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11 août 2014

Hi'.

L'occasion se présente à moi de reparler d'écriture et bon sang que j'ai peur... Non parce que le sujet en surface il est simple, attendez je vous explique :

"Fluttershy se rendit chez Twilight. Elle ouvrit la porte..."

C'est qui, elle ?

Voilà, on va parler de ça pendant dix plombes parce que la grammaire scolaire ne vous dit pas vraiment comment ça fonctionne. La grammaire vous dit que dans la première phrase il y a deux objets, "Fluttershy" et "Twilight", que ce sont tous les deux des féminins singuliers et que du coup "elle" peut désigner n'importe laquelle des deux. Et question de bien vous prendre pour des imbéciles on dira encore que le dernier objet introduit est le bon... Ou alors que c'est le sujet qui l'emporte.

Ouais un objet (on va dire "élément", vous allez voir tout de suite pourquoi) peut être "sujet" ou... ou objet. Ouais. Sujet, c'est celui qui agit, l'élément qui compte. Objet, c'est celui sur qui on agit, l'élément-outil à la limite. "Fluttershy se rendit chez Twilight", Twilight est juste la destination de Fluttershy, elle se tourne les ongles pendant que Fluttershy se foule les chevilles et vous savez dit comme ça je sais pas laquelle des deux bosse le plus...

Bref, avec cette logique, le sujet serait automatiquement l'élément désigné par "elle", woohoo, problème réglé ! C'était ultra-méga-facile-de-sa-mère...

"Fluttershy se rendit chez Twilight. Elle était en train de nettoyer les étagères..."

Ah.

Ah ah ah.

Fils de sa mère l'alicorne.

Okay je suis en train de jouer avec vous. Vous vous rappelez mon article sur l'inférence ? Ouais, le truc auquel personne a rien compris. En même temps c'est normal, c'est pas juste que je l'ai expliqué avec les sabots, c'est qu'il faut six mois minimum pour commencer à y comprendre quelque chose.

Mais appliquez l'inférence ici : "Fluttershy se rendit chez Twilight. Elle..." Le texte dit au lecteur qu'il y a un personnage féminin, rien de plus. Le lecteur doit faire l'hypothèse de qui c'est, à partir du... contexte oui c'est bien vous suivez, le contexte étant la phrase précédente vu que je ne vous ai rien donné d'autre. Par défaut la règle du sujet s'applique, pas de raison de changer de sujet, on fait l'hypothèse donc que c'est Fluttershy.

Mais c'est une hypothèse.

Elle peut être contredite.

Et quand le lecteur se retrouve face à "poney + étagère" ou bien il nous fait un beau bug de flemmardise genre "j'comprends plus rieeeeeen" soit il se rappelle l'épisode S01E03 où que Fluttershy nettoie les étagères et là il m'inquiète... soit il fait l'effort de revenir sur son hypothèse et il conclut que "poney + étagère = Twilight", et il fait donc sa nouvelle hypothèse, "elle" désigne Twilight Sparkle. S'te plait.

Ah et j'en profite pour expédier un détail extrêmement énervant : "une foule de poneys était en train de..." ou "une foule de poneys étaient en train de..." c'est du pareil au même, on conjugue comme on veut. La première fois on se concentre sur la foule, la seconde fois sur les poneys eux-mêmes. C'est ce qui permet d'écrire des : "le village se rallia à Twilight. Elles étaient excédées." Le "elle" se réfère aux villageoises et si j'avais eu le courage de vous écrire mon article sur la logique j'aurais pu vous expliquer en détail pourquoi, mais là croyez-moi juste sur parole. Le principe est le même, le lecteur fait une hypothèse sur "de qui on parle" et le contexte lui donne la réponse.

Bon donc l'article est fini ? C'est bon là, on a couvert tous les cas de figure ?

Ah ah ah ah ah ah ah ah vous êtes drôle.

Comme vous le savez si vous avez déjà lu ou écrit un texte, on a plus ou moins trois manières de désigner l'élément : (1) le nom complet, genre "Fluttershy", (2) une description, genre "la pégase crème" et (3) le pronom, genre "elle". Ce qui fonctionne aussi en position objet :

"Twilight en voulut à Fluttershy."
"Twilight en voulut à la gentille jument."
"Twilight lui en voulut."

Et là on aborde la question qui m'intéresse vraiment. Lequel on emploie ?

Un guide d'écriture pour fanfic', anglophone, avait conseillé d'utiliser au maximum le nom complet et le pronom, et d'éviter comme la peste la description. La raison en est simple : une description demande un effort. Le lecteur fait une hypothèse et une description, vis-à-vis de cette hypothèse, est comme une petite énigme à résoudre. "Okay jument donc c'est pas Big Mac', euh gentille punaise mais elles sont toutes gent- aaaah Élément de la Gentillesse okay Fluttershy". C'est marrant deux secondes mais effectivement quand tu as :

"Twilight s'assit sur son trône. La princesse de l'amitié se morfondait. La jeune alicorne appela Spike qui vit la petite jument violette toute piteuse et lui demanda : 'Équidé coloré à frange courte et une étoile sur le flanc, qu'est-ce qui se passe ?' L'ancienne élève de Celestia soupira."

Ouais. Ouais. Forcément, quelques "elle" n'auraient pas été de trop.

Mais inversement, je n'arrête pas de dire aux gens de décrire. Et effectivement, les moments où on se réfère au personnage sont idéaux pour le détailler. Je le fais constamment, c'est presque même systématique : Première mention du personnage, je donne son nom. Seconde mention, c'est quasiment toujours "le bébé dragon" ou "la jeune pégase" ou quelque chose comme ça. Tout simplement parce que ça me permet de décrire le personnage sans m'arrêter :

"Twilight se retourna : 'Spike !' Cria-t-elle vers la porte d'entrée. Un bébé dragon tout endormi entra en dodelinant de la tête, se frotta les yeux avec sa patte griffue et..."

Phrase intéressante pour la réactualisation mais passons, ce n'est pas le sujet. Notons aussi que j'utilise "elle" pour mentionner Twilight la seconde fois. Twilight donne le nom de Spike et au lieu de dire "il" je pars du principe que mon lecteur ne connaît pas encore le personnage (alors que je sais pertinemment le contraire) et donc au lieu de dire "Spike tout endormi entra..." ou "Il entra tout endormi..." je lui donne une brève description.

Génial. Super. Fantastique. Formidable. Extraboursiflant.

On a couvert un cas d'utilisation sur un bazillion.

Mec.

Notez d'ailleurs que la description peut être placée ailleurs. Par exemple, le geste de se frotter les yeux est l'occasion parfaitement gratuite de rappeler que Spike a des pattes avec des griffes. C'était parfaitement inutile mais c'est fait.

Alors on répète la question : quand utiliser le nom complet, la description, le pronom ? La réponse se trouve dans l'inférence, encore une fois : le nom complet est celui qui demande le moins d'efforts. On sait de qui on parle, sans ambiguïté, c'est direct, c'est clair, c'est flemmard puissance cent. Et répétitif. Notamment, dans la vraie vie on ne répète pas son nom toutes les trois répliques... "Eh Twilight, tu crois que tu..." non, dans la vraie vie on fait "tu crois que tu..." parce qu'il n'y a pas de lecteur à qui on doit mettre un gros panneau "tel personnage parle à tel personnage".

Donc la question c'est plutôt, quelle quantité d'efforts demander au lecteur. Par défaut, on va mettre le pronom :

"Fluttershy se rendit chez Twilight. Elle ouvrit la porte. Elle regarda à l'intérieur. Elle était seule. Elle trotta un peu puis elle réfléchit. Elle se rendit compte qu'il faisait nuit. Honteuse, elle ressortit en silence."

En cas d'ambiguïté, on répète le nom complet :

"Fluttershy se rendit chez Twilight. Elle ouvrit la porte. Elle regarda à l'intérieur. Twilight n'était nulle part. Fluttershy trotta un peu puis réfléchit. Twilight devait dormir. Honteuse, elle ressortit en silence."

Notez déjà que j'ai effacé un "elle" pour laisser vide. C'est le "puis réfléchit". Bon c'est un détail mais à quoi bon répéter des elles, si c'est toujours le même sujet c'est inutile : "Elle ouvrit la porte, regarda à l'intérieur..." On a un tas de connecteurs, "puis, après quoi, avant de, pour, et" et j'en passe au besoin.

Notez surtout qu'à la fin j'ai envoyé l'ambiguïté balader : pas besoin d'un énième "Fluttershy", on comprend que c'est Fluttershy.

Plus précisément, le texte a donné suffisamment de contexte avant de réintroduire le "elle" pour qu'on sache qu'on parle d'elle avant même de le lire : oui, je parle du "honteuse". Conjugué au féminin, cet adjectif contient toute une phrase qui dit "tel personnage a honte". Le lecteur est donc forcé de faire l'hypothèse "de qui on parle" à ce moment-là déjà, et comme c'est difficile d'avoir honte quand on dort, et que Fluttershy est légèrement en décalage horaire, le lecteur conclut que c'est Flutty'. Donc, au moment où j'écrirais "Fluttershy", le lecteur le saurait déjà. Pas besoin de me fatiguer, je remets "elle" et baste.

Testez. Normalement, "Twilight devait dormir. Elle ressortit en silence, honteuse" devrait être ambigu, au moins le temps d'atteindre "ressortit" (on ne ressort pas quand on dort), et demande donc plus d'efforts.

Je reprends vite pour les moins attentifs : (1) par défaut on se réfère au sujet précédent, (2) c'est une hypothèse révisable et (3) le contexte nous dit qui c'était vraiment. Avec plus ou moins d'efforts.

Maintenant, il faut savoir que ça m'a démangé d'écrire :

"... Fluttershy trotta un peu puis réfléchit. Son amie devait dormir. Honteuse..."

Ceci est une description. Ça demande plus d'efforts que juste "Twilight". Des amies Fluttershy en a cinq, il n'y en a qu'une en contexte donc c'est Twilight mais c'est déjà un bref détour. Alors pourquoi je demande cet effort au lecteur ?

Eh bien, déjà, parce que je suis en train de rapporter les pensées de la petite. Elle est en train de réfléchir, on veut savoir ce qu'elle pense. De même, "son" est un possessif, je parle donc en fait toujours de Fluttershy. "Sa maison", "son lapin blanc"... Ça me permet de maintenir l'attention du lecteur sur Flutty'.

Mais surtout, je suis en train de rappeler le contexte. À l'instant même où j'explique que notre timide préférée (paf description) a débarqué en pleine nuit comme une malpropre, je rappelle au lecteur sa relation avec l'autre personnage. Elles sont amies, du coup forcément qu'elle est honteuse d'avoir fait ça -- sans pour autant s'affoler. J'ai besoin que le lecteur ait cette information en tête.

Yup, toujours l'inférence. Je décris le personnage pour m'assurer que ce soit ce détail de Twilight auquel le lecteur pense lorsque je la mentionne.

On réessaie ?

"Fluttershy se rendit chez son amie Twilight. Elle ouvrit la porte et regarda à l'intérieur, mais la jeune pégase était seule. Trottant un peu, elle réfléchit et se rendit compte qu'il faisait nuit. Honteuse, elle ressortit en silence."

À chaque fois je me suis demandé "est-ce que je vais décrire ?" Et je dis bien à chaque fois. Et à chaque fois je me suis demandé "quels détails je veux mettre en avant ?" Et également "quel va être l'effort ?"

C'est pour cela notamment que je conserve le "elle" après Twilight. C'est ambigu mais pas beaucoup, j'exige au moins ce degré d'attention à mon lecteur. J'aurais voulu mettre "la timide jument", appuyer sur le côté timoré du fait qu'elle enfreint l'espace personnel de Twi', mais une description juste après le nom de Twilight aurait prêté beaucoup trop à confusion. D'ailleurs "mais la jeune pégase..." est encore trop ambigu. "Pégase" est censé faire conclure automatiquement à Fluttershy, mais le lecteur n'a pas ce degré d'attention et, tout comme Fluttershy, il s'attend à trouver Twilight. Du coup il s'attend... bah à ce qu'après le "mais" ce soit Twilight.

Pourquoi je m'entête à placer ma description là, à part une bonne dose de sadisme ? Parce que "elle est seule" est un moment de drama, la solitude, l'inquiétude, la fragilité, tout ça. Je veux donc rappeler au lecteur qu'on parle de Fluttershy, qui s'inquiète pour un rien. Et comme "timide" serait trop... euh... brut, on va dire, je dis juste qu'elle est jeune. "Pégase" sert à dire que c'est elle, pas Twilight, mais une fois encore ne vous y trompez pas, parce que le lecteur lui va s'y tromper.

Notez également que j'ai mis "son amie Twilight", une fois encore pour leur relation et donc les réactions de Flutty' à son intrusion. Sauf que là c'est placé à la truelle et ça se sent quand même pas mal...

Enfin, pour les deux derniers "elle", la question ne s'est pas posée. À chaque fois j'ai senti qu'une description supplémentaire serait de trop. Le lecteur a déjà dû résoudre l'énigme de la "jeune pégase", et je n'ai pas d'information nouvelle à lui transmettre. J'aurais pu faire "trottant un peu avec ses petits sabots crème (assombris par les ombres de la pièce)" mais ça contrasterait avec le reste de la narration dépourvue de description.

Ce qui me pousse qu'il y a un quatrième moyen de se référer au personnage : le passif. Par exemple, "La porte s'ouvrit." À moins que ce ne soit une histoire de fantômes ou qu'il y ait un courant d'air, on se doute que c'est Fluttershy qui a poussé le battant. Eeeyup. Mais là ça demande particulièrement beaucoup d'efforts, donc à moins que vous ne sachiez ce que vous faites, je déconseille d'utiliser le passif. Moi en tout cas je l'évite.

Je répète donc ma démarche :

1) Toujours donner le nom en premier
2) Toujours donner une description juste après
3) Par défaut, employer le pronom
4) À chaque fois, se demander s'il faudrait décrire
5) Se demander quel détail mettre en avant ; quel effort ça demandera au lecteur

Sachant qu'il y a d'autres manières de décrire le personnage et son état, une fois encore, en détaillant ses gestes ou son environnement. Pourtant, on a tous ces temps-ci le besoin viscéral d'écrire "la jeune princesse" et compagnie, tout simplement pour mettre un panneau "ceci est un texte post-S4", tout comme on n'arrêtait pas de dire "l'alicorne violette" après la S3. En y repensant punaise on craint, genre maintenant qu'elle a un château c'est une princesse... okay... non mais juste okay... juste...

Bref.

Ceux qui ont déjà un peu de mou dans le poignet et l'habitude de la plume trouveront que j'ai dit pas mal de banalités, et noteront que comme toutes les règles, il y a moyen de jouer avec. Notamment surprendre le lecteur, bla, bla, bla... mais pour ceux qui débutent ou qui voudraient expérimenter, je me dis que c'est déjà un petit moyen de repère.

J'avais prévu de dire encore un truc sur la thématique et j'avais aussi envie de parler de réactualisation mais euh on va laisser ça pour une autre fois...

Pour le moment je suppose que je vais juste conclure par, fanficers,
à vos plumes !

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Sangohan38
Sangohan38 : #3009
Mais que se passe-t-il, je comprends le renard maintenant !
Plus sérieusement, en tant que traducteur, c'est un problème que j'ai plusieurs fois rencontré avec le pronom indéfini et la traduction littérale que ça donnerait. J'ai aussi eu ce soucis pour essayer de gommer les répétitions qui visiblement ne gênent pas les anglophones. Mais là, avec ton article, ça donne des idées pour contourner ces problèmes.

Bref, merci de partager ton savoir mais tente d'être un peu plus à la portée des néophytes car c'est sincèrement le deuxième article que je comprend de bout en bout. Les autres avaient des sujets obscures ou des équations bizarres.
Il y a 4 ans · Répondre
BroNie
BroNie : #3008
Sinon, y a une autre technique pour éviter la confusion des pronoms : continuer à lire/à écrire jusqu'à ce que le doute soit levé.
Il y a 4 ans · Répondre

Quelques statistiques

L'article a été visualisé 356 fois depuis sa publication le 11 août 2014. Celui-ci possède 2 commentaires.

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À propos

Renard râleur, linguiste critique et correcteur, traducteur, littéraire et logicien.

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