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Pourquoi que Indésirable c'est bien. Aller aux commentaires
01 novembre 2017

Hi'.

Il y a eu ce petit puzzle qui a désormais quitté la page d'accueil et que donc à part pour les réfractaires jusqu'en-boutistes il est fini (mais viendez quand même). À un moment j'avais dit espérer que cette énigme nous obligerait à mettre le museau dans les fanfictions du site et je n'ai pas été déçu.

Et pourquoi j'espérais ça ? Parce que ça valorise les textes et ça permet de découvrir des perles qu'on aurait loupées.

Du genre Indésirable.

Alors dire que j'ai lu ce one-shot serait de la mauvaise foi. Au départ j'étais juste là pour voir son adéquation à une charade et pour être honnête le synopsis donne pas confiance. C'est triste triste mort mort mort triste bon okay, la promesse du "moi spécial" laisse juste penser à une survie et donc ouais, j'ai rushé. Je n'ai pas lu les deux premiers paragraphes. J'ai survolé les phrases à partir du troisième et c'est là où la magie a commencé à opérer. Bon j'ai continué à survoler, j'ai raté la moitié des paragraphes (toutes mes excuses) mais ce que j'ai lu m'a tenu jusqu'au bout.

Indésirable donc ce n'est pas l'histoire de Will Smith qui survit à des zombis, c'est l'histoire d'un mort qui essaie d'être vivant. Et ce qui fait que je me sens le besoin prétentieux de faire tout un article au lieu d'un simple commentaire c'est son originalité, à savoir que ce récit de zombis est meugnon.

Voilà c'était le tl;dr, ce texte est bien parce qu'il fait du meugnon avec des zombis, vous savez tout.

On s'en fiche, honnêtement, que le héros soit un zombi, que ce soit révélé dès le départ et qu'il ait encore des émotions de poney. D'autres textes l'ont fait avec eeeeeh, plus ou moins de succès. Mais ils le faisaient pour choquer, pour accentuer l'horreur et souligner à quel point tout il est aaargh regarde je mange ta keupine. Le zombi ne peut pas s'empêcher de mordre, le zombi se regarde faire sans pouvoir rien empêcher, le zombi cède à ses instincts, bla, bla, bla... c'est vu et revu et si le texte avait choisi ce chemin-là, j'aurais lâché l'affaire rapidement.

Mais non.

Le filtre meugnon

Ce n'est pas encore la partie où on spoil, parce que je n'ai pas encore besoin de spoil pour expliquer ce côté meugnon. Dès le départ, le style est meugnon. Les mécanismes utilisés sont ceux d'un texte qui cherche à attendrir, pas à effrayer.

Le premier paragraphe est littéralement le synopsis (soupir) et comme dit il ne présage rien de ce qui suit. Je n'ai pas d'autre mot pour la première phrase du second paragraphe que "maladresse" : "J'ai eu 27 ans ce matin." Cela. N'a. Aucun. Intérêt. Mais alors, aucun. Arrêtez de faire ça. Siouplait. Mais ensuite tu as ça :

Mes amis, ceux qui sont comme moi, sont allé à la chasse ce matin avant que le soleil ne montre le bout de son museau.

Trois choses. La première, évidente, le mot "amis". Sur le fond notre zombi n'est pas seul, sur la forme c'est pas des "survivants" ou "les autres" c'est des potes. La seconde, moins évidente, le long complément "avant que... museau". Sur le fond c'est une précision inutile, on vient de dire que c'est le matin et le paragraphe précédent aussi, mais sur la forme le "bout de son museau" est meugnon. C'est une partie du corps mignonne décrite de façon mignonne qu'on n'utiliserait, normalement, dans un texte d'horreur que pour décrire le bambin avant l'abattoir. Là c'est le jour, le jour il risque rien, le jour c'est le monde, le monde il est joli les petits oiseaux. Apocalypse zombi t'as vu. Troisième élément, corollaire implicite du second : la phrase est longue. Sur le fond la chasse c'est brutal, meuchant pas bô, donc sur la forme tu voudrais couper abruptement pour en amplifier le choc. Mais ici la phrase continue tranquillement et la chasse devient juste un détail, on s'intéresse plus à la température qu'il fait.

Et ça là, cette phrase, c'est tout l'esprit du texte. On va nous décrire un apocalypse zombi à travers un filtre meugnon. C'est ça, l'originalité. Cette phrase comme synopsis n'aurait pas été idéale mais elle aurait fait le café mais noir serré.

Essayons un passage un peu plus choquant, et voyons comment l'horreur est gérée. J'en prendrai deux, aux troisième et quatrième paragraphes :

À ma droite se trouve une vieille amie. Sa robe bleue est percée de trous causées par les gardes licornes, ils s’étaient acharnés sur elle, sans penser que pour la tuer, ce n'était pas le corps qui fallait viser. Elle semble me sourire.

Alors déjà, première remarque, le héros (ou l'héroïne je sais pas lâchez-moi) s'intéresse aux autres. Mais bon, ce pourrait juste être là pour faire "wah regardez celle-là comme qu'elle a souffert qu'elle est méchante maintenant..." donc non, c'est juste une remarque. Deuxième remarque, la description choquante est bornée d'un côté par "amie" et de l'autre par "sourire". Limite si le texte ne te met pas des ballons et confettis. Enfin, la phrase elle-même qui fait mal. Côté fond on a une zombi qui s'est fait taillader et qui a tué des gardes, c'est pas meugnon, mais côté forme le sort des gardes est sous-entendu, on n'a que des trous dans la robe donc pas de gore et au final même si le texte, donc le personnage, plaint son amie, à aucun moment il n'accuse les gardes.

Alors ponctuation de la phrase à part, ce qu'on a là formellement a plus sa place dans un texte au tag "triste". L'événement est arrivé, c'est terrible mais voilà, c'est la faute à pas de chance, Rarity est passée sous une charrette qu'est-ce qu'on y peut. Quand est-ce qu'on visite Applejack à l'hôpital.

Le second passage je ne le citerai que partiellement :

Ouvrant ma mâchoire, je plante mes crocs dans la chair, (...). Je commence à mâcher, lentement pour savourer la chair.

Ce sont les deux premières phrases du quatrième paragraphe. La première phrase compte quatre propositions, j'en ai éliminé deux donnant des détails graphiques (parce que je suis prude) mais essentiellement les quatre sont courtes et directes : mâchoire, chair, détail, détail. Ici il n'y a pas d'atténuation, pas de meugnon, ce passage pourrait être dans n'importe quel texte d'horreur lambda. Le côté cru et cruel, quel que soit sa raison d'être, contraste fortement avec tout le reste du texte : c'est là où je voulais en venir, ce passage est le passage le plus gore de toute la fic'. Ouaip. Enfin dans la mesure où j'ai survolé, hein, mais ouaip.

Bref.

Ici commence le spoil

Je pourrais m'arrêter là parce que fondamentalement j'ai décrit tout l'intérêt du texte, mais il y a encore quelques choses remarquables qui permettront (devraient permettre) de confirmer ce que j'essaie de montrer, et pour ça j'ai besoin d'avancer dans l'histoire. Donc spoil. Mass spoil.

Je vais continuer par un point trivial : les descriptions. Parce que ouais, il peut y avoir telle ou telle petite faute mais soyons honnête, sur la forme ça se tient, c'est solide. Pas de description-fleuve, pas d'inventaire, on nous donne les détails qui comptent et ces détails comptent beaucoup. Tout comme la keupine qui se fritte avec les gardes, on nous décrit avec soin la forteresse pour que le lecteur reconstruise les événements, sans jamais rien en dire. Mais si une partie de ces détails sont là pour reconstruire le sort de la forteresse, les détails qui m'intéressent moi sont ceux qui parlent de la routine.

Alors je pourrais mettre en avant qu'on nous décrit coup sur coup les restes de fête, un poulain et sa peluche et des berceaux, tout cela avec tout juste une mention de lutte une fois, et un peu de sang évoqué une autre. Dans un film d'horreur ce serait la ferme en plein soleil toute neuve avec l'eau courante et les clés sur la porte.

Mais le détail que je mettrai en avant est le bâtiment contenant les berceaux (je crois) :

Serait-ce le premier bâtiment, au moment où la forteresse avait été bâtie ? Les ouvriers auraient fait comme ils faisaient pour une maison. Mais l'épidémie se propageait bien trop rapidement, ils auraient donc abandonné les couleurs et les décorations, laissant place aux simples et ternes maisons qui m’entourent.

Le texte, maintenant que je suis forcé, pour en discuter, de repasser dessus, s’appesantit beaucoup sur le passé, ce qui s'est passé en essayant de ne rien rater et du coup ça perd un peu de sa beauté irréelle. Mais les événements sont quand même bien pensés, et normalement sans que le héros n'ait à se mettre au coin du feu pour nous expliquer quoi que ce soit, on peut reconstruire les faits.

Autrement dit, quand je suis arrivé là j'avais sauté deux-trois paragraphes expliquant la genèse de la forteresse et tout le blablabla sur Twilight et j'insiste : tout cela était inutile. Ce simple passage cité a suffi à donner toute sa légitimité à la forteresse, de "deus ex" improvisé pour le scénario à construction logique et équine faisant écho à d'autres passages. Pas besoin d'exagération, pas besoin de drame, on a dans ce simple détail toute la panique de l'époque.

Mais plus encore que cette évocation indirecte, on retrouve ici le côté meugnon. Pas juste dans l'atténuation, l'évocation de biais les mots choisis gentils, mais aussi sur le fond : même au milieu de la tourmente, les poneys auraient voulu mettre des fioritures. C'est très équin. Le texte réalise la même chose en disant que les vivants font la fête pour oublier, c'est tout à fait équin. Et ça donne vie à ce qui serait autrement juste un gros vivier à pleurs.

D'où ma sorte de mi-conclusion.

Si on refait le même texte en enlevant le meugnon, tout ce qu'on obtient est une excuse pour voir combien le monde il est snif. Et ça d'autres textes l'ont tenté, et ouais je sais que Pinkie Pie a la toux et que Big Mac est étalé sur tout le mur de la grange mais voilà quoi. Si on regarde les événements, c'est du classique : le zombi erre, approche d'une zone de vivants, rien ne l'empêche d'avancer donc il y va, découvre que tout le monde est mort de mort et c'est tout. Exception du twist final que je vais spoiler aussi mais enfin, plus classique que ça c'est difficile.

Mais si on rajoute le meugnon, alors les choses changent. Le zombi n'y va pas pour rien, il y va parce qu'il s'inquiète. Il a besoin de croire que les pégases là-haut sont vivants. Il a besoin de croire que la forteresse est vivante. Il a besoin de croire que quelque part la vie continue. C'est en quelque sorte son identité d'indésirable qui est en jeu, ce qui le sépare encore des déviants. Les enjeux sont complètement différents et la tension change également. Quand il rencontre le poulain, nous on "sait" que le poulain il est mort, l'horreur tomberait à plat, mais on ne sait pas si le zombi va s'en rendre compte, on ne sait pas ce qu'il va faire ni ce que le poulain va faire parce que désormais leurs actions comptent. On ne sait pas si le poulain est un déviant ou un indésirable.

Le twist final n'est donc pas que soudain il y a des poneys, et les princesses, et toussa. La fin est même un peu tronquée, puisque les indésirables ont toujours besoin de manger, donc ouais la population elle est pas stable. Mais enfin bon.

Le twist final est de rendre explicite le thème du texte. De justifier les indésirables. Et de justifier de continuer. C'est le meugnon qui perdure dans l'horreur. Les poneys font un compromis, en mode "bon on est morts mais c'est pas grave" et ils décident qu'ils sont encore des poneys. Encourageant, tragique, effrayant, tout dépend du point de vue, mais c'est une récompense massive pour tout le voyage. Et en un sens, les princesses ont effectivement apporté le réconfort promis.

Ici c'est Equestria

Sur la forme l'histoire utilise les conventions du "triste" (si je puis dire) plutôt que du "sombre", et c'est ce qui lui donne sa force. Sur le fond l'approche est assez unique, en ce que la fin n'est ni bonne ni mauvaise, juste... équine. Et c'est ce qui me fait dire que ce texte est parfaitement adapté au monde d'Equestria.

Alors oui, une fois encore, je l'ai survolé, il y a des paragraphes que j'ai lus lettre par lettre et d'autres que j'ai allègrement sautés et sans doute qu'avec trop de détails, et trop de longueurs potentielles, je ne serais pas si enthousiaste. Mais je voulais finir sur cette note.

Equestria est meugnon. FiM est meugnon. Ce cadre est généralement jeté à la poubelle au moment de faire de l'horreur, à part pour garder les ponettes bien décérébrées, mais ça c'est une convention que les héros sont pas doués. Dans d'autres univers, conclure sur "bon ben on est tous morts mais on fait comme si de rien ?" ben ce serait un brin difficile. Justifier les zombis spéciaux serait arbitraire et à la fin c'est comme si toute l'humanité était des vampires, ouais bon ben pas très positif. Mais ici, ben c'est Equestria. L'amour est une magie puissante, donc okay, okay. Et si la toute fin est macabre, parce que pas grand remord à mordre, ben elle reste enfantine et amicale, et ça donne effectivement des zomponies, des vrais. Des qui ont faim mais qu'ils te font les yeux larmoyants et que même ils se sont lavés les sabots avant.

L'histoire n'est pas poignante parce que tout le monde est mort. L'histoire est poignante parce que jusque dans la mort les poneys luttent pour être des poneys. De l'espoir dans le désespoir et tout ça.

Mais bref, je me suis assez répété, j'avais juste plus eu cette envie de discuter les mécanismes d'un texte depuis longtemps et même si ça sonne un peu creux de ma part ces temps-ci je vais quand même vous inviter, fanficers,
à vos plumes !

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Renard râleur, linguiste critique et correcteur, traducteur, littéraire et logicien.

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