Namar replia silencieusement le papier, le glissa dans la fente de son sabot puis s’avança lentement vers les grandes fenêtres qui perçaient le mur du salon, une expression indéchiffrable sur le visage. Derrière lui, une dizaine d’officiers se tenaient debout, attendant avec angoisse sa réaction. Ils se jetaient entre eux des regards lourds de gêne et de crainte, sans oser dire le moindre mot. Dans un coin, le docteur Ulrich était assis sur une chaise, la tête basse, le dos voûté. L’ambiance qui régnait dans la pièce était aussi pesante que du plomb.
Le rapport des frontières était arrivé quelques minutes à peine après le retour du souverain. Après avoir appris l’évasion, il venait maintenant de prendre connaissance de la débâcle dans l’Empire de Cristal.
- Je ne peux pas croire que ces deux évènements ne soient pas liés, fit-il d’une voix grave.
Un des officiers s’éclaircit nerveusement la gorge.
- Mais Sire, comment aurait-elle pu retourner à Equestria en si peu de temps ? Et même si elle y est parvenue, comment…
Il s'interrompit immédiatement et baissa honteusement la tête face au regard noir que lui lança le souverain.
- C’est une alicorne, sombre idiot, siffla Namar avec mépris. Ces créatures sont capables de prouesses que vous ne pourriez même pas comprendre.
Il s’en retourna vers la fenêtre, les épaules voûtées.
- À présent, sortez, tous. Sauf vous, Ulrich.
L'officier se pressa vers la porte, suivi par tous les autres. Ils sortirent sans dire un mot tandis que le souverain continuait à fixer le paysage devant lui, immobile.
En quelques instants, Namar et le vieux docteur se retrouvèrent seuls. Après de longues secondes de silence, le monarque se tourna vers le bouquetin gris, toujours assis. Il pressait son sabot contre son flanc et un filet de sang séché lui maculait le front. Namar leva la patte et jeta le papier à ses pattes.
- Vous comprenez les conséquences que cela aura sur la suite du projet, bien sûr, fit le souverain. Vous avez permis à l’une de s’échapper et nous voilà également privés des autres, ainsi que des deux tiers des licornes que nous comptions ramener. Alors, que proposez-vous ?
Ulrich baissa lentement la tête, porta un patte à son front et soupira.
- On ne peut pas faire les réglages avec aussi peu de cobayes, fit-il d’une voix faible. Il faut annuler les essais.
- Épargnez-moi ces sornettes. Nous ne pouvons plus reculer, désormais, vous le savez très bien. Sparkle et les autres vont tenter de secourir Célestia par tous les moyens et nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre qu’ils y parviennent.
Il se mit à parcourir la salle de long en large.
- Heureusement, Célestia est la plus puissante des quatre. Si nous ne l’épuisons pas trop, elle devrait tenir suffisamment longtemps. Jusqu’à ce que nous nous soyons procuré d’autres sources, du moins.
- Mais on ne peut pas faire les réglages avec aussi peu de licornes ! Ça les tuerait ! Et elle aussi, si le calibrage est mal fait !
- Il fallait y penser avant de libérer Sparkle, gronda Namar. De toutes façons, vous devez bien vous douter que vous n’avez plus votre mot à dire dans ces décisions.
Le bouquetin gris baissa la tête, misérable. Le souverain continua ses cents pas entre les fenêtres et le milieu du salon.
- Je ne vais pas vous demander pourquoi vous avez agi ainsi, car je pense déjà connaître la réponse. Vous n’en êtes pas moins un traître en qui je ne peux plus me permettre d’avoir confiance. Mais puisque vous semblez vous être autant attaché à vos anciens sujets d’étude, je vais me montrer généreux : en attendant votre passage devant la cour martiale, c’est dans la cellule d’où vous avez libéré cette chère princesse que vous serez enfermé.
Il s’immobilisa à nouveau devant les fenêtres. Comme s’il avait actionné quelques commandes cachées, la porte s’ouvrit et deux gardes rentrèrent. En silence, ils soulevèrent le bouquetin gris avec force et le traînèrent sans ménagement hors de la pièce. Le vieux docteur se laissa faire sans dire un mot.
Namar continua à fixer la vallée devant lui pendant de longues secondes, même après que la porte se soit refermée sur les gardes et leur captif. Il finit par se détourner et s’approcha du buffet, sur lequel était encore posée une bouteille du cidre que lui et Twilight avaient dégusté lors de la venue de la princesse. Tandis qu’il la fixait, son visage qu’il gardait jusqu’alors impassible se déforma enfin sous l’effet de la colère. Il saisit le récipient d’une patte et, dans un geste de rage, le fracassa contre le mur opposé.
Quelques minutes plus tard, Namar quitta les grandes salles sculptées du palais et s’engagea dans le labyrinthe de tunnels qui perçaient la montagne. Sans hésitation, il s’avança dans un long couloir carré qui s’enfonçait dans le roc. Le tunnel, sans la moindre décoration, s’étirait en ligne droite sur des centaines de mètres. Après de longues minutes de marche, il déboucha enfin dans un corridor transversal. Plusieurs lourdes portes de fer s’alignaient, dont l’une était surveillée par six gardes en arme. Cinq d’entre eux s’inclinèrent tandis que le dernier ouvrait la porte. Sans un mot, le souverain entra.
La pièce, grande et richement meublée, contrastait avec la froideur et le dénuement du couloir. Le sol était recouvert d’un épais tapis qui étouffait le bruit des sabots. Les murs de pierre étaient décorés de tapisseries et de boiseries sculptées. Il n’y avait pas de fenêtre, mais un lustre suspendu au plafond répandait dans toute la pièce une douce lumière dorée. Sans l’épaisse porte de fer, on se serait cru dans le salon d’un manoir. Un grand sofa occupait le centre de la pièce, dos à la porte. Une longue corne blanche dépassait du dossier.
Namar fit quelque pas en silence. Les oreilles de Célestia frémirent, mais elle resta immobile et silencieuse. Malgré la chaleur et le confort de la pièce, l’ambiance était glaciale.
- Comment vous sentez-vous ? finit pas demander le souverain.
Célestia souffla avec mépris.
- C’est bien le dernier de mes soucis, fit-elle sans même tourner la tête. Je veux savoir ce qui se passe à Equestria et ce que vous faites subir à mon peuple. Et je veux voir Twilight.
Namar, toujours debout derrière le sofa, marcha lentement vers un des murs et leva la tête vers la tapisserie qui le recouvrait. Elle représentait un de ses ancêtres, entouré de ses troupes, chargeant héroïquement les hordes koboldes sur les flancs verdoyants d’une colline.
- La Princesse Twilight Sparkle se porte aussi bien que possible en pareilles circonstances, soyez-en sûre.
- Je veux la voir, répéta Célestia d’une voix dure. Je ne croirai rien de ce que vous me direz tant que je ne l’aurais pas vue.
- Vous ne le pouvez pas. Ni elle ni les autres prisonniers.
L’Ibex contourna le sofa et posa enfin le regard sur l’alicorne blanche. Célestia portait le même collier que toutes les licornes prisonnières. Sa crinière et sa queue, privées de la magie qui les animait d’ordinaire, lui tombaient en cascade sur l'encolure et les jambes. Ses yeux ornés de cerne trahissaient sa fatigue, cependant un éclat vivace y brillait toujours. Elle le fixa à son tour d’un air sévère, les sourcils froncés. Cependant, au bout de quelques secondes, un rictus à peine perceptible se dessina au coin de ses lèvres.
- Vos plans ne se déroulent pas comme prévu, fit-elle. Cela se voit dans vos yeux.
Namar détourna le regard et s’en retourna vers le mur. Il leva la tête vers un autre tapisserie, qui représentait une troupe de chamois perchés au bord d’une falaise.
- Ne vous réjouissez pas trop vite. Dans la situation où vous vous trouvez, vous avez tout intérêt à ce que les choses se passent le mieux possible.
Un long silence s’installa. Célestia gardait les yeux rivés sur le souverain.
- Je sais que vous n’êtes pas un monstre, fit-elle d’un ton grave. J’en ai combattu de vrais, et vous n’êtes pas l’un d’eux. Alors, dites-moi : pourquoi faites-vous cela ?
Namar resta immobile pendant de longues secondes face au mur, la tête basse.
- Combien d’Ibex avez-vous connus avant moi, Célestia ? finit-il par lâcher d’une voix morne.
La grande alicorne baissa la tête en soupirant.
- J’ai déjà eu cette discussion avec de nombreuses personnes, et elle ne se termine jamais bien. Vous cherchez à marquer l’histoire ? poursuivit-elle en élevant la voix. À ce que votre nom ne soit jamais oublié ? Vous cherchez à atteindre l’immortalité à travers vos actes, aussi infâmes soient-ils ?
Le souverain l’écouta en silence puis se tourna lentement vers elle, ses cornes cerclées d’or accompagnant son mouvement. Ses yeux ne respiraient plus la dureté, mais bien la fatigue et la lassitude. Célestia se rendit alors compte à quel point il était vieux. Bien moins âgé qu’elle, mais d’autant plus usé et desséché par les ans.
- Vous croyez que je suis jaloux de vous ? fit-il avec mépris. L’immortalité ne m’intéresse pas. J’ai déjà vécu bien assez longtemps et j’accueillerai la mort sans rechigner le jour où elle descendra me prendre. Ce que je fais, je ne le fais pas pour la gloire, ni pour ne plaisir d’asservir les autres. Je le fais parce que le sort m’y oblige. Il m’a donné le moyen d’agir et ç’aurait été me trahir moi-même que de ne pas m’en saisir.
- Et que ferez-vous, ensuite ? fit Célestia, la voix chargée de colère. Dominer le monde, comme tant d’autres en ont rêvé avant vous ? Tous ceux qui s’y sont essayé ont fini par tomber, et il en sera de même pour vous !
- Je ne ferai rien. Ce sont les magiciens qui devront réapprendre à vivre et à bâtir par eux-mêmes, comme nous le faisons ici depuis des millénaires.
Il plongea ses yeux noirs ornés de rides sur la princesse.
- Nous ne sommes pas de ces choses gavées de magie dont vous vous débarrassez en agitant la corne. Oui, je connais l’histoire de Sombra, de cette chimère que vous appelez Discord et de la créature de cauchemar qui se cache sous les traits de votre soeur. Vous ne venez jamais réellement à bout de vos ennemis, vous ne faites que les envoyer au loin avant de les laisser revenir en rampant pour implorer votre pardon. Mais nous, vous ne pouvez pas nous bannir ou nous jeter aux oubliettes. Notre arme vous a déjà vaincue et elle fera bientôt de même avec tous vos semblables.
- Il y a des formes de magie dont vous ne pourrez jamais venir à bout, gronda Célestia.
- Sans doutes, mais qu’attendent-elles pour venir vous secourir ? Pour m’aveugler de leur vertu et me retourner le coeur ?
- Vous ne comprenez pas… fit Célestia en baissant la tête.
- Oh si, je comprends ! Mais le monde va changer et vous n’y aurez plus votre place. Vous pouvez me maudire autant que vous voudrez, mais ne me reprochez pas de faire ce qui doit être fait !
Le vieux monarque grondait de rage. Après quelques secondes, il soupira profondément et passa sa patte sur son front avant de retrouver le visage sévère mais calme qu’il affichait d’ordinaire. Il se tourna vers la porte mais resta encore un instant immobile, dos au sofa.
- Je ne vous ai pas amenée ici uniquement pour vous garder prisonnière, finit-il par lâcher. D’ici peu, je vais avoir besoin de vous.
- Je ne ferai rien qui puisse vous aider, trancha Célestia.
- Vous n’avez pas plus le choix que moi, répondit Namar, impassible. Je pensais ne pas devoir commencer cela aussi tôt, mais les circonstances m’y obligent.
Il se tourna une dernière fois vers Célestia et posa sur elle son regard fatigué.
- Reposez-vous, ma chère. Vous aurez besoin de toutes vos forces.
Il se retourna et sortit, laissant la lourde porte de fer se refermer derrière lui.
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Sinon, chapitre un peu court mais toujours agréable à lire, une sorte de transition dirait-on ?
Il s’immobilisa à nouveau devant les fenêtres. Comme s’il avait actionné quelque commande cachée, la porte s’ouvrit et deux gardes rentrèrent quelque commande cachée -> quelques commandes cachées