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La tension ? Aller aux commentaires
30 août 2014

Hi'.

Quand j'ai écrit mon article sur le plan -- qui doit être pénible, même moi à la relecture j'ai arrêté au premier tiers -- j'ai tout de suite voulu enchaîner avec la question de la "tension".

J'avais parlé de la structure "problème-solution", qui disait en gros qu'en tout point du texte le lecteur devait avoir un problème à résoudre. Par exemple, savoir qui est ce mystérieux poney qui vient de saluer notre héroïne dans la rue, ou si la police arrivera à temps pour arrêter les casseurs, ou comment finit la première guerr- non attendez je vais carrément sortir l'artillerie lourde : Dinky Doo n'a plus de doudou. Mec, 'faut lui trouver un doudou, l'avenir de l'univers en dépend !

Il y a un problème à résoudre ? Le texte a une tension.

La tension est en gros l'intérêt, l'intensité du texte. C'est ce qui pousse le lecteur à vouloir tourner la page pour lire la suite, et cela pour les romances, les comédies, les aventures, les grimdarks...

Classiquement, on a trois types de tension : "suspense", "curiosité" et "surprise". Le suspense consiste à se demander "qu'est-ce qui va se passer ensuite". La curiosité consiste à se demander "mais qu'est-ce qui s'est passé avant ?" Et la surprise consiste... à surprendre le lecteur. Le truc imprévu.

Dans les commentaires sur le plan, Toro' parlait d'une variation entre les moments "normaux" et les moments "sombres". C'est le principe du contraste et il faut aussi en tenir compte quand on parle de tension.

Là, je reprendrai l'exemple du hamburger de FiMFlamFilosophy oui ce mec est cool mangez-en. L'exemple va comme suit : vous avez faim. En supposant que vous aimez les hamburgers, on vous donne un hamburger. Vous avez moins faim. Génial ! Deux hamburgers. Encore mieux ! Cinq, dix, vingt hamburgers... euuuuuh... cent, mille, dix mille, un million, un milliard de hamburgers... y a un moment où trop c'est trop. Et la tension fonctionne de la même manière : tenter de maintenir la tension à son maximum est impossible, l'endurance humaine a ses limites. C'est pour ça qu'on aménage des "pauses", des moments plus calmes dans le texte où souffler avant de reprendre l'autoroute.

Et maintenant, la question qui démolit tout.

...

Comment on calcule la tension d'un texte ?

Non non arrêtez de rire, je pose la question sérieusement. La littérature a pour ambition de pouvoir juger un texte "objectivement", c'est-à-dire indépendamment de notre petit avis personnel. Et il faut d'autant plus se méfier qu'on a ce préjugé du "le texte n'est pas 'tendu' s'il ne s'y passe rien". Dans l'ouvrage 1984 au final il ne se passe pas grand-chose... ouais. Ouais.

Donc, indépendamment de si on a aimé ou pas, peut-on dire si un texte a ou non une "tension" ?

Honnêtement je ne sais pas.

Normalement, la structure "problème-solution" serait une réponse assez simple. Si le lecteur doit résoudre un problème alors forcément qu'il y aura une tension. Cela fonctionne d'autant mieux si on l'applique à très court terme -- et si on le lie à l'enjeu du texte. Je m'explique.

Imaginons un groupe d'aventuriers qui doit aller tuer un dragon. Déjà, évaluons la tension : on a un problème, il y a donc une tension. Après chacun pense ce qu'il veut : depuis "ouaaais, encore un dragon, woohoo c't'originalité" jusqu'à "ils vont teeeellement se faire meuler ça va être un truc de fous". Moi, en tant que critique, je dirais que le problème est trop général, que du coup il manque de potentiel, qu'il faudrait le personnaliser, lui donner des particularités... mais si c'est votre premier texte d'aventure et que vous n'avez pas l'habitude de voir les dragons tomber comme des mouches, alors sûr, ça promet d'envoyer du pâté.

Maintenant, imaginons que durant plus de six pages on traîne dans la ville de départ. On évalue la tension : je... ne vois pas le problème, donc pas de tension. Le lecteur va juste se demander en boucle "qu'est-ce qu'on fout encore là, on devrait déjà être parti !" Et du coup il a surtout envie de sauter des paragraphes.

Cela signifie que le problème à long terme est le seul qu'il doit résoudre : tuer le dragon. Et comme il n'a pas de problème à plus court terme à régler, bah il veut aller tuer le dragon. Là, tout de suite.

Mais bien sûr, l'auteur a un plan.

Par exemple, le paladin va tomber amoureux de la boulangère. Le texte va alors poser deux problèmes au lecteur : le premier, au niveau de la curiosité, "qu'est-ce qui se passe avec le paladin ?" On va mettre en scène qu'il y a un problème avec lui, jusqu'à la solution qui est l'amour (ch'est meugnon) ; le second, au niveau du suspense, "est-ce qu'il va rester ou partir ?" On va mettre en scène son dilemme, entre rester en ville ou suivre le groupe jusqu'au dragon.

Ne le cachons pas, moi personnellement la romance me passe par-dessus la tête, je serai toujours en mode "quand est-ce qu'on paaaaaaart..." mais objectivement le texte a posé plusieurs problèmes à court terme que le lecteur se retrouve à devoir résoudre. Et pour peu que le lecteur accepte de s'y intéresser, il va pouvoir accepter de piétiner en ville encore quelques pages.

Il l'acceptera d'autant plus que c'est lié au problème à long terme, aka "tuer le dragon". Eh oui, sans paladin le groupe est affaibli d'autant, et leur quête mise en péril.

La logique est la suivante : le texte m'a promis qu'on allait tuer un dragon. Si j'ai décidé de lire le texte, c'est donc que j'ai envie d'aller tuer un dragon. Le texte me dit qu'il y a un obstacle à surmonter pour aller le tuer. C'est le problème "à court terme". Je suis intéressé à aller le tuer, je vais donc être intéressé à surmonter cet obstacle. Du moment que je vois le lien entre les deux, je vais donc me concentrer sur ce problème "à court terme".

Parce que si le problème est sans rapport avec l'intrigue... comment dire... soudain on apprend que le chef du groupe a deux maisons en ville qu'il loue mais que l'un des occupants n'a pas payé son loyer, et... on passe deux pages à l'écouter en discuter à la taverne... non mais je suis sûr que ça nous présente bien le personnage mais on n'était pas censé aller je sais pas tuer un dragon ou quelque chose ?!

Une fois encore, même si c'est sans rapport ce peut être très intéressant. Je veux dire, les chefs de groupe qui font aussi de l'immobilier c'est plutôt rare et notable.

Mais là on veut des mesures "objectives" de la tension d'un texte, et quelque part, si on y réfléchit, on s'intéresse à l'immobilier parce que ça nous dit qui est le chef du groupe, et donc comment il peut réagir au moment d'affronter le dragon. En fait (rappelez-vous la pertinence) on peut partir du principe que le lecteur cherchera de lui-même à établir un lien entre le problème "à court terme" et celui "à long terme" de l'histoire. On peut même dire que s'il n'y a pas de problème, le lecteur cherchera d'instinct à en créer un.

Donc si je devais donner deux mesures :
1) Plus le problème est "à court terme", plus la tension est forte.
2) Plus le problème est lié à "l'intrigue" (le problème à long terme), plus la tension est forte.

Il est ainsi possible d'accumuler les niveaux de "problèmes" : 1) On doit aller tuer un dragon, 2) Y a un camp de gobelins sur le chemin, 3) Y a un guetteur dans l'arbre, 4) Le vent porte du mauvais côté. On en est donc au paragraphe où le personnage à deux doigts d'être repéré doit éliminer le guetteur gobelin sans donner l'alerte, et même quand il l'aura fait ils auront encore tout un camp à traverser (et le rapport avec le dragon je le vois toujours pas mais tant pis).

Et jusqu'ici on a parlé de la partie "problème" mais pas de la solution.

Déjà, "à court terme" signifie que la solution est censée arriver très vite. Parfois d'ici une à deux phrases. Ce n'est pas pour autant que c'est très intense : "Soudain deux gardes surgirent par la porte ; machine frappa du sabot le premier puis culbuta le second." Vala', en une phrase c'est réglé, mais c'était un problème à super-très-court terme, et c'est justement pour ça que je dois insister sur la solution.

La tension d'un texte se mesure au problème qu'il pose, et plus le problème est ardu, plus le surmonter sera satisfaisant. C'est le bon vieux "à vaincre sans périls on triomphe sans gloire" du Cid. Si le lecteur ne voit pas la solution, il va beaucoup plus accrocher que s'il fait "nan mais deux coups d'épée c'est réglé".

Mais si la solution est décevante ?

Il y a un camp de gobelins, du coup on ne peut pas passer. On fait des pieds et des mains et... on passe quand même. Les gobelins n'ont même pas été alertés de notre présence ou s'ils l'ont été, on les a tous tués... les mecs. Ça a servi à quoi ?! Et vous savez, il existe une école de pensée qui consiste à dire qu'on est là pour être distraits, donc qu'est-ce qu'on s'en fiche d'avoir un but, on a massacré du gobelin, toutes les excuses sont bonnes ! Je veux bien. Mettons.

Mais maintenant, imaginons qu'en traversant le camp de gobelins on découvre qu'ils ont été chassés par le dragon loin de la montagne / qu'ils sont en route eux aussi pour tuer le dragon / qu'ils ont capturé un bébé dragon et qu'ils s'amusent avec...

Ou même sans ça, le groupe est forcé d'abandonner ses montures / a son mage blessé ou rendu fou par une lutte avec le shaman d'en face / pactise avec les gobelins pour aller tuer le dragon (en échange de son trésor). Ah ouais tout de suite la quête secondaire là elle n'a pas servi à rien !

Et je dois encore insister sur la facilité, même si ce râlage n'est pas très utile... mais si vous donnez une solution plus simple que celle du lecteur, il va être déçu. Le problème lui promettait une solution à la hauteur, et vous n'avez pas tenu l'engagement. J'en avais parlé, non ? Les histoires de bombes. Eh bien on y revient. Vous avez pu créer un problème pas possible, la tension est à son comble... et la solution est toute moisie. Le problème est alors qu'au prochain problème que vous poserez, le lecteur risque de s'attendre à ce que, cette fois, la solution ne soit pas à la hauteur... du coup c'est plus facile de remplir votre engagement, mais ça signifie aussi que pour lui la tension est bien moindre.

Là s'il vous faut un exemple je n'aurai qu'à citer mon râlage sur FO:E...

On peut donc créer de la tension sur le moment, c'est la partie "problème", et plus c'est à court terme, et lié à l'intrigue, plus c'est intense. Mais cette tension doit être résolue est la solution doit être :
1) À la hauteur.
2) Liée à l'intrigue.
Si la solution n'est pas à la hauteur des attentes/promesses, la réaction du lecteur devrait être "tout ça pour ça ?" Et une fois encore, on peut être partisan du "ce n'est pas la destination qui compte, c'est le voyage" mais quand même, on aimerait bien arriver quelque part.

Voilà pourquoi, en parlant du plan, j'ai fait tous ces détours et surtout, j'ai parlé de cette structure "problème-solution". C'était une autre manière de parler de tension, et le plan est un outil formidable pour savoir quand poser un problème et quand le résoudre.

Et bien sûr, je suis forcé d'avertir encore une fois.

Le lecteur n'a pas du tout la même vision que l'auteur.

Là où on est persuadé d'avoir posé un problème, il est fort possible qu'il n'en voie aucun et qu'il se demande pourquoi on passe deux ou trois paragraphes à décrire ce salon de palais. Le lecteur lit le texte avec ses propres attentes et du coup tout votre dispositif peut s'effondrer bien malgré vous.

Et je n'ai pas abordé un élément important dans cette histoire de tension, un élément que je ne maîtrise pas du tout : le personnage.

Alors que je ne m'y intéresse pas du tout, le personnage est en fait presque un clé de la tension. Une situation en elle-même, peu importe sa joie ou son horreur, n'a aucune tension si les personnages n'y réagissent pas. Plus le personnage réagit aux différentes situations, plus le lecteur aura de chances de réagir lui-même. Je déteste ça parce que le personnage sert alors d'énorme panneau "veuillez rire/pleurer maintenant" au lecteur, mais je me suis fait la réflexion suivante.

Dans la saison 9 de Doctor Who (classic), le doc' a fait exploser la base des méchants et on l'a vu être récupéré par les humains. Là on annonce à la radio avoir récupéré "deux hommes", et l'assistante du doc' demande avec un début de sanglot si le doc' en fait partie.

Je me suis d'abord dit "ouais encore un truc pour nous faire nous inquiéter... sérieux c'est Who, il peut pas mourir (non vraiment il ne peut pas)." Et puis je me suis rappelé que l'épisode nous avait montré explicitement qu'il était déjà en vie et à l'abri. Le but n'était pas de créer une fausse tension (un problème déjà résolu). C'était vraiment un personnage qui s'inquiète (et qui venait de traverser pas mal d'événements). Je me suis rendu compte qu'elle avait raison au final de réagir comme ça, et je me suis retrouvé en situation de "suspense", à vouloir voir leurs retrouvailles.

Comme quoi...

...

Vous savez, en commençant cet article je pensais n'avoir pas la réponse à la manière d'évaluer la tension d'un texte. Je n'ai toujours pas la réponse, juste une esquisse, et pas sûr qu'elle soit bonne. J'avais mis un point d'interrogation surtout pour demander l'avis des autres auteurs, comment vous faisiez pour juger quand votre texte était "intense" et quand il ne l'était pas.

Et je maintiens ma question ouverte, au final, surtout sur un sujet aussi ardu. Mais je suis quand même satisfait de ces quelques précisions, même si au final elles font pâle figure face, fanficers,
à vos plumes !

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BroNie
BroNie : #3731
"Vous savez, en commençant cet article je pensais n'avoir pas la réponse à la manière d'évaluer la tension d'un texte."

Ca, ça marche bien : [lien]
Il y a 4 ans · Répondre

Quelques statistiques

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À propos

Renard râleur, linguiste critique et correcteur, traducteur, littéraire et logicien.

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