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Jouer avec les mots. Aller aux commentaires
10 avril 2015

Hi'.

En 1906-1910 un certain Ferdinand de Saussure inventa le mot. Puis il mourut. Puis il y eut une guerre mondiale. Puis une seconde. Et bon d'accord il a pas causé tout ça mais il a quand même causé la linguistique moderne donc ça compte. Pourquoi je vous dis ça ? Parce que je l'ai ponifié en Pferdinand de Spur et j'ai jamais su où le placer.

Non plus sérieusement c'est parce que la définition du mot est fondamentale. Et elle est essentielle à vos textes :

1) Khorzal était un tueur apprécié par le peuple.

Navré pour l'exemple pas trop équin mais là spontanément si c'était un début de texte il serait très intéressant. On a un peuple qui valorise les tueurs, mh pas mal : peuple barbare ? Peuple d'intrigues ? Une critique moderne peut-être, à la Kira. Nope, rien de tout ça. L'auteur a dit "tueur" pour dire "guerrier", Khorzal est un héros classique dans un peuple classique, ça ou alors un nain dans Warhammer.

Que s'est-il passé ?

 

1
Sens et signification

Quand on parle de mots, de lexique, de vocabulaire, les gens se figurent un dictionnaire avec la liste des mots et leur définition. Cette, ou ces définitions, ce sont les "significations" du mot. Dans l'absolu, le mot il veut dire ça. Par exemple si je dis "poney", la signification c'est :

subst.masc. Cheval de petite taille, à crinière épaisse, trapu et vigoureux, appartenant à diverses races et utilisé pour l'équitation, l'attelage ou le sport (notamment le polo).

C'est le tlf qui le dit alors c'est la vérité vraie.

Laissons les poneys un instant et retournons à notre mot, "tueur", qui signifie tantôt le banal fait de tuer et tantôt un m'sieur très pas bô. Où est la signification du mot ? Par réflexe, on pensera que la définition est un dénominateur commun, c'est le point commun entre tous ceux qui parlent le français : le sens serait la "valeur ajoutée". Donc la signification de "tueur" serait le banal fait de tuer.

Euuuuh... c'est vrai pour le verbe, par exemple "tuer un insecte" ou "tuer le temps", mais ce n'est pas vrai pour le nom. Le héros "tua son ennemi" mais n'est pas un tueur. Le bourreau tue les condamnés mais n'est pas un tueur. Le soldat est entraîné à tuer mais n'est ni un tueur ni un assassin. Tout ce beau monde peut être un tueur, mais ça signifie qu'on ne les aime pas, qu'on les désapprouve et qu'on leur pisse dessus. Yup, par défaut un "tueur" désigne un méchant pas bô. Et ce n'est pas tout :

2) Le tueur s'approcha de sa victime.

Qu'est-ce que vous voyez ? Un couteau qui s'approche d'une dame qui prend sa douche ? Le tout en noir et blanc ? Combien d'entre vous ont pensé qu'on parlait ici d'un loup s'approchant d'un mouton ?

Laissez-moi expliquer le problème autrement. Quand on parle de poneys, ici, la première chose qui vous vient en tête c'est des choupinettes en sucre guimauve sous bad trip et licence commerciale. C'est la première chose à laquelle vous pensez -- je me promène en forêt, je vois des traces de sabot sur le sentier, je me mets à rire bêtement -- c'est ce que, pour vous, le mot signifie par défaut.

(D'ailleurs, le tlf nous dit que "poney" est un emprunt de l'anglais qui a lui-même emprunté à l'ancien français *poulenet, dérivé hypothétique de poulain, aka "petit du cheval" pour dire "petit cheval", on en apprend tous les jours...)

On l'a observé scientifiquement, et l'exemple canonique est l'oiseau. Quand on dit "oiseau", les gens ont tous l'idée d'un oiseau qui leur vient en tête. Mais TOUS ont un oiseau différent. Pour certains c'est l'aigle, pour d'autres le pigeon, pour d'autres le moineau ou le perroquet... ce sont les oiseaux qu'ils connaissent le mieux, les plus représentatifs, les premiers qui leur viennent en tête ! Vous en avez tous un et chez chacun il est différent. Et pourtant, cet oiseau-là est ce que, pour vous personnellement, le mot oiseau "signifie". Ce cas particulier est sa "signification", au même titre que le couteau en noir et blanc sous la douche.

Vous voulez un dernier exemple ? Allez, retour à l'époque où j'étais haut comme trois pommes sur les bancs d'école :

3a) Il versa un verre de liquide.
3b) Le liquide pétillait dans son verre.

Ouais donc là en l'occurrence on parle de vin. Hein. C'est utile de préciser parce que normalement en (3a) vous avez dû faire une sacrée tête. Pourtant le même mot, "liquide", passe très bien en (3b). Pourquoi ?! Enfant, pour moi ça n'avait pas le moindre sens. Adulte... c'est difficile à expliquer.

Le "sens" d'un mot est le sens qu'il prend selon les emplois réels. Il y a donc autant de sens qu'il y a d'emplois d'un mot, et cela pour les 400'000+ mots du langage. Et on ne peut même pas se fier à la "signification", qui est censé être le point de repère commun puisque ce point de repère n'est qu'un emploi par défaut, particulier à chacun. Solution ? Apprendre la liste par coeur. Ça prend des années mais eh, je suis sûûûûr que votre texte peut attendre.

Ou alors on comprend comment tout ça fonctionne.

 

2
Le champ sémantique

Jusqu'à présent on a tourné le couteau dans la plaie : on a des mots, ils prennent différents sens, on sait pas comment ni pourquoi et ça pourrit nos textes.

Comme je nous ai abandonnés sur les bancs d'école bah restons-y et voyons ce que nos cours de français nous disent. Déjà ils vous disent de suivre les cours, désolé c'était la seconde de morale de papy Edone. Redevenons sérieux : parmi la boîte à outils de la littérature, il y a ce truc appelé "champ sémantique". Je résumerai ça par : "une suite de mots qui évoquent la même idée". Application :

4a) Pinkie sautillait et chantonnait sous le beau soleil de Ponyville, avec un sourire pour les autres passantes.

Quelle est l'idée évoquée ? Oh je ne sais pas...

4b) Pinkie traînait la patte parmi les ombres des maisons et baissait la tête sous les regards des passantes.

Là c'est un peu plus clair comme principe ? Dans les deux cas on a une jument qui se déplace dans le village, mais curieusement y a comme un genre de, je sais pas, différence. Alors que nous dit le champ sémantique ? Que c'est une suite de mots qui est en cause. On peut les lister.

4c) "sautillait" ; "chantonnait" ; "beau" ; "soleil" ; "sourire"
4d) "traînait" ; "ombres" ; "baissait"

Le point commun entre ces mots ? Une idée de "joie", contre une idée de "tristesse". C'est ce que moi j'appelle la "saturation" : à force de répéter la même idée le lecteur finit par la remarquer. Donc je fais en sorte que touuuuus les mots de la phrase quasiment répètent la même idée en filigrane et en général le message passe. Alors pourquoi le faire comme ça plutôt que de dire immédiatement "Pinkie était triste" ou "Pinkie était joyeuse" ?

Il y a d'autres raisons mais et si nous voulions dire "Pinkie était une tueuse" ?

Aaaaaah là ça devient intéressant ! Un mot seul, on n'est jamais sûr de ce qu'il veut vraiment dire. Même si on avait un certificat de l'Académie, on ne sait jamais comment notre lecteur le comprendra. Alors, pour éviter les malentendus : on le place parmi d'autres mots évoquant la même idée.

4e) Pinkie apaisait les poulains trop malades ; elle était tueuse à l'hôpital, responsable des euthanasies.

Trois manières de dire la même chose : la version édulcorée "elle apaise les malades", la version technique "elle est responsable de tuer les patients" pour ceux qui n'étaient pas encore allé voir 'euthanasie' sur le wiki', et la version qu'on veut que le lecteur apprenne, "tueuse". On a insisté très fort pour que quand on dit "Pinkie était une tueuse", le lecteur comprenne "employée à l'hôpital... à tuer des gosses".

Petit remarque -- pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je grave "après c'est trop tard" sur tous les fronts que je croise -- on peut se demander à quel moment mettre le mot qu'on sait pas comment le lecteur va le comprendre :

4f) Pinkie apaisait les poulains trop malades ; responsable des euthanasies, elle était tueuse à l'hôpital.
4g) Pinkie était tueuse à l'hôpital ; responsable des euthanasies, elle apaisait les poulains trop malades.
4h) Pinkie était une tueuse. Elle apaisait les poulains trop malades à l'hôpital, à l'aide d'injections.

Un champ sémantique peut s'étendre sur plusieurs phrases, voire plusieurs paragraphes, mais là on n'a qu'une phrase alors faisons preuve d'imagination : en (4f) le lecteur a été graduellement préparé à l'idée que Pinkie tue. Le terme est bizarre mais au moins il est honnête. En (4g) la première réaction devrait être "euh wat" et ensuite "à l'hôpital" aaaah d'accord, j'ai pu me tromper, j'ai cru que tu disais que ma petite fêtarde toute gentille avait des cadavres sous son tapis. L'explication vient (très) vite mais la surprise demeure.

J'ai rajouté (4h) pour montrer un cas où elle tue toujours des poulains à l'hôpital, de la même manière mais va savoir pourquoi c'est pas la même ambiance. C'était déjà assez triste avant mais là c'est carrément criminel. Pourquoi ? Parce que "responsable" sous-entend qu'on le sait, qu'on l'y autorise voire que c'est son boulot. Ce que sous-entend également "tueuse à l'hôpital", un peu comme on dirait "mangeur de fromage à la cour de Celestia", soudain la passion pour le fromage devient un métier, en l'occurrence "goûteur". Ou autre.

Une fois encore, ça se joue à quelques mots. 

Le champ sémantique n'est donc déjà pas sûr à cent pour cent, on peut croire avoir clarifié les choses alors qu'on a utilisé d'autres mots qui posent problème. De plus, à moins d'avoir l'habitude, il faut penser à utiliser un champ lexical (aka utiliser d'autres mots) et du coup soit on le fait partout, avec un texte qui gonfle comme une baudruche, soit il faut savoir par avance quels mots peuvent poser problème. Si on le savait on se contenterait d'utiliser un autre mot.

Aussi, le champ sémantique ne repose pas que sur les mots. Si on reprend l'exemple (4b), on a aussi des expressions :

4b) Pinkie traînait la patte parmi les ombres des maisons et baissait la tête sous les regards des passantes.
4i) "traîner la patte" ; "dans l'ombre", "baisser la tête" (ou les bras), "subir les regards"

Et il est également possible d'évoquer une idée sans même utiliser d'expressions ou de mots, mais à l'aide de la seule grammaire :

4j) Il faisait beau. Les enfants jouaient. Les murs se coloraient de dessins. Sur le tableau, on avait dessiné un soleil qui souriait.

Phrase courte, ponctuation au niveau de la mort clinique, y a un cadavre dans le placard c'est pas possible prends tes antidépresseurs ! Et pourtant, tous les mots sont positifs. Petit exercice pour vous, il est possible de faire la même chose avec notre Pinkie tueuse/euthanasi-quelque-chose. Pour les autres, on avance.

 

3
La définition du mot

Le champ sémantique est une jambe de bois pratique quand on est désespéré : on entoure un mot d'autres mots pour qu'on comprenne de quoi on parle. Mais la majorité du temps soit on n'a pas la liberté de le faire, soit on n'y pense pas -- parce que "tueur" ça veut dire "tueur", pourquoi je me fatiguerais...

Ou alors c'est juste qu'on ne comprend toujours pas comment ça fonctionne.

Ouais on n'y coupera pas.

Je vais donc vous donner la définition du mot et vous allez me faire le plaisir de, étape un, faire semblant de la lire ; étape deux, hocher la tête avec un grand sourire et ; étape trois, l'oublier dans les trois secondes. Non mais attendez que je la donne aussi...

Déf. : Le mot est le rapport entre un objet formel, ensemble de symboles, et un objet conceptuel, ensemble de concepts.

À l'écrit -- parce qu'on va en rester à l'écrit si vous voulez bien -- l'objet formel (ou "graphique) c'est la chaîne de lettres de l'alphabet et autres ponctuations. "Patate" est un objet dont l'ensemble est {"p", "a", "t", "a", "t", "e"} ou quelque chose comme ça, jusque-là c'est pas compliqué ça correspond à l'intuition.

Okay, comment on sait où le mot commence et où il s'arrête ?

Intuitivement on dit que le mot se trouve entre deux blancs. Sauf qu'on a "pomme de terre" qui, à moins de défier le bon sens, ne fait qu'un mot ; et on a le Moyen Âge qui écrivait toutattachéetoncomprenaitquandmême. Moins pratique mais ça passait et on gagnait de la place sur le papier kikoutaichèr. Donc si c'est pas le blanc c'est quoi ?

Eh bien c'est le second objet, que moi j'appellerai "objet mental" et on s'en fiche du nom, ça correspond à l'idée qu'évoque le mot. C'est cet objet mental qui nous permet de retrouver l'objet graphique, et inversement c'est l'objet graphique qui nous permet de retrouver l'objet mental. Exemple ?

5) Rarity avait reçu une pomme de...

Une pomme de quoi ? Vous pouvez décider que l'objet graphique est "pomme", et donc l'objet mental est, ben, une pomme. Mais si l'objet mental est une pomme de pin alors l'objet graphique est "pomme de pin" et vous vous êtes planté. À ce stade vous n'êtes pas sûr de l'objet mental et du coup vous ne pouvez pas être sûr de l'objet graphique, quand bien même il est potentiellement écrit à 100% noir sur blanc sous vos yeux. Yup.

C'est pour ça qu'on dit que le mot n'existe pas. Le mot n'est pas un objet, c'est un "rapport", c'est la relation qui unit l'objet graphique et l'objet mental, qui sont alors indivisibles, inséparables l'un de l'autre.

Au passage, vous savez à quoi ça fait penser ça ? Un objet formel en rapport à un contenu ? Bah au rapport "forme" et "fond" voyons ! Une distinction fondamentale dans l'analyse de texte.

Quand je vous disais que tout ça était fondamental.

Maintenant qu'on sait que l'objet graphique permet d'accéder à l'objet mental et inversement, et qu'on sait ce qu'est l'objet graphique, demandons-nous ce qu'est l'objet mental. On a dit que c'était un ensemble de concepts, d'idées ou, comme les barbares dans mon genre les appelle, de "sèmes". "Sème" comme dans "sémantique", comme dans "champ sémantique", aaaaaah tout s'explique ! Ouais, vous auriez dû vous demander comment le champ sémantique faisait pour, à partir d'une série de mots, évoquer une idée commune. La réponse ? Les sèmes.

Pour le comprendre, laissez-moi vous montrer un autre truc.

L'objet graphique est un ensemble de lettres. Qu'est-ce qui est un ensemble de lettre ? La phrase. Le texte. Ouais, le texte est techniquement un mot. Il fonctionne comme un mot, en tout cas. Il a donc aussi un objet mental, créé ad hoc (sur le moment, pour les besoins de la cause), il a donc un ensemble de sèmes. Ouais, comprendre comment le mot fonctionne, c'est comprendre comment fonctionne le texte.

Ce qui se passe avec le champ sémantique est donc que les mots qui composent le passage de texte lui fournissent une partie de leurs sèmes ; et de même, le passage de texte en retour fournit une partie de ses sèmes aux mots. C'est normal : ce sont ces sèmes qui nous permettent de retrouver l'objet mental, donc de découper les mots, donc de lire le texte. C'est un mécanisme inhérent à la lecture. Et c'est pour ça qu'on n'aime pas évoquer le clop en même temps que les bronies : le mot "brony" va activer le mot "clop" et inversement. Ce qui est paaaas forcément optimal.

Si je dis "Rarity", à quoi vous pensez ? Test de Rohrschach simple : c'est une jument, elle est belle (dixit Spike), c'est une artiste, elle vend des robes... Donc si j'écris :

6a) Rarity était une...

Comment vous faites pour compléter la phrase ? Le mot "Rarity" vous a fourni un tas de sèmes qui vous donnent le mot le plus probable. Le mot "tueuse" n'en fait pas partie, parce qu'il n'a pas de sèmes associés. Sauf si vous considérez le meurtre comme artistique. Ou au sens qu'elle faisait des ravages dans la gente masculine, je sais pas, on peut changer de sujet ?

J'ai besoin d'un adulte. D'urgence.

Inversement, comme dit, le "champ sémantique", la situation en gros, va fournir des sèmes pour le mot Rarity :

6b) La jument se tenait face à sa victime, le couteau en bouche. Rarity...

Est-ce que la première chose qui vous vient en tête est qu'elle vend des robes ? Non. "Victime", "couteau", les sèmes sont ceux d'une agression, d'un meurtre, y a un tueur ! Il ne vous reste plus qu'à choisir si Rarity est la "jument" ou la "victime".

6c) La jument se tenait face à sa victime, le couteau en bouche. Rarity était belle même dans la moooo- haine.

 

4
La valeur du mot

Je sais que ce qui précède est un gros morceau. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'un mot est un paquet de sèmes, que ce mot fait partie d'un mot plus grand (le passage de texte) auquel il fournit des sèmes et dont, en retour, il en reçoit. C'est important à comprendre pour comprendre l'histoire du liquide :

3a) Il versa un verre de liquide.
3b) Le liquide pétillait dans son verre.

La question n'est pas "quelle est la signification de 'liquide'" mais "quels sèmes le mot 'liquide' transmet" et reçoit. "Il versa un verre de..." nous dit déjà que c'est une boisson. En contexte on sait même que c'est du vin. Les sèmes du "champ sémantique" c'est ça, l'idée de boisson, l'idée de vin, avec le geste du serveur et tout. Est-ce que ces sèmes se retrouvent dans le mot "liquide" ?

Oui et non. Oui, il peut correspondre à une boisson raffinée là où le mot "parapluie" le pourra difficilement. Mais non, il peut désigner un tas d'autres choses et, du coup, il brise le champ sémantique. En fait, le mot "liquide" est en train d'ajouter ses propres sèmes qui ne sont pas ceux déjà présents : demandez-vous à quoi vous pensez par défaut quand on vous dit "liquide", moi vous allez rire mais j'ai des éprouvettes chimiques.

7) Il versa le liquide dans l'éprouvette.

Inversement, en (3b) c'est le mot "liquide" qui arrive en premier. On s'intéresse donc au liquide, à la matière même du vin, et en effet cette matière "pétille" : inversement, le pétillement nous confirme que c'est bien du vin. Et juste pour être sûr, le mot "verre" confirme qu'on parle bien d'une boisson. Même si au mot "liquide" j'avais pensé au slime de Ghostbuster, le reste de la phrase corrige le tir.

Autrement dit.

Le mot n'a pas de valeur par lui-même. Le sens qu'on lui donne dépend de l'emploi qui en est fait : il vaut "la valeur du passage moins la valeur de tous les autres mots", c'est ce qu'on appelle une valeur oppositive et j'espère que vous applaudissez mes efforts pour éviter tout langage logique.

Cela signifie qu'on peut contrôler le sens des mots. Ou à défaut mettre des filets de sécurité.

On va, pour tester ça, inventer un mot : "ga". Pour plus de difficulté, je décide que je dois faire apparaître ce mot dans mon prochain texte. Pour moi le sens est clair et je ne soupçonne pas un instant que vous n'en compreniez pas le sens.

8) Pinkie alla ga chez Twilight.

Semi-échec : vous avez compris que "ga" était un adverbe, parce que voilà vous connaissez la grammaire, mais c'est tout. Vous pouvez supposer, ouais, qu'elle alla "vite" ou "droit" ou peu importe, mais vous n'en savez rien.

Cet échec est dû au fait que je n'ai pas appliqué ce qui était écrit ci-dessus.

Ce mot fait partie d'un passage plus large. Ce passage plus large a des sèmes. Le mot, tout comme "liquide", doit donc partager les mêmes sèmes. Il doit pouvoir recevoir ces sèmes, il doit pouvoir en donner. Si j'écris :

8a) Pinkie se glissa ga chez Twilight.

Je n'ai ajouté aucun mot, "ga" est toujours autant dérangeant mais le simple changement de verbe vous permet de déduire ce que j'ai pu vouloir dire : pourquoi elle se "glisse" chez Twilight ? En cachette ? Discrètement ?

8b) Pinkie se ga discrètement chez Twilight.
8c) Pinkie ga la boîte à biscuits.
8d) Ga, Pinkie secoua la tête.
8e) Pinkie rendit un ga navré en retour à Twilight.

Je pourrais multiplier les exemples, et les smileys apparemment... mais le principe reste le même. Il y a un mot que vous ne comprenez pas, mais ce n'est qu'un mot : le reste de la phrase vous donne l'idée générale, les sèmes qui importent et que vous appliquez au mot mystère pour au moins en deviner le sens.

Corollaire : moins il y a de "mots", plus chaque mot a de poids.

C'est pour cela qu'on vous dit aussi de ne pas utiliser les verbes "être/avoir" ou les mots génériques de type "aller", ou encore de juste dire le nom du personnage. Plus vous spécialisez les mots, plus ces mots ont de chances d'être mal employés mais plus, aussi, vous contribuez au "champ sémantique" et plus il y a de chances que votre lecteur repère les bons sèmes. C'est ce qui différencie l'accident :

9a) Daring Do évapora son adversaire.

Où le lecteur corrige le tir pour vous parce que voilà ; et la catastrophe :

9b) Notre héroïne brisa la nuque sec et laissa- non regarda sa victime s'effondrer à ses sabots.

Je sais qu'elle vient de tuer un pas bô, maaaaaais... je sais pas, psychopathe ? C'est pas possible de s'être trompé sur autant de mots, là c'est volontaire. Après, vous pouvez penser que ça la rend "badass" et donc admirable ? Mais ça en fait juste une grosse tarée qui se douche avec le sang des cad- okay j'arrête.

 

5
tl;dr

Chaque mot de votre texte compte. Mais ce qui compte ce ne sont pas les mots, c'est l'idée générale que vous voulez en voir ressortir. Une sorte d'idée générale qui, au niveau du texte, s'appelle le "thème".

Si tous vos mots contribuent à cette idée générale alors peu importe qu'il soit faux, le lecteur sera capable de corriger pour vous. Le lecteur interprète vos mots, en trouve le sens grâce à cette idée générale, tout passe par ce filtre et donc tant que ce filtre, ce tamis de "sèmes" est actif, un mot mal employé ne sera qu'une petite bosse sur la route.

Ce qu'il faut maîtriser, donc, ce ne sont pas les mots, vous ne pourrez jamais vraiment prédire leur effet.

Ce qu'il faut maîtriser, c'est cette idée générale.

Voyez-le, si vous voulez, comme un filet de sécurité, mais c'est plutôt la grille de lecture de base dont le lecteur inconsciemment se sert pour comprendre votre texte. C'est quasiment le moteur qui fait tourner le texte ! Alors je sais que "tous les mots doivent correspondre au thème" peut sembler extrême, et ce l'est, que "votre texte doit dire la même chose tout du long" semble absurde, et ce le serait, mais c'est le principe.

10) Pour Pinkie Pie, la maternité de l'hôpital de Ponyville était synonyme de joie. Elle pouvait y côtoyer les toutes petites, les faire rire, voir les parents et les rassurer. Elle y allait le coeur léger les jours où on l'appelait, comme si on ne l'appelait jamais pour rien d'autre. Elle réconfortait les petits qui toussaient ou qui pleuraient sans cesse. Elle parlait avec le père, la mère, le père surtout. On la voyait souvent joyeuse avec son thermomètre. On voyait parfois la petite jument, bravement, quand toutes à part elle s'y étaient résolu, se rendre à la pharmacie pour y prendre une seringue et rejoindre à l'écart le poulain ou la pouliche endormie. Là, avec des larmes, elle restait un temps au côté du lit, à se rassurer elle-même, puis elle lui murmurait qu'on l'aimait quand même, et elle regardait la souffrance partir.

Une fois encore, je pourrais le dire plus directement, plus clairement, "Pinkie Pie tuait les bébés malades" mais va savoir pourquoi, ça peut potentiellement ne pas avoir le même impact.

L'important n'est pas d'utiliser des tas de mots compliqués : l'important est que le plus possible de vos "mots", de tout dans le texte en fait, dise la même chose, contribue à la même idée. Faites ça et vous pourrez vous autoriser toutes les anses de la victoire qu'il vous plaira.

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monokeras
monokeras : #17971
Vuld, tu aurais pu dire que Ferdinand était Suisse…
À tout seigneur…
Il y a 3 ans · Répondre
Brocco
Brocco : #17887
@ Vuld :

Il y a quand même un truc que je n’arrive pas à saisir. Par rapport à Klutu, tu disais que le terme "assassin" avait une connotation intrinsèquement négative. On peut donc en déduire que le champ sémantique dépasse le cadre que nous, auteurs, lui déterminons.

Le mot « tueur » a lui aussi une connotation négative, surtout dans un tel contexte, au contraire de "buveur" qui n’a aucun rapport avec la choucroute ou de "ga" qui est totalement immaculé. Et dans tes exemples, le mot "tueur" joue un rôle infamant et c’est la fonction principale qu’on lui donne. Tueur est rarement positif.

Par conséquent, si j’utilise "tueuse" pour qualifier l’action de l’euthanasie, ça signifie que de fait, je dois la présenter comme quelque chose de négatif et non un moyen de soulager les malades, nope ? Ou, dans le pire des cas, jouer sur une certaine ambivalence.
Modifié · Il y a 3 ans · Répondre
Vuld
Vuld : #17793
@Brocco Deux manières de te répondre.
La première : si tu n'aimes pas les soldats, tu peux les traiter de tueurs. Si tu n'aimes pas l'euthanasie, tu peux les traiter de tueurs aussi. Et, au passage, Pinkie n'aime pas l'euthanasie.
La seconde : tu peux inclure le mot "tueur" à ce champ sémantique comme tu peux inclure le mot "ga". Ou "buveuse". Pinkie met fin aux souffrances des foals malades, elle travaille donc à l'hôpital en tant que "buveuse". Le rapport avec le fait de boire ? Aucun. Mais désormais quand je dis "buveuse", dans cet emploi tu comprends ce que je veux dire.

Je pourrais appeler "tueur" le poney qui éteint les réverbères.
Il y a 3 ans · Répondre
Brocco
Brocco : #17790
Un article pas mal intéressant où j’ai appris pas mal de chose. Et d'ailleurs vraiment bien écrit, rendre la chose digeste ne doit pas être une sinécure.

J’ai toutefois une petite question : est-ce que le terme "tueur" peut vraiment s’inclure dans le champ sémantique de l’euthanasie ? C’est quand même un terme que l’on essaye le plus souvent d’éviter, au profit de circonvolutions plus ou moins hasardeuses ("praticien de fin de vie" par exemple). Au final, j’avais un peu l’impression de lire un contre-exemple de champ-sémantique-proche-mais-en fait-non.
Il y a 3 ans · Répondre
BurningShadow
BurningShadow : #17515
Article très intéressant, même si j'ai un peu de mal à tout digérer :) J'ai eu la bonne surprise de découvrir que j'appliquais déjà (par instinct) la plupart des conseils cités, même s'il me reste encore beaucoup à apprendre !

Sinon, quand j'ai vu l'histoire de Pinkie la tueuse, j'ai tout de suite pensé à "Smile HD" et "Cupcake HD". Dites-le moi si vous pensez que j'ai un problème, je comprendrais parfaitement.

PS: Au cas où l'envie vous prendrait l'idée d'aller voir lesdites vidéos, je préviens : âme sensible s'abstenir.
Modifié · Il y a 3 ans · Répondre

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Renard râleur, linguiste critique et correcteur, traducteur, littéraire et logicien.

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