Hi'.
Nightmare Moon est la meilleure.
C'est ce que j'appelle l'argument Moon, ou le droit d'aimer quelque chose de tout pourri -- inversement, de ne pas aimer quelque chose de génial.
J'aime Moon pour des raisons qui me sont personnelles, qui ne valent que pour moi et qui, au-delà de moi, n'ont plus la moindre valeur. Je peux argumenter : elle est sauvage, elle est médiévale, elle est tragique. Mais tout cela n'est que mon interprétation, ce que je vois en elle, rien d'autre. C'est subjectif. Objectivement je suis forcé de reconnaître qu'elle est nulle et que dès sa fuite de la mairie elle a perdu toute crédibilité. Elle est nulle, oui, et elle est géniale. On peut dire les deux à la fois.
Oui je vais faire un article entier pour dire cette banalité.
Il en va de même des commentaires. Quelqu'un qui écrit "c'est génial continue" est subjectif. Et il a raison. Il adore, il veut la suite, c'est son avis personnel et l'auteur lui en est infiniment reconnaissant. Il peut même argumenter, ses arguments seront forcément vrais vu qu'ils ne dépendent que de lui. L'auteur est friand de ce genre de détail, oui je lis vos commentaires sur mes textes. Inversement, "c'est nul, arrête" est tout aussi subjectif, avec tout autant de raison. Il déteste, il ne veut plus lire, c'est son avis personnel et on l'accueillera à coups de savate. Du moment qu'on comprend que c'est subjectif, les deux commentaires ont la même valeur et le même impact, et on reprochera juste le manque de tact. Mais les gens ont le droit de ne pas aimer, et même dire "je n'ai pas lu" est toujours bon à dire. Le crime, c'est de ne pas commenter.
Mais la critique, celle du littéraire en herbe, celle du relecteur, ces fameux pavés remplis de citations et de propos compliqués, cette critique-là a besoin d'objectivité.
Et je tiens à le préciser, que la majorité aime un texte ne signifie pas qu'objectivement ce texte est bon. Transformers. Twilight. Une fois encore, argument Moon, les gens ont raison d'aimer, ce n'est pas pour rien si ces films ont rencontré un tel succès. On a ce phénomène dans les jeux vidéo, où le énième Fifa de l'année se vend comme des petits pains alors que les jeux "innovants", eux, sont quasiment ignorés. La majorité n'a pas tort, elle sait juste ce qu'elle veut. Même phénomène en littérature, les textes "littéraires" étant délaissés pour les romances et autres polars' usinés. Si on répète mille fois la même formule c'est bien qu'elle fonctionne. Donc dans ces conditions on a envie de dire que "tout est subjectif" et de claquer la porte.
Rigolez pas, après six ans d'étude c'est ce que j'ai fait. Mais si je dis que :
"Reluctantly, she turned away from the door and made her way toward the distant figure of Pinkie Pie."
(À contrecoeur, elle se détourna de la porte et se dirigea vers la silhouette lointaine de Pinkie Pie.)
est mieux écrit que beaucoup d'autres textes, j'ai la prétention d'être objectif. Non seulement je suis persuadé de ce que je dis mais vous devez être d'accord avec moi. Et pas juste pour le jeu de sonorités "away / her way" et "door / distant", saboté d'ailleurs par une saturation de /t/ donc ça ne compte pas. Non, je dis ça parce que la majorité des auteurs se contenteraient d'écrire "... toward Pinkie Pie" là où cette fic' fait l'effort d'ajouter un détail qui se paie en prime le luxe d'être motivé. Raison pour laquelle, d'ailleurs, les traducteurs l'auront noté, j'ai conservé l'ordre anglais au lieu d'écrire "elle se détourna à contrecoeur de..." qui est plus fluide mais qui loupe un léger effet de style, de pause marquant l'hésitation, ou la forme mimant le fond. Comme quoi System a bien raison.
Alors oui, ce peut être accidentel, totalement involontaire de la part de l'auteur. Il se peut que ce soit un défaut, que dix mille personnes n'aiment pas. La majorité d'entre vous doit trouver ridicule que cette phrase soit soudainement siiiiiii géniale juste parce qu'il y a deux mots en plus. Vous aurez raison. Et si je vous dis que :
"The long lines of patients being herded to the tables meant ponies flickered in and out of sight, a snapshot of a mane or face that disappeared in a heartbeat.
Rainbow Dash."
(Les longues rangées de patients poussés vers les tables faisaient aller et venir les poneys dans son champ de vision, un instant de crinière ou de visage qui disparaissait dans un battement de coeur.)
vous pourrez même trouver cet effet de style très maladroit, voire louper complètement l'effet et vous demander ce qui s'est passé. Pourtant, "objectivement", parce que le "battement de coeur" est employé dans deux sens différents à la fois, on obtient le mimétisme du personnage voyant une crinière et ne se rendant compte qu'après coup de l'avoir reconnue, le lecteur vivant la même chose que le personnage sans même y penser. Ce sont des effets de style risqués, qui souvent ne fonctionnent pas mais c'est là. Qu'on aime ou pas, c'est dans le texte.
Toujours sur la difficulté d'être objectif, vous devez connaître le principe de l'eau tiède. On prend trois baquets d'eau : un d'eau froide, un d'eau chaude et au milieu l'eau tiède. On plonge une main dans l'eau chaude, une main dans l'eau froide puis les deux mains en même temps dans l'eau tiède. Pour la main froide l'eau paraîtra chaude, pour la main chaude l'eau paraître froide. Il existe la même chose pour la fanfiction. J'ai un exemple et pour cela je rappellerai l'épisode d'Hurricane Fluttershy, où notre pégase préférée sur le moment passe de 0.8 à 2.4 puissance de vol (sic). Dans l'absolu, c'est toujours faible, mais en termes relatifs c'est une progression vertigineuse de 300%, avec le potentiel de pulvériser les records (dixit la fin). J'ai eu le plaisir de voir la même chose avec Untiring Quill et son Manoir, où dans l'absolu les gens y verront toujours un texte plutôt amateur et ne comprendront pas pourquoi moi je m'émerveille dessus.
En même temps je l'ai toujours dit que je jugeais au potentiel.
L'argument Moon présuppose donc que quelque chose est bon ou mauvais indépendamment de notre avis personnel, ou même de l'avis de la majorité. Il dit qu'on peut aimer ce qu'on veut du moment qu'on admet que c'est subjectif. Alors oui, on pourrait s'enfermer dans le "tout est subjectif", c'est facile et confortable, mais c'est aussi la mort de la critique (et de la littérature) et ça revient à juger un texte à son nombre de lecteurs... Vous l'aurez donc compris, pour moi l'argument Moon est fondamental à ma démarche de critique (et de brony) et forcément, quand je vois des situations où il est remis en cause de façon flagrante, je... tends à mal le prendre.
...
Oui, on va tirer sur l'ambulance, ressortir la hache de guerre et parler de Sombra.
Pourquoi je m'acharne tellement sur ce sujet ? Argument Moon. Les gens aiment Sombra et c'est cool, les gens crachent sur Moon et je comprends tout à fait. Mais les gens n'aiment pas qu'on crache sur Sombra et n'ont pas l'air de comprendre qu'on puisse aimer Nightmare Moon. C'est d'autant plus frustrant pour moi que la principale défense pour Sombra est qu'il est "inexploité", argument qui, pour quelqu'un comme moi qui juge par le potentiel, est juste absurde. Argument qui, appliqué à Moon, devrait la rendre absolument formidable.
Et pour en rajouter, lors du final de la S4, on m'a dit que Sombra avait une histoire plus intéressante que celle de Tirek. Je vous laisse y réfléchir, mais comparer Sombra et Tirek, en appliquant l'argument Moon, est instructif. En général, prendre l'argument qu'on utilise quelque part pour tenter de l'appliquer ailleurs est un bon moyen de savoir si on est subjectif ou pas. Moi aussi je peux écrire une histoire trop dramatique sur le passé de Tirek, et "forcément dit comme ça"...
Je pourrais en dire autant du Twilicorn. Twilight va devenir une princesse, les gens s'affolent. Je ne vais pas mentir, il y avait une énorme part de subjectivité là-derrière, et au final on a fait à l'époque exactement ce que je reproche encore à présent aux défenseurs de Sombra. On n'aimait pas le Twilight Princess, et plus les gens nous disaient de nous calmer plus on paniquait. Nous sommes désormais en fin de saison 4, la saison 5 dans les tubes et... et tout le monde s'accorde à dire que la série est différente. Pas moins bonne ou meilleure, juste différente. Il se peut qu'on ait hurlé au loup, ils se peut qu'aujourd'hui tout le monde rigole (et cela en toute amitié) sur l'inutilité de Sparkle. Ce n'est pas comme s'ils l'avaient carrément chanté.
Que ce soit dans les dispu- discussions du fandom, en parlant des épisodes, des personnages, de fanfics' ou même de politique, il faut garder en tête que j'applique l'argument Moon. Ce n'est pas si évident d'admettre qu'une chose peut être géniale et nulle en même temps, et qu'un mauvais texte peut être excellent. Après, je peux avoir tort, je ne dis pas... Mais ça permet de dire des choses comme "ouais t'as raison mais quand même..." et de ne jamais oublier les raisons qui font que notre texte à nous, envers et contre tout, on l'aime.
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Les gens s'en rendent pas compte parce qu'elle est sous-exploitée, en fait.
Pour la dernière phrase – célèbre par ailleurs –, dans ce contexte, est-ce à dire que l’absence de critique est encore pire que la critique la plus acerbe ?
Personnellement j'ai un objet, c'est le "texte", et je ne compte parler ni de plurilinguisme ni de pragmatique ni d'arbres qui tombent pour, à partir d'un objet, parler d'objectivité.
Man soll nicht den Geraüsch der Stiefels fürchten, sonst den Schweigen der Pantoffeln.
Je parlerai donc de la critique.
En ce qui me concerne, c'est sûr que j'aime qu'on me dise simplement que mes histoires sont bien, mais si ça me fait plaisir, ça s'arrête là, ça ne me dit en aucun cas ce que je dois améliorer ou si j'ai vraiment réussi à faire quelque chose sortant de l'ordinaire, dans un bon ou mauvais sens.
Étant débutant, je ne cherche qu'à m'améliorer, et je pense que tu en sais quelque chose, même si j'ai eu des ratés.
Justement, je préfère qu'on me dise que quelque chose ne va pas pour éviter de renouveler l'erreur que simplement "c'est bien" ou "c'est mauvais".
Un "c'est bien" donne envie d'écrire, un "c'est mauvais" sans aucun autre argument donne juste envie d'ignorer le commentaire, ce qui est dommage, car s'il était argumenté il pourrait être légitime et permettre de corriger ses erreurs (s'il s'agit d'erreurs et non de choix, on ne peut as non plus plaire à tout le monde).
« Le bon goût, disait sobrement Salvador Dali, c’est mon goût. » C’est une façon un peu abrupte, mais assez significative, de résumer la situation. L’objectivité suppose que l’on puisse, en quelque sorte, se mettre à la place de l’objet – alors même que la critique, qui sous-entend « je » (je pense, je crois, je conseille, je juge…), par définition, suppose par essence que le commentateur se mette dans la peau du sujet ; d’où sa subjectivité (apodictique ?). Après, on peut, comme Hume, décider qu’il n’existe pas de sujet, mais dans ce cas, qui pense, qui pêche, qui médit ?
La situation n’est sans doute pas si désespérée. On peut sauver une part d’objectivité, par exemple en mathématiques, où les phrases ne se prêtent pas à l’interprétation, la syntaxe et la grammaire étant particulièrement rigides : ou bien ce sont des tautologies, ou bien ce sont des contradictions. Mais cela se fait au détriment du pouvoir d’expression : les mathématiques ne disent rien, ne racontent que des vérités, dans une sorte de périssologie éternelle ; et encore, pour la vérité, on n’en sait fichtre rien, depuis que Gödel est venu semer la zizanie là-dedans (« Thus mathematics may be defined as the subject in which we never know what we are talking about, nor whether what we are saying is true. » B. Russell). En physique, depuis que l’on sait qu’on ne peut pas séparer l’observateur de l’observé, tout est fichu. Dans le domaine de la langue, on peut dire que la partie strictement objective relève de l’orthographe et de la grammaire – et encore ; disons que les règles sont suffisamment précises pour que l’on puisse, de manière à peu près impartiale, séparer le bon grain de l’ivraie, du moins au temps t, puisque ces règles évoluent. Pour le reste, sans nul doute, la notion même d’objectivité n’a guère de sens. On peut la remplacer par celle de consensus, ce qui est envisagé ici, avec naturellement le bémol important que le consensus dépend du lieu, de la période, des mœurs, de la mode, du groupe social auquel on appartient, etc., ce qui n’est sans doute pas le cas de l’objectivité, qui se place hors du temps, un peu comme une idée platonicienne.
J’oubliais la typographie, essentielle.
Le style. Voyons avec les exemples. Concernant le premier, il me semble indiscutable que l’auteur a délibérément placé l’emphase sur « Reluctantly » ; partant, toute velléité de vouloir prouver l’inverse, ou d’en dénier l’importance, serait captieux ; on tombe ici, effectivement, sur une sorte d’objectivité. Pour ce qui est de « l’indistincte et lointaine » Pinkie Pie, je dirai que, tout dépend du contexte : la distinction entre « finesse de style », « détail gratuit », « lourdeur » ou « grandiloquence » ne peut être faite sur une simple phrase isolée. Par exemple, on a pu nous ressasser déjà trois fois auparavant que Pinkie Pie se trouvait « au loin », auquel cas cette précision supplémentaire tiendrait plus de la lourdeur que de quoi que ce soit d’autre. Le traducteur serait donc parfaitement libre d’éliminer purement et simplement ces adjectifs sans autre forme de procès.
[Digression : si un jour vous vous offrez, ou vous faites offrir, une figurine Funko, vous pourrez constater que Vinyl figure a été traduit par : « chiffre de vinyl ». Et voilà ma pauvre Derpy reléguée au simple rang d’entité mathématique incorporelle par un traducteur incompétent.]
Le second est plus intéressant, parce qu’il représente, à mon sens, un cas typique où la traduction littérale rate sa cible. On se trouve parfois, je pense, dans des cas où, à moins de bouleverser la phrase de fond en comble (ce que je n’hésite d’ailleurs pas à faire), le traducteur se trouve dans une impasse. Traduire « heartbeat » en « battement de cœur » n’est pas réellement envisageable, parce que le français – du moins ce que j’en sais – ne mesure pas la brièveté d’une action à l’aune du rythme cardiaque. On ne disparaît dans un battement de cœur, plutôt de cil. De fait, le lecteur français ne saisira qu’avec difficulté l’allusion, au prix peut-être d’une contorsion dans le phrasé qui privera finalement le texte final de la spontanéité de l’original. Il faut se faire une raison : certaines subtilités demeurent l’apanage de l’idiome dans lesquelles elles sont rédigées.
Inversons la polarité ; si j’écris : « Pinkie Pie, entre deux pâtisseries, jetait, par la fenêtre, un regard amusé sur les poneys qui, affolés par l’orage, couraient sous les éclairs. » Que dire de cette phrase ? Traduction ?
Je me tairai sur le potentiel, en me justifiant par un ultime défi de traduction : « Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen. ».