Hi'.
Un screamer est, au sens large, l'apparition soudaine d'un élément qui fait peur (son, image, etc...). C'est une technique efficace pour provoquer une émotion (la peur) mais décriée parce que facile et flemmarde, souvent sans rien derrière, là où d'autres utilisent plutôt l'ambiance. Le screamer (au sens large) n'est pas une mauvaise technique, elle est juste généralement mal employée, mal maîtrisée, mal comprise.
Mais on est là pour parler de drama et, chance, c'est pareil.
Un texte est fait pour émouvoir, c'est ce que veut le lecteur, on demande du drame, de grandes scènes et des personnages expressifs. À ce titre mieux vaut en faire trop plutôt que trop peu et user de toutes les ressources disponibles pour frapper l'imagination. Il faut que ça pleure, il faut que ça crie, le plus sera le mieux.
Et puis parfois on va trop loin.
La série met cela en scène, en tant que ressort comique. Ainsi Rarity perd un objet quelconque et se met à geindre, un sabot sur le front avant de se pâmer dans son sofa. La réaction est surjouée, complètement disproportionnée et donc plutôt amusante. Rarity est une drama queen, une reine du drame, une chouineuse : elle en fait trop.
Il n'y a pas de frontière claire entre le drame et le drama, entre une réaction normale et exagérée. Par exemple, quand Twilight pleure sur le corps blessé et inerte de Celestia, ma réaction est "dans deux secondes elle sera debout et comme neuve", et je ne sourcille même pas. C'est subjectif, en l'état il est tout à fait justifié que Twilight pleure, c'est juste que je ne suis pas Twilight. Ce qui peut paraître triste à l'un ne l'est pas forcément pour un autre.
À ce titre ça dépend vraiment de ce que savent les lecteurs, ou de ce que sait l'auteur. Disons que le mane6 soit en vacances sur une île. Soudain, éruption volcanique. Elles font la chaîne pour jeter de l'eau sur la lave et arrivent à éteindre le volcan. Si vous n'êtes pas au fait des températures et échanges de chaleur... alors pas de problème. J'ai vu des enfants jouer aux Lego et faire voler des chevaliers en plate complète par-dessus les remparts du château. Combien de vous savent les contraintes pour un atterrissage sur porte-avions ? Et pour ceux qui demandent, non, il n'y a que dans Tintin qu'on fait sauter les capitales à la dynamite...
On a donc un problème.
Et tant qu'on attaque le problème sous l'angle de la connaissance, de la réaction à avoir dans telle ou telle situation, alors il n'y a pas de solution. Il ne reste plus qu'à apprendre une liste potentiellement infinie de cas et à prier pour ne pas se tromper le moment venu.
Mais j'aimerais aborder le problème sous deux angles différents.
Tout d'abord, j'aimerais que vous considériez le drama comme étant ce calcul simple : "la situation est triste, donc on pleure."
Il y a deux parties à ce calcul : la situation et la réaction. Et de fait le drama ne se trouve pas seulement dans la réaction. L'exemple le plus courant de drama de situation est quand l'auteur s'amuse à tuer un personnage pour faire genre. La mort c'est toujours triste, je veux bien, mais à force de voir ça partout ben ça lasse. C'est comme l'enfant qui crie au loup : à force que le loup ne vienne pas, on n'écoute plus le cri. À force que les poneys meurent, qu'est-ce que tu veux que ça me fasse. J'y reviens dans un instant mais le problème est ici un problème de saturation : il y a juste trop de morts et trop de sang par page pour que ça ait un impact. Un exemple concret ? FO:E. L'héroïne se mange balle sur balle, dit qu'elle a mal de toutes les manières possible et, deux paragraphes plus loin, elle est comme neuve. C'est systématique, et à force j'en ai plus ranafiche qu'elle se bouffe du métal dans les côtes.
On peut donc aborder le problème d'abord sous l'angle de la saturation et du contraste.
Si vos personnages pleurent constamment, alors plus les personnages pleurent et moins on le remarque, moins il y a d'impact. À force on se lasse et même quand la situation le justifiera, on aura tellement vu la bande geindre à tout va que, comme l'enfant qui crie au loup, on n'écoutera plus. Dans cette optique, la priorité est de n'utiliser la grosse artillerie (les larmes et tout) que pour les cas les plus importants. Pour les autres, il faut recourir à des expressions moins fortes. Un regard peiné, un silence lourd... L'idée est de ne donner l'alarme que quand il y a vraiment le loup, de sorte que l'impact soit maximal et que le lecteur réponde présent.
Mais, et toujours en lien avec l'enfant qui criait au loup, on peut aborder le problème sous un second angle.
Celui de l'activité.
Je vais être franc, je ne comprends rien à cette notion d'activité dans les textes. Mais il y a l'idée que le lecteur, quand il lit, est également actif et pas seulement spectateur. Il agit à minima en essayant de deviner la suite -- ce sont les "attentes". L'exemple typique est bien sûr l'enquête policière où le lecteur est invité à chercher les indices et à résoudre le crime de son côté, aux côtés de l'inspecteur. On "s'attend" à ce qu'untel soit le coupable. Si nos attentes ne sont jamais détrompées, "il ne se passe rien", on s'ennuie ; si nos attentes sont tout le temps détrompées, "c'est n'importe quoi", on lâche l'affaire.
Sous cet angle, le problème du drama n'est plus de savoir si c'est approprié ou non mais si cela répond à une attente. À ce titre je vais reprendre un propos sur le grimdark : "le grimdark consiste à maintenir une porte de sortie entrouverte jusqu'à la toute fin, avant de la refermer brutalement". Une histoire horrible ne se contente donc pas d'empiler situation horrible sur situation horrible : elle laisse entendre qu'il y a une solution, elle pousse vers cette solution, elle fait en sorte que le lecteur y croie pour ensuite seulement abattre le couperet. Tant qu'on ne fait qu'empiler les horreurs, on fait du "screamer", du drama. Si on joue sur les attentes du lecteur, là on fait du grimdark, du drame.
Ce qui n'est ni meilleur ni moins bon... juste différent. Je présente ici le drama comme le mal absolu, et je le pense très fort, mais eh, c'est un art comme un autre. Et un screamer bien utilisé -- Fatal Frame quelqu'un ? -- c'est joli.
...
Bon.
Ne mentons pas, je parle de saturation, de contraste et d'activité, d'attentes... et ça ne doit parler à personne. Moi-même je commence à m'y perdre, d'autant qu'au final ce ne sont que des pistes pour tenter de faire autre chose que du drama dans le 90% des fanfictions que je lis. Doser, contraster, jouer sur les attentes... tout ça est abominablement compliqué.
Donc euh... un exemple ?
Imaginez que je sois un fan de Luna. Bon ça ne va pas être difficile. Imaginez que vous êtes un fan de Celestia. Imaginez j'ai dit. Vous voulez me démontrer que Celestia est triste d'avoir banni sa petite soeur. Comment vous faites ? "Elle a beaucoup pleuré", ouais super pour elle, juste... ce n'est pas elle qui a passé mille ans de solitude absolue parce qu'elle était foulée du sabot pendant que sa grande soeur était adorée. Après je ne dis pas, Luna était peut-être mytho', je veux bien que ce soit subjectif mais votre point de vue l'est aussi alors il va vous falloir un peu mieux que "c'était très triste". Vous aurez beau y mettre tous les violons du monde, 'Tia a eu le beau rôle.
La première chose que vous pourriez faire pour me faire changer d'avis est de me dire "non, bien sûr, elle n'a pas été triste durant mille ans". On installe un contraste, pendant 999 ans elle a été plutôt heureuse, elle a pensé à autre chose, elle a vécu. Elle a souri aux poneys, elle s'est amusée durant les fêtes, etc... Là vous vous dites que vous êtes en train de déclarer forfait mais en fait non : il est juste totalement, absolument, complètement impossible de rester triste mille ans d'affilée. Ou alors Celestia c'est une machine.
Et maintenant vous me dites : 1) "elle a des vitraux partout dans son palais fêtant sa victoire sur Moon" et 2) "elle a levé chaque soir durant mille ans la Lune avec le visage de sa soeur dessus".
Et c'est tout. Rien d'autre. Ce sont les arguments donnés récemment sur la memebase. Mon premier réflexe a été de rejeter ça comme "encore plus de drama", d'excuses pour plaindre la pauvre princesse Celestia motherbuckin' dirigeante d'Equestria adorée de toutes. Et il y a des gens qui s'arrêteront là, tant pis pour eux. Mais en y regardant bien, on ne me dit plus qu'elle a pleuré dans ses oreillers en permanence. Là, on me dit juste que, même si elle l'avait voulu, il lui était impossible d'oublier son acte. Ce qui rappelle très fortement un Crime et Châtiment. Quelles attentes est-ce que ça déclenche ? Le remords. Le regret. L'absence. Celestia n'a même plus besoin de pleurer, il lui suffit de sourire et, avec ces attentes en tête, au mot de Luna ou de Nightmare Moon on peut deviner tout ce qu'elle ressent.
N'essayez pas d'être triste constamment. Dosez. Installez le contraste. Un personnage toujours énervé finit par être énervant. Et installez des attentes. Prenez le temps de poser les conditions, prenez le temps de laisser mûrir la réaction avant de tout faire sauter. Si vous ne faites qu'empiler les situations tristes, ou violentes, ou peu importe, ça donnera du screamer. Comme au jeu d'échec, mettez en place vos pions, préparez votre coup et ne déclarez un échec qu'au bon moment.
D'ici là, par pitié, rangez les grands violons.
Ou alors assumez, acceptez d'en faire trop, rajoutez-en et signez, au final c'est vous qui décidez. Je n'interdirai jamais rien, fanficers,
à vos plumes !
L'article a été visualisé 473 fois depuis sa publication le 03 juillet 2014. Celui-ci possède 4 commentaires.
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Je comprend maintenant mieux où tu voulais en venir avec tes remarques de l'autre fois... Je continue à réfléchir et je te tiens au jus.
Au fait, j'adore toujours tes chroniques. :)
Elles me motivent pour écrire, et c'est suffisamment incroyable pour être souligné.
J'apprécie ta manière d'installer une ambiance digne d'une fanfiction, avec un plan, une sorte d'avant-propos pour donner le ton sans donner le thème. Tes articles sont des histoires à part entière dont le contenu varie mais où ton style persiste. Effectivement, tu as une espèce de capacité à double-tranchant ; tu arrives à choisir exclusivement des thèmes qui ne m'intéressent pas, et en même temps, tu arrives à me donner l'envie de cliquer sur tes nouveaux articles lorsqu'ils paraissent. Je passe mon tour pour ce qui est de commenter le sujet de cet article, car je ne pense pas être en mesure de rédarguer, mais je suis toujours agréablement surpris de saisir avec aisance l'essence de tes propos et de voir que tu arrives à mettre des mots sur des concepts qui étaient toujours restés des idées obscures pour mon esprit.
Cela dit, les boules, je les préfère sur les glaces, je m'abstiendrai donc de rendre justice à tes qualités en dehors du paragraphe précédent. Je t'encourage simplement à continuer d'exposer tes points de vue et tes convictions en évitant les alambics que certains se plaisent à emprunter, car ces derniers peuvent nuire à la compréhension de tous, et ce, au plus grand désarroi de mon intellect profane.
Mais il va falloir que j'arrête de les lire, au plus je les lis, au plus je trouve difficile d'écrire...
Je suis sans cesse à me remettre en question pour chaque phrase ou scène,é vènement, etc...