Sauver Vitranis

15 h 00, 10 Fala, an 2236, Ère V

Le bilan fut établi... Tinsk, Helvor, Torah, Menoa, Rasti et Voka furent confirmés morts. Le corps de Mala demeura introuvable, bien qu'officiellement, il ait été fort probable qu'il ne soit jamais retrouvé, tant les dégâts ont pu être importants avant que le gratte-ciel s'effondre tel une tour de cartes. Il ne faisait aucun doute, l'équipe à l'origine des juments de nébuleuse était visée. Très rapidement, les origines de cet attentat meurtrier furent incombées à Na'sber, ce qui ne fit qu'augmenter les tensions conflictuelles entre les deux superpuissances. Il apparaissait clair désormais que l'enlèvement de Tinsk dans Msi'lah ainsi que l'assaut des juments artificielles n'était qu'une machination pour éloigner ces dernières de leur foyer, origine de leur création... et le détruire, sans qu'elles puissent même défendre leur chez-soi. L'assassinat de Tinsk ne fut que la terminaison d'une mesure vivant à étouffer son projet dans son intégralité. Désormais, il ne restait que les dites juments à débarrasser... et vu leur état psychique, cela allait être le plus difficile.

Ces dernières étaient psychologiquement effondrées. Elles venaient de tout perdre, depuis le début de leur courte existence... pleurant ceux qui leur avait donnés la vie, elles se recueillaient auprès de leurs corps avant qu'ils ne soient incinérés... certains se demandaient comment des juments, créées par le sabot d'un étalon, pouvaient pleurer un mort... en particulier pour la petite Zeta, inconsolable, qui ne cessait de pleurer, de hurler qu'on réveille son Père... en vain. Elle n'arrivait toujours pas à comprendre ce qu'était la mort... ni à l'accepter. Même quand ce dernier ainsi que son équipe disparurent dans les flammes funéraires.

Chacune des juments, lourdement endeuillée, resta auprès de ses sœurs, unies dans la peine. Toutes quatre n'avaient plus cet air inexpressif de leurs débuts... leur visage ne reflétait que douleur sentimentale et chagrin, de manière trop... « naturelle », provoquant de légers malaises aux rares qui les regardaient. Même si pas grand monde n'arrivait à les voir de toute manière... elles restaient dans l'enceinte présidentielle de Maa'ant, en pleine Hirblik, attendant qu'une entité supérieure leur indique quoi faire, comment continuer de vivre... et cela durait bien plusieurs jours. Elles avaient toujours leur but en tête, les derniers mots de Tinsk résonnant continuellement dans leur mémoire... mais que faire sur le court terme ?

Ce fut enfin le 10 de Fala, proche du zénith des deux Soleils, qu'elles furent appelés par le Président républicain en personne, le sommet de Maa'ant. Elles furent amenées dans son bureau, aux tons rouges et bleus, la salle en forme de trapèze rectangle. De nombreuses et fins décorations ornaient les murs et les meubles bibliothécaires, ainsi que nombre de tableaux.

Un étalon noir à la crinière blanche et aux yeux verts, plutôt âgé, se tenait aux fenêtres, fixant le dehors, alors que plusieurs licornes de son équipe de sécurité quadrillaient le long des murs. Il se retourna pour finir par s'adresser aux juments artificielles.

« Mesdemoiselles... ou peu importe ce que vous soyez, la situation est pour le moins... problématique, par votre simple existence, si je peux proférer de tels propos. La « mutinerie » d'Alpha envers nos propres forces, passe encore... mais un assaut sur Msi'lah ? Et que ça cause un attentat en pleine Hirblik ? Na'sber nous piétine les sabots, ils font tout pour vous « avorter » comme ils disent... »

« Abrégez. » lança froidement Alpha en dissimulant ses yeux, la tête baissée.

« Hmph !... soit. Ça ne peut se finir que par votre désactivation. Ou Na'sber continuera. Ils vous veulent mortes, inactives, démantelées... peu importe le terme. Ils ont spécifiquement visés ceux qui vous ont créées, vous êtes tout ce qu'il reste du projet du feu professeur Tinsk. »

« Non. Nous refusons de nous laisser mourir sous vos sabots dépravés. » répliqua Alpha durement.

« Vous n'avez pas le choix. Nous vous désactiverons par la force, si nécessaire. »

« Oh que si, le choix est nôtre. Na'sber et Tunmus sont contre nous, parce que vous nous avez révélées au monde. Ensuite, vous avez tenté de faire de moi une arme pour une guerre qui était contre-productive pour les desseins de Père. J'ai simplement et fermement émis mon refus, vous avez appelé ça une mutinerie... suite à quoi, Na'sber l'a enlevé, par peur que « l'arme » que nous étions vienne à les détruire, et qu'eux aient armes égales. En allant le sauver, ils ont tout fait pour que nous ne soyons pas plus nombreuses... et Père est mort. Mort parce qu'il était un utopiste, qui voulait le bien de tous... maa'antais, na'sberien, tunmien... peu importe la nation. »

« Et alors ? Qu'est-ce que ça change ? N'espérez pas me faire dévier de mes responsabilités ! » répliqua l'étalon présidentiel.

« Ça change tout, justement... vous vouliez une arme ? Vous en avez une, désormais... une arme, terrible. » finit par déclarer Alpha de manière dure et effrayante, relevant le regard et fixant l'étalon.

« Une minute... ne me dites pas que vous... ? » déglutit-il, intimidé par l'alicorne aînée.

« Je vais affronter Na'sber. Vous allez voir ce que ça fait de faire de nous une arme. »

« Mais... faire la guerre, sachant que vous y étiez farouchement opposée ? Ça... changerait tout, effectivement. »

« Je ne le fais pas pour vous apporter une victoire. Je le fais pour que vous le regretteriez amèrement par le futur... que vous voyez les conséquences de votre politique, qui font la lie de Vitranis depuis des siècles. Que ce soit vous, vos prédécesseurs, et tous les homologues des deux autres puissances, tous les états, les royaumes... tout ce qui a précédé. » déclara-t-elle enfin alors que le fond de ses pupilles luisirent en rouge, et qu'elle se retourne pour sortir avec ses sœurs, sans attendre moindre mot, l'étalon déglutissant de cette réaction.

Alors qu'elles sortirent toutes quatre, aucune n'osait contredire Alpha dans sa pensée de partir en guerre. Les trois sœurs suivirent leur aînée sans un mot vers un des balcons du bâtiment présidentiel, pour bondir dans les airs et s'y envoler, même si Beta avait Delta sur le dos, évidemment. Elles volèrent brièvement jusqu'à une falaise éloignée, en périphérie des limites de l'immense capitale, près d'un bidonville mais à l'abri d'oreilles indiscrètes.

« Alpha... ton raisonnement est-il sérieux ? Comptes-tu à ce qu'on parte en guerre ? » demanda Delta, un peu perdue malgré qu'elle avait de grandes capacités cognitives.

« Pas de « On ». Juste moi. Je porterai seule le fardeau des Créateurs. » répondit-elle.

« Alpha... va pas faire de bêtises, grande sœur... » intervint faiblement Zeta.

« J'ai fait mon choix... Père n'est plus, et rien ne pourra le faire revenir. Nous n'avons plus rien... plus de foyer, plus de parents. Juste la volonté de Père à exécuter. »

« Mais Père ne nous a jamais demandé de faire la guerre, Alpha ! Ton esprit se perd ! » lança Beta.

« Soit c'est ça, soit l'on veut nous faire taire à jamais. Et réécoutes les derniers mots de Père, Beta... réécoutes-les bien. Il a clairement déclaré que nous devions tout faire pour sauver le monde. Sauver Vitranis... pas nécessairement ses habitants. » finit-elle par lancer avec froideur.

------------------------------------

Loin, loin de là, dans un endroit sombre, inconnu, indéfinissable, se trouvaient une simple table, un moniteur allumé, ainsi qu'une étrange licorne grise, à la crinière lisse et grisée également, qui le fixait profondément, un système d'écoute audio sur les oreilles. La jument, dont les yeux n'étaient pas visibles, avait un air très froid, reconnaissable aisément... Mala, l'Ingénieure et « Mère » des équidées de nébuleuse. Le moniteur semblait montrer la scène entre ces dernières et le président républicain. L'Ingénieure semblait avoir échappé l'attentat, en laissant planer le doute sur son décès, pour échapper à d'autres menaces. Quand la scène se termina, elle ne changea pas d'air, retirant et déposant calmement le casque audio sur ses oreilles, prenant une voix très calme, pour elle-même.

« Et voilà... je leur avais dit. Nous allons perdre plus que de l'argent ou du temps, espèces d'ignares... Nous allons tout perdre. Hors de question que je paie vos erreurs... »