CHAPITRE 19 - Oh, chère princesse Celestia…

- Euh…

Merde.

Merde merde merde.

Ils le regardaient, maintenant. Jeltz réalisa que cette fois, les licornes avaient leurs cornes couvertes par un dispositif d’annulation de magie. Oh oui, il se souvenait de la conversation qu’il avait eue avec son conseiller en ligotage. Il avait été violemment injuste avec lui, et très clair sur la façon qu’il convenait d’emprisonner une licorne. C’était franchement incroyable qu’il n’y ait pas pensé tout de suite, la magie n’étant pas si rare que cela. Et évidemment, la plupart des êtres magiques ne laisseraient pas un vogon s’approcher sans se téléporter ailleurs.

Il grinça de culpabilité. Il s’en voulait à la fois pour s'être mis tellement en colère contre l’autre vogon, et pour avoir fait emprisonner deux fois de suite la même licorne. Il sentait de plus en plus qu’il ne devrait vraiment pas être méchant, ce qui est terrible quand on a rien fait d’autre de sa vie jusqu’à présent que d’être méchant.

Il se rendit finalement compte qu’il était planté là à réfléchir depuis une minute ou deux et il jura à haute voix.

- Merde !

Les poneys le regardaient avec confusion et appréhension. Il réalisa qu’ils étaient muselés et bâillonnés et se sentit un peu malade.

- Euh… Je suis vraiment… désolé pour tout ça… » Ses cordes vocales se nouèrent presque lorqu’il prononça le mot “désolé”. c’était quelque chose qu’aucun vogon n’avait jamais dit avec sincérité depuis leur apparition.

Les poneys l’observaient avec étonnement.

- Euh… Je ne sait pas vraiment quoi faire… » admit-il. Toutes les certitudes qui l’avaient soutenu durant sa longue carrière s’étaient envolées, et tout cela l’embrouillait désespérément sur ce qu’il fallait faire.

- Je vais vous détacher ! » dit-il dans une soudaine inspiration. C’était une pensée étrange. Il n’avait aucune idée de pourquoi il n’avait jamais pensé à laisser un prisonnier s’en aller. Il se demanda si il n’avait même jamais considéré la possibilité. Un prisonnier lui avait-il déjà dit quelque chose qui l’avait convaincu de le laisser partir ? Un avis favorable sur ses poèmes, peut-être ? Un prisonnier qui aurait reconnu la véritable vogonité de son âme passionnée, par exemple. Mais à présent, il se demandait même si ses poèmes avaient jamais été bons. Son cerveau croulait presque sous le choc, en surcharche, et il prit quelques secondes pour se rendre à nouveau compte qu’il se tenait toujours sans bouger, l’air hagard. Il trouva presque cela drôle. C’était la première fois qu’il pensait vraiment à lui même, et il ne savait pas que penser. Ridicule. Ha ha.

Il émit un son gluttural, un rire de vogon, et trébucha hébété sur le poney le plus proche, la rose fluo. Il lui retira son bâillon, et des pensées hérétiques (selon les critères vogons) fusèrent dans son cerveau comme des feus d’artifice. La bouche de la ponette s’ouvrit grand, incroyablement grand, et ses yeux s’agrandirent comme des soucoupes. C’était l’expression d’un choc absurde.

- Les filles… » siffla-t-elle « je crois que ce vogon a fumé quelque chose !

Le vogon était passé à ses liens, et il était en difficulté.

- Hein ? » Il leva les yeux, complètement interloqué. Il était parti dans son train de pensée et avait complètement oublié où il était. Son cerveau subissait l'équivalant mental d’une révolution industrielle, et de nouveaux train partaient chaque seconde. Beaucoup d’entre eux déraillaient, mais au moins, ça bougeait. C’est ce qui arrive souvent lorqu’un esprit réalise qu’il est capable de penser : il en deviens subitement incapable.

Pinkie finit par glousser. Rire devant le danger est une chose, mais rire devant un capitaine vogon, attachée à une chaise de torture ? Elle ne pensait pas le faire un jour. Elle décida de tenter sa chance, alors que les autres la regardaient avec de gros yeux.

- Alors, Mr Voggie-Doogie, comment allez vous aujourd’hui ?

Le capitaine, qui venait de détacher le dernier de ses liens, la regarda. « Euh… » Merde « Bien. Je pense.

- On se sent un peu différent, pas vrai ? » Elle lui fit un sourire.

Il essaya de sourire aussi. Sur son visage, l’aspect était moins envoûtant, mais on pouvait au moins voir qu’il essayait. « Je crois que j’ai plus très envie d’être un vogon, en fait.

- Pourquoi pas ?

- Je pense pas… Je pense pas que les vogons soient vraiment les bonnes choses à être. » Il l’avait dit. Il était finalement arrivé à la conclusion à laquelle n’importe quel astrostoppeur aboutit après une journée de pratique : les vogons, dans l’ensemble, ne sont pas bons. Pour tout autre vogon, l’idée était tout à fait incompatible avec un cerveau en fonctionnement normal, mais c’était clair maintenant. La voix avait raison, il devait tracer la propre voie. Intérieurement, il rayonnait. Il serait un gentil vogon ! Il serait le premier ! (à part un de ses oncles éloignés, sur lequel couraient des rumeurs de tendances sympathiques, mais il avait été abattu avant de confirmer quoi que ce soit, donc ça ne compte pas).

Pinkie frappa fraternellement son épaule de son sabot. Cela ne semblait pas physiquement possible, mais elle le fit de toute manière. « Merci de m’avoir libérée. Tu va nous laisser partir ? » Elle battit des paupières, soucieuse d’en finir vite au cas où l’état du vogon serait temporaire.

- Oui ! » La vois grasse et rauque contenait tant de joie provocante que Pinkie en fut surprise. Elle enchaîna avec une autre question pertinente.

- Depuis combien de temps vous sentez-vous comme ça, Mr Voggie-Doogie ? Je peux vous appeler comme ça ?

Jeltz y réfléchit, et se dit qu’il s’en fichait, finalement. Il se dit ensuite qu’il était plus important de parler de sa condition.

- Je ne sait pas vraiment… » Il s’interrompit. C’était étrange, mais il ne se souvenait presque plus de la voix. « Quelqu’un… m’a donné des conseils, il y a un certain temps…

Pinkie fronça les sourcils. « Qui ?

- Il était très bizarre. Il avait des cornes, je crois. C’était pas un vogon.

La bouche de Pinkie s’ouvrit, et elle pâlit un peu. Elle leva les yeux et prit un regard menaçant. « Ça vaudrait mieux que ce soit pas ce à quoi je pense !

***

Un adolescent roux, qui tapait au clavier dans l’obscurité, regarda avec confusion des phrases apparaître de nulle part sur l’écran. Il but calmement une gorgée de thé et regarda de plus près. Il ne se souvenait pas les avoir écrites, mais il y avait du rhum dans son thé et il n’était pas certain à cent pour cent. Il essaya de les effacer.

***

- Oh, non, ça se passera pas comme ça ! Si tu prépares d’autres ennuis avec Discord, tu va avoir des soucis, jeune homme !

Les autres poneys regardaient fixement Pinkie qui semblait parler dans le vide.

***

L'adolescent vit distinctement les mots se taper eux-mêmes. il frotta ses yeux, puis scruta l'intérieur de sa tasse. Il tendit les mains et écrit : “ Fait moi confiance là-dessus, Pinkie. Tout est planifié. “, et il se sentit ensuite très bête. Mais il décida finalement de ne pas s’en occuper. Ses lecteurs penseraient que ce n'était qu’une blague, et il n’avait qu’à rajouter un peu de rhum dans son thé pour oublier cette petite entorse à la réalité. Sur un coup de tête, il ajouta : “Pinkie Pie is best pony.”

***

- Si tu le dis ! » Tout le monde dans la salle la regardait avec une confusion absolue. Elle rit nerveusement « Désolée, je vérifiais juste un truc avec quelqu’un d’assez important. » Elle se tourna, puis poursuivis la conversation avec le vogon perplexe. « Cette personne qui vous a donné le conseil, était-elle... cahotique ?

Le vogon hocha la tête autant que son petit cou le lui permettait. « Je crois que c’est ce qu’il était.

- Discord. » souffla Pinkie. Elle se tourna vers les autres. « Voilà ce qui arrive quand on discordifie un vogon ! Pensez-y ! Le contraire d’un méchant grincheux et borné ! » Elle fit un geste vers Jeltz. « Maintenant, il va être gentil, sensible, et peut-être même doué en poésie ! »

Elle se tourna vers lui avec un nouveau sourire sur le visage, qui disparut lorsqu'elle se rendit compte de ce qu’il lui arrivait. Un voile doré s’était formé, une lueur qui portait clairement la trace d’un immense pouvoir magique.

- Oh, non ! Nonononon !

Chaque poney qui avait déjà vu cette magie ne pouvait douter de son origine.

Jeltz ouvrit la bouche pour dire “Qu’est ce que…” et disparut dans une bouffée de magie, d’une odeur que Twilight pouvait reconnaître entre mille. L’odeur de la puissance magique de Celestia.

***

Le Guide du Routard Galactique contient un article pour chacune des soeurs royales d’Equestria, principalement parce que c’est la politique du guide de ne pas risquer l’irritation d’un dieu, et de se trouver un matin avec un éclair ou un marteau à l’endroit où se trouvent normalement les bureaux de la rédaction. Ou pire, un groupe de croyants armés de brochures dépliantes.

La plupart des dieux ne sont cependant pas très subtils, et les avertissements et critiques cachées sont encouragés, tant qu’un enfant de dix ans ne peut les détecter. Il y a d’ailleurs toujours un enfant de dix ans présent dans la rédaction, afin de s’assurer que la tranche d'âge correspondant au niveau du lecteur astrostoppeur sans-abri moyen n’ait pas de difficultés à être informée.

Ainsi, les articles sur Celestia et Luna sont des articles génériques pour dieux, des textes à trous conçus pour apaiser les divinités décrites jusqu’à ce qu’un reporter ne constate effectivement leur existence et leur consacre un article. Voici le texte consacré à Celestia, les mots remplaçables étant soulignés.

“ La Princesse Celestia est le seul vrai dieu, créateur de l’univers et seigneur de toute chose. Son pouvoir est inégalé dans tout le cosmos.

Elle est principalement vénérée dans le pays d’Equestria, de même que par la rédaction du Guide du Routard Galactique et toute l'équipe de Megadodo Publications. Elle règne en compagnie de sa sœur, la Princesse Luna, avec justice et équité pour tous.

Elle réclame des sacrifices de rien du tout, afin que sa juste colère ne s’abatte pas sur l’univers. “

La précision réelle de l’article est secondaire, l’essentiel étant de caresser l’ego de la déité en question. Aucun dieu, même de ceux qui n’ont pas créé l’univers, ne peut être offensé en étant appelé “seigneur de toute chose”. Cette politique du guide a ainsi mené à plusieurs grandes guerres saintes, les dieux et les fidèles étant gonflés de leur importance, et emplis d’un sentiment de légitimité injustifié. Le véritable créateur de l’univers est sujet à de nombreux débats entre les dieux, et tout le monde se porte mieux en ignorant la question.

Il est intéressant de noter que l’article traitant de la princesse Luna est mot pour mot identique à celui de la princesse Celestia, et l'écrivain dont le travail était d’effectuer un simple Ctrl+c Ctrl+v oublia d’apporter les modifications appropriées.

“ La Princesse Luna est le seul vrai dieu, créateur de l’univers et seigneur de toute chose. Son pouvoir est inégalé dans tout le cosmos.

Elle est principalement vénérée dans le pays d’Equestria, de même que par la rédaction du Guide du Routard Galactique et toute l'équipe de Megadodo Publications. Elle règne en compagnie de sa sœur, la Princesse Luna, avec justice et équité pour tous.

Elle réclame des sacrifices de rien du tout, afin que sa juste colère ne s’abatte pas sur l’univers. “

***

Jeltz se trouva entouré d’une lumière dorée, et expérimenta d’un coup une sensation étrange de déplacement.

Il se matérialisa dans la salle du trône, et se sentit mal.

“ Donc, “ se dit-il avec une nouvelle bouffée de culpabilité, “ voila ce que ça fait d’être téléporté. Je m’en passerais bien."

Sa pensée suivante fut : “ Oh, mon dieu. “

Sa pensée d’après, une réminiscence de son ancienne personnalité, fut : “ Oh, merde. “

Les goûts des vogons ne comprennent ni les couleurs vives, ni la propreté. Dans la pièce, les deux étaient assez évidents. Au milieu de l’or, du marbre et des vitraux, Jeltz se sentait maladroit dans son brun verdâtre et son uniforme en caoutchouc noir, et il se demanda d’un coup à quand remontait son dernier bain. Le petit jeton doré qu’il portait accroché, et qui signifiait sa position de capitaine, paraissait tout à fait ridicule.

Mais le pire, c’était les deux figures qui l’observaient d’en haut. Là, de chaque côté du trône, se tenaient les princesses royales Celestia et Luna. Il apparut à Jeltz qu’il ne s’était pas fait d’amis la dernière fois qu’il était venu à Equestria, et qui bien qu’il n’avait pas de confirmation, ces deux êtres étaient en quelque sorte responsables de cette planète qu’il avait détruite. Leur puissance évidente lui suggéra la raison pour laquelle la planète avait finalement survécu.

***

Détruire toute un peuple n’est un excellent moyen de se faire aimer de la population locale, à l'exception notable de l’ancienne race des Gratheems. Les Gratheems possèdent presque tous les attributs dont une race pourrait rêver : ils sont incapables de mourir de mort naturelle, sont universellement nobles, sages et bienveillants, et sont tenus en haute estime par toute la galaxie. Les crimes et les guerres sont totalement inconnus pour eux. Ce qui est malheureux, c’est que toute l'espèce considère la mort est le but final de tous les êtres, et en tant que tel, leurs vies interminablement heureuses deviennent un fardeau insurmontable. Une flotte de destruction vogonne serait accueillie là bas comme une entreprise héroïque et philanthrope.

Les poneys d’Equestria ne sont cependant pas des Gratheems, et Jeltz a raison d’avoir peur de l’impression que ses activités avaient laissée sur les dirigeants de ce monde.

***

La colère de Celestia est une chose effrayante à voir. Jeltz se sentait presque physiquement forcé de rester immobile. Normalement, la télékinésie sur un être doué de conscience est presque impossible, car les défenses magiques présentes dans chaque individu jouent à domicile. Cependant, Celestia est capable de déplacer une étoile dans le ciel, et un vogon ne peut lui offrir aucune résistance.

- Pourquoi êtes-vous revenu ?

Sa voix résonna dans la grande salle vide. Elle n’avait pas délibérément utilisé la Voix Royale de Canterlot depuis des siècles, et se serait amusée si elle n’était pas aussi énervée.

- Euh…

MERDE.

***

Dans le vaisseau vogon, Pinkie venait tout juste de finir de libérer Twilight de des liens, qui se frotta les pattes dans la plus pure tradition du frottage de pattes post-libération. Elle l’aida ensuite à libérer ses autres compagnes.

- Et maintenant ? » demanda Twilight alors qu’elle détachait le museau d’Applejack.

- On doit évidemment descendre là en bas avant que Celestia ne bannisse tous les vogons sur la lune ! » répondit Pinkie. « Je sens qu’elle est très en colère en ce moment.

Twilight toussa. « Franchement, Pinkie, je pense qu’ils méritent tout ce que Celestia leur fera ! Ils ont essayé de nous tuer !

- Sûr qu’ils l’ont fait ! » Applejack grognait presque. « On d’vrait juste sortir d’ici et rentrer chez nous une fois que la princesse se sera occupée d’eux !

- Mais vous ne voyez pas ? Le capitaine, il est différent, maintenant ! Il ne mérite pas d’être puni alors qu’il a enfin fait quelque chose de bien, pour une fois !

- Mais qu’est ce qu’on peut faire ? On est assez près pour se téléporter en bas ? » La question venait de Fluttershy. Personne ne fit de remarque sur le fait que ses ailes étaient dressées depuis qu’elle avait été ligotée.

Twilight se posa et se concentra, envoyant une faible impulsion magique, effectuant une triangulation avec les lignes ley d’Equestria qu’elle connaissait si bien.

- Je pense pouvoir me téléporter… avec un autre poney. Un seul pour le moment. Je devrais aller chercher Celestia pour vous ramener tous, je pense.

- Quoi qu’il en soit, on doit partir maintenant ! Ou bien le proverbe se vérifiera !

- Quel proverbe ?

- Un bon vogon est un vogon banni sur la lune !

- Pinkie, ce n’est pas un proverbe !

- Ça en deviendra un si on ne va pas là bas et qu’on ne règle pas le problème tout de suite ! Ce pauvre vogon a besoin de nous !