Envolée Finale

21 h 75, 11 Fala, an 2236, Ère V

Il était presque 22 heures, en fin d'après midi... après un intense voyage de courte durée, Mala arriva au Centre Aérospatial de Finik, une petite ville réputée du Conglomérat de Tunmus pour ce dernier. La ville était une destination portuaire de taille modeste, tandis que le centre aérospatial se trouvait sur le littoral. Mais vu la baisse du niveau des eaux à cause du climat, une partie des installations étaient sur le sec, artificiellement étendues avec d'énormes tuyaux, tandis que l'on pouvait voir le pas de tir flotter sur l'océan, assez loin pour ne pas subir la baisse des eaux. Au sein de celui-ci, l'on pouvait distinguer une colossale fusée blanche à étages, de l'envergure d'un gratte-ciel. Rien qu'à la regarder, celle-ci semblait lourdement équipée de modules peu conventionnels et étranges, prévus pour le voyage en stase. L'imposant astronef tournait par conséquent en bonne partie grâce à la magie, ressource pourtant précieuse sur Vitranis, mais puissante. Il n'en faudrait pas moins pour aider à propulser une telle masse hors de l'atmosphère.

Étant arrivée en véhicule, qu'elle abandonna, aux abords de l'entrée, Mala se dissimulait toujours les yeux, semblant avoir adopté cet air froid et désabusé depuis que Zeta lui avait posé cette fatidique question qui tourmenta son esprit. Elle avait également un étrange anneau d'acier installé à la base de la corne, tandis qu'elle s'approcha du portail d'entrée du complexe. Le garde, un étalon licorne à la robe blanche et à la crinière brune, se dressa devant elle, faisant simplement son travail.

« Zone interdite aux visiteurs, madame. Pour les expositions, prenez l'entrée sur votre droite. » fit-il en faisant tourner sa matraque du sabot.

« Je ne suis pas venue visiter. » déclara-t-elle simplement et froidement.

Sa corne luisit d'un bleu foncé, comme ses yeux, alors qu'elle éjecta la matraque des sabots du garde, surpris.

« Utilisation de magie non aut... ! » hurla-t-il bien court avant d'être interrompu par Mala qui l’assomma aisément avec un choc magique, au milieu du chemin bétonné.

« Psssh... pas un bruit. Notre monde court à sa perte, alors ce n'est pas une seule licorne utilisant la magie qui va changer quoi que ce soit. Je réquisitionne ce vol ! »

D'un pas lent mais décidé, elle s'introduisit donc dans l'enceinte extérieure du centre, continuant de fixer du regard l'immense fusée au loin. Elle n'aurait pas à rentrer dans un seul bâtiment, juste à suivre la route et à éviter les systèmes de surveillance ainsi que la sécurité et les employés. Ce qui n'était pas un problème grâce à la Magie... qu'elle pouvait pleinement pomper malgré la rareté de la chose, grâce au catalyseur cité plus tôt qu'elle avait à la base de la corne. Mais comme elle l'avait souligné, vu le stade des événements, une seule licorne pouvant pleinement utiliser la magie ne changerait rien à l'état de la planète.

Passant les entrepôts, les divers hangars, puis la longue passerelle menant au pas de tir... elle demeurait discrète, sinon il serait facile au personnel de protéger la fusée et son décollage. Fort heureusement de ce coté, la fusée avait été assemblée sur le pas de tir préventivement, le lancement n'était pas du tout pour aujourd'hui.

Une fois sur place, elle se dissimulait patiemment derrière des éléments, comme l'ascenseur du pas de tir ou bien des poutres, guettant la meilleure occasion pour utiliser le dit ascenseur et éveiller le moins d'attention possible. Elle se devait d'atteindre un point précis sans être repérée.

Une fois enfin devant l'écoutille d'accès, au dernier étage de la fusée, elle prit de longues et minutieuses secondes pour forcer l'entrée, également grâce à la magie. Dans un monde devenu très dépendant de la technologie à cause du manque de celle-ci, la magie permettait de nombreuses facilités. Elle se faufila dans l'astronef positionné à la verticale, l'habitacle était plongé dans le noir malgré la présence de quelques rares hublots blindés. Elle chercha dans les casiers présents de quoi... s'équiper : une combinaison spatiale pour se protéger des rayons cosmiques, ainsi qu'un scaphandre, en cas de vide. Elle enfila le tout prestement, sans un mot, une hésitation, avant de refermer l'écoutille, de la sceller avec les lourdes manivelles, et d'aller s'installer sur la chaise de commandes. Il y avait six autres places, mais elle ne comptait attendre personne...

Elle étudia brièvement les commandes présentes, elle saurait tout manipuler seule, grâce à la magie. De plus, le modèle n'était pas spécialement des plus... compliqués, pour une Ingénieure qui a pu participer activement à la création d'êtres sur-équins pendant six ans. Êtres qu'elle cherchait désormais à fuir...

Alors qu'elle continua quelques menus réglages, elle entendit une lourde sirène retentir dehors, se doutant que l'on avait remarqué le « témoin » qu'elle avait laissé à l'entrée. Sa discrétion ayant sauté, elle accéléra les choses, en utilisant la magie à travers le panneau de commandes de la fusée, sa magie bleue remontant jusqu'au centre de contrôle, qui commença à dysfonctionner et à être saboté, en plus de commencer la phase de lancement. Les techniciens dans celui-ci paniquèrent en voyant les compte à rebours s'allumer et le reste du matériel leur claquer entre les sabots.

« Merde, l'intruse qui utilise la magie est dans la fusée !! Neutralisez le lancement ! » cria un premier.

« Pas la peine, elle a tout fait griller... facile avec de la magie. » soupira un second, résigné.

« Détourner une fusée !... les terroristes ne manquent pas d'imagination ! Ça va lui servir à quoi ?!»

Incapables d'empêcher le compte à rebours, tout le personnel à l’extérieur essayait de se mettre à l'abri, pour éviter de mourir sous le souffle du décollage imminent. Une jument seule, qui parvenait à voler une fusée sans grandes difficultés, ça tenait de l'exploit. Elle fit le nécessaire pour raccourcir le délai à cinq minutes, histoire de partir au plus vite et de ne pas laisser le temps à d'éventuelles... forces d'arriver pour l'empêcher.

A près d'une minute avant lancement, l'imposante fusée commençait déjà à fumer lourdement, alors qu'évidemment, personne n'était là pour retirer tous les échafauds qui lui permettaient de tenir, ce qui allait promettre quelques dégâts. Mala avait pensé à se mettre dans la bouche une petite pilule avant d'enfiler son scaphandre, dans un rôle bien précis. Malgré sa détermination à fuir Vitranis, elle transpirait, n'ayant pas la formation physique d'un astronaute, et prenant donc beaucoup de risques envers son propre corps.

Quand le compte à rebours atteignit inévitablement zéro, elle enclencha les propulseurs principaux, tandis qu'une intense et épaisse fumée dorée noya le pas de tir. Mala se sentit immédiatement écrasée contre sa place, un nombre important de G étant encaissés par son corps. La fusée s'arracha du pas de tir avec force et dégâts, détruisant les installations encore fixées sur la carlingue. Des flammes pourpres virent ensuite s'ajouter aux dorées, la réserve de Magie entrant en jeu pour aider l'énorme masse à s'élever. Le début se passa sans trop de soucis, alors que le premier étage de la fusée finit par se vider et se détacher, la suite prenant le relais.

Le second étage continua donc de propulser la fusée déjà bien plus légère, mais l'écrasante masse de G continuait d'agir sur Mala, alors qu'elle croqua sa pilule. Elle lui servait à ne pas s'évanouir, car étant la seule à bord, si cela devait arriver, ce serait la fin. Le second étage finit lui aussi par se détacher, vide, alors que le dernier prit le relais, à l'orée de l'atmosphère chargée de Vitranis.

Enfin, quand le dernier étage se détacha, ce fut la fin de la pression, du poids... Mala se sentait libérée, légère, mais elle semblait complètement patraque, fatiguée, se laissant flotter par l'impesanteur. Par un hublot, elle regarda brièvement la planète qu'elle venait de quitter, elle pouvait même voir l'impact provoqué par Alpha quelques heures plus tôt sur Valdinski. Elle le sut immédiatement, de manière fataliste.

Mais il ne fallait pas qu'elle se laisse endormir par la fatigue et l'épuisement... d'autant que désormais, n'étant plus sur Vitranis, elle ne pouvait efficacement utiliser la magie, il fallait donc qu'elle se débrouille à nouveau avec ses sabots. Heureusement, la situation n'était plus urgente et pressante. Elle se laissa flotter jusqu'au pupitre de cap, et définit X-22F, la destination initiale de cette fusée, comme telle.

Pourquoi s'être enfuie, se disait-elle ? Elle savait que le monde allait à sa fin à cause des juments de nébuleuse, et s'envoler dans l'espace toute seule ne changerait rien... au mieux, elle vivra une existence solitaire sur une planète à peu près viable, où elle s'éteindra toute aussi seule. Au pire, elle aura droit à un sommeil infini dans une stase défectueuse, voire même la mort dans ce même sommeil en cas de dysfonctionnement majeur de la fusée. Mais elle préférait toujours ça à l'atomisation pure et simple de la part de juments qu'elle a toujours décriées comme étant une mauvaise chose. Comme elle l'avait dit, elle refusait de mourir d'une telle manière, préférant le faire en tentant de survivre ailleurs. Quitte à ce que la solitude extrême lui fasse friser la folie.

Elle alla régler les automatismes de route pour le vol, prenant de longs moments pour soigner ces procédures. Après tout, il faudra que la fusée sache elle-même s'orienter, se ravitailler en magie auprès des astres qu'elle frôlera... le voyage prévu devait durer 50 ans de route, ce qui n'était pas rien, clairement. Fort heureusement, son intellect élevé lui permettait de comprendre les instruments et les procédures sans grand problème. Après tout, elle avait toute sa vie devant elle, désormais...

Après deux heures à tout régler, elle put enfin souffler, regardant une Vitranis lointaine, aussi petite qu'une grosse balle, alors que rapidement, l'épaisse mer de nébuleuse stellaire allait la masquer de sa vue. Retirant scaphandre et combinaison pour les ranger, elle resta sans vêtements ni même son catalyseur à la corne, se laissant dériver jusqu'aux modules de stase, afin d'en choisir un seul pour s'y installer paisiblement. Depuis le début, elle avait toujours gardé un air froid et pratiquement impassible, n'arrivant pas à sentir autre chose que ça. Allongée au fond du module, celui-ci se ferma lentement, tandis qu'elle ne put lutter contre un lent sommeil forcé, sa respiration ralentissant. La Dernière Mère des juments artificielles venait de s'endormir pour sa fuite et sa survie... peut-être pour toujours. Alors que son esprit sombrait dans l'inconscience de la stase artificielle, une énorme masse noire pouvait être aperçue au loin dans la nébuleuse stellaire, qui allait dans la direction inverse à celle de l'astronef...