Le Guide du Routard Galactique a beaucoup à dire au sujet de l’inévitabilité, et il est globalement assez méprisant. Selon lui, dans un univers infini, tout ou presque est possible. Même quand on est pris au piège à bord d’un vaisseau qui fonce droit vers une mort certaine, il pourrait se produire à tout moment une chaîne d'évènements permettant à ladite collision de ne jamais se produire. Et même après l'évènement, l’invention du voyage temporel et la nature multidimensionnelle de la réalité n’offre aucune garantie de quoi que ce soit. Il serait par exemple possible que les occupants apparemment condamnés du Coeur-en-Or soient sauvés par, disons, une interaction gravitationelle avec un vaisseau vogon de passage. Ils pourraient même être secourus par un troupeau géant de mégaperroquets Arcuriens, de curieuses créatures dotées de centaines d’ailes réfléchissantes, naviguant sur les photons et se nourrissant de molécules trouvées ça et là dans l’ether.
Une flotte de ces bestioles passait justement dans le coin, suivant une trajectoire de collision presque parfaite avec le vaisseau. Cela serait une solution très pratique pour le sauvetage, mais ça ne l’a pas été, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le troupeau passait tout de même à une demi année-lumière du vaisseau. Ensuite, les mégaperroquets Arcuriens ne sont en fait pas suffisamment intelligents pour prendre de telles décisions, sauf scénario improbable. Troisièmement, nos héros ont utilisés tous leurs jokers “un million contre un”, et il est temps qu’ils se débrouillent un peu tout seuls. On a des quotas à respecter. Enfin, quatrièmement, il est largement connu que les mégaperroquets Arcuriens sont de parfaits connards. Des connards sous-développés, mais des connards quand même.
Ainsi, le vaisseau continuait sa route à travers l’espace, à une vitesse inconfortable. A son bord, les poneys prenaient les évènements de bien des façons différentes.
***
Rainbow Dash était couchée sur un lit. Elle tremblait depuis la pointe des sabots jusqu’au bout des rémiges de ses ailes. Personne n’aurait dit qu’elle était peureuse - en tout cas, personne qui souhaiterais éviter d’assister à 1) un spectacle de voltiges dangereuses, et 2) un choc de son visage avec une paire de sabots. Elle ferait n'importe quoi pour prouver qu’elle n’est pas une lâche.
Mais le problème était là. On peut généralement combattre un danger, pour peu qu’on en ait les compétences - et Dash n’a jamais douté de ses compétences - mais ci, la situation était très différente. D’après ce que Pinkie Pie leur avait dit, aucun d’eux ne pouvais faire quoi que ce soit, et d’après ce que Twilight avait dit, seul un poney possédant une forte aptitude à la magie et/ou l’astrophysique pouvait faire quelque chose. Dash a répliqué qu’en tant que seul poney ayant dépassé la haute atmosphère (au cours d’un stage de vol junior), elle était la plus qualifiée pour s’occuper de voyage spatial, mais personne ne l’avait écoutée. maintenant, elle était couchée sur le lit, incapable de réagir et totalement impuissante devant la mort certaine d’elle et de ses amies. C’était… horrible.
Son corps envisageait la mutinerie, c’était la seule raison qui justifiait qu’il continuât de trembler. Apparemment, son incapacité à penser à un plan d’action avait mené ses bras, ses jambes et ses ailes à remettre en cause leur allégeance, et un vote de défiance avait été demandé à l’encontre du cerveau. Dash se concentra, et mata la rébellion dans ses ailes, qui s’immobilisèrent. Le reste de ses membres, eux, continuaient de trembler.
- Du calme, du calme !
Le prolétariat corporel ne se calma pas, et ses yeux commençaient, eux aussi à faire des leurs.
- Je vais pas pleurer ! » Murmura-t-elle avec dépit, et contre toutes les évidences visibles. Il y eu un bourdonnement, et une voix annonça à la cantonade sa satisfaction d'ouvrir l'accès à la chambre.
Rainbow Dash fit un effort désespéré pour trouver ce qu’elle pourrait faire pour pouvoir avoir l’air d’avoir fait cette chose depuis qu’elle est ici. Allez, il y a toujours une excuse à trouver ! Il doit y en avoir une ! On peut toujours trouver une solution, sinon, l’univers est simplement injuste.
Une aile jaune pâle se posa sur son dos, et Rainbow Dash, présidente à vie de l’incroyable Rainbow Dash, abandonna.
Fluttershy se trouva soudain coincée dans une étreinte humide et tremblante, qui vidait l’air de ses poumons.
- Là, là… » dit-elle, ce qui est le genre de chose que l’on dit lorsque l’on a pas vraiment de réconfort à offrir, mais qu’il faut bien dire quelque chose, de toute manière.
***
Twilight faisait les cent pas. C’était un bon moment pour faire les cent pas. En face d’elle, deux aliens. L’un d’entre eux avait vraiment l’air d’un alien. Deux fois plus de têtes, de cornes, et à peu près deux fois moins de matière grise. L’autre était une de ses meilleures amies. Entre sa connaissance du voyage spatial et sa propre intelligence, Twilight sentait qu’il y avait quelque chose à creuser. Le problème était que les deux aliens avaient eu le temps de boire quelques verres avant qu’elle ne reprenne le contrôle de la situation. En vérité, l’ordinateur était plus à même de répondre à ses question.
Après un interrogatoire approfondi, elle avait pu rejeter plusieurs possibilités.
1 : Contacter Celestia, demander un sauvetage, un câlin, et une pièce très calme et la plus éloignée possible de l’espace pour se reposer. Rejeté, car Celestia ne fait pas grand cas de la technologie, et que de toute façon, les radios étaient en panne.
2 : Lancer différents objets à grande vitesse dans la direction opposée à la chute pour ralentir la descente. Un veto a été posé car A) ces objets auraient probablement percutés à leur tour Equestria, et B) selon Zaphod, si les bouteilles d’alcool devaient être jetées par dessus bord, autant mourir de toute façon.
3 : Tenter de réparer le moteur. Rejeté car personne à bord n’avait la moindre compétence en ingénierie. Pinkie s’était exclamée qu’elle connaissait le numéro d’une dépanneuse stellaire, et que ça devrait suffire pour la plupart des gens.
4 : Utiliser la télékinésie pour ralentir le vaisseau. Twilight a longuement réfléchi à cette possibilité, avant de réaliser que la télékinésie, bien que très utile, ne permet que de bouger un objet par rapport à un poney, et qu’il était donc tout à fait impossible d’agir sur le Coeur-en-Or sans avoir à en sortir. Et même dans ce cas, elle ne pourrait le ralentir que pendant la trentaine de secondes durant laquelle elle serait en vie.
Twilight continua à marcher, la colère montant doucement. Elle pensait aussi fort qu’elle pouvait. En terme mentaux, c’était comparable à une formule 1 qui montait en régime jusqu’à en fumer.
Puis elle sauta soudainement en l’air, cria de joie, puis rougit.
- Comment pouvons nous être aussi stupides ?
- Hein ? Quoi ? » Les processus mentaux de Zaphod étaient moins impressionnants.
- Je ne peux pas croire être passée à côté aussi longtemps !
- Twilight ? » Demanda timidement Pinkie.
- Un courrier-dragon ! Je peux demander à Spike d’envoyer une lettre à la princesse !
Pinkie s’anima soudainement. C’est une image, hein. Elle ne se transforma pas subitement en personnage de cartoon. Ça serait idiot.
- Oh, woah ! Twilight, tu as raison ! Le petit Spikey peut lui envoyer une lettre !
- Bien sûr que oui ! Pouah ! Je ne comprend pas comment j’ai pu être aussi stupide ! Il était avec nous tout ce temps ! » Twilight ne pouvait pas croire qu’elles aient été en possession d’une ligne direct avec une divinité céleste depuis le tout début, et qu’elle n’y avait jamais pensé.
- Ne te blâme pas, Twilight.
- Comment pourrais-je ?
- Au mieux, tu ne peut qu’avoir l’intelligence de l’auteur. C’est lui qu’il faut blâmer. Oh, et les gens qui écrivent les commentaires, aussi. Mais surtout l’auteur. C’est vrai que c’est un assez gros trou dans le scénario, ça. Mais le traducteur n’y est pour rien, bien sûr.
Twilight l’ignora, mettant tout cela dans le dossier “indéchiffrable, mais potentiellement ridicule ou inquiétant si déchiffré”. Depuis qu’elle avait rencontré Pinkie, ce dossier se remplissait de jours en jours.
En fin de compte, cette idée a été abandonnée lorsque Spike a déclaré qu’il ne pouvait pas “sentir” la princesse d’ici, et qu’il pourrait au mieux réduire la lettre en cendres. Il a été suggéré qu’une lettre pourrait être écrite, et qu’elle serait envoyée au moment où il “sentirait “ à nouveau la princesse. Cette idée rencontra l’approbation générale, et Twilight commença d’emblée à la rédiger dans sa tête.
“Chère princesse Célestia.
Je n’ai littéralement pas le temps de tout vous expliquer. Avant de lire la suite de ma lettre, vous devez invoquer un filet géant ou quelque chose qui peut arrêter un vaisseau en train de tomber à grande vitesse sur Equestria, sans endommager les personnes à bord. Faites-le maintenant. S'il vous plaît. Sérieusement .
Si vous lisez encore, je veux dire, maintenant. S'IL VOUS PLAÎT.
Ok, si vous l’avez bien fait, je suppose que je peux maintenant… “ Elle en était là lorsqu’il a été découvert qu’il n’y avait pas la moindre feuille de papier à bord.
- PAS UNE ?
- Le papier, c’est tellement obsolète ! Rien de moins cool ! Il a été remplacé depuis longtemps !
Ce qui était bien vrai. Une fois que la Compagnie Cybernétique de Sirius a réalisé qu’elle détenait le monopole sur quasiment tout le matériel technologique, elle a décidé de racheter tous les producteurs d’information sur quelque support que ce soit pour forcer les gens à utiliser leur papier ether révolutionnaire.
Ils ont été certains d’inclure dans leurs rachats les fabriquants de serviettes en papier, car il est connu que la plupart des grandes inventions ne sont parties que de gribouillages hâtifs sur le dos des serviettes en papier. Ils supprimèrent ainsi toute concurrence à venir.
Donc, bonne chance pour écrire une lettre.
***
Le Guide du Routard Galactique indique que le vaisseau de guerre le plus dangereux et efficace que l’univers ai jamais connu est la planète de classe H Bunnytopia, monde natal de la race brutale des Fwuffeykins. Cette transformation résulte d’une discussion houleuse dans le bunker-bar du président planétaire. Celui-ci avait obtenu ce titre en passant plusieurs années sur les routes, tabassant lui-même tout ceux qui ne voulaient pas voter pour lui, jusqu’à ce qu’ils le fassent. Il discutait avec son haut astronome (qui avait gagné son poste de la même façon, en se concentrant toutefois sur les scientifiques), lorsque le sujet fut mis sur la table.
- Ce que je dit, » commença l’astrologue, « c’est que dans l’espace, il y a des milliards d’autres espèces, n’est ce pas ?
- Ouais.
- Et que beaucoup d’entre elles, à un moment donné, regardent vers le ciel, pas vrai ?
- Ouais.
- Et bien j’ai passé quelques heures avec une calculatrice, et il en ressort qu’il y a des chances assez hautes pour qu’à un certain moment, ils aient regardé le bout de ciel où nous nous trouvons, et qu’ils aient ri.
Le président, dont le nom était Fluffybuffy le Terrible, cligna des yeux;
- Ces salauds se sont moqués de nous ?
- Avec une probabilité de soixante-cinq pour cent.
- Très bien, chaussez vos bottes. Nous partons en guerre !
- Contre qui ?
- Les premiers qu’on trouvera ! On va leur apprendre à se moquer de nous !
Et ainsi fut fait. Plusieurs générations ont été consacrées afin de permettre à la planète d’effectuer des voyages interstellaires. Elle a été équipée de moteurs hyperespace, et deux de ses continents ont été transformés en énormes canons à antimatière. Le vaisseau abandonna son étoile-mère et se mit à la recherche d’une autre race, avec dans l’idée de la réduire, elle et la zone se trouvant dans un rayon de cent années lumières, à quelque chose de totalement incapable de se moquer de qui que ce soit.
Par une coïncidence stupéfiante, la première planète avec laquelle les Fwuffeykins sont entrés en contact était en fait la maison de Bribog Lerxiun, un misanthrope solitaire qui s'était réveillé un matin il y a plusieurs centaines d’années, avait regardé le ciel, et avait murmuré “Bande de trouducs”. Heureusement pour lui et pour le système environnant, la population du vaisseau avait disparu, emportée dans des querelles intestines. Les Fwuffeykins avaient acquis la fâcheuse habitude de se déclarer la guerre à eux-mêmes pour s’être regardé en rigolant dans un miroir.
Le GSS Suicidal Insanity est le plus gros vaisseau de guerre de la flotte du gouvernement galactique, et il est beaucoup plus petit que la planète Bunnytopia. Son capitaine n'en est pas au courant mais cela l’aurait sans aucun doute agacé. C'était un petit équidé trapu de nature incertaine, qui a toujours estimé que les gens le regardaient de haut. Être en charge d’un demi-million de tonnes de métal ne lui empêchait pas d’avoir le sentiment que tout le monde le regardait de travers, et cela le déprimait. De fait, lorsque deux coups polis retentirent à sa porte, il était persuadé que c’était sarcastique, et s’enfonça un peu plus dans son fauteuil. On frappa à nouveau.
- Entrez. » dit-il, et il le regretta instantanément. Il était sûr que sa déprime transparaissait dans sa voix. La poignée se tourna et une étrange créature entra. Il était bipède, et entièrement vêtu de blanc. Pantalon blanc, chemise blanche à col de brocard d'or et médailles assorties, et un chapeau blanc posé de travers sur sa tête. Plus que son accoutrement, ce qui paraissait étrange au capitaine était ses proportions, qui lui semblaient être le résultat du travail d’un enfant à qui on aurait donné un coffret du parfait petit dieu et quelques kilos de sucre. Mais ce n'était pas le plus bizarre, le capitaine hébergeait de nombreuses races sur son navire. Non, le plus bizarre, c’était que la créature chantait.
- In the navy, » commença-t-elle « You can sail the seven seas !
- In the navy ! » répéta-t-elle avec encore plus d’enthousiasme « You can put your mind at ease ! » La créature cessa son chant, salua le capitaine, et se mis au garde à vous, bien qu’un peu gênée par la longueur inégale de ses jambes.
Le capitaine restait assis, bouche bée, bafouillant sans cohérence. Discord répondit avec un bruit crachotant similaire, mais posa de toute évidence une question. Le capitaine balbutia encore une fois, même si cela ne l’aida pas vraiment, et Discord fit de même, comme si il répondait. Le poney, reprenant ses esprits, vérifia que son babelfish était bien logé dans son oreille.
- Qui diable êtes-vous ? » cria-t-il, debout, pour voir si il pouvait faire une figure d’autorité convaincante.
- Oh, on parle le galactique, maintenant ? Quelle dommage, j’avais de grands espoirs pour cette nouvelle langue que nous étions en train d'élaborer… » Discord, avec la vitesse d’un chat courant sous la pluie, se coula sur le bureau devant le capitaine.
Ce dernier regarda avec horreur la chose sur son bureau lui envoyer un baiser. Ensuite, la pièce autour de lui commença à changer. Il avait l’impression d'être tout d’un coup entouré d’une foule mécontente. Un “booouuuh !” se fit entendre, puis un autre venant d’ailleurs, puis encore un autre. Le malheureux capitaine se blottit derrière son bureau, essayant de se convaincre que ce n’était qu’une hallucination. La foule grondait, sifflait, huait. puis une voix retentit à son oreille, calme, confiante, et un tout petit peu maléfique.
- Tu pourrais être mieux que ça, tu sais.
Le capitaine secoua la tête.
- Oh, si, tu pourrais. Penses-y : un petit capitaine avec un grand jouet, qui n’a jamais été assez courageux pour vraiment jouer avec.
Soudain, deux yeux jaunes se pressèrent contre les siens.
- Peut-être que tu devrais aller jouer un moment. Je suis sur qu’un capitaine d’un tel vaisseau peut impressionner des tas de juments.
Le capitaine eut l’impression de voir des formes bizarres dans les yeux, mais ça n’avait plus d’importance. Il se rendait enfin compte de toutes ses possibilités. Il serait un grand héros ! Il y a tellement de trucs qui méritent une bonne leçon ! ALORS ! ALORS personne ne le regarderait plus jamais de travers !
Discord quitta la pièce, laissant le capitaine à ses pensées de conquête, et se sourit à lui-même. C’était un bon sourire, et il était un peu vexé que personne n’en soit témoin. Il faisait bouger les choses, et il adorait ça. Il avait laissé se construire un joli petit système, et il allait le regarder s’écrouler avec délectation.
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