abord supposer l'information vraie. L'information vraie lui permet d'interpréter la phrase et à ce stade il est mis devant le fait accompli. À noter que l'implicature, elle aussi force un peu le lecteur. Mais plutôt que de le mettre devant le fait accompli, l'implicature veut que ce soit "lui" qui en vienne à cette conclusion. Pourquoi ? Parce que si la conclusion vient de lui elle n'en sera que plus forte. "Eh, c'est toi qui l'a dit."
Bon okay, la présupposition ça existe c'est génial. Pourquoi j'en parle ?
Pas vraiment pour ce qu'elle permet de faire. Il y a des tas d'effets sympas qui ne sont qu'une variation de "mettre le lecteur face au fait accompli". Cela dit, on peut regarder l'effet particulier qu'a la présupposition dans le passage cité au départ :
J'avais du mal à conserver mon sourire après cette gifle.
Quelle est la présupposition ? La gifle. Il y a des tas d'autres présuppositions (le fait qu'elle sourie, par exemple) mais celle-ci est la seule qui, littérairement, nous intéresse parce qu'elle produit un effet. Je me suis amusé à comparer avec une version où la gifle est explicitement dite :
Ce fut une gifle. J'avais du mal à conserver mon sourire.
Et une version un peu moins explicite :
Cette gifle faillit me faire perdre le sourire.
La version purement explicite est typique d'une écriture kilométrique : on réfléchit en même temps qu'on écrit et, ne serait-ce que pour faciliter l'enchaînement, on a tendance à tout mettre noir sur blanc. Le résultat est que tout est au même niveau et, du coup, le texte en devient monotone. Ici Celestia fait juste la liste de ce qui s'est passé. Il y a un effet, mais c'est plus un effet de violence : on se prend vraiment la gifle en pleine face.
La version un peu moins explicite est presque problématique parce qu'on ne comprend pas bien à quoi se rapporte la gifle. Moins qu'une présupposition ici c'est une question de référence. On a l'impression qu'il y a une vraie gifle qui vient de tomber de nulle part et on se retrouve à déduire (implicature) que non, c'est la dernière réplique de Blueblood. Bref, maladresse.
La version présupposée, elle, met en scène la réaction de Celestia. Cette dernière essaie de "garder le sourire", de cacher la gifle qu'elle vient de se prendre. Il est donc normal qu'elle mette cette information en arrière-fond, qu'elle la sous-entende. Mais elle a quand même envie qu'on sache qu'elle l'a mal pris. La présupposition incarne son état d'esprit.
Donc super, on a vu un effet possible de la présupposition. Woohoo, c'est la fête.
Plus sérieusement.
Ce qui m'intéresse est que, comme dit, la présupposition force le lecteur à admettre une information comme vraie. Ici on lui dit que la dernière réplique de Blueblood est une "gifle", et le fait que ce soit une présupposition réduit les chances que le lecteur questionne cette vérité. Or, si on regarde la réplique de Blueblood, les trois mots "même pour vous" sont plutôt innocents. On ne s'aperçoit pas, normalement, de tout ce qu'il y a de blessant là-dedans.
La vérité c'est que j'ai énormément de mal avec les dialogues. Celui entre Celestia et Blueblood a été un parcours du combattant, où je m'entêtais à faire cohabiter le caractère canonique des personnages avec les exigences de mon plan, le tout sans me perdre en des suites interminables de répliques rachitiques. Inversement, j'avais peur que les passages narratifs entre les répliques ne repoussent le lecteur (ce qui arrivera de toute manière mais ce n'est pas une raison). Bref, je bloquais. Quand je relisais le passage, j'avais juste envie de fermer le document.
Puis, à la quatrième réécriture, je sors ça, et soudain le dialogue me passionne. Pourquoi ? Parce que la présupposition révèle tout ce qui est en train de se passer derrière, tout ce qu'on aurait pu manquer.
Celestia n'est pas juste en train de dire que "quelque chose est mignon", elle est en train de se payer la tête de Blueblood, mode bien troll. C'est un peu tout ce qu'elle a fait depuis le début de la conversation et jusqu'à présent Blueblood subit, c'est un véritable punching ball. Donc Celestia continue et lui fait "l'habit n'a pas d'importance" à un gars pour qui les apparences font tout. Et là Blueblood riposte.
Les gens jugent, pour autant que j'en sache, les dialogues sur deux critères : ils doivent être "crédibles" et ils doivent être "vivants". Je ne sais pas si "ils doivent être emplis d'émotions" est inclus dans le second point ou est à part mais passons.
Crédible signifie que c'est quelque chose qu'un être vivant normalement constitué devrait pouvoir dire. C'est aussi là que les gens râlent si les personnages ne parlent pas "comme qu'ils parlent dans le show".
Mais que signifie "vivant" ? C'est pour moi la boîte noire des dialogues. Mes personnages sont des philosophes dans une expérience de pensée, quand ils parlent ils parlent de questions abstraites et assez vastes. Cela donne des dialogues assez... euh, distants, détachés, dépourvus de la moindre émotion ? Les personnages raisonnent et ne font rien d'autre.
Je pensais pendant longtemps que pour rendre un dialogue vivant, il fallait le faire porter sur des questions concrètes et de détail. C'est, bêtement, un personnage qui va se mettre à dire "vous trouvez pas qu'il fait froid ?" Préoccupation mondaine qui montre qu'il est fait de chair et de sang. Mais c'est prendre le problème à l'envers.
Ma seconde approche, développée notamment avec un texte où Twilight princesse doit gérer un cas de justice, était la motivation du personnage. Tant que Twilight ne servait qu'à poser des questions, mode "je dois comprendre pour faire mon boulot", ses répliques étaient d'une platitude effrayante. Je lui ai alors donné une motivation, en lui faisant prendre parti pour un camp, et du coup tous ses dialogues n'allaient plus viser à se renseigner mais uniquement à faire gagner ses convictions. Elle a une "arrière-pensée".
Cette seconde approche reparaît dans Icorne au travers de la présupposition. Mes dialogues ne me plaisent vraiment, et n'arrivent à m'impliquer que quand, derrière, je peux deviner les arrières-pensées des personnages. Ou essayer de les deviner. Au moins savoir qu'il y en a.
Normalement, j'aurais tendance à écrire ça :
« Oh, Blueblood, c'est si mignon ! Mais ce sont juste des ornements. Plus aucun poney n'y prête d'attention. »
« Oui. » Gronda mon neveu. « Même plus vous. »
J'avais du mal à conserver mon sourire.
Bon, normalement j'écrirais le récit à la troisième personne -- et donc pas question de présupposition puisque le narrateur n'est pas censé savoir comment elle le prend -- mais en me contentant de ça, plutôt que de mettre le lecteur devant un fait accompli, j'aurais cherché à le pousser à se demander "pourquoi ?" Pourquoi elle aurait du mal à conserver son sourire ? Quelque chose que Blueblood a dit, mais on ne voit pas quoi. De la gêne ? De l'impatience ? Ou bien c'est même le ton du neveu qui pose problème, elle en a juste marre de son arrogance ?
C'est au final le hasard (et les réécritures) qui m'a fait user d'une présupposition, et tout le reste du dialogue fonctionne sur le même principe.
« C'était comment ? »
« J'étais libre. »
Mon but était qu'il reste, mais je n'avais plus le coeur à mentir.
Quand je dis même principe ce n'est pas pour rire, ici c'est littéraire. Deux nouvelles répliques, l'air de rien, puis une phrase un peu cryptique de Celestia (faute de contexte) mais dont la présupposition est que Celestia a l'habitude de mentir. Et aussi qu'ici elle dit la vérité. Sans la phrase qui suit, on ne se rendrait pas compte de tout ce que son "j'étais libre" essaie vraiment de dire.
Et, de façon intéressante, on n'a pas ces commentaires pour Blueblood. Seulement les réactions de Celestia. Or Blueblood aussi carbure pendant qu'il parle. Il en a marre de se faire troller, donc il riposte. Plus loin il demande "c'était comment" et si le dialogue est bien fait alors il ne pose pas la question juste par curiosité, pour faire la conversation. En fait, Celestia donne l'enjeu : "qu'il reste". En supposant que Celestia ne se trompe pas, alors Blueblood pose la question pour justifier son départ... ou pour se donner une raison de rester.
Au final je ne sais toujours pas ce qu'est un bon dialogue. Ça reste l'un de mes points faibles et une grande lacune dans mes textes. Mais je pense qu'on peut au moins détailler un peu le côté "vivant" à l'aide de la présupposition.
Les personnages ont, quand ils parlent, une arrière-pensée. La difficulté est que, justement, c'est une arrière-pensée. On peut le faire dire explicitement, comme si on s'adressait à des gamines de six ans mais ça donne des dialogues pas très crédibles. Inversement, si comme moi on cherche à cacher les intentions question de bien reproduire les défauts de communication de la vie courante, le lecteur va louper les enjeux et potentiellement ne même plus comprendre ce qui se dit.
Mon but à moi est de me reposer sur l'implicature : donner assez de contexte pour que le lecteur en vienne, de lui-même, à deviner les intentions réelles du personnage.
Mais si on est un brin plus réaliste et moins suicidaire alors la présupposition est le meilleur compromis. La présupposition est une bonne manière de laisser paraître les intentions du personnage sans avoir à les dire explicitement. Et une fois encore, le but n'est pas que le lecteur sache clairement quelles sont ces intentions. Il doit juste pouvoir faire confiance au texte pour savoir qu'il y en a.
« Les temps changent, et les goûts également. Il père de mon père aurait ri de me voir voiler le quartier. Inutile de vous montrer rustre. »
Je me renfrognais.
« Et toi ingrate, Honeydew. Les temps changent, c'est chose avérée, mais doivent-ils changer si vite ? »
La nièce d'Appletone s'empourpra, et si je n'avais pas été sa princesse et suzeraine, j'aurais amèrement regretté mes mots.
Celestia se renfrogne parce qu'on traite quelqu'un de rustre. Elle réplique en disant "et toi ingrate", et la jument en face a le visage rouge. La réplique qui suit explique qu'Honeydew est vraiment pas contente de ce qu'a dit Celestia, et on peut deviner vaguement que ce n'est pas à propos des temps qui changent.
Tout ce qu'on sait est que Celestia, en disant "ses mots", a insulté Honeydew. Elle elle le sait. Elle vient d'envoyer une pique pour remettre la jument à sa place et on peut seulement spéculer du pourquoi. Le texte donne des indices, mais c'est tout. L'important est qu'ici on sente que quelque chose se joue.
Que ce soit la narration ou le dialogue, un bon texte cherchera à dire plus qu'il ne dit noir sur blanc. La présupposition fait exactement cela, en forçant le lecteur à accepter quelque chose comme vrai sans avoir eu à le dire directement.
Je n'ai jamais aimé ça, j'ai envie que mon lecteur devine par lui-même, mais force est d'admettre que la présupposition permet vraiment de donner une toute autre dimension à ce qui se dit, une dimension que le lecteur ne devinerait jamais autrement, ou trop difficilement :
« Excusez-moi, » je demandais soudain à voix haute, « voulez-vous bien nous laisser je vous prie ? »
Ce n'était pas une demande.
Cela justifie également la narration autour des répliques. On dit souvent au débutant de "décrire qu'est-ce que les gens font" ou de "rappeler le décor" et parfois, en luxe, d'en "profiter pour montrer ce qu'ils ressentent". Ici, j'observe que j'utilise massivement la narration qui suit une réplique pour laisser entendre tout ce que, justement, cette réplique sous-entend. C'est ce qui, finalement, aura réussi à rendre mon dialogue un tant soit peu "vivant".
...
Bon et il y a toute la question de réagir à ce que dit l'autre mais ça ça attendra que je m'en remette à nouveau, fanficers,
à vos plumes !
Hi'.
Okay, je m'avoue vaincu. Ça fait une semaine à présent que ça me travaille et qu'il me faut y revenir. Pour la faire brève, j'ai fait une présentation sur la fanfiction à la PonySouth et j'y ai rushé les exemples. Donc en attendant que je sache si, quand et où les gens auront accès aux panels, j'aimerais revenir sur les exemples que j'ai donnés et, comme le titre le dit, j'aimerais à terme réfléchir à la manière dont on écrit nos paragraphes.
Allez c'est parti.
Je suis obligé de donner un brin de contexte. Ce qu'on va discuter se fait dans l'idée qu'on a tous dans la tête une machinerie qui nous permet d'aligner les mots. Qu'on en soit conscient ou non elle est là et c'est d'elle (et des théories linguistiques afférentes) que je tire les principes de base d'un texte.
Notamment : 1) le texte a un et un seul objet, 2) le texte n'a de valeur qu'en contexte et 3) le texte est une conversation.
Eeeeet ce sera tout pour la théorie. Les exemples qui suivent sont là pour l'illustrer de toute manière alors passons à la pratique.
Petit test. Si j'écris :
Applejack rattrapa la mèche.
Ça vous parle ? Nope ? Normal : le texte n'a de valeur qu'en contexte. Il y a toujours un contexte mais vous voyez pas dans quelles circonstances notre fermière en sucre devrait rattraper une mèche.
Maintenant, imaginez que vous vous réveillez un jour avec l'envie d'écrire un texte : ce sera des courses de voiture avec des poneys. Discute pas. Donc c'est parti on écrit l'histoire : ce sera Applejack qui fait des courses de voiture, aidée en cela par son frère Big Mac mais les frères Flim Flam veulent lui mettre des bâtons dans les roues en s'alliant à Murielle et son armée de vaches qui veulent faire exploser les capitales d'Equestria à la dynamite pour éviter le retour prophétique d'Orion Crest l'alicorne amnésique !
Après avoir bien rigolé de mes propres foutaises, j'ai regardé ce synopsis et je me suis dit : toutes les histoires sont bonnes. C'est mon crédo. Donc cette histoire doit être bonne aussi. On doit pouvoir en faire quelque chose.
Comment faire pour rendre ça crédible ?
On va donc tenter d'écrire un paragraphe de cette histoire purement wtf, mais en la traitant sérieusement. J'ai choisi, pour ma part, d'associer "courses de voiture" et "capitales dynamitées" pour imaginer une scène où Applejack devrait empêcher Canterlot d'exploser en rattrapant, en voiture évidemment, la mèche allumée. Le paragraphe se concentrera plus précisément sur le moment où elle rattrape la mèche :
Applejack rattrapa la mèche.
Paf. Maintenant vous avez le contexte et soudainement cette phrase a du sens. Mais c'est une phrase, pas un paragraphe. Ce qu'on a là, c'est une paraphrase, un résumé, le squelette de notre futur pavé de cinq-six lignes. Et pour être honnête, formellement, un paragraphe n'est que la même phrase répétée une volée de fois :
Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche. Applejack rattrapa la mèche.
Vala' ça c'est un paragraphe. Oui oui, rappelez-vous : un texte n'a qu'un seul objet. Ici notre objet sera, pour simplifier, de rattraper la mèche. Donc absolument tout ce qui va composer notre paragraphe doit servir à dire qu'on rattrape cette fichue mèche. Un peu comme ce paragraphe-ci doit vous convaincre en catimini qu'un paragraphe peut être représenté d'une manière aussi absurde. Ooooon passe à la suite.
Bien sûr, pas question de copier dix-vingt fois la même phrase. Mais pas question non plus de raconter nawak :
La fermière au crin de seigle avec ses taches de rousseur sur le haut de joues piqueté comme des pépins blanc lait et sa petite frimousse mignonne, si campagnarde, avait fini à force de gagner sur elle par arriver à proximité suffisante de la mèche élusive, aux fibres cotonneuses roulées sans fin dans des spirales affolantes dévorées par le crépitement de la flamme en son bout.
Aaaaaaaaaaaaargh ! Okay ça a vaguement la taille d'un paragraphe mais ça c'est juste du remplissage ! On a juste étalé les mots comme de la confiture et oui okay notre paragraphe ne dit qu'une seule chose mais justement pour ce qu'il dit c'était pas la peine de faire autant de lignes !
Ça c'est LE truc qui te fait haïr un texte. Quand on te fait subir dix plombes de blabla pour rien.
On est donc pris entre deux consignes contradictoires : répéter la même chose sans répéter la même chose. Avoue que c'est concept. Non mais littéralement. Et pour y parvenir, on va... utiliser le contexte.
Mon premier réflexe a été : okay, on a rattrapé la mèche... du coup elle en est où la mèche ? Elle est où, elle fait quoi ? À ce stade du récit, vu qu'Applejack la poursuit, je suppose qu'on est familier avec la mèche donc pas besoin de la décrire mais on la poursuit là, c'est comme avec un voleur : t'as envie de savoir la direction qu'il prend, s'il est en train de grimper une palissade ou de pousser un étal de pommes.
Applejack rattrapa la mèche. La mèche était sur le trottoir. Sa flamme était bien visible.
On parle toujours de la même chose. Pourtant on a donné de nouvelles informations utiles au lecteur notamment parce que le comportement de la mèche permet de réfléchir à ce qui va se passer ensuite : maintenant qu'on l'a rattrapée, est-ce qu'on va pouvoir l'éteindre ? C'est un peu le but. Je crois.
D'ailleurs parlant de ça, c'est quoi la réaction d'Applejack ?
Applejack rattrapa la mèche. La mèche était sur le trottoir. Sa flamme était bien visible. Applejack était soulagée. Elle était toujours concentrée sur sa conduite. Son véhicule allait super super super vite.
Alors oui, on l'a dit avant dans le texte (normalement) qu'elle était en voiture et qu'elle va vite, mais c'est important de le répéter -- tout comme on répète, durant tout un paragraphe, qu'elle a rattrapé la mèche -- donc oui, on va ajouter ça à la liste des informations dans ce fichu paragraphe. Et Canterlot ? À quoi ressemble la rue ? Où sont les piétons ? Et ainsi de suite... Le paragraphe, tout comme la phrase et tout comme le texte à leurs échelles, est un idée centrale autour de laquelle gravitent des tas d'informations.
Mais là bon... "son véhicule allait super super super vite" on a beau le répéter trois fois, ça ne donne pas l'impression de vitesse. C'est le fameux "ne le dis pas, montre-le". On va mettre en scène.
Là ! Entre les pavés du trottoir, parmi les piquets de réverbères qui défilaient à toute vitesse, c'était la mèche ! Un crépitement de flamme qui se faufilait follement entre les pattes des piétons surpris de la remarquer. Applejack n'eut pas le temps de se réjouir : déjà sa patte pressait l'accélérateur et dans une embardée elle s'élançait pour la dernière ligne droite. Ses yeux bondissaient de la route au trottoir et...
Voilà, on a utilisé les outils et techniques de la littérature pour rendre le paragraphe plus présentable. Par exemple : au lieu de dire "soudain elle voit la mèche" on réduit ça à un "là !" où l'auteur pointe du doigt un objet que le lecteur ne voit pas encore. Le lecteur est soudain dans la situation d'Applejack, à tenter de distinguer un truc dans la rue. Il sait déjà ce que c'est, mais sans en avoir la certitude, bref. Autre exemple ? "flamme qui se faufilait follement", répétition du son "f". Idem plus loin, "pattes des piétons surpris", répétition du son "p". Pour euh... je sais pas.
(Au passage, notez qu'on arrive à rendre crédible, par la forme, un paragraphe une une jument dans une voiture humaine poursuit une mèche longue de plusieurs kilomètres qui va à cent à l'heure dans la capitale de Canterlot. Cherchez l'erreur.)
Ce dont on va devoir se convaincre, cela dit, est une fois encore que tout ce paragraphe ne dit qu'une et une seule chose : Applejack a rattrapé la mèche. Je vous laisse analyser pour vous en persuader.
Ce dont on va devoir se convaincre aussi est que ce paragraphe pour joli qu'il soit, est incroyablement nul. Je veux dire, c'est bien écrit mais... littérairement parlant c'est l'intérêt zéro de l'écriture.
Ce que j'aimerais montrer avec un second exemple.
L'histoire de la prophétie d'Orion Crest est bien gentille mais on a un peu dévié de l'objet de départ, aka les courses de voiture. Après avoir retravaillé l'histoire j'en étais venu à un tout autre texte dont j'avais écrit quelques pages, et voici le paragraphe qui m'intéresse :
Son véhicule tourna sans peine, suivi à quelques mètres seulement par Gear Shift. Il observa, un peu surpris, la jument le talonner de derrière sa petite verrière.
Bon déjà on va commencer par faire une correction nécessaire si je veux conserver mon estime personnelle :
Son véhicule tourna sans peine, suivi à quelques mètres seulement par Gear Shift. Il observa, un peu surpris, la jument le talonner de si près.
Voilà donc on n'y revient pas et on regarde. Le paragraphe est simple, on a deux "phrases" et visiblement on a deux "voitures" qui se coursent. La mise en scène est là, c'est du texte classique, donc... pourquoi je vous montre ça ?
Parce que ce paragraphe illustre parfaitement la raison pour laquelle j'ai abandonné le texte. On nous dit quoi, au juste ? Que le véhicule tourne, qu'il est talonné par personnage #12... il la regarde, elle est proche, il est surpris. Okay... et ? Quoi d'autre ? Là je viens de reformuler bêtement, comme un perroquet, ce que le texte dit noir sur blanc. Ma question est : est-ce qu'il y a plus que ça ? Est-ce qu'on nous apprend autre chose ?
On va essayer... ? Alors euh... Il tourne sans peine, donc le véhicule (ou le pilote) doivent être bons. Le premier personnage a l'air surpris, donc peut-être que Gear Shift est très nulle... et euh... et c'est tout !
Je le répète, la mise en scène est là, ce n'est pas le problème. On a un paragraphe court pour illustrer la surprise (ça survient vite), on a une situation qui commence pépère puis l'info' qui doit surprendre, qui arrive là l'air de rien. On a les "s" pour la transition, "son véhicule ... sans peine, suivi..." Donc okay oui super le mec qui a écrit ça sait écrire (encore heureux, c'est moi) mais là cette phrase est incroyablement pauvre en information !
C'est juste... pas intéressant à lire. Ou en tout cas pas intéressant à écrire, ça. Y a limite... pas d'objet (façon de parler).
Pour l'anecdote, la veille de la présentation j'ai causé de mes textes avec quelqu'un (mystèèèèère) et je me suis retrouvé à tirer quelques extraits de texte. Et c'est comme ça que m'est venue l'idée de montrer ces mêmes extraits durant la présentation.
L'un de ces extraits était le paragraphe de Dragterre ci-dessus. Un autre extrait était ceci, tiré du texte "Shadoks" :
Les princesses sont très rares, alors profitons d'avoir celle-ci. Elle est occupée, voyez-vous, à regarder le ciel avec son gros télescope.
Vous n'avez aucun contexte, aucune idée de ce qui se passe mais entre autres choses vous savez déjà de quelle princesse on parle. Non, pas Luna, arrêtez les références obscures de vieux S2 réfractaire. Princesse + télescope = Twilight Sparkle. Cet extrait me permettait de montrer comme le contexte du télescope influençait la valeur du texte "princesse". Mais bref.
En passant en revue la liste de tous mes textes en pause ou abandonnés, j'ai fini par arriver au seul qui est vraiment encore en cours. C'est-à-dire Icorne. Et j'étais parti sur l'idée "ouaaaais, ce texte est meh". Et j'ai lu des extraits à haute voix. À commencer par les tous premiers mots du texte. Mes excuses par avance, ce n'est pas un paragraphe, c'est plus long que ça :
Je suis Celestia.
Je vis dans un monde magique dont je ne sais rien.
Je crois que si la magie permet tout à toutes, alors toutes se croient tout permis. Je crois que cela crée des monstres. Je crois que le monstre tue le monstre, que le monstre pleure, souffre et supplie. Je crois qu'un monstre asservit, qu'un monstre domine, qu'un monstre soumet et opprime, qu'un monstre règne sur les monstres et leur impose sa loi. Cela s'appellerait la loi du plus fort.
Et on pourrait croire que c'est naturel.
Mais je crois aussi n'être qu'une ponette stupide, parmi les animaux les plus doux et les plus dociles, les plus aimables, les plus serviables et les plus serviles. Et je veux croire qu'un monde de magie est un monde de merveilles, un monde de paix, d'amour et de joie. Un monde où tout est bon, où tout va bien, où le bien triomphe toujours et où les ponettes sont gentilles. Je veux croire qu'un monde magique est une utopie, loin de la cruauté et du cynisme de mes souvenirs.
Et on pourrait croire que c'est naturel.
Parce que ce monde est mon monde, ce royaume est le mien. Je suis princesse d'Equestria, souveraine d'un million d'âmes, l'héritière de cent générations. Moi, Celestia, de charité et de droit, je bannis le mal et le malheur de mes terres, et j'ordonne la loi céleste. Un monde où chacune a sa place, même les monstres, un monde où toutes seront destinées à vivre en harmonie.
Il suffit pour cela que le monstre ignore ce qu'il est.
Et là j'ai fait wow. J'ai redécouvert mon propre texte et je me suis rendu compte à quel point le fait d'avoir réécrit ce début plus d'une dizaine de fois avait permis de le ciseler mais à un point...
Je veux dire, une fois encore la mise en scène est jolie. Prenons simplement le paragraphe qui commence par "je crois que si la magie permet tout à toutes...", l'une des mises en scène notables est le "je crois" scandé tout du long et qui fait pense à un discours de politicien ("moi président" ?). On a le "asservit / soumet", on a le "domine / opprime", on a une structure ABAB qui est une chaîne ! Structurellement le texte est une chaîne alors qu'on parle d'asservir et d'opprimer ! Donc ouais la mise en scène elle est cool... mais encore ?
Là encore, je vais balancer une anecdote. Au départ, je tentais d'écrire Icorne dans le style de "Melodrama", avec une Celestia très lol, très troll et qui se moque de tout. Mais tous mes brouillons mouraient dans les cinq pages. J'ai alors fini par décider de changer le personnage, et lui donner une voix plus... impériale. Plus de grandeur, plus de noblesse.
Et soudain ça passe.
Donc le ton de ce passage n'est pas du hasard, là je suis en train de me donner le la pour le reste du texte. Mais ça ça reste de la mise en scène. Ce qui m'intéresse, c'est le contenu, c'est ce que dit le texte au-delà de la paraphrase. Et justement. Là, mine de rien, dans ce premier passage je suis en train de spoiler toute l'intrigue. Simplement cette phrase :
Je crois que si la magie permet tout à toutes, alors toutes se croient tout permis.
On a la structure enchâssée ABBA avec "tout / toutes / toutes / tout" qui met en scène l'inversion qui se produit. Quelle inversion ? Eh bien, la phrase peut sembler du verbiage, mais si on s'arrête elle dit quelque chose. En une phrase on a toute une philosophie sur l'absence de limites. C'est, secrètement, la règle avec laquelle on devra juger tout ce qui arrivera ensuite dans le texte. C'est la clé de lecture.
Autre chose ? Regardez les déterminants. "Je crois que le monstre tue le monstre..." le déterminant est défini. Mais soudain "je crois qu'un monstre asservit" le déterminant est devenu indéfini. On est passé de "le" à "un". C'est le genre de truc qu'à la lecture le lecteur ne va pas voir, parce qu'il est trop occupé à lire la suite. Mais ce détail. Juste ce détail. Quand je dis qu'ici on est en train de spoiler tout le texte, ce n'est pas une blague.
Okay.
Maintenant que je vous ai spoilé tout un texte (dépendant du temps que vous aurez passé à relire le passage dans le détail) on va sauter un peu plus loin. Pas bien plus loin. Juste après cette introduction l'histoire démarre :
Face à moi se dressaient les hordes d'Everfall, un million de bêtes sous la bannière du chef de guerre maudit. J'amenais à ma suite huit cents poneys de la garde royale, suivis des licornes de la tour de Windscream, des volontaires de Marephis, de Bayton et Bristle Rock, des braves de Raneigh, de Snaffle Heights et Mountgomery. J'avais sur ma gauche les lances d'Hendersalt et d'Hayzelwood avec leurs hampes entrelacées d'émeraude. Et sur ma droite s'avançaient étincelantes les trois colonnes de Grazedale, de West Muffin et de Chestnut Creek. À la tête de ces dernières je reconnaissais les plumes azur de Poppy Wreath. Avec moi quatre mille sabots foulaient ces prés.
À quoi s'ajoutaient les compagnies de tercios de l'infante Furiosa. Son étendard dominait les deux collines et le métal et l'argent de ses cuirasses formaient comme une muraille d'écailles. Nous avions aussi les deux cents ânes de la compagnie de Douncango, la compagnie de Muleón et celle de Salinas de Humpalgo. Et à la troisième heure enfin, dans le premier fracas des armes, je vis venir par les routes écrasées de chars presque quatre cents zèbres venues des côtes lointaines de Feira de Stripana.
Même à mille contre un la moitié du monde connu m'avait rejointe.
Ici, encore et toujours une anecdote. J'avais écrit un autre texte, "Légitime", où je ponifiais l'Amérique Sud, et je m'amusais comme un fou à trouver des noms sur Google Maps le long de l'Amazone. Ici, j'ai fait pareil, j'ai cherché des lieux aux États-Unis et j'ai ponifié. Honnêtement, là, je m'amusais.
Mais.
À la relecture, tu le sens l'épique ? Juste assez de détails pour que ce ne soit pas abstrait, juste assez de noms pour être étourdi, la petite référence à Hugo qui va bien et enfin la phrase qui claque, "même à mille contre un..." Donc ouais, la mise en scène est excellente, désolé de me brosser moi-même dans le sens du poil mais c'est sûr que partir à la bataille dans ces conditions moi je suis hype.
Mais, comme avant... la mise en scène ne fait pas tout. Est-ce que ce paragraphe, là, qui liste d'où viennent les poneys, nous dit plus que juste ce qui est écrit noir sur blanc ? Honnêtement... pas vraiment. Okay, ça montre un aspect intéressant de Celestia : elle s'intéresse aux autres. Elle les adore. Regarde juste : "j'amenais à ma suite" là ils sont dans l'ombre, mais ensuite "j'avais sur ma gauche" ils sont en train de la flanquer, elle se fait doucement dépasser, et ensuite tu as "à la tête de ces dernières" les autres sont passés en tête ! À la fin ce n'est plus "à ma suite" c'est "avec moi", Celestia est en train de les mettre en avant, de chanter leurs louanges !
Et rien que ça, déjà, c'est l'esprit d'Icorne. Celestia n'en a rien à fiche d'elle, elle met en avant les autres. Elle admire les autres. Donc rien que là, oui, déjà oui, ce paragraphe en dit beaucoup ! Mais... c'est pas suffisant.
Donc on va sauter quelques pages et arriver au moment où Celestia cause avec une troupe commandée par la comtesse Birdshot :
Je me détachai d'elle pour regarder la presse noire au loin.
« Vous recevrez une officière jusqu'au retour de Birdshot. »
« Princesse, on ne pense pas que la comtesse reviendra. » Dit piteusement une jument derrière moi.
Je me retournai. Ça, au moins, je savais comment y répondre.
« Ne perdez pas espoir, braves ponettes. Cette journée verra nombre de malheurs et de miracles. Le ciel m'a donné des ailes et une corne, mais le soleil m'a aussi donné un coeur et dans ce coeur brûle une flamme plus précieuse que tous ces dons. Nous partageons toutes cette flamme, une magie que notre ennemi ne connaît pas. Je vous montrerai de quoi vous êtes capables, et vous, mes admirables ponettes, vous me rendrez fière. »
Oui. C'était cela. J'avais dit ces mots exacts voilà des siècles à ces juments de la comtesse Birdshot, puis j'avais tourné la tête d'un geste glorieux et admirable, face à la presse sombre des bêtes d'Everfall, et je m'étais retrouvée à nouveau seule face à moi-même.
Non, vraiment, je me sentais seule. Je profitais que mon historienne inscrive chaque parole de mon supposé discours pour réfléchir à la suite.
Le paragraphe du "ne perdez pas espoir" est typique de la narration qui précédait. Grandeur, épique, blabla, r'garde comment qu'on poutre sa mère le chien. La mise en scène est impeccable, il ne manque plus que les trompettes et les confettis. Et une fois encore : "et vous, mes admirables ponettes", tu le sens l'esprit Celestia ?
Et soudain paf.
Soudain le texte change complètement et tout ce qui précédait se révèle n'être qu'une histoire racontée, pour la faire brève, afin de faire plaisir à l'historienne royale. Et ce n'est même pas la vraie histoire d'Equestria : Celestia invente.
Alors ouais, c'est un mécanisme franchement fait fait fait et refait, les blasés seront d'accord avec moi pour dire que c'est aussi imaginatif que le "en fait c'était un rêve ! Tadadadaaaam !" Mais regardez.
Durant toute l'histoire qu'invente Celestia, elle s'entoure de poneys dont elle chante les louanges, et soudain elle dit quoi ? "Je me sentais seule". Et elle n'est pas seule : y a son historienne. Et deux gardes. Et quatre musiciennes. Mais elle se sent seule. Ce qui apparaît comme une blague est en fait fondamental. Dans la foulée, pourquoi elle racontait toute cette histoire ? Ça va être un enjeu pour les pages qui suivent. Et c'est là, pour moi, où le texte est vraiment intéressant.
Inutile de dire qu'à ce stade je dois paraître vraiment arrogant, limite à faire la promotion d'un texte que je mettrai plus de temps à écrire que le fandom n'a de temps à vivre, mais j'étais vraiment surpris, en le lisant à haute voix, à quel point il était bien construit.
Ce n'est pas la mise en scène. Le texte a beau être épique tout ce que tu veux, c'est comme écrire le combat entre Rarity et dragon mode bourrins : je sais le faire. Mais ça a pas d'intérêt. C'est un pur exercice de style.
C'est ce que cette mise en scène exprime. Ce qu'on arrive à dire, à faire passer, sans même avoir à le mentionner.
Ce qui nous amène, enfin, enfin, au passage qui m'intéresse le plus. Ouais, tout ce qui précède ne servait que de mise en contexte :
« Princesse, décidément. » Me gronda Feather. « Vous avez la tête je ne sais où aujourd'hui. Je vous en prie, concentrez-vous, vous alliez me décrire Poppy Wreath. »
Je lui cachais un soupir.
Poppy Wreath avait le pelage capucine, d'un orange-rouge qui tendait à l'orgueilleux et la crinière plus noire que violette, coupée courte à la frange au point qu'une fois le heaume en place il n'en restait pas une mèche visible. On avait peint son écu des mêmes couleurs en entrelacs, ainsi que le côté des lames de son chanfrein si bien qu'elle semblait avoir plutôt une crinière en cascade que l'or effaçait pour la plus grande part. L'autre côté du heaume portait les trois plumes rémiges aux couleurs chantantes dont les pointes usées par le temps tiraient vers le blanc pur. Six alules en-dessous, petites et fauves, rajoutaient leur touche à l'orgueil de cette coiffe.
« Les rénovations. » Je me coupai à nouveau. « Je pourrais mettre Field Day en charge des rénovations. Le palais commence à montrer son âge, après tout. »
Pour le contexte, on est donc toujours avec l'historienne qui veut son histoire de bataille épique toussa, et Celestia qui pour sa part veut causer de tout autre chose. Donc Celestia soupire et reprend l'histoire.
Et là on a un paragraphe qui devrait surprendre.
Pourquoi ? Parce que ce paragraphe est une description. On décrit un personnage. Et si vous regardez bien, derrière toutes les fioritures c'est une description liste : "elle a le pelage truc, elle a la crinière truc, elle a un heaume, elle a un écu truc..." et on finit par décrire quasiment chaque plume de son casque une par une. Celestia est en train de faire l'inventaire exhaustif de Poppy Wreath et elle passe presque quatre phrases à en décrire la tête. Juste la tête. Et je dis pas, une fois encore c'est bien écrit, un peu confus (si on ne connaît pas tous les termes) mais un sacré mouvement très joli et tout. Mais c'est juste une longue description-liste.
Ceux qui lisent mes articles savent que je n'aime pas les descriptions-listes. C'est le genre de truc qui en général tue le texte, coupe l'action genre tu mets pause et tu regardes l'image fixe pendant trois secondes avant de reprendre le film. C'est quelque chose que je déteste faire, que j'évite dans mes textes comme la peste. Alors pourquoi je le fais ici ?
Parce que Celestia ne veut pas ! raconter son histoire. Et là, une fois encore, alors qu'elle chante les louanges d'une jument qui n'a probablement jamais existé, elle le fait de la manière la plus barbante possible. Il n'y a pas jusqu'au discours indirect pour souligner à quel point elle a pas envie.
Pourquoi ça importe d'insister là-dessus ? Parce que son historienne, Feather Dust, elle, ne le remarque pas. Feather est persuadée que, un, c'est la vraie histoire 100% réelle d'Equestria et que, deux, Celestia veut la lui raconter, que Celestia l'a carrément fait venir pour ça et est juste distraite. Ah oui et trois, même si ça ce n'est pas encore dit à ce stade du texte : Feather Dust écrit l'histoire d'Equestria comme une ode à Celestia, où les autres poneys sont juste des faire-valoir.
Donc quand Celestia dit "je me sentais seule" elle ne plaisantait pas. C'est le cas.
Ouais ce qui précède est assez pavé.
Seul le point 1 est vraiment "technique" au sens où on écrit vraiment le paragraphe, étape par étape.
Mais ensuite j'avais le besoin d'expliquer pourquoi ce genre de paragraphe, même bien écrit, ne suffisait pas, et pourquoi écrire un paragraphe demande beaucoup, beaucoup plus d'efforts. Pourquoi je ne me satisfais pas juste d'une histoire toute mignonne en surface.
Un paragraphe n'a qu'un et un seul objet. Mais cet objet n'est pas quelque chose d'évident genre "rattraper une mèche" ou "taper sur le méchant". Cet objet est beaucoup plus abstrait. C'est la valeur ajoutée du texte.
Donc réessayons.
Refaisons l'écriture du paragraphe où Applejack essaie de rattraper sa mèche. Mais cette fois, essayons d'exprimer quelque chose :
"Par où ?!" S'affola Applejack.
La voix à l'autre bout de la radio était bredouillante.
"Je ne sais pas..."
"Par où !?"
"À gauche !"
Elle prit à gauche, sentit l'inertie du véhicule l'écraser. La rue devant elle s'ouvrit vide et étroite, encadrée par les barres froides des lampadaires. Tout défilait trop vite, trop vite, trop tard, trop court pour pouvoir redresser. L'arrière mordit sur le trottoir, cogna le métal. Sabot sur le frein, par à coups, avec ses pattes elle tentait de contrôler le volant devenu fou, redresser, redresser à tout prix, et elle cherchait du regard un détail auquel se raccrocher. Ce fut un éclat, un petit éclat vif et brûlant parmi le flou tournoyant sur lequel elle se fixa pour, braquant les roues une dernière fois, dans une embardée en avant, se remettre droite. Cet éclat, c'était la mèche, et tous ses doutes furent balayés.
Quoi que j'ai fait ? J'ai décidé de traiter d'Applejack et sa dépendance aux autres. D'où le contexte, avant le paragraphe, qui explique que pour poursuivre la mèche elle dépend des instructions de Big Mac. Le "doute" (fin du paragraphe) est omniprésent, illustré par une rue étroite, pareille à une prison, et par l'inertie. Tout ce paragraphe illustre les sentiments d'Applejack alors qu'elle mise tout sur son frère et en subit les conséquences.
Avec cela en tête, qu'est-ce qui ne fonctionne pas ? La transition entre le frein et le volant. La dénomination du volant. Les termes "redresser" et "se remettre droite" qui ne sont pas assez liés à son état mental. Bon okay et tout le reste aussi. Si je devais continuer à bosser sur ce paragraphe je tenterais de réécrire à partir de "par à coups".
Pour ceux qui veulent, voilà quelques brouillons de ce paragraphe :
Trop vite, trop tard, tout défilait
Trop vite, trop tard, tout défilait trop vite. La rue devant elle s'ouvrit vide et étroite, encadrée par les barres froides des lampadaires. Ses freins hurlèrent pour éviter l'accident.
Puis il y eut l'éclat de flamme sur le pavé, un crépitement
Ses yeux sautaient sur la route, pour redresser, vainement, alors
La rue devant elle s'ouvrit vide et étroite, encadrée par les barres froides des lampadaires. Tout défilait trop vite. Ses yeux sautaient de détail en détail, cherchaient vain, en oubliaient le virage. Trop vite, trop tard. Le regard tourné sur le trottoir qui approchait. Une attraction mortelle. Puis son coeur fit un bond
Mais ouais. Que la mise en scène soit bonne ou non, ici le paragraphe a un objet. Et peu importe le nombre de manière de l'écrire, c'est ce qui rend ce paragraphe intéressant. Je serais notamment intéressé de savoir de quels doutes on parle vraiment, si Applejack doutait des autres ou si, au contraire, elle se blâmait elle-même.
Donc au moment d'écrire un paragraphe, l'important n'est pas "comment je vais mettre ça en scène". Promis, juré, on fera des tonnes d'articles sur les outils et techniques pour ça. Mais ces outils dépendent purement de ce qu'on veut faire. Donc l'important c'est l'objet de ce paragraphe.
Et ça j'avoue que ça ouvre de sacrées perspectives sur la manière dont on les écrit.
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