Hi'.
Je m'étais dit que je n'écrirais pas plus d'un article par semaine, et ce que je vais dire ici tient plus de la chronique d'écriture, mais... déjà vous ne savez pas ce que sont les Chroniques d'écriture et surtout, eh bien, pour moi c'est une question d'actualité. Un de ces problèmes auxquels on se retrouve confronté, que ce soit sur ses propres textes ou sur ceux des autres. J'aimerais en parler et c'est ça, une Chronique d'écriture. Même si ici je vais plutôt me contenter d'esquisser le sujet sans trop l'approfondir.
On va parler ici un peu de description, un peu de motivation mais pas au sens de s'encourager à écrire, au sens de donner du sens et de l'intérêt au texte.
Autant que possible.
J'ai eu par deux fois à expliquer aux gens pourquoi il fallait décrire. Et déjà auparavant j'avais dit à Raincloud que tous les écoliers de l'univers (plus ou moins) haïssaient les descriptions vues à l'école, dans les gros bouquins ch- ennuyeux qu'on nous faisait lire. Comment convaincre les gens d'essayer de décrire alors que la description fait grimper le taux de mortalité parmi les lecteurs ?
Pour y répondre, les petites têtes de quinze ans que nous étions avions discuté, et surtout pas mal écrit, et comparé les "techniques" des différentes plumes présentes alors. Et on avait remarqué que toutes les descriptions n'étaient pas les mêmes. C'est de là que vient notamment la "description-liste" ou la description "dynamique", des notions construites ad hoc pour décrire ce qu'on constatait.
Mais cette fois, plutôt que de dire comment décrire, je vais vous dire pourquoi. Ce qui revient un peu au même. Je vais vous proposer une piste en suggérant que la description peut être, tenez-vous bien... utile.
Oui je sais c'est fou.
Le défi de la nuit consiste à écrire une scène qui se passe la nuit. J'avais d'abord pensé à prendre la pluie comme exemple, et il y a beaucoup de situations comme ça, mais étrangement c'est avec les scènes de nuit que le problème se révèle le plus. En général, face à ce genre de scène, on a tendance à écrire "il faisait nuit" puis, cette information posée... on écrit la scène comme s'il faisait jour. Les personnages ne semblent pas y voir moins bien... pas de rumeurs nocturnes... pas de mention du ciel étoilé -- là vous êtes vraiment en train de défier la nuit -- et bref, la même scène aurait pu avoir lieu en plein jour, ça aurait été pareil.
Face à ce genre de situation, je dis aux gens 1) d'exploiter la nuit et 2) de réactualiser l'information, c'est-à-dire de répéter à intervalles plus ou moins réguliers le fait qu'il fait nuit. Et dans tous les cas je râle parce que mince il fait nuit ! Merci d'en tenir compte.
Et puis ensuite je me suis retrouvé face à la même situation. Je viens d'écrire un texte qui se passe la nuit, et je me suis retrouvé un peu bête... la nuit ne sert à rien. Du coup, je n'ai aucune raison de rappeler qu'il fait nuit. Du coup, rappeler qu'il fait nuit ne ferait qu'agacer le lecteur. Cela arrive couramment, surtout quand on ne planifie pas le texte à l'avance. On se retrouve pris entre deux extrêmes : entre le besoin de parler de la nuit et la nécessité de ne pas barber le lecteur avec ça. Et comme chaque lecteur réagit différemment, en général c'est la seconde option qui gagne. Aussi parce qu'elle demande moins d'efforts.
Le défi de la nuit est donc de trouver un équilibre entre en faire trop peu et en faire trop. De réussir une ambiance "nocturne" à partir de zéro.
Face à ce problème, mon premier réflexe a été de me demander à quoi pouvait me servir la nuit.
C'est ce que je dis souvent aux auteurs. Si un élément ne sert à rien, il faut le supprimer. Si on ne veut/peut pas le supprimer, alors il faut qu'il serve à quelque chose. Parler d'utilité est risqué parce que ça comprend des choses abstraites comme, justement, l'ambiance. La mousse d'une forêt ne sert à rien pour l'intrigue, mais elle aide à installer l'idée d'une forêt humide et âgée, entre autres choses. Donc, quand on veut faire une forêt millénaire, y mettre beaucoup de mousse est en général une bonne idée. Dire si elle est sèche ou humide aussi. De même, quand on décrit la nuit, la question de la luminosité est vitale pour comprendre la scène : c'est la pleine lune, il y a des nuages ? Bon c'est toujours la "pleine lune" avec Luna mais passons.
La première utilité de la nuit est de pouvoir cacher les choses. La seconde utilité, bien connue des textes "sombres" (ah ah), est de déformer la réalité, le jeu des ombres. On lui fait jouer des tas d'autres rôles mais mine de rien la nuit est bien utile. Elle a du potentiel, et ce serait bête de se contenter de dire "il fait nuit" sans rien en faire.
Dans mon cas, tout le texte reposait sur les retrouvailles, et sur le problème de reconnaître quelqu'un. J'ai donc choisi la lumière qu'il me fallait -- j'aurais pu fermer les volets pour une obscurité totale, ou allumer la lumière dès le départ -- juste assez pour qu'on puisse y voir, pour qu'on devine. La nuit devient une barrière fictive entre les personnages. Je n'allume la lumière qu'une fois que la panique, proche d'un cauchemar, est passée.
Tout cela me donne une raison de mentionner la nuit, encore et encore, sans (trop) lasser le lecteur. J'ai une raison de la mentionner. J'ai une motivation à en parler, et le lecteur une motivation pour la retenir.
Elle est donc "motivée".
Chaque texte et chaque scène a ses propres buts. Dans le cas d'Oeil de Braise, le défi de la nuit se produit lors d'une bataille. L'utilité de la nuit devrait alors aussitôt apparaître. Bêtement : pour rendre le combat confus et chaotique. Mais aussi : pour les effets pyrotechniques. Les joueurs de FPS ou les fans de films de guerre penseront aux balles traçantes et aux explosions magnifiées par le contraste de l'obscurité. La nuit permet de décrire et d'intensifier les combats. Elle peut servir à bien d'autres choses encore, comme marquer les sentiments de chaque camp avant la charge. Ou simplement, la nuit il fait plus froid... c'est dommage de s'en passer.
De fait, et trop souvent, on me dit qu'un objet dans le texte "ne sert à rien". Il est juste là, il fallait le mettre pour quelque raison et on n'en fait rien. C'est du potentiel perdu !
Le défi de la nuit est d'écrire une scène se passant de nuit, où la nuit sert à quelque chose. Il faut motiver la nuit comme il faut motiver la présence de n'importe quel élément de l'histoire. Oui, les descriptions doivent être motivées, sans quoi elles sont formidablement barbantes. On se moque du nombre de poutres d'une chapelle, on est là pour un mariage ! On se moque du nombre d'étoiles dans le ciel... jusqu'à ce que celles-ci retrouvent leur lien avec l'histoire.
Je figure cela en général par une addition.
S'il n'y a que la nuit, le calcul est "nuit = nuit" et on dira juste "il faisait nuit", plus éventuellement une description générique d'une nuit générique et puissamment pas intéressante. C'est d'ailleurs le problème du "c'était une belle journée à Ponyville", merci on sait.
Mais si je commence mon texte par "Les nuages se dissipaient doucement au-dessus de Ponyville", qu'est-ce qui a changé ? J'ai dit, techniquement, la même chose. Il fait beau. Le ciel se dissipe. Le soleil est de retour. Tout va toujours bien les oiseaux tout ça. Ce que j'ai fait, c'est une addition. Par exemple : "nuit + nuages". Pourquoi parler des nuages ? Peut-être que je vais faire une histoire de pégases. Dans ce cas, moi auteur je fais l'addition "nuit + pégases = nuages" là où le lecteur fera lui l'addition "nuit + nuages = ?". Il se pose une question. Il est "intéressé". Vous avez installé, sans même y penser, un début de tension. Ne serait-ce que pour lui faire lever les yeux vers le ciel.
"La nuit les nuages revenaient se hasarder dans le ciel."
Je n'ai dit nulle part qu'on parlerait de pégases : l'addition se passe dans les coulisses, cachée du lecteur. Ce qui est important d'ailleurs : à ce stade il ne sait pas encore pourquoi on lui parle de nuages. Et si on se met soudain à parler d'autre chose sans lien, on sera passé du coq à l'âne et nos nuages seront apparus en vain.
Autre remarque d'importance : ces nuages sont liés à la nuit. Si on oublie cela, on se retrouve avec deux calculs séparés, "nuages = nuages" et "nuit = nuit"... Ces nuages ne nous intéressent que parce qu'ils sont liés à la nuit. Ce sont des nuages nocturnes et il faut le souligner. En l'occurrence, ici, j'ai en tête que la nuit les nuages de l'Everfree reviennent plus facilement sur Ponyville, ce qui jouera probablement un rôle dans l'intrigue. Ou pas. Je peux simplement suggérer qu'une tempête se prépare, et cette tempête peut être émotionnelle. Les nuages nocturnes vont servir, tout au long du texte, à figurer les émotions de mes poneys.
Tant que les nuages jouent un rôle, ils sont motivés et à travers eux j'aurai une raison de revenir encore et encore sur le fait qu'il fait nuit. La nuit permet de faire quelque chose qui n'est pas possible le jour, c'est aussi simple que ça.
Le défi de la nuit est donc un exercice scolaire.
Dans le cas du texte que j'ai eu à écrire, l'addition était quelque chose comme "nuit + retrouvailles + humain = lit, lampadaires, fatigue, ..." J'ai résumé les principaux éléments de ma scène avec un mot par élément, puis je les ai additionnés pour déterminer quels détails intégrer (et utiliser) dans ma scène. L'addition est en fait bien plus longue, pour expliquer par exemple pourquoi la retrouvaille se passe au lit et pas à la cuisine, lors du repas du soir, ou lors d'une veillée devant l'écran d'ordinateur... mais ça se résume bien à ça.
Expliquer ce qu'est une "bonne" (ah ah) description est difficile tant ça dépend du contexte, c'est-à-dire que ça change de texte en texte : mais le principe derrière, la "motivation", reste le même. Liez la nuit à ce qui se passe et vous aurez une raison de la détailler, de répéter qu'elle est là. Vous y serez presque forcé par les circonstances. Ne faites pas de lien et alors soit vous forcerez sa présence (et agacerez le lecteur), soit vous ferez l'impasse dessus et il y aura un renard pour râler que vous avez mal exploité votre texte.
Mais le défi de la nuit, ce n'est pas juste de décrire une scène nocturne. Le défi de la nuit, c'est de partir du principe que tout dans votre texte a son importance. Que ce que vous négligez peut-être plus important que ce que vous pensez. C'est de donner à chaque élément sa chance, de lui donner une place dans le texte et un rôle, de le faire briller, d'ajouter sa lueur, aussi infime soit-elle, à toutes celles de votre histoire. Accepter de prendre du temps pour ces détails, de leur donner un rôle alors qu'on veut avancer dans l'histoire, alors qu'ils nous gênent... c'est un défi.
Je vous défie donc, et je vous invite à relever ce défi, à vous fanficers,
à vos plumes !
L'article a été visualisé 1 288 fois depuis sa publication le 04 juin 2014. Celui-ci possède 8 commentaires.
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Joli !!! J’avoue qu’il y a un certain pédantisme à monter sur ses grands chevaux au pays des petits poneys…
Pas la peine de montrer sur vos grand chevaux !
(Bon il est vrai que j'ai oublié un élément montrant le ton décalé de la chose :3)
Idem pour moi. J’ai une fiction prête, mais je n’ai pas d’illustration appropriée, donc je ne peux pas la publier. J’ai commandé une commission à Dreamyn, mais c’est délicat, et elle est en période d’examen. Donc…
Je vais essayer une petite traduction, puis me remettre à Uranie.
Blague à part, ce n'est peut-être pas un problème. Ce l'est si je venais à monopoliser, mais sinon il est toujours plus facile de parler de ce qu'on fait que de le faire. Je euh... je vais... retourner écrire des trucs... je crois...
Le défi de la nuit est un exercice scolaire, à défaut d'être solaire. Néanmoins, c'est quand même le défi du jour.
Bref, comme dit le proverbe : « la nuit, tous les poneys sont gris ! » Ça simplifie ! :)
< /galéjades >
Je n'avais jamais regardé les choses comme ça, préférant simplement laisser la description se faire quand elle était requise, toujours en cherchant un moyen de rendre ça plus digeste et en utilisant un maximum le décor que je devais utiliser. Mais maintenant oui, je vois bien le calcule qui s’effectue et je vais vite appliquer ça pour mes prochains projets.
Merci !