Derniers mots

Et bien voilà... c'est fait. Le froid m'envahit... pour la première fois, malgré mon corps cramoisi par la foudre.

A quoi je devais m'attendre, aussi ? Avec mes pensées et mes souvenirs d'un autre temps ? Que les choses seraient comme je le pensais ? Ils ont tant changé... tout en restant les mêmes. Malgré les innombrables millénaires qui nous ont séparés. Je n'avais peut-être pas eu Alpha, Beta, Delta ou Zeta en face de moi, mais ce dont j'étais sûre, c'est que cette Nova était issue d'elles. Et le pire, c'est qu'elle ignorait totalement ce que ses « ancêtres » avaient fait... le tout a été recouvert de mythologie et de croyances. Ils se sont légitimés notre fin, justifiés notre chute. Et maintenant, ils ont conquis les étoiles, à guerroyer, à pacifier... ils se prennent pour les gendarmes de l'espace, pour des redresseurs de torts. Qui va redresser le nôtre, alors ? Celui de nous avoir anéantis, pour « sauver Vitranis » ?

Mais bon, tout cela est révolu maintenant... j'ai été stupide. Stupide de croire qu'attendre de me venger changerait quoi que ce soit, que je saurais les défaire, ivre de ma propre haine. La preuve, Nova n'a eu qu'à utiliser ce que j'ai mis en place contre moi-même... ça aurait pu me servir de leçon, encore. Et pourtant... je sais que je ne vais pas revenir, cette fois. Cette trente-neuvième fois... est la dernière. Je le ressens jusqu'au tréfonds de mon âme... qui refroidit, refroidit...

Est-ce à cela que je vais passer mes dernières et ultimes secondes ? A philosopher sur mon parcours ? J'ai toujours été médiocre en philo, voire nulle... mais... être si proche de disparaître, pour de bon, atteindre ce que j'ai toujours secrètement désiré depuis mon tout premier bain... était-ce la réponse à une question stupide ou la délivrance par la Mort ? Les deux, je crois bien.

Pourquoi faut-il que ce soit à ce genre de moment critique que l'on se montre clairvoyant ? Ce coté sombre qui m'a hanté depuis toujours... il n'existait pas. Mon esprit malade l'a généré seul, parce que j'avais peur de la solitude extrême et que le temps faisait décrépir mes pensées... il reflétait ce que je n'osais imaginer, il me servait à me parler avec moi-même... plus ou moins psychiquement. Donc depuis le début, j'étais moi-même ce monstre que je cherchais à étouffer. J'ai nié ma propre démence tout ce temps. J'ai cherché à me dédouaner du mal que je ferais, une excuse.

De même, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même pour le Lazarus... il ne m'a pas maudite, il m'a accordé les moyens d'atteindre ce que je désirais le plus... la réponse à ma stupide et obsessive question. J'ai été trop bête pour comprendre que cette entité ne m'aurait lâchée que quand j'aurais eue cette réponse... il est alimenté par la volonté de son utilisateur. Une volonté cachée, étouffée par la vengeance... mais tout de même présente. Ce pourquoi je suis revenue trente-neuf fois, et pas une fois de plus... quand Nova finit par répondre à cette question, après des centaines de millénaires à ce que les juments de nébuleuse évoluent et se développent... ah... quelle ironie, celles concernées par cette question sont celles qui y ont répondu. Dire que j'ai moi-même miné des pans entiers de ma mémoire pour tenter de sauver ma psyché... mon histoire n'est qu'un champ de trous, de cases manquantes. Et tout ça pour ça... encore une fois, j'ai été stupide, tellement stupide... malgré tout ce savoir amassé, j'ai agi en licorne imbécile.

Qu'est-ce que je pourrais dire d'autre, au cours de ces dernières secondes qui semblent des minutes ? Je ne sais pas... je ne pourrai sans doute pas faire le tour de toute la bêtise dont j'ai fait preuve. Je sens les regards accusateurs, disant que j'ai manqué de cohérence, de justesse... les critiques d'épopée minable, sans saveur, de fourre-tout existentiel... à ces personnes, je n'ai qu'à dire : c'est fait. Peu importe comment l'on me juge, comment l'on critique ce qu'il s'est passé... ce qui est fait, est fait. Ils peuvent dire ce qu'ils veulent... ils n'ont pas à décider de ce tous ces événements.

Maintenant... ça y est. La chaleur s'éloigne de plus en plus... enfin, le repos éternel m'accueille, après tout cela... enfin, la voix de la dernière vitranienne va pouvoir se taire à jamais. Et nul ne pourra la faire revenir... notre chute vient de toucher à son terme.