Site archivé par Silou. Le site officiel ayant disparu, toutes les fonctionnalités de recherche et de compte également. Ce site est une copie en lecture seule

Klutu

Une fiction écrite par Brocco.

Sociabilisation

Résumé de l’épisode précédent : Applejack pense avoir aperçu un poney étrange dans la forêt Everfree et il n’en faut pas plus à Twilight pour réunir l’ensemble de ses amies afin de résoudre ce mystère. Elles finissent par y découvrir un étrange poney d’une race inconnu, se distinguant par le rideau de tentacules prenant place autour de sa bouche. Dans un élan de témérité irréfléchie, Rainbow Dash se lance sur l’inconnue et se fait rapidement prendre au piège. La voilà désormais soumise à une séance de palpations humiliantes.

Le cerveau de Rainbow Dash était une merveille de l’évolution, une préquelle de ce que seront les poneys d’ici quelques siècles, une fois que cette mutation aura fait place nette dans l’âpre et permanent combat qu’est celui de la sélection naturelle. Bien entendu, et comme ce fut le cas pour tout être présentant un avantage évolutif significatif, rares étaient ceux parmi ses congénères capables d’apprécier à sa juste valeur ce véritable bond en avant adaptatif. Pourtant, son encéphale avait réussi à transcender les notions galvaudées de bien et de mal pour, enfin, juger l’univers selon la dualité suprême, celle qui ne pouvait souffrir d’aucune critique, d’aucune subjectivité, d’aucune remise en question. Il y avait ce qui était cool et ce qui n’était pas cool, point.

Cependant, cette séance forcée d’humiliantes palpations plaçait les neurones de la pégase dans un état de confusion avancée. Jamais ils n’auraient pu appréhender de se trouver dans des circonstances aussi surréalistes et, par conséquent, difficiles à analyser. Alors ils turbinèrent intensément, cherchant avec toute la peine du monde à juger l’évènement que subissait en ce moment l’organisme avec lequel ils étaient liés. Un seul objectif motivait leur travail forcené : celui de réussir à situer cette situation selon la dualité transcendantale.

Puis, après une éternité à l’échelle du cerveau, soit quelques secondes pour un poney, ils arrivèrent enfin à cette conclusion : se faire palper, ce n’était définitivement pas cool.

Ragaillardie par cette évidence aussi fraîche que dorénavant scellée à jamais dans le marbre, Rainbow Dash redoubla ses efforts pour s’échapper de la prise de son adversaire et, surtout, de ses pseudopodes baladeurs. Pour son grand désespoir, toujours sans le moindre succès.

Comprenant le désarroi de son amie, et voyant qu’aucune des autres juments ne semblait prête à prendre l’initiative, Twilight poussa en premier lieu un léger soupir alors qu’elle réalisait l’un des nouveaux désavantages de sa position hiérarchique. Elle s’avança ensuite vers la créature tripoteuse, un sourire gêné sur les lèvres.

« Heu… excuse-moi » dit-elle doucement.

Aucune réaction de la part de l’étrange chose. Seuls s’entendaient les mugissements désespérés de la pégase cyan et le bruit de tentacules qui tâtaient, sondaient ou trifouillaient ; un son par ailleurs particulièrement difficile à décrire autrement que par des onomatopées inintelligibles telles, par exemple, « yumyumbleubülu ».

« Excuse-moi ! » reprit l’alicorne plus fermement, posant cette fois l’un de ses sabots sur l’épaule de l’excentrique équidé – pas Rarity, l’autre.

Cela sembla avoir de l’effet et l’étrangère stoppa ses palpations, au grand soulagement de Rainbow Dash, puis releva la tête en direction de Twilight en la fixant fermement dans les yeux.

Décrire le regard qui se lovait à l’intérieur de ces iris dorés était particulièrement difficile ; il était vide mais pas dans le sens de l’absence d’intelligence, plutôt dans celui d’un vide cosmique, profond, interminable et serein ; comme si cette créature était présente sans être réellement là, dans l’instant présent. Au contraire, elle semblait regarder bien plus loin, vers des temps obscurs ou des dimensions imperceptibles au commun des mortels.

Cependant, quand l’on se plonge trop dans l’abîme, celle-ci finit par vous regarder et Twilight eut rapidement l’impression que quelque chose se terrait au fond de ces pupilles ; une conscience obscure, terriblement ancienne, apparue bien avant cette planète et qui, sans aucun doute, lui survivra durant encore de longs éons. Pire, elle pouvait sentir que cette énigmatique entité lui retournait son regard, sondant son âme avec la même arrogance et la même froideur que si elle n’avait été rien d’autre qu’un simple insecte. Cette expérience la fascinait autant qu’elle la terrorisait, et il lui était physiquement impossible de détourner les yeux, captive qu’elle était de ce contact magnétique.

« Par Celestia ! Elle recommence ! » hurla Rainbow Dash, coupant brutalement la transe dans laquelle était plongée Twilight. Visiblement, la créature avait pris soin de garder ses yeux rivés dans ceux de l’alicorne, tout en baissant doucement la tête pour reprendre son étrange obsession pour la palpation de pégase.

« Stop ! » hurla cette fois la princesse de l’amitié en repoussant l’entité tentaculaire avec l’une de ses pattes. Ce mouvement donna l’opportunité à Rainbow de s’enfuir et elle ne la laissa pas s’échapper, s’envolant furieusement hors de portée du moindre pseudopode. La créature eut un léger mouvement de poursuite mais s’arrêta aussitôt, comme si tout cela n’avait au final pour elle que peu d’importance. L’expression de ses yeux restait quant à elle absolument indéchiffrable.

« - Bon, reprit Twilight, heureuse de pouvoir enfin commencer à l’étudier sérieusement. Tout d’abord les filles, dit-elle en s’adressant à ses amies, évitez de regarder droit dans ses yeux, d’accord ?

- Pourqu… oooooooooh… »

L’alicorne poussa un nouveau soupir d’exaspération. C’était pourtant couru d’avance, quelle idiote elle avait été. S’il y avait bien une chose qu’il fallait ne jamais faire avec Pinkie Pie, c’était la mettre en garde contre quelque chose. « Pinkie, ne mange pas ça, c’est dangereux », « Pinkie, ne touche pas à ça, c’est chaud », « Pinkie ne saute pas de cette falaise »... Rien à faire, à chaque fois c’était simplement le meilleur moyen pour la faire agir exactement de la façon contraire à celle attendue. Et maintenant voilà qu’elle se retrouvait plongée dans le regard envoûtant de la créature, s’en approchant de plus en plus près jusqu’à être à portée de tentacule. L’un des pseudopodes se posa d’ailleurs sur le museau de la ponette rose.

Puis un deuxième.

Et un troisième.

« On arrête ! On arrête ! hurla à nouveau l’alicorne en battant des pattes pour séparer les deux équidés. On arrête de poser ses membres labiaux n’importe où et on arrête de se plonger dans je ne sais quels voyages astraux, c’est bien compris ? »

Dès l’instant suivant, elle regretta d’avoir haussé le ton mais il fallait bien dire qu’elle commençait à perdre patience. Tout cela n’avançait pas. Elle prit par conséquent une profonde respiration pour retrouver son calme et s’adressa ensuite à la nouvelle venue de la façon la plus courtoise possible.

« Comment t’appelles-tu ? »

C’était une question simple qui devait par conséquent donner une réponse simple.

Malheureusement la créature ne répondit rien et pencha plutôt sa tête sur le côté, ce qui, si le langage corporel était à peu près universel, devait signifier l’incompréhension. Un nouveau sentiment de frustration envahit la princesse de l’amitié ; il allait falloir essayer de se montrer le plus basique possible.

« Moi, Twilight, dit l’alicorne en se désignant elle-même du sabot. Et voici mes amies. » Elle présenta alors l’ensemble des juments présentes et toutes prirent la pose quand leur nom fut prononcé, comme si elles s’étaient un jour mises d’accord pour l’attitude à suivre dans une pareille situation. C’était aussi étrange qu’embarrassant et la princesse de l’amitié commença à se sentir gênée.

Toutefois, l’étrangère n’avait pas l’air d’entendre grand-chose à tout cela. Au contraire, son visage prenait un angle à chaque fois plus accentué après chaque présentation, jusqu’à en finir presque parallèle au sol. Son regard était quant à lui toujours aussi abyssalement inexpressif.

Un long silence désagréable fit suite aux propos de Twilight et toutes attendirent la réaction de la créature, bloquée dans la même pose inconfortable depuis plusieurs secondes.

Puis son cou se débloqua soudainement et sa tête retrouva un angle naturel. Elle commença alors à déclamer avec passion une suite de phrases totalement inintelligibles, en montrant régulièrement le ciel et la forêt environnante avec ses pattes.

Pour votre information, ce discours ressemblait à peu près à ça :

« P’hui mi megnelïkti aâkt’ah phlehe’l. Aktehl meh phahagath’ë wyjfgh mi Cthulhu. Ïa ! Ïa ! Megne tük’eh, megne rhiijt, R'lyeh wgah'nagl fhtagn meh erwitgn akhn ! Ïa ! Thelrkt’uipw ë mglw kaddaäth ! »

Les six juments restèrent bouche bée. Aucune d’entre elle n’avait compris quoique ce soit à cet amphigourique soliloque. Enfin, à l’exception peut-être de l’une d’entre elles :

« J’ai compris ! J’ai compris ! cria Pinkie en bondissant vers l’équidé tentaculaire. Elle s’appelle Klutu ! »

Les autres ponettes restèrent interdites et ce fut à nouveau à Twilight de parler pour les autres.

« - En es-tu sûre Pinkie ? demanda-telle d’une façon incertaine, visiblement peu convaincue.

- Absolument, indubitablement, complètement, totalement et définitivement certaine ! N’est-ce pas ? » dit-elle en se tournant vers la créature. Cette dernière secoua alors vigoureusement la tête en un signe d’approbation.

La princesse de l’amitié ne sut quoi répondre durant un long moment, de plus en plus décontenancée, avant de finalement réussir à reprendre ses esprits quand elle remarqua que tous les regards étaient braqués sur elle.

« Et est-ce que… Klutu serait prête à nous suivre à Ponyville ? » hasarda-t-elle sans trop savoir auquel des deux équidés elle s’adressait vraiment.

Pinkie se tourna alors vers l’étrange créature avant de déclamer une phrase absolument incompréhensible. Cependant, cette « Klutu » sembla comprendre et acquiesça à nouveau, balançant ses tentacules dans un énergique mouvement de tête. La ponette rose se tourna alors avec fierté vers ses amies : « Elle est d’accord ! »

En réponse, elle n’eut droit qu’à cinq bouches grandes ouvertes.

#

Le retour fut insupportable. Véritablement.

Ce n’était pas tant que Klutu se montrait réfractaire, bien au contraire. L’étrange équidé et Pinkie Pie semblaient avoir réussi à trouver un moyen de communiquer entre eux et l’ensemble du trajet se composa d’une longue discussion, aussi enjouée qu’indéchiffrable. Seulement, aussi bien cela paraissait être une expérience agréable pour ces deux poneys au final aussi étrange l’un que l’autre, autant cela l’était beaucoup moins pour celles qui ne pouvaient que rester hermétique à ces échanges nébuleux.

Imaginez donc passer une heure complète à n’entendre que ça :

« - Th’lui ëh danlagh’en chtithala sheb’e éh Ïa !

- Noooooooooooon ? Pfrui frui freu shlafafa prichichi ?

- Phlgt’a ! Histhir ä Asthur n’ghi lha thorësth’oath !

- Hihihihi, prouchi proucha kalala di ! »

Les cinq autres juments étaient par conséquent à bout de nerfs en arrivant au château et au moins avaient-elles réussi à ramener leur étrange prise sans trop de difficultés. Cela donnait d’ailleurs enfin l’occasion à Twilight de poser la question qui la taraudait depuis maintenant plus d’une heure. Se retenir avait été particulièrement éprouvant mais elle n’avait pas voulu briser l’étrange lien entre Klutu et la jument rose, de peur qu’elle se mette à nouveau en tête, par exemple, de poser ses tentacules n’importe où.

Heureusement, l’étrange équidé était désormais en train d’observer, toujours de ce troublant regard, la vaste salle cristalline dans laquelle elles se trouvaient. L’alicorne en profita alors pour prendre la porteuse de l’élément du rire à part.

« - Dis-moi Pinkie, de quoi avez-vous parlé durant tout le chemin du retour ?

- Oh ! lui répondit la jument d’un ton enjoué, elle m’a raconté pourquoi elle est venue ici.

- Vraiment ? rétorqua Twilight d’une voix peu convaincue, et quelle est donc son histoire ? »

La ponette rose prit alors, et de façon absolument exagérée comme à son habitude, une profonde inspiration avant de se lancer dans son monologue.

« Et bien le père de Klutu, Monsieur C. est venu s’installer ici il y a très très très longtemps parce qu’il en avait peu ras le bol de son ancienne maison qui était de toute façon un peu trop obscure et particulièrement éloignée de tout, ce qui est quand même assez désagréable surtout quand l’on veut faire des fêtes. Cependant quand Monsieur C. arriva avec ses amis, il remarqua qu’il y avait déjà d’autres personnes ici et dont les enfants étaient vraiment, mais alors vraiment, je dirais même terriblement, insupportables surtout quand l’on espère tout simplement se reposer. Ils essayèrent bien de discuter mais cela ne donna rien alors Monsieur C. créa Klutu et le reste de sa famille pour ennuyer lui aussi ses voisins et alors ce ne fut qu’une suite de facéties ou chacun essaya de se montrer le plus ennuyant possible et même si les vieux propriétaires allèrent jusqu’à utiliser des vieux chewing-gums dans ce conflit de voisinage, ils finirent par accepter leur défaite et s’en allèrent. Monsieur C. et ses amis étaient donc contents de pouvoir profiter de la plage mais après toutes ces chamailleries, il faisait maintenant trop chaud et c’était un coup à en attraper des insolations alors Monsieur C. alla dormir mais malheureusement sa maison glissa dans l’eau et il ne put jamais entendre son réveil. C’est donc pour ça que Klutu est là, pour trouver un réveil pour ramener son papa sur cette terre. Il ne restera ensuite plus qu’à voir s’il nous épargnera. Ce n’est pas trop super-méga-top-génial comme histoire? »

Pinkie s’effondra juste après ce dernier mot. Même pour elle, respirer était quelque chose d’important, ce que la jument rose avait fâcheusement tendance à oublier. Twilight resta quant à elle incrédule. Suite à ce qu’elle venait d’entendre, il n’y avait que trois hypothèses possibles : soit Pinkie ne comprenait rien à ce que disait Klutu, soit Klutu racontait n’importe quoi, soit ces deux affirmations s’additionnaient.

L’alicorne était certes ouverte d’esprit mais elle n’était au final qu’un poney. Comme l’ensemble de ses congénères, son discernement finissait ainsi par trouver ses limites face à un ensemble de préjugés aussi tenaces que discrets. Pour cette raison, jamais n’aurait-elle pu ne serait-ce qu’imaginer que la ponette rose avait parfaitement compris ce que lui avait raconté Klutu, bien qu’ensuite traduit à la sauce Pinkie.

Elle soupira une nouvelle fois. Au final, tout cela allait s’avérer plus difficile que prévu.

« Mais qu’est-ce que tu es vraiment toi au juste ? » murmura-t-elle pour elle-même en regardant en direction de l’étrangère.

« Ben, un squidpony ! »

Twilight sursauta et se tourna instantanément en direction de la ponette rose bonbon qui venait de prononcer cette phrase.

« - Un squidpony ? demanda-t-elle, interloquée.

- Ben oui, c’est assez évident, non ? » lui répondit Pinkie avec assurance.

Les autres juments commencèrent à se regrouper autour de leurs deux amies, intriguées par cette conversation. Klutu, quant à elle, resta à l'écart, continuant d’étudier d’un regard indéchiffrable la salle dans laquelle elle se trouvait.

« - Et pourquoi donc ? reprit Twilight

- Parce que sa tête ressemble un peu à celle d’un calmar, vous trouvez pas ?

- Dans ce cas, pourquoi pas calmarponey ? Ou poulpeponey ? Voire seicheponey ?

- Et même céphalopodeponey ? » ajouta Fluttershy de sa douce voix. De tous les poneys présents dans la pièce, c’était sans doute elle qui avait les connaissances en biologie les plus avancées.

Pinkie parut réellement surprise, comme si elle ne s’était pas attendue à ce que ses amies fussent incapables de se rendre compte de l’évidence de son raisonnement.

« Mais c’est pourtant facile à comprendre voyons ! »

La ponette rose laissa s’écouler un court silence, espérant voir une étincelle apparaître dans les yeux des juments qui l’entouraient. Cependant, et vu qu’il ne se passait rien, elle reprit :

« Quand vous voyez un calmar, vous avez pas l’impression que s’ils pouvaient pousser un cri, ce serait justement squiiiiiiid ! J’sais pas mais pour moi, dès que je vois une de ces bébêtes, je pense à ce son. Ce serait pas trop mignon ? Plein de petits calmars partout qui s’agitent en faisant squid squid squid ! »

Les cinq autres ponettes se regardèrent confusément. C’était bien là un raisonnement à la Pinkie Pie. Cependant, il fallait bien dire que le terme squidpony fonctionnait étrangement bien, comme si ces deux mots étaient faits pour se trouver réunis. Par ailleurs, aucune d’entre elles n’eut le courage de débattre plus en avant avec Pinkie et ce fut ainsi que cette dénomination fut officiellement entérinée.

Il y a des occasions où la science ne se joue à pas grand-chose.

« Y’a quand même un truc que j’comprends pas » intervint alors Applejack. « D’puis l’début, Pinkie passe son temps à dire « elle » pour parler d’l’aut’ là, Klutu. Mais, ‘fin j’veux pas donner l’impression d’avoir les yeux baladeurs mais l’a pas vraiment l’air d’avoir d’attributs féminins. »

Cette remarque ne manquait pas de pertinence, l’équidé tentaculaire n’ayant ni crin, ni queue, il était vrai que toute sa croupe était bien en évidence. Certes un poney bien élevé ne regarde pas ce genre d’endroit mais qui ici était vraiment un poney bien élevé ? Et si le moindre doute subsistait encore, il s’évapora quand les six juments présentes s’approchèrent de l’arrière-train de Klutu, visiblement intriguées par ce nouveau mystère.

À vrai dire, la fermière avait bel et bien raison. Il n’y avait absolument rien entre ces deux cuisses, tout était parfaitement lisse. On n’y trouvait pas le moindre repli, ni la moindre protubérance, aucun indice qui aurait pu laisser entendre que cet être était capable de se reproduire. Ce n’est pas banal se dit mentalement Twilight, qui sentit une légère bouffée de chaleur lui monter aux joues à la pensée de cette nouvelle énigme scientifique.

Cependant, Klutu finit par remarquer les six juments agglomérées derrière sa croupe et cela initia forcément un fâcheux malentendu, typique de ces situations où deux cultures étrangères tentent de se singer sans réellement se comprendre. L’étrange poney décida de se joindre au mouvement et dirigea sa tête vers l’arrière-train de l’équidé le plus proche, en l’occurrence Rainbow Dash.

Malheureusement une queue aux couleurs de l’arc-en-ciel bloquait son champ de vision et, en toute logique, elle utilisa l’un de ses membres labiaux pour délicatement soulever ces poils. Une erreur potentiellement fatale.

Car la pégase cyan, en plus d’être le prototype du parfait poney de demain, souffrait d’une psychose paranoïaque aussi absurde que profondément enracinée jusqu’au tréfonds de son inconscient. Pour une raison absolument indéfinissable, elle se trouvait être viscéralement persuadée que tout ce qui pouvait se passer au niveau de sa croupe était le sujet d’une attention extrême de la part d’une vaste communauté de satyres anonymes. Ses amies avaient eu beau essayer de tout mettre en œuvre pour la convaincre du contraire, il semblait bel et bien impossible de lui faire entendre raison, et gare à qui oserait manquer de respect à la pégase sur ce sujet.

En ce moment, et bien que ce fut de façon absolument involontaire, c’était justement ce qu’était en train de faire Klutu.

« Hey mais qu’est-ce que ? » s’exclama Rainbow Dash en sentant un membre, à la nature quelque peu indéterminée, s’approcher beaucoup trop près d’une zone dont le caractère absolument inviolable, sous peine de violentes représailles, était quant à lui indubitablement certain.

Le temps sembla se figer quand les cinq autres juments –ainsi que Spike qui était venu entre temps s’incruster comme à son habitude– remarquèrent elles aussi ce qui était en train de se passer. Dans les yeux de quatre d’entre elles, il était possible de lire une terreur profonde mêlée d’un fatalisme douloureux ; un mélange similaire à celui que vous pourriez avoir au moment où vous remarqueriez que, suite à un mouvement involontaire de votre part, une babiole d’une valeur inestimable se trouvait désormais sur le point de découvrir avec pertes et fracas le caractère rigoureusement ineffable de la gravitation et de la seconde loi de la thermodynamique.

Le regard de la jument restante pétillait quant à lui d’indécentes étoiles alors que les recoins les plus vils de son encéphale venaient de réaliser les possibilités presqu’infinies qu’offraient un tel membre, aussi ferme qu’incroyablement souple et précis. La milliseconde d’après, l’amas de neurones se souvint aussi que ledit membre n’était d’ailleurs pas seul mais livré avec près d’une douzaine de ses semblables, et cela faillit faire choir la propriétaire dudit encéphale. Fort heureusement, personne ne remarqua les pensées lubriques de cette licorne, tous trop concentrés sur l’accident en devenir, ce qui était pour le mieux. Dans le cas contraire, il lui aurait en effet été particulièrement difficile de continuer à justifier son titre auto-attribué de «lady ».

Faisant fi de toutes ces pensées environnantes, Rainbow Dash fit quant à elle ce qui devait toujours être fait en de telles situations. Elle se retourna avec la rapidité de l’éclair et envoya l’un de ses sabots droit sur le visage de Klutu. L’impact était imminent, la créature, ainsi située à bout pourtant, n’avait absolument aucune chance d’esquiver. Les dés étaient jetés. Cela allait faire mal.

Squee

Squee ?

Voilà bien un bruit que l’on n’était pas supposé entendre en de telles situations. En règle générale, quand un sabot se trouve lancé à grande vitesse et rencontre en chemin un visage, cela donne « paf », « pif » ou, dans un cas d’efficacité optimale, « scrountch ». Pas « squee ».

Pourtant c’est bien cela qui se passa. En heurtant la tête de Klutu, la patte de Rainbow Dash ne trouva ni os, ni cartilage à broyer. Au contraire, elle s’enfonça dans une sorte de masse caoutchouteuse qui se déforma sous l’impact, laissant au passage s’échapper cet étrange couinement, avant d’être éjectée par la force d’un surréaliste effet rebond.

L’ensemble des spectateurs et des acteurs de cette scène restèrent à nouveau bouche bée par l’extravagance de cette situation, à l’exception de Klutu pour qui il était de fait difficile de discerner le moindre orifice buccal sous ce rideau de pseudopodes.

Pour leur plus grand malheur, toute cette galéjade ne s’arrêta pas avec ce coup d’une prodigieuse inefficacité. S’il était toujours impossible de discerner autre chose dans les yeux de l’étrange équidé qu’un vide cosmique dont l’indéniable absence n’avait d’égal que la profonde sérénité, son esprit paraissait quant à lui toujours bloqué sur un absurde programme mimétique. Ainsi, nul neurone –pour peu qu’elle en possédât- ne sembla enregistrer l’attaque de Rainbow Dash comme un mouvement hostile. Au contraire, ils préférèrent apparemment considérer la chose comme un comportement social tout à fait naturel, par ailleurs absolument nécessaire à imiter pour parfaitement réussir son intégration dans le cercle de ces juments.

Avant que quiconque ne puisse réagir, elle leva sa patte avec une célérité surnaturelle et envoya violemment son sabot sur les naseaux de Rainbow Dash. Le choc fut tel que la pégase s’envola et alla s’écraser contre le mur opposé. Il en fallait toutefois plus pour la mettre à terre ou la rendre ne serait-ce que hagarde, et elle se releva vertement, la bave aux lèvres, du sang plein le museau, la rage au fond des yeux.

Elle s’élança alors avec fureur sur son attaquant qui, à nouveau, ne moufta pas. Cette dernière attaque avait été l’humiliation de trop pour la pégase et rien ne pourrait l’arrêter dans sa quête de vengeance. A part peut être une protection magique dressée par Twilight.

« Stop !» hurla l’alicorne au moment où Rainbow Dash percuta violemment la barrière et où Klutu effectuait pour la troisième fois de la journée un pas de côté, toujours aussi admirable certes mais cette fois totalement inutile.

« Tout cela est allé beaucoup trop loin !» continua la princesse, visiblement très remontée. « Rainbow, je peux comprendre ta colère mais Klutu vient visiblement d’un endroit très différent ! C’est à nous de lui apprendre la bonne façon de se comporter ici ! »

Un tel discours pouvait paraître hypocrite de la part d’un être dont le principal fantasme ces derniers les temps était de broyer entre ses sabots tous ceux qui feraient l’erreur de passer à proximité. Cependant, elle avait bien pris soin de n’en parler à personne et son autorité n’était par conséquent soumise à aucune remise en question. Rainbow Dash se releva alors avec difficulté en maugréant mais finit par acquiescer, laissant s’échapper du bout des lèvres une discrète excuse à l’attention de l’alicorne. L’instant d’après, elle s’en alla grogner dans un coin.

Ce n’était pas vraiment quelque chose de grave. La pégase était ce genre de poney capable de partir bouder très rapidement mais aussi de revenir comme si de rien était avec encore plus de facilité, ce qui n’était malheureusement pas le cas de toutes les juments présentes ici. Twilight la laissa donc partir sans aucun souci ; tout ceci ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir.

Restait maintenant la question de Klutu. Étant donné que discuter avec la créature allait s’avérer sans aucun doute des plus compliqué et que la dissection n’était pas, pour l’instant, à l’ordre du jour, il ne restait pas beaucoup de solution pour l’étudier. Il allait falloir l’observer interagir avec d’autres poneys. La princesse de l’amitié n’eut alors qu’à peine le temps de demander s’il y avait ici une jument prête à accueillir l’équidé en situation indubitablement irrégulière qu’un sabot se leva vigoureusement.

Une telle réaction de la part de Fluttershy n’était absolument pas étonnante. Certes, pour quelqu’un qui s’arrêterait à sa timidité, cela pouvait paraître étrange mais quand on connaissait ses troubles psychologiques, il n’y avait rien de plus normal. Un conflit, bien que totalement asymétrique, s’était déclaré entre Klutu et Rainbow Dash, or Rainbow Dash était l’amie de Flutteshy et par conséquent Klutu était l’ennemie. Il était donc du devoir de la pégase beurre de convertir la belligérante par le pouvoir de son inépuisable gentillesse et qu’importe si, concrètement, l’équidé tentaculaire ne faisait preuve d’aucune pulsion agressive.

C’était même la meilleure solution possible. Fluttershy était la plus vieille amie de Rainbow Dash et c’était par conséquent chez elle qu’il y avait le moins de la chance de voir la pégase cyan débarquer pour reprendre là où elle s’était arrêtée.

La décision était donc prise et personne ne remarqua l’étrange étincelle de déception dans les yeux de Rarity, la licorne s’étant de toute façon éclipsée suffisamment vite pour que nul ne puisse soupçonner une quelconque pensée lubrique.

Ainsi tous les poneys se séparèrent, Fluttershy partant avec Klutu, et Twilight de dirigea vers son bureau, prête à dicter une lettre à Spike. Les évènements de la journée étaient suffisamment étonnants pour qu’elle en fasse part à celle qu’elle considérait toujours comme son mentor, la princesse Celestia.

Une fois la missive rédigée, relue, corrigée, réécrite, relue à nouveau puis envoyée, l’alicorne s’accorda une pause bien méritée en sirotant un agréable thé sur l’une des terrasses du château.

C’est alors qu’un grondement à faire trembler le Tartare lui-même s’abattit sur Ponyville, un rugissement chargé d’une colère aussi profonde qu’inextinguible, un cri de rage qui annonçait avec une certitude absolue le trépas de tout être suffisamment inconscient pour en avoir été à l’origine.

Or, Twilight le savait très bien, une seule créature dans tout Equestria, et sans doute sur l’ensemble de cette planète, était capable de pousser pareil hurlement.

Vous avez aimé ?

Coup de cœur
S'abonner à l'auteur

N’hésitez pas à donner une vraie critique au texte, tant sur le fond que sur la forme ! Cela ne peut qu’aider l’auteur à améliorer et à travailler son style.

Note de l'auteur

Je ne sais pas si la race des squidpony a déjà été créée, en tout cas je n'en ai pas l'impression. Peut-être que ceux qui connaissent plus profondément le fandom, particulièrement le fandom anglophone, seraient à même de répondre à cette interrogation. Il se peut donc que vous assistiez à la naissance d'un nouveau type de poney, ce qui est quand même assez cool. Yay!

En tout cas, s'il y en a qui souhaitent lire ce chapitre sur le teamspeak, je leur souhaite bien du fun.

Chapitre précédent Chapitre suivant

Pour donner votre avis, connectez-vous ou inscrivez-vous.

DaBronyGamer
DaBronyGamer : #17663
J'adore cette fanfic, et il faut être fort pour que j'adore quelque chose !
L'humour est incroyablement bien, l'écriture est abracadabrantesque et je vais m'arrêter la sinon je vais manquer d'adjectifs et d'adverbes pour définir cette fic x)
Il y a 3 ans · Répondre
Brocco
Brocco : #17551
@ Derpyna et @ BurningShadow :

J’ai en effet la répétition en horreur et j’ai tendance à bien apprécier les beaux mots, en essayant néanmoins de ne pas tomber dans le verbiage exagéré. Je comprends que cela puisse dérouter bien que parfois, c’est là que se loge l’humour (je pense notamment à l’allégorie du vase qui tombe).

Quand à ton second point BurningShadow, je m’amuse en effet beaucoup avec la syntaxe, histoire de créer des ambiances bien particulières. Apparemment ça marche bien, yay !

Et au passage, merci à toi @Trone
Il y a 3 ans · Répondre
BurningShadow
BurningShadow : #17519
Waouh, alors là, chapeau !

Les premiers chapitres étaient déjà très recherchés, mais celui-ci montre vraiment à quelle point tes textes sont travaillés, principalement de deux façons :

-tu utilise plein de termes techniques (et j'adore les termes techniques) sans prendre deux fois le même (ou presque)
-la syntaxe est complexe mais cohérente et ajoute une dimension spéciale au texte, celle où chacun peut l'interpréter plus ou moins différemment

Je ne sais pas si je me suis bien fais comprendre, alors si ce n'est pas le cas, oubliez ce que je viens de dire.

Bref, ce troisième chapitre est celui qui m'a convaincu d'ajouter cette fic à mes favoris !
Il y a 3 ans · Répondre
Derpyna
Derpyna : #17514
@Brocco En fait, tu fais de longues phrases assez riches en mots complexes, ce qui déroute parfois. Comme "encéphale". J'ai eu du mal à comprendre sur le coup x)
Il y a 3 ans · Répondre
Trone
Trone : #17513
chaque chapitre est un vrais régal. Juste génial. Rien a redire de mon coté.
Il y a 3 ans · Répondre
Brocco
Brocco : #17502
@Derpyna : Merci de ton commentaire. Je trouve que ce genre de récit nécessite une certaine densité dans le texte mais j'essaye de rendre le tout le plus facile à lire (délicat équilibre s'il en est). Donc, histoire d'avoir un retour précis, mon style est-il lourd ou simplement dense?
Il y a 3 ans · Répondre
Derpyna
Derpyna : #17478
La rigolade a été triplée! Ton style est certes parfois lourd avec ces longues phrases mais ça n'en reste pas moins drôle. J'adore comment tu interprètes le caractère du mane6.
Il y a 3 ans · Répondre

Nouveau message privé