Hi'.
Ça fait depuis Nihil verum que j'ai ce sujet en tête, et les discussions récentes m'y ramènent. Donc si vous le voulez bien et que vous avez un peu de temps, parlons du narrateur.
Et pour parler du narrateur, commençons par parler des dialogues. Promis y a un lien.
À l'école, on vous apprend qu'un texte se divise en deux parties : la narration et les dialogues. Les dialogues, c'est tout ce qui est après un tiret, ou entre parenthèses suivant le système adopté. Les dialogues, c'est surtout le moment où les personnages parlent, où "on les entend". Et question de rester scolaire, un dialogue est formé de "répliques" :
Dialogue :
"Salut Twilight !" Dit Rarity (réplique 1)
"Salut Rarity !" Dit Twilight (réplique 2)
"Comment ça va ?" (réplique 3)
"Bien et toi ?" (réplique 4)
La narration c'est tout ce qu'il y a autour. Bon. Allez restons sur les bancs jusqu'au bout et mentionnons rapidement la notion de discours "direct / indirect / rapporté". Discours direct : le personnage parle directement. Indirect : un autre personnage rapporte ce qu'il dit. Rapporté : la narration rapporte ce qui a été dit.
"Tu pourrais nous aider un peu !" (direct)
"Twilight a dit que je servais à rien !" (indirect)
Spike se plaignit à Donuts Joe du manque de considération équine à son égard. (rapporté)
Fin des cours, et maintenant la question d'examen : qu'est-ce qui fait un bon dialogue ?
J'en sais rien.
Mais dans la catégorie des poncifs éculés, on a quelques règles du pouce. Par exemple :
1) Les répliques devraient correspondre aux personnages.
Deux personnages n'ont pas la même manière de s'exprimer. Rarity dira "Twilight, très chère !" tandis que Twilight dira "bonjour Rarity !" avec ce petit brin de politesse qu'on n'attend pas de Dash : "Eh salut !" Alors bien sûr ce n'est pas toujours possible mais l'idée est que si on n'a pas besoin de préciser qui parle pour que le lecteur le devine, alors le dialogue est réussi.
"Je ne m'abaisserai pas à gratter la terre avec des rustres !"
"T'es vraiment bornée quand tu veux, tu le sais ça ?"
"Les filles, s'il vous plaît, on est en mission."
L'idée est que le dialogue va exprimer la personnalité de tel ou tel poney, et tant pis si en général on exagère au point que ça en devient caricatural et ridicule -- voire on copie-colle carrément des répliques de la série, question d'enfoncer le clou.
2) Les personnages ont un but
La pire erreur dans un dialogue est de commencer par "salut - salut - ça va ? - ça va". C'est ce que fait le débutant parce que c'est comme ça que commence une vraie conversation, mais la taille du texte et l'attention du lecteur ne le permettent pas.
On dit alors de se concentrer sur ce qui est pertinent, et la tentation est alors de ne retenir que ce qui est lié à l'intrigue, à l'enjeu du texte. Par exemple, tel dialogue pour révéler que c'était Blueblood qui avait volé sa propre broche, ou alors tel autre dialogue pour apprendre où est le camp des griffons. On a alors des dialogues instrumentalisés, complètement impersonnels et dont on dit en général que "la narration aurait très bien pu le faire seule".
Bref, du gâchis.
C'est pour ça qu'en général je dis plutôt aux gens de se concentrer sur les buts du personnage lui-même. Quand il parle, il a une idée derrière la tête, et l'intérêt du dialogue est de faire jouer cette idée. Dash n'a pas vraiment envie d'aller taper sur les griffons. Spike aimerait qu'on cause logistique. Twilight veut qu'ils s'accordent sur le meilleur chemin. Ce sont autant d'objectifs contradictoires qui vont s'entrechoquer durant le dialogue.
"On pourrait passer par le col vert, vous en dites quoi ?"
"Je sais pas... c'est pas idéal ? Tactiquement parlant ?"
"Pas le col vert, d'accord. On pourrait tenter la passe Roe ?"
"Ouais... ça semble pas super. Au niveau stratégique."
Bon là c'est surtout pour la blague mais c'est le principe. Mon professeur d'anglais, il y a longtemps, parlait d'une partie de ping-pong où chacun se renvoyait la balle, et c'est l'impression qu'on aimerait obtenir. Des buts différents en conflit plus ou moins ouvert à travers chaque réplique.
Maintenant qu'on a rapidement récapitulé comment les dialogues fonctionnent, plus ou moins, venons-en à ce qui nous intéresse. Le narrateur.
En communication, on a une question à appliquer partout : "qui parle à qui ?" Tel personnage parle à tel personnage, très bien. Mais dans le cas du texte ? Ce n'est pas l'auteur qui, à travers le texte, parle au lecteur, en tout cas pas directement. L'auteur il est loin, il fait autre chose voire, il est mort. Et il y a souvent des choses que le texte dit mais que l'auteur ne pense pas. Bref, le lecteur a besoin d'un autre interlocuteur.
C'est le rôle du narrateur.
Le narrateur est un personnage qui raconte l'histoire. Là à nouveau on retourne à l'école et on parle de focalisation, que je décris personnellement comme les connaissances dont dispose le narrateur. Si le narrateur est omniscient (il voit tout sait tout comprend tout), on parle de focalisation zéro. Si le narrateur n'a qu'une connaissance limitée, tel un observateur sur le bord de la route, on parle de focalisation externe. Si le narrateur, outre ces connaissances limitées, a accès aux pensées d'un personnage, on parle de focalisation interne : le narrateur est ce personnage.
C'est important parce qu'on a tendance à décrire la focalisation à travers l'alternance première / troisième personne. Texte à la première personne ? En "je" ? Le narrateur est un personnage. Texte à la troisième personne ? En "ils/elles" Plus de narrateur.
Foutage de gueule. Le narrateur a mille autres manières d'intervenir. Chez le débutant on remarque surtout les "commentaires" que le narrateur peut faire assez souvent :
1) Applejack acheta la pomme et mordit dedans. Elle en tomba raide morte. C'était quand même pas de bol.
Ici la dernière phrase est un commentaire du narrateur, il est en train de donner son avis, il intervient assez directement. Et ces commentaires peuvent être subtils, déguisés :
1a) Applejack acheta la pomme et mordit dedans. L'instant d'après elle s'effondrait. Un simple accident.
Une fois encore, la dernière phrase est un commentaire du narrateur, mais cette fois déguisé comme un "fait" appartenant bien à l'histoire elle-même. Dans les faits, chaque phrase de la narration transpire des commentaires du narrateur. Prenez simplement la seconde phrase : "tomba raide morte" / "s'effondrait", le registre n'est pas le même. Le premier se moque, le second essaie d'être dramatique, mais bref. Ce n'est pas le même ton, pas le même point de vue.
Et c'est là où ça devient intéressant.
Parce que quand je dis que le narrateur est un personnage, je veux vraiment dire que c'est un personnage. Comme n'importe quel autre personnage de l'histoire. Et cela signifie qu'il fonctionne exactement comme n'importe quel autre personnage de l'histoire.
Et cela signifie que toute la narration fonctionne comme un seul gigantesque dialogue.
Donc, tout ce qu'on a dit sur le dialogue s'applique à la narration.
Or qu'est-ce qu'on a dit sur le dialogue ? Bon, vous rien mais moi là, j'ai mis en avant deux points : le dialogue exprime la personnalité du personnage et le personnage a un but. C'est tout aussi vrai pour le narrateur : sa personnalité donne le "ton" du texte et son but donne la direction. Le narrateur ne vous raconte pas cette histoire pour des prunes, il a une arrière-pensée, une idée derrière la tête. Et tout comme pour le dialogue, ces deux règles du pouce permettent d'évaluer votre narration.
2) Twilight entra dans la chambre. Il n'y avait rien. Elle ressortit et croisa Spike. Elle demanda à Spike s'il avait vu Rarity. Spike répondit que non. Twilight alla à la cuisine et chercha encore. Pendant ce temps-là, à Canterlot, Rarity explorait la ruelle sombre.
Essaie de te représenter le narrateur. Là, maintenant. C'est quoi son but ? À part s'ennuyer à mort. C'est quoi sa personnalité ? On dirait un distributeur de billets. Pitié ! Ce n'est pas un humain c'est un meuble !
Donnons-lui de la personnalité, mais aucun but :
2a) Twilight ramena son museau dans la chambre. C'était le vide sidéral. Elle fronça sa frimousse et alla dare-dare coller Spike, question de lui arracher où se terrait Rara'. Spike en savait que dalle...
Voilà, là on a un narrateur haut en couleur, le genre accoudé au bar ou désespéré d'avoir l'air kweul parce qu'il utilise des mots populaires tavu ? Mais niveau but, bah il lit son texte. Pis c'est tout.
Donnons-lui maintenant un but, mais pas de personnalité :
2b) Twilight entra dans la chambre. Elle doutait. Elle en riait. Elle ne trouva rien. Elle ressortit et croisa Spike. Elle demanda à Spike s'il avait vu Rarity. Spike répondit que non. Elle avait peur à présent. Twilight alla à la cuisine et chercha encore...
On a rajouté deux-trois phrases qui sont, voir plus haut, des commentaires du narrateur, question de nous dire comment voir les choses. Là, en l'occurrence, ce qui l'intéresse c'est la manière dont Twilight réagit. Son but ? Nous faire partager le stress de la princesse en herbe. Son but ? Un compte à rebours pour Rarity. Son but ? Rarity a menti. Son but ? Dénoncer les conséquences d'une vie de mensonges.
Alors ouais il s'y prend super mal mais là le narrateur essaie de dire quelque chose. Il aurait pu se concentrer sur un tout autre sujet, au travers de la même histoire :
2c) Twilight entra dans la chambre. Il n'y avait rien. Elle ne pensa pas à ouvrir les tiroirs. Elle ressortit et croisa Spike. Elle demanda à Spike s'il avait vu Rarity. Spike répondit que non. Elle ne pensa pas à lui poser d'autres questions. Twilight alla à la cuisine et chercha encore...
Même histoire, intérêts complètement différents, cette fois sur l'incompétence de Twi' -- ou le mélange de confusion et de confiance qui entravent ses recherches. Une fois encore c'est fait à la truelle, notre narrateur a les émotions d'une pierre tombale mais il impose son point de vue à l'histoire, quelque chose retient son attention et donc quelque chose va retenir l'attention du lecteur.
Maintenant, essayons le combo, personnalité et but :
2d) Twilight entra dans la chambre, fit quelques pas, fouilla du regard les meubles proprets et désaffectés, comme alanguis par l'absence. Le lit avait été refait avec soin, et plus loin, sur le petit bureau chargé de bibelots et de fleurs, il y avait encore la correspondance datée d'avant-hier. Le reliquat de parfum dans l'air, persistant, feignait la présence de la licorne. Sur les enveloppes, trop d'adresses de trop de gentlecolts de Canterlot.
Alors oui blablabla description dynamique toussa, on suit Twilight qui découvre la pièce et remarque ceci ou cela et tout cela nous amène à constater l'absence de Rarity, avec en filigrane ses intentions. Le lecteur le sait déjà mais on devine peu à peu que Twilight à son tour le comprend.
Donc du point de vue du narrateur, on a un but : Twilight réalise que Rara' s'est payée sa tête. Mais il a un autre but : en décrivant la chambre, il veut décrire Rarity, le caractère de Rarity. "Propret", "alanguis", "soins", "bibelots", "parfum", "feindre"... il y a énormément de termes qui, en associant la chambre à Rarity, tendent à la décrire également. Donc non, le narrateur ne veut pas juste faire avancer l'intrigue. Il est en train d'approfondir un personnage. Il vous en partage l'intimité. C'est ça qui l'intéresse -- même si en écrivant ce paragraphe c'était pas du tout ce que j'avais en tête. J'y suis allé yolo.
Point de vue personnalité ? Bon là c'est ma voix générique, mon écriture par défaut. Mais oublions. Le narrateur se veut posé, tranquille, détaché. Il attache les phrases ("... fit quelques pas, fouilla..."), il s'attarde sur les détails, il les donne en feignant l'air de rien. C'te pourriture. Mais ce qui le trahit, c'est la dernière phrase : "trop de... de trop de..." qui montre qu'il se retient. Il feint le calme alors qu'il y a urgence, que tout hurle de s'affoler.
Bref, niveau personnalité c'est pas incroyable mais ça a le mérite d'exister.
Et maintenant, on renverse la logique.
En communication, on a une question à appliquer partout : "Qui parle à qui ?" Et on a dit qu'on définissait la "focalisation" du narrateur selon ses connaissances, selon ce qu'il sait. Notamment que c'est une focalisation interne du moment que le personnage a accès aux pensées de tel personnage (et est limité par ailleurs), cela même si le texte est à la troisième personne.
Pourquoi ça importe ?
Parce que reprenez (2d). On a dit qu'on suivait Twilight à travers la pièce, à mesure qu'elle réalise que son amie lui a menti. Et on a dit que le narrateur en profitait pour nous approfondir le personnage de Rarity. Si vous additionnez les deux, qu'est-ce que vous obtenez ?
Vous obtenez qu'on n'a pas une description objective de Rarity. C'est la vision qu'en a le narrateur. Et surtout, c'est très probablement la vision qu'en a Twilight. Elle redécouvre son amie et par ce biais elle réalise le mensonge. Mais psychologie à part, ce qui nous intéresse est que durant ce paragraphe, le narrateur fait comme s'il était Twilight. Il la suit de si près qu'il a quasiment accès à ses pensées, comme une caméra collée sur son épaule.
Pour simplifier, durant ce paragraphe, l'histoire est narrée (essentiellement) du point de vue de Twilight.
C'est relativement normal. Il existe un mécanisme assez fondamental, l'identification, qui dit que le lecteur va "se mettre à la place" d'un personnage. "Et si j'étais lui ? Dans cette situation ?" C'est ce mécanisme qui permet de s'immerger, de plonger dans l'histoire, de s'investir. Et l'identification est d'autant plus facile que le lecteur se sent proche, dès le départ, du personnage en question.
Donc, quand le narrateur fait semblant de ne pas être là et qu'il y a juste Twilight dans une pièce vide, naturellement le lecteur tendra à s'identifier à Twilight. Plus le narrateur voudra s'en distancer, plus le lecteur aura l'impression d'être un observateur limite omniscient, ou quelqu'un qui guigne par la porte. Mais le narrateur peut décider de placer le lecteur au plus près, de faciliter voire de forcer l'identification. Il peut, à tout moment, décider de changer de rôle, il peut jouer là-dessus autant qu'il veut.
Et la question "qui parle à qui" devient alors essentielle. Il faudrait plutôt demander "qui joue le rôle du narrateur". Quel est le point de vue adopté à tel moment du texte.
Ce qui nous ramène à Nihil verum. Brocco a un style parfaitement adapté à l'horreur-fantastique, mais ce style repose sur un narrateur en général scientifique, qui veut décortiquer des phénomènes pour réaliser que ceux-ci le dépassent. Ce narrateur est généralement mis en scène, en train d'écrire une lettre ou acteur direct qui explore les mystères d'une cave secrète de l'ancien culte de Screugneugneu.
La narration est tout à fait adaptée, et elle fonctionne tant qu'on l'identifie à un tel narrateur. Mais que se passe-t-il si on nous met face à un tout autre personnage, par exemple Bonbon, et qu'on nous donne, au moins en partie, accès à ses pensées ?
Identification.
Et soudainement la narration devient absurde parce que Bonbon n'est pas une scientifique qui décortique le monde et s'effraie. C'est une jument en colère puis désemparée. Le lecteur, inconsciemment, associe la narration à ce personnage et le contraste fait dérailler tout le texte.
Selon cette théorie, si le même texte avait commencé par le docteur exposant son cas, et promettant de le décrire d'après les témoignages et sa propre spéculation, en oubliant quelque peu le ridicule des réactions -- tout est justifiable, vraiment -- on aurait eu un narrateur salaud parce que lâche qui n'arrive pas à comprendre la véritable horreur -- pas le monstre -- de ce qu'il décrit. Selon cette théorie du narrateur, ce serait passé comme une lettre à la poste, et on aurait appris à haïr ce narrateur.
Avoir en tête le narrateur, quand on écrit, est important pour garder en tête que le texte ne doit pas être objectif : il doit donner un point de vue, biaisé, le point de vue d'un personnage avec ses propres idées et ses propres envies, ses propres buts. Le but est, comme pour un dialogue, de retransmettre cette personnalité et ces buts à travers toute la narration, jusqu'à ce que le lecteur adopte ou rejette ce point de vue, mais n'y reste surtout pas indifférent.
Ah parce que oui, c'est un dialogue, vous voulez que le lecteur réagisse.
Personnellement j'espère simplement que ces idées vont convenir, fanficers,
à vos plumes !
L'article a été visualisé 458 fois depuis sa publication le 23 janvier 2016. Celui-ci possède 4 commentaires.
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Pour l'instant l'idée que je me faisait du Narrateur était de choisir les bons mots pour se mettre dans la mentalité du personnage ou l'idée à donner au lecteur, comme si on lui prenait la main et disait: "regarde chéri, là il faut avoir peur". Du coup je me concentrait surtout sur le registre mais je ne pense pas assez souvent aux tournures de phrases.
Pour les dialogues un peu inutiles ( à mon goût ), il s'agit aussi d'un entraînement car je n'ai jamais fait de dialogues auparavant, ne faisant que des petits One-Shots d'horreur avec pour la plupart un seul personnage.
Et oui, tu viens de dévoiler toutes mes intentions non pas en lisant chaque petit détail, mais en imaginant ce Narrateur, je suis très impressionné, et tu me donne envie de continuer cette fiction que j'avoue avoir laisser de côté.
Je vais essayer de suivre tes conseils à présent. Je pense aussi qu'il est intéressant de trouver le but et la personnalité du Narrateur dans ce qu'on lit pour s'entraîner. En tout cas merci des conseils que je vais de suite appliquer.
Sinon pour vraiment répondre à la question, je pense qu'il s'agit surtout de point de vue. Après il faudrait demander à différentes personnes sur le site ou à des auteurs pour confirmer. Peut être que l'auteur est simplement plus enclin à telle ou telle catégorie de nouvelle, que ce soit au style d'écriture mais aussi une habitude prise par celui-ci au niveau du registre. On va rarement voir quelqu'un utiliser les mots "croupie, moisissure ou rampant" dans une nouvelle d'aventure ( sauf peut être dans le mystérieux marais-qui-fait-peur ).
Je serais plutôt intéressé de savoir comment les autres font.
Mais si je prends "Distress call" comme exemple -- et on dit "bayretta" -- alors je commencerai par dire qu'il y a un narrateur.
- Dans le premier chapitre, ce narrateur a pour but de faire peur. Il se concentre sur tout ce qui ne va pas, il porte l'attention sur le monstrueux, bref, dès le départ il a collé une étiquette "sac à viande" sur tous les personnages.
- Dans le second chapitre le narrateur est le même, et tout comme dans le premier il va vouloir déranger, "faire peur" même si cette fois c'est en laissant deviner ce qui a pu se passer.
- La technique la plus souvent employée est la soudaineté. Le personnage fait "volte-face", quelque chose attire "tout de suite" l'attention... Le but est d'enchaîner le plus vite possible pour prendre le lecteur au dépourvu, l'empêcher de se préparer à la suite.
Donc il y a un narrateur, et la question est juste de le conserver, et de l'exploiter.
On peut commencer par les dialogues des personnages eux-mêmes. Dans le second chapitres, un peu tous les personnages parlent, mais au final il n'y a que deux buts : entrer, ou ne pas entrer. Et la seconde catégorie n'a qu'une seule réplique vite expédiée.
À ce stade du texte il serait absurde que chaque personnage ait son propre objectif, mais cela signifie aussi que la plupart n'ont aucune raison de parler. Il suffit de dire qu'ils acquiescent, etc... Du type "Applejack se retourna et vit que Pinkie..." Bref, comme dit plus haut, la narration peut très bien le faire toute seule.
Mais maintenant on a, je pense, une meilleure idée de ce que le texte raconte. Pas juste une histoire kifépeur. On peut se concentrer sur le manque de préparation : on se croit prêt, on ne l'est jamais, etc.
-> C'est désormais le but du narrateur, ce qu'il veut dire, raconter.
Ce pourrait être n'importe quoi d'autre. Pourquoi pas un texte sur la responsabilité -- qui est responsable du monstre -- ou un texte sur la trahison -- qui est le vrai monstre -- ou un texte sur la survie -- les extrémités adoptées pour vaincre le monstre. Ce pourrait être un texte sur la science : avec le monstre dans le rôle de la magie, reliquat d'un passé d'obscurantisme ; ou inversement le monstre dans le rôle de la science, et la magie à la rescousse.
Mais ici on va assumer que c'est "on n'est jamais prêt".
Maintenant qu'on sait quel est le but de notre narrateur, la question serait : comment il va le raconter ? C'est sa "personnalité". Autrement dit les techniques dont il va user, tout au long du récit, pour exprimer ses idées.
Là encore, il y a des milliers d'options.
- On peut choisir un narrateur optimiste, persuadé jusqu'au dernier instant que les victimes vont s'en sortir, qu'elles sont "prepared for this". Le but est de montrer combien les poneys sont prêts, et donc par extension le lecteur l'est aussi, de sorte que quand les poneys échouent le lecteur échoue aussi. L'optimisme devient une folie aveugle face à la réalité. Point made.
- On peut choisir un narrateur en alerte, paranoïaque, qui saisit chaque détail, qui calcule tout, qui voit le danger à chaque angle de couloir. Le but est de "sur-préparer" de sorte que quand ça arrive, même si on l'a vu venir, ben on découvre seulement à quel point toute cette prudence n'a servi à rien.
- On peut choisir le monstre comme narratrice. Elle regarde ses victimes, elle sympathise, elle se moque gentiment. À aucun moment la narratrice n'a besoin de dire "je". Juste, être de plus en plus détachée, ou jubilatoire, quand vient la curée. Du plaisir à montrer toutes les petites erreurs commises par les ponettes.
- On peut choisir un narrateur impliqué, sympathique. Un peu comme une sorte de fantôme de garde qui aurait stationné ici et qui souhaite voir le groupe réussir, même s'il sait que c'est foutu. Qui voit se répéter la même chose qu'il est arrivé à lui. Et qui se raccroche à toutes les différences pour espérer une fin différente.
Ces deux derniers exemples montrent bien l'avantage de penser au narrateur comme un personnage à part entière, avec un corps et des circonstances. Ça aide à se le représenter et à le faire vraiment "parler" comme un pon- comme un personnage.
Bien sûr, le narrateur va toujours dire "il" et il faut éviter les commentaires trop évidents. Mais imagine Spike qui arrive après les événements, après que toutes ses amies aient disparu -- et le monstre aussi -- qui retrace leur parcours avec genre un sixième sens pour voir le passé.
Imagine-le se raconter leur histoire.
> "C'est ici les filles." Avait dit Twilight.
Le temps verbal indique que tout est déjà fini. Rien à faire pour le changer.
> Twilight leva les yeux de la carte (...) un boîtier électronique. C'était plus tôt dans la saison. Les feuilles n'avaient pas encore commencé à tomber.
Spike va évidemment regarder plus loin que juste ce qu'elles font. Il les revoit, il est content de les revoir, il va noter tous les petits détails qui lui sont familiers. Il veut les faire vivre. Mais aussi, il a peur pour elles. Les feuilles sont non seulement une manière de dire que tout est déjà fini, c'est aussi sa crainte qu'elles, ses amies, tombent également.
À mon sens il n'y a pas d'inner-narrateur. Le narrateur n'est vraiment qu'une construction propre au récit, et ne correspond à l'auteur que quand l'auteur n'a pas pris le temps de le construire. Et même alors j'arguerais plutôt que l'auteur a imité d'autres narrations, donc d'autres narrateurs qu'il copie-colle comme il peut.
Le narrateur est un personnage.
Et si tu arrives à le voir comme un personnage, alors d'abord donne-lui un but, un but propre au fait de raconter l'histoire. Et ensuite détermine sa personnalité pour remplir ce but au mieux. Donne-lui une voix comme tu donnerais une voix à un personnage dans un dialogue.
N'hésite pas à en faire trop au départ, à exagérer. Les gens n'aimeront pas mais ça permet de mieux s'entraîner. Et n'hésite pas non plus à raconter à la première personne. Là encore ce n'est pas un mauvais entraînement.
Enfin, et le plus dur à mon sens, il faut réussir à se "remettre dans les bottes du narrateur". Se rappeler le but de l'histoire. Se rappeler ses idées, sa vision. Contrairement au narrateur, qui est figé dans le temps, nous on évolue, on passe des mois sur un texte. D'autres choses arrivent, on a d'autres préoccupations...
Alors à force d'écrire, à force de traiter les mêmes thèmes, on finit par avoir un "narrateur par défaut", sûr. Mais c'est du passe-partout et en général inadapté. Efficace, usiné, mais pas très artistique.
Retrouver le narrateur d'un texte est peut-être ma plus grande difficulté quand je reprends un texte, même après quelques jours. J'essaie de me remettre dans le bain en écoutant des musiques que j'associe au texte, ou en relisant les premiers chapitres... mais c'est un vrai casse-tête.
Bref. Et pour résumer : il faut savoir pourquoi on écrit tel texte.
C'est encore la meilleure manière que je connaisse.
C'est mon headcanon qu'il est prof XD. Même si peu probable j'adore l'imaginer en tant que tel
Le problème reste à trouver quel type de narrateur on est ( en tout cas pour les débutants - les 3/4 du site donc XD - ). Ensuite avec de l'expérience on peut altérer son écriture, ou plutôt la plier comme dans Matrix ( la culture générale mon pote ), pour créer un narrateur convenable. C'est comme ça que certains écrivains sortent des bouquins de registres complètements différents ( Chattam habitué a faire du polar se mettant à du fantastique/jeunesse à la Eragon par exemple).
N'aurais tu pas un moyen d'invoquer cet "inner-narrateur" ou cette stance qui sommeille en chacun de nous? Mis à part écrire écrire et encore écrire.
Bref! Rien de mieux qu'un tuto narration entre deux tutos maquillage pour se donner envie d'écrire!