Hi'.
J'ai lu le premier chapitre d'Une plume jaune et, en voulant la commenter, je me suis rendu compte que mon avis allait rejoindre celui des autres, mais sans le préciser. Je ne parle pas des fautes d'orthographe, ça on s'en fiche, je parle de l'écriture "maladroite".
Et j'ai d'autant plus besoin de généraliser le sujet que cela fait un bon moment que j'aimerais lire Le Village, notamment parce qu'il me rappelle le style de Ramuz, mais je suis bloqué au chapitre deux à cause de la formulation des phrases.
C'est plutôt paradoxal. Qu'est-ce qu'on entend par une écriture "maladroite" ? Que la personne ne sait pas écrire ? Au contraire. Dans les deux fics' que je cite, il y a tout ce que je cherche : de la passion et de l'effort. Et c'est justement pour le style du Village, plus que pour son histoire, que j'ai envie de la lire. À mes yeux l'auteur expérimente et c'est le résultat de cette expérimentation qui provoque la "maladresse". Un manque de maîtrise...
Bon, admettons.
Mais alors dans ce cas, quels conseils donner ?
On ne parlera pas ici du "mot juste". Bon okay brièvement. La "maladresse" peut être d'utiliser le mauvais terme dans le mauvais contexte. On m'avait reproché, voilà longtemps, d'avoir utilisé "cime" pour désigner le haut des arbres. Dans la Plume jaune, on qualifie "d'étrange" le fait que la pièce tout autour de nous est en train de voler en éclats. C'est tout une problématique dont je n'ai pas la moindre idée de comment l'aborder.
À la place, on parlera de la structure de phrase.
Je vous préviens, on entre d'emblée dans des considérations linguistiques, la courbe de difficulté va faire un pic pareil aux tours de Canterlot donc merci d'attacher vos ceintures et d'essayer de résoudre ce problème :
1) "Tous ses cheveux se relevèrent violemment, elle dut fermer les plis de ses paupières..."
2) "Rarity alla chez Twilight, Twilight alla chez Rarity..."
Pourquoi l'exemple (1), tiré de la Plume jaune, peut être vu comme une maladresse, alors que l'exemple (2), inventé pour les besoins de la cause, peut être vu comme du style tavusamère ? Ou dit autrement, les gens considèrent que (1) est maladroit. Pourquoi ? Et comment régler la maladresse ? La solution de facilité serait de rajouter un "et" : "Tous ses cheveux se relevèrent violemment et elle dut fermer les plis de ses paupières..." Mais pourquoi ? Et est-ce vraiment la meilleure solution ?
Vous allez voir que pour répondre à ces questions on va devoir faire un détour de tous les Tartares.
La véritable question est : "qu'est-ce qui se passe quand je mets deux phrases ensemble ?" Ça semble bête mais il se passe bien plus de choses que ne vous en dit la grammaire scolaire. Par exemple reprenez (2) et comparez :
2a) "Rarity alla chez Twilight, Twilight alla chez Rarity, chacune s'étonna de ne pas trouver l'autre chez elle."
2b) "Rarity alla chez Twilight, Twilight alla chez Rarity, bientôt elles passèrent tout leur temps ensemble."
Le début est exactement le même, et pourtant ce qui s'est passé derrière est complètement différent. En effet, en (2a) vous pouvez déduire du contexte qu'elles sont allées l'une chez l'autre, attention majuscules, EN MÊME TEMPS ! Révélation ! Joie ! C'est pour cela qu'elles ne sont pas à domicile, elles sont chacune chez l'autre. Humour, drôle. Tandis qu'en (2b) on comprend qu'elles se rendent visite successivement, l'une après l'autre, et qu'on a une romance sur le feu. Sérieux, pourquoi une romance ? Elles pourraient être en train de fabriquer un nid d'oiseau pour Fluttershy ! Grmf...
Avec exactement le même départ on a signifié deux choses différentes. Comment c'est possible ? On va faire l'hypothèse que, par défaut (retenez bien le "par défaut") :
- La seconde phrase se produit après la première.
Autrement dit, le temps s'écoule dans le texte de la même manière qu'à la lecture. Ce qui est écrit avant se déroule avant dans le temps, ce qui est écrit après se déroule après. PAR DÉFAUT ! Cela signifie "si rien ne vient le contredire". Il s'agit juste d'une supposition, d'une hypothèse qu'on fait à la lecture, et le texte peut nous détromper. En (2a), en l'occurrence, la situation nous a fait déduire que les phrases ne se déroulent pas l'une après l'autre mais en même temps.
Reprenez (1) et demandez-vous : est-ce que ça se déroule en même temps ? Bon là sans contexte vous ne savez pas mais la réponse est oui, les cheveux se redressent en même temps que la petite ferme les yeux. Notez que le temps verbal n'y change rien, en (2) aussi on a un passé simple...
Bon, on a fait l'hypothèse de la "temporalité", que la phrase d'avant se déroule avant la phrase d'après. Ça n'a pas résolu notre problème. Qu'est-ce qu'on va faire ? Une seconde hypothèse ! Cette fois :
- La seconde phrase est causée par la première.
Toujours par défaut, hein.
Si nous reprenons l'exemple (2), (2b) notamment parce qu'il m'arrange, on supposera que la visite de Rarity CAUSE la visite de Twilight, qui à son tour CAUSE qu'elles passent leur temps ensemble. Plus précisément, et là c'est le contexte qui nous le fait déduire, on comprend que les deux premières "phrases" causent la troisième.
Notez également qu'à ce stade on n'en a plus ranafiche de la ponctuation :
2c) "Rarity alla chez Twilight. Twilight alla chez Rarity. Bientôt elles passèrent tout leur temps ensemble."
À part que la pause est plus longue entre chaque phrase (avec effet de style, je suppose), la signification est exactement la même. Tout au plus ces pauses peuvent suggérer que la romance prend son temps, ou bien que le narrateur désapprouve... qui sait ? Dans tous les cas la structure est, elle, strictement la même.
Appliquez ce lien de causalité à (1) : les cheveux se relèvent... et ça cause... qu'elle ferme ses paupières ?
Hein ?
Félicitations ! \ o / La boîte noire du langage dans la cervelle du lecteur vient de renvoyer une erreur système tonitruante, vous venez d'expliquer la maladresse ! Eh oui, on l'a dit, par défaut on suppose que la première phrase cause la seconde. Ici la seconde phrase n'est clairement pas causée par la première (ou alors Flutty' a des réactions bizarres), hypothèse contredite, et le lecteur... n'a pas d'autre hypothèse.
Pour le comprendre, on va compléter l'exemple (1) :
1a) "... soudainement, le souffle du vent se renforça et se durcit. Tous ses cheveux se relevèrent violemment, elle dut fermer les plis de ses paupières..."
C'est "maladroit" mais on comprend parfaitement ce que l'auteur a voulu faire : énumérer les effets du vent sur la petite pégase toute trognon. On a dit à l'école qu'on énumérait avec une liste "ça, virgule, ça, virgule, ça et ça" donc l'auteur a mis une virgule et on comprend. Mais, dans la structure, le texte dit que le souffle du vent CAUSE les cheveux qui se relèvent et que ces cheveux, à leur tour, CAUSEnt la fermeture des paupières. Ce n'est pas ce qu'on veut. Nous on veut :
1b) "... soudainement, le souffle du vent se renforça et se durcit. Tous ses cheveux se relevèrent violemment et elle dut fermer les plis de ses paupières..."
Le "et" sert ici à contredire l'hypothèse, à dire au lecteur "nope ! La phrase d'avant ne cause pas celle qui va suivre". C'est plus compliqué que ça mais faites semblant, hochez la tête et tout ira bien.
Détour terminé, on a expliqué pourquoi mettre un "et", on a réglé un problème sur un bazillion et qu'est-ce qu'on a vraiment appris ?
Eh bien, que le texte est structuré par deux hypothèses fondamentales :
- La phrase d'avant se déroule avant la phrase d'après
- La phrase d'avant cause la phrase d'après
Et que ces deux hypothèses pouvaient être niées par le texte, soit par des indices textuels (genre le "et") soit par le contexte, la situation elle-même.
ATTENTION ! /!\
T'as vu j'ai même mis du gras alors si c'est pas pour dire... je vous préviens juste que ça c'était la partie facile de l'article. Si vous avez compris que, par défaut, il y a toujours un lien de cause à effet entre deux phrases, vous pouvez vous arrêter là. Mais moi j'ai envie d'aller plus loin et pour ça je vais utiliser... horreur... un langage logique !
En gros j'en ai marre d'écrire la phrase complète à chaque fois, alors à la place je vais utiliser des lettres majuscules :
3) "Elle ne comprenait rien à ce qui se passait, tout allait trop vite, tout était trop violent pour comprendre quoi que ce soit..."
Cet exemple (3), moi, je vais l'écrire comme ça : "A, B, C pour D". Dans ce cas, "B" correspond à "tout allait trop vite", etc...
Pourquoi je fais ça ? Pour pouvoir mettre en avant les rapports entre les phrases. "A parce que B et C donc D". Vous voulez la version longue ? D'accord. "Elle ne comprenait rien à ce qui se passait PARCE QUE tout allait trop vite ET tout était trop violent DONC pour comprendre quoi que ce soit." Je me contente d'abréger avec des lettres, merci de votre compréhension.
Mais je fais ça aussi pour pouvoir mettre des parenthèses :
3a) (A parce que (B et (C donc D) ) )
P-p-pourquoi j'ai fait ça ?! Aaaah des parenthèses, des maths', pas les maths', pas les maaaths' ! Blague à part, les parenthèses sont nécessaires. Et quitte à faire des maths', rappelez-vous : 2 + 3 x 4 = ? Suivant où vous mettez les parenthèses, ça fait 14 ou 20. Eh bien en écriture c'est pareil. Si j'écris :
3b) "Elle ne comprenait rien à ce qui se passait tant tout allait vite, tout était trop violent pour comprendre quoi que ce soit..."
Vous ne voyez pas la différence mais en termes logiques :
3c) (A parce que B) et (C donc D)
Je n'ai changé que deux mots et les parenthèses ne sont plus du tout les mêmes. Pourquoi ? C'est quoi ces parenthèses et en quoi ça importe ? Eh bien, ces parenthèses sont la structure de la phrase. Ah bah oui, la phrase au sens scolaire c'est "depuis la majuscule jusqu'au point", donc on a quatre phrases (A, B, C et D) qui n'en forment qu'une, merci la nomenclature pourrie de l'école ! On parle de phrase "complexe". Et cette phrase complexe, composée de phrases "simples", a donc une structure.
Cette structure dit quelle phrase est subordonnée, dépendante, soumise... ce-que-vous-voulez à quelle phrase. En termes de causalité, l'effet est subordonné à la cause : sans cause pas, d'effet, pas de fumée sans feu. En d'autres termes, théoriquement, une phrase soumise à une autre ne peut pas exister sans cette autre phrase.
Si vous reprenez (3a), les parenthèses nous disent que le bloc (C donc D) est l'une des causes de A. Si tout n'était pas "trop violent" (C) ou "trop rapide" (B), elle comprendrait (non-A). Logique.
L'enjeu de la structure de phrase est donc de permettre au lecteur de retrouver cette structure, en lui donnant tous les indices nécessaires pour savoir quelle "phrase" est subordonnée à quelle autre.
À ce petit jeu, deux règles :
- Il n'y jamais qu'une et UNE SEULE phrase principale au-dessus de toutes les autres
- TOUTES les phrases ont une relation
Qu'est-ce que ça signifie ? Eh bien, rappelez vous (2) : "Rarity alla chez Twilight, Twilight alla chez Rarity", en disant que cela forme une phrase complète... quelle phrase est subordonnée à l'autre ? On aurait tendance à dire que les deux sont au même niveau, par flemme, mais rappelez-vous notre hypothèse : la seconde est causée par la première. Elle lui est donc... subordonnée. Un autre exemple ?
4) "Luna frappa le document de son sceau, le rendant éternel."
Cause, Luna appose son sceau. Effet, le document est désormais éternel. Conclusion, la seconde phrase est subordonnée à la première. Preuve ? On a utilisé un participe présent. Eeeyup, le participe est un indice textuel pour dire au lecteur "eh. Eh ! Cette phrase est soumise à l'autre." On teste ?
4a) "Rendant le document éternel, Luna le frappa de son sceau."
4b) "Luna rendit le document éternel, le frappant de son sceau."
4c) "Luna frappant le document de son sceau le rendit éternel."
En (4a) on inverse l'ordre des phrases. Par défaut la première devrait causer la seconde, mais le participe présent nous prévient que c'est la subordonnée. En (4b) la chaîne causale n'a pas changé, mais le participe présent fait "buck you" et impose la première phrase comme principale. Cela signifie qu'on s'intéresse à l'effet, la cause devient secondaire. On inverse en (4c) ? Même résultat.
C'est cela, un "indice textuel". Le participe présent soumet la phrase à une autre.
Et cela signifie -- je te regarde très fort, le Village -- qu'il ne devrait jamais y avoir de phrase principale avec un participe présent. Grmf.
Mais on n'a pas fini :
4d) "Luna frappa de son sceau le document devenu éternel."
4e) "Le document frappé du sceau de Luna devint éternel."
4f) "Luna frappa de son sceau le document qui devint éternel."
4g) "Le document qui devint éternel fut frappé du sceau de Luna."
4h) "Luna apposa son sceau et le document devint éternel."
4i) "Le document devint éternel et... Luna... apposa son sceau... au doc- what ?"
4j) "Le document devint éternel lorsque Luna y apposa son sceau."
Il y a énormément de manières d'exprimer la "causalité" (au sens très large, calmez-vous les philosophes) et, donc, la dépendance d'une phrase à une autre.
On a déjà vu ce qui se passait si on mettait simplement deux phrases l'une après l'autres. Pas d'indice textuel, par défaut la première cause la seconde et seul le contexte peut nous détromper.
On a aussi vu ce qui se passait si on utilisait un participe présent : celui-ci subordonne la "phrase" où il se trouve. Mais avec (4d-4j) on voit que le participe présent n'est qu'une option parmi d'autres : participe passé, subordination (le "qui"), coordination (le "et" mais aussi le "lorsque")... Ce sont tous les indices textuels -- il doit y en avoir d'autres -- qui permettent de dire au lecteur "bon arrête ton délire, c'est cette phrase qui domine les autres ta gueule". Notez d'ailleurs qu'en (4h) on a un "et", mais que la seconde phrase est quand même subordonnée, vu qu'en (4i) si on tente d'inverse ça déraille complètement... eh oui, première hypothèse, il y a aussi le déroulement du temps.
Okay donc je résume.
Par défaut (sans contexte ni indice textuel) :
- La première phrase se déroule avant la seconde.
- La première phrase cause la seconde.
La relation de causalité crée des dépendances, et donc subordonne les phrases entre elles, et le texte fournit des indices textuels (en plus du contexte) pour nous dire qui domine qui :
- La coordination (mais ou et donc or ni car)
- La subordination (qui, lequel, etc...)
- Le participe (présent et passé)
À quoi il faut ajouter le temps verbal, etc...
Tout cela nous donne déjà une batterie d'outils assez formidables pour composer des phrases dignes de Proust et qui donneront mal à la tête à des générations d'écoliers. Ce n'est pas notre but, notre but est d'expérimenter, de tester ces outils pour voir ce que nous, chacun de notre côté, on veut en faire pour exprimer au mieux notre histoire.
Demandez-vous quelle information vous devez mettre en avant, et en gardant en tête qu'il n'y en aura qu'une seule, faites en sorte de subordonner toutes les autres à celle-ci. Tant qu'une seule information domine, votre phrase sera juste.
Je sais que c'est encore pas mal abstrait, et quitte à rester vague je vous inviterai surtout, peu importe les maladresses, à continuer d'expérimenter, fanficers,
à vos plumes !
L'article a été visualisé 429 fois depuis sa publication le 11 septembre 2014. Celui-ci possède 3 commentaires.
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