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L'inférence. Aller aux commentaires
24 juillet 2014

Hi'.

EDIT: En relisant cet article je me suis rendu compte qu'il est incompréhensible et comme j'ai la flemme et que c'est justement le sujet, je laisse tel quel. Enjoy.

Aujourd'hui on ne va pas discuter de littérature. Bon okay si mais on va faire un tel détour pour en parler que vous aurez largement le temps de l'oublier. En plus vous êtes en train de causer littérature à ma place donc ce coup-ci on va ressortir nos Woona, brohoofer les linguistes de passage et enfiler nos blouses blanches :

C'est de l'heure de faire de la science !

Ce que vous dites peut être très mal interprété. Interprété ? Ça veut dire quoi ? Eh bien, quand votre poney de compagnie se met à trépigner devant la porte, en général ça veut dire qu'il faut aller le promener. Le poney -- ou chien -- vous a fait passer un message que vous avez plus ou moins bien compris. Le message était : "je trépigne devant la porte". Vous, vous avez compris "il veut sortir".

Mais... mais mais mais ! C'est pas du tout la même chose ! Vous ne me croyez pas ? Très bien, le même poney -- mettons Applejack -- se remet à trépigner devant la porte. Vous êtes déjà en train de chercher la laisse (espèce de malade) quand vous entendez la porte sonner. Et là c'est la révélation : "je trépigne devant la porte" voulait dire "y a machin qui arrive" ! Même message, interprétation complètement différente.

"trépignement = trépignement"
"trépignement + Applejack + porte = promenade"
"trépignement + Applejack + porte + sonnerie = visiteur"

Si vos blouses blanches sont bien ajustées, vous avez l'obligation de ne toujours pas me croire, parce que vous ne comprenez pas bien encore ce qui se passe. Je vais donc faire une dernière chose : mettons qu'Applejack trépigne mais au salon, alors que vous êtes bien assis dans votre canapé, journal en main. La sonnerie a beau sonner, elle n'est pas en train d'accueillir quelqu'un, pas plus qu'elle ne veut sortir.

"trépignement + Applejack (+/- sonnerie) = jouer !"

Bon ceux qui possèdent un chien savent qu'il ne trépigne pas et ceux qui possèdent un poney savent qu'il agite la queue, lâchez-moi c'est pour l'exemple. On a donc trois fois le même message de base : "Je trépigne !" Et trois fois une interprétation différente, suivant le "contexte".

Contexte.

Contexte.

Cooooooooontex- retenez bien ce mot parce qu'il est l'alpha et l'omega de notre théorie scientifique. On a donc :

[message] + [contexte] = [interprétation]

Ou quelque chose comme ça. Le message c'est facile, c'est ce que fait le poney, c'est ce qui est écrit dans le texte, noir sur blanc, c'est littéral. "Il faisait beau à Ponyville" ça veut dire qu'il faisait beau à Ponyville, c'est la paraphrase parfaite. C'est aussi pour ça que ce début de texte est aussi mauvais : il ne nous dit rien !

Réfléchissez-y bien. Si votre poney trépignait en permanence déjà vous l'emmèneriez au vétérinaire mais surtout vous ne sauriez jamais s'il veut sortir, jouer ou s'il y a un visiteur... Alors imaginez que tous les textes débutent par "Il faisait beau à Ponyville..." Qu'est-ce que tu veux faire avec ça ?! En fait si, ça vous dit quelque chose : que c'est bel et bien une fanfic' MLP. Woohoo. Woo-buckin'-hoo. Dans les faits les gens mettent ça par défaut et à force de le retrouver dans tous les genres ben ça ne veut plus rien dire. Le poney a trop trépigné -- c'est la "saturation".

Vous avez vu ? On a parlé littérature ! \ o / Et c'est pas fini.

Le message, donc, c'est ce que dit le texte. En linguistique on parle de "discours explicite", parce que... c'est un discours... qui est, euh... explicite. On peut pas être plus explicite que ça (allez googler le mot pour comprendre l'ironie).

Le contexte, par contre, il vient d'où ? Le contexte c'est la porte, c'est Applejack, c'est la sonnerie... Okay préparez-vous à morfler, ça va être compliqué. Dans un texte, le contexte correspondrait à de la description, hein ? "Applejack trépignait devant la porte. On sonna." Mais rappelez-vous ce qu'on vient de dire, tout cela est explicite : on nous dit explicitement que c'est Applejack, qu'elle est devant la porte et qu'il y a une sonnerie. Oui le texte est en train de nous donner le contexte, mais si c'est explicite alors ça fait partie du message !

Alors c'est quoi, le contexte ?

Eh bien c'est votre mémoire de lecteur. Au lieu de : "Applejack trépignait...", mettons : "La jument trépignait..." Quel jument ? Toi, lecteur, qui n'as pas la mémoire d'un poisson rouge, tu sais qu'on parle d'Applejack. Ce n'est pas dit explicitement. Tu viens de rajouter du contexte. Tu as ajouté l'information : "jument = Applejack". C'aurait pu être n'importe quelle autre jument mais par un savant calcul d'une fraction de seconde, tu as su dire laquelle. T'es trop fort.

Et si je vous dis "Il faisait beau dans le Golden Oak." Okay, vous savez où on est ? Ce n'est pas dit explicitement, on a juste "le Golden Oak". J'aurais aussi bien pu dire "Il faisait beau dans le Pomtomtouyaka", c'est un nom propre aussi, un lieu précis mais vous n'avez pas la moindre fichtre idée de ce que ça peut bien être. Tandis que le Golden Oak, vous savez, bibliothèque de Twilight, votre mémoire a flashé comme un radar d'autoroute. Vous avez, une fois encore, ajouté du contexte.

C'est pour ça qu'en linguistique on parle aussi de "mémoire discursive" : le contexte correspond à la mémoire du lecteur.

Mais pas toute la mémoire. Bah oui. "Applejack trépignait devant la porte." Okay. Et là tu te rappelles que Rainbow Dash est bleue, que deux plus deux égal quatre et que tu as oublié de mettre un pantalon ce matin. Trois éléments de ta mémoire qui peuvent être ajoutés au contexte et qui... ne servent absolument à rien. C'est quoi le rapport entre la couleur de Dash et le fait qu'Applejack trépigne ? Y en a pas ! La mémoire est sélective, elle ne choisira que l'information, attention roulement de tambours : "pertinente".

Motherbuckin' pertinence dans ta face. YEEEEAAH !

Flexe-moi c'te théorie !

Okay fanboyisme à part, l'information pertinente est l'information qui permettre à quelqu'un d'interpréter votre texte. L'humanité a une boîte noire dans la tête qui lui permet, par un calcul improbable, de sélectionner suffisamment d'informations pour permettre l'interprétation. Sérieusement, vous voyez Applejack trépigner, il y a un bazillion de choses autour de vous, le plafond, les pantoufles, votre rendez-vous chez le dentiste, et parmi ce bazillion de choses vous avez réussi à sélectionner la porte. Comment vous faites ?!

Et puis, parfois, ça foire.

Une bonne partie du temps, le type en face n'a pas l'information qu'il faut. Par exemple quand je dis à quelqu'un "ton texte est générique", lui il n'y voit qu'une insulte. Moi j'ai tout un contexte de lectures, de critiques, de théories derrière. Générique n'est pas mauvais, les médicaments génériques soignent très bien, ce n'est juste pas le remède contre le cancer, tu ne feras pas la une d'une revue de médecine avec ça.

Il arrive aussi que le type en face ait le choix entre plusieurs informations conflictuelles. Applejack trépigne devant la porte, mais elle a sa balle en mousse préférée dans la bouche. C'est quoi l'information qui prime ? La porte ou la baballe ? Tu lui ouvres la porte et elle ne veut pas sortir, okay là c'est sûr c'était pas la promenade ! Euuh... attention tiens-toi bien : le poney aussi interprète tes gestes. Quand tu as ouvert la porte, elle a cru que tu voulais la mettre dehors pour le soir. Bah oui, tu n'as pas mis tes chaussures et tu n'as pas la laisse. Du coup elle reste à l'intérieur et continue de trépigner, et toi tu te dis qu'elle ne veut pas sortir, du coup tu refermes et... zuuuut !Même topo pour la fanfic'. L'auteur passe son temps à essayer de deviner ce que comprendra le lecteur, et le lecteur passe son temps à essayer de comprendre ce que veut lui dire l'auteur.

Quel exemple de malentendu je donnerais...

Un exemple qui me vient en tête est le début du Dernier Sortilège d'Acylius. Twilight est dans le palais, elle va trouver Celestia, blablabla elle embarque dans le dirigea- attends quoi ? Le dirigeable ?! Mais elle était dans le palais et... elles se sont téléportées sur des quais ou bien ? J'ai dû louper quelque chose... et effectivement j'avais loupé une ou deux phrases expliquant que le dirigeable venait en gros de se parquer contre le balcon. Normal. J'ai loupé une phrase, du coup il m'a manqué du contexte, du coup la situation m'a paru complètement délirante.

Oui, rappelez-vous.

Il y a un bazillion d'informations, et votre boîte noire dans la tétête est programmée pour ne retenir que l'information "pertinente", celle qui permet d'interpréter. Ce qui signifie que si vous lisez une phrase qui n'aide pas à l'interprétation, vous allez l'ignorer. Dans le cas contraire, vous risquez l'autisme : trop d'informations non filtrées, saturation, c'est comme si le monde entier vous hurlait dessus en même temps.

Donc oui, quelqu'un qui lit votre texte sélectionne parmi l'information que vous lui donnez et ne conservera que l'information qui lui est "utile", qui est pertinente. D'où souvent les "ah tiens je n'avais pas remarqué". C'est écrit noir sur blanc mais le lecteur a passé dessus parce que sur le moment ce n'était pas pertinent.

Et maintenant, pause.

Résumons.

[message] + [contexte] = [interprétation]
"ce que dit le texte" + "ce qu'ajoute le lecteur" = "ce que le lecteur comprend"
[discours explicite] + [discours implicite] = [inférence]

Jusqu'ici je vous ai dit que le lecteur allait ajouter de l'information pour interpréter votre texte, et que du coup il allait comprendre un peu tout et n'importe quoi.

Mais... mais le texte lui dit quelle information sélectionner. Comment, je n'en sais fichtre rien, mais un texte est bourré de signaux pour diriger le lecteur sur la bonne piste. Par exemple, "Blueblood eut un sourire trop large", explicitement on dit juste que Blueblood sourit, que ce sourire est large et que la largeur est excessive. Mais toi lecteur, tu es habitué à cette formulation, tu sais que "trop large" signifie faux, exagéré, que Blueblood a donc une arrière-pensée. Le texte te force cette interprétation. Tu peux la manquer complètement, par exemple si tu ne connais pas la convention ou que tu penses que Blueblood est un bon gars... mais le texte te le dit. C'est dans le texte. Ce n'est juste pas "explicite".

Et rappelez-vous, un texte est faire pour émouvoir. Il veut vous rendre triste ? Il ne vous dit pas "sois triste" explicitement. Ça ne fonctionnerait de toute manière pas. Riez, là, tout de suite. Pourquoi vous ne riez pas ?

Mais, implicitement, le texte vous suggère de pleurer. "Applejack trépignait en vain devant la porte. Son maître restait vautré devant la télévision. Elle racla le bois de la porte avec son sabot, gémit un peu. Seul le son trop fort de la télévision lui répondit." Implicite : animal négligé, maltraitance, triste. Ce n'est dit nulle part mais fortement suggéré (et bâclé mais zut quoi, vous avez vu la taille de cet article ?).

Voilà pourquoi je voulais vous parler de l'inférence.

C'est un mécanisme fondamental.

Rappelez-vous de l'article sur le "Défi de la nuit". Le calcul "truc + truc = truc" ? C'était une inférence. Un auteur dit "tu m'as mal lu" ? Dans un sens oui, c'est plutôt que le lecteur l'a lu avec son propre contexte, l'a interprété de son côté. Mais l'auteur est responsable (en grande partie) de cette interprétation. C'est son boulot de contraindre l'interprétation, d'éviter les malentendus. C'est pour ça que l'auteur a une toute autre vision du texte, et énormément de mal à se figurer ce que voient ses lecteurs : l'auteur a un contexte bien plus vaste dessus, il SAIT. Et quand on débute en écriture, punaise, c'est la croix et la bannière pour se mettre dans les bottes du lecteur. Je n'y arrive toujours pas.

Non, sérieusement. J'avais écrit, de mémoire : "Nulle n'est immortelle. Avant elles le soleil se levait déjà, après elles les licornes reprirent cette tâche." Comment ?! Comment vous pouvez ne pas comprendre ? Mais les deux lecteurs à qui j'ai soumis ce passage m'ont fait une erreur 404.

Du coup mieux vaut mettre les points sur les i (les princesses sont mortes), par sécurité. Ou bien ? Une information implicite est bien plus forte parce que ça vient du lecteur, pas du texte. Si le lecteur conclut que c'est triste, il sera triste. Et forcément quand on te crêpe des "Applejack pleurait, roulée en boule contre la porte d'entrée", pas étonnant que vous trouviez MyLittleDashie triste. Et notez que si je dis juste "Applejack pleurait", c'est triste, mais pas beaucoup. "Applejack pleurait, roulée en boule" c'est triste, mais toujours pas beaucoup.

Pourquoi ?

Parce qu'on n'a pas de contexte. On n'arrive pas à interpréter la situation. On ne sait pas ce qui se passe et du coup on veut bien se sentir triste mais on veut surtout savoir pourquoi. "... contre la porte d'entrée", paf, du contexte. Ouf ! On ne sait rien encore mais on a enfin un signal qui va contraindre notre interprétation. Elle a été rejetée par sa famille ? Elle s'est fait plaquer par Dash (qui est bleue, rappelons-le) ? Non, bien sûr, ça fait un article entier que je t'installe le contexte. Tu sais ce qui lui est arrivé, ce qu'elle vient de traverser, tu sais pourquoi tu pleures et si tu juges que c'est une bonne raison, tu vas compatir. "Applejack pleurait, roulée en boule devant une magnifique tarte aux pommes", euh... non mais disons que "magnifique" soit trop joyeux : "Applejack pleurait, roulée en boule devant une toute petite tarte aux pommes." 'Ala. Elle a perdu un membre de sa famille ? C'est la famine ?

Tant que le lecteur peut interpréter, tant que le texte lui donne matière à interprétation, la boîte noire tourne et le lecteur est content.

Et c'est comme ça que, scientifiquement, un texte fonctionne.

Voilà.

Et euh, voilà. Voilà... voilà voilà voilà...

Non je sais, ça reste un peu abstrait, vous avez plus ou moins compris mais on en fait quoi de tout ce cirque ? C'est pour ça que j'ai dit qu'on allait faire de la science et pas de la littérature. Ici je voulais vous expliquer un mécanisme qui est sous-entendu (implicite, ah ah) dans tous mes commentaires. Actuellement Igibab parle de jouer avec le lecteur et comment voulez-vous que j'en parle sans faire appel à l'inférence ?

Je voulais donc juste vous expliquer ce mécanisme, même vaguement, pour que vous ayez un peu mieux conscience de ce qui se passe quand on vous lit, ou quand vous lisez, et donc de la raison pour laquelle on vous supplie de décrire et en même temps on vous hurle dessus qu'on se fiche de la couleur de crin de la vendeuse de gaufres au miel.

Donc euh... voilà ? euh... fanficers,

à vos plumes ?

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IGIBAB
IGIBAB : #2562
Magnifique! J'ai l'impression d'avoir beaucoup appris en lisant ça :3 Maintenant j'ai plus qu'à réfléchir quand j'écris pour repenser à tout ça '-'
Il y a 4 ans · Répondre
Gracowitz
Gracowitz : #2558
Magnifique, cet article est juste magnifique. Un subtile mélange de logique et d'humour, le tout autour de la fanfiction. Si le but premier de l'article était de faire rire le lecteur, c'est réussi. Je suis quand même parvenu à plus ou moins saisir le message de l'article. Mais croyez-moi, nous avons là ce que j'appelle un article de qualité. c:
Il y a 4 ans · Répondre

Quelques statistiques

L'article a été visualisé 542 fois depuis sa publication le 24 juillet 2014. Celui-ci possède 2 commentaires.

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À propos

Renard râleur, linguiste critique et correcteur, traducteur, littéraire et logicien.

16 fictions publiées
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