Pelle au sabot, plusieurs centaines de poneys, rassemblés en petits groupes, attendaient l'ordre royal de commencer le travail. Hélios qui était monté sur un amas de caisses afin qu'on le voie de loin, donna un coup de museau affirmatif. D'un même mouvement, les poneys se dispersèrent pour commencer à pelleter la neige, à dégager les rues et à briser la glace.
En théorie, ils n'avaient pas à faire ça, c'étaient les pégases qui se chargeaient eux-mêmes d'ôter la neige une fois le printemps venu. Mais avec les événements de la Veillée Chaleureuse, le roi Hélios avait décidé que la belle saison tomberait un peu plus tôt cette année, histoire de tourner la page. Pour officialiser un peu la chose, l'opération prenait le nom de Nettoyage d'Hiver et serait reconduite chaque année.
Ça ne faisait pas deux semaines que le grand incendie du palais avait été finalement maîtrisé, laissant derrière lui un sillage de cendres et de destruction. Tout le château n'avait pas brûlé mais une grande partie en était détruite.
Le palais était resté là, à demi ruines fumantes sur un manteau blanc. Une chance que l'incendie n'ait pu se propager aux bâtiments adjacents : le bois des demeures de Canterlot n'aurait pas résisté longtemps aux flammes.
Les dégâts matériels avaient étés importants mais les pertes ponettes encore plus. Entre les victimes directes de l'incendie, celles qui avaient été écrasées par la foule en panique, celles qui étaient mortes sur place, d'intoxication par la fumée ou plus tard, en succombant à leurs blessures, sans oublier les gardes assassinés par le commando griffon, la liste était lourde.
Sans oublier la nature des victimes, presque toutes de la haute société equestrienne. L'élite du pays avait subi un coup d'arrêt, et la nation aurait du mal à trouver des remplaçants pour celles et ceux qui étaient tombés dans la tragédie.
Le mort le plus illustre étant bien entendu, le Commandant Tramonstane. Même s'il avait assisté personnellement à la scène, Hélios avait encore du mal à y croire. Le pégase lui avait toujours semblé si plein de vie, toujours prêt à porter les armes contre les ennemis d'Equestria, à embarrasser ses alliés par son franc-parler et à régler les choses de façon des plus pragmatiques. Et maintenant il n'était plus là. Hélios ne pouvait pas vraiment dire qu'il avait perdu un ami, lui et Tramonstane ne s'étaient jamais très bien entendus, comme en témoignait leurs prises de bec lors des réunions du conseil, mais le pégase avait fini par respecter l'alicorne au moins autant que le monarque avait fini par estimer le soldat.
La place de Commandant Suprême ne pouvait rester vide, bien entendu. Selon la loi pégase, tous les hauts gradés pégases devraient se rassembler autour du puits des tempêtes de Stormpit, se soumettre à son jugement implacable. De la même façon que Tramonstane avait gagné ses galons des années auparavant, les prétendants au poste lutteraient pour faire le parcours en moins de temps et le mieux possible. Le vainqueur serait promu Commandant Suprême et siégerait au conseil des Trois avec Hélios et Strawberry. Encore fallait-il que le Chancelier se remette de ses blessures.
Strawberry avait été conduit à l'hôpital dès la fin du coup d'Etat et placé sous une surveillance accrue de la garde personnelle du roi Hélios et des soldats du défunt Commandant Tramonstane. La Troïka avait été amputée d'un membre, on avait donc veillé sur les survivants comme du lait sur le feu, allant jusqu'à contrôler les médecins de l'hôpital eux-mêmes. Mais cette paranoïa s'était révélée inutile puisque personne n'avait tenté d'attenter à la vie du Chancelier. Ni du roi Hélios d'ailleurs.
Le service de sécurité dément dont ils faisaient l'objet expliquait sans doute largement au moins cela, que la mort de la plupart des putschistes de la Veillée Chaleureuse.
Le roi descendit de sa position surélevée et observa avec un certain plaisir les poneys rendre Canterlot vierge de neige.
C'était important pour lui de tourner la page des événements de la Veillée une fois pour toute, et cette opération de nettoyage y contribuait grandement. Retrouver les rues pavées de la ville sans l'épaisse couche de neige qui les recouvrait depuis de longues semaines c'était presque comme transformer la cité elle-même.
Encadré par ses gardes du corps, le roi chemina un long moment dans les rues animés de la capitale, prenant le temps de dire bonjour ou de prendre des nouvelles quand il croisait des poneys qu'il connaissait. Ce n'était pas que par gentillesse, il fallait être honnête.
Hélios voulait prouver que malgré les événements de la Veillée, la noblesse licorne était toujours là pour son peuple, prête à l'aider et à le servir. Hélios regrettait profondément la perte du baron Mérovis. La vieille licorne avait été un point d'appui sûr, une personne sur qui Hélios pouvait vraiment compter. A bien des égards, le baron avait toujours été le premier conseiller du monarque des licornes, et voilà que Mérovis n'était plus. Il avait brûlé sur place, cloué dans sa chaise roulante. Le fait qu'il ait sacrifié sa vie pour dégager le passage à Aztarté et Luna n'avait fait que renforcer Hélios dans sa conviction que le baron avait été quelqu'un de bien. Il avait pris des dispositions pour que les cendres du baron soient inhumées dans la crypte des rois, là où reposaient déjà les dépouilles de ceux que la licorne avait si fidèlement servi. Mérovis avait mérité sa place parmi eux.
Hélios ferait mettre une plaque à son nom dans peu de temps.
Le roi déambula encore quelques heures avant de se décider à rentrer. Pas au château bien sûr, qui était en pleine reconstruction mais là où ils vivaient auparavant, en ville, avant de devenir la famille royale.
Ce choix de résidence s'était imposé naturellement pour Hélios et sa famille. Ils avaient vécu là pratiquement depuis leur exil catastrophique de l'Elysium, et si Hélios voulait être parfaitement honnête, il s'y était toujours senti plus chez lui qu'au palais.
Le château était un endroit idéal pour travailler et commander, mais pas pour y vivre. C'était un choc de passer du palais à leur ancienne maison ou plutôt d'y revenir mais dans le fond, rien n'avait vraiment changé.
La cour avait pris ses dispositions en s'installant dans les immeubles alentours et le quartier avait été bouclé par la garde royale. Techniquement, le centre du pouvoir s'était tout simplement déplacé du château à un quartier précis de la capitale.
Hélios poussa la porte de sa maison après avoir laissé ses gardes effectuer les vérifications de sécurité de vigueur. L'alicorne lui-même ne croyait plus à une tentative d'assassinat, pas aussi proche de la dernière, mais n'allait pas reprocher aux soldats leur prudence tout de même.
L'odeur caractéristique de la soupe à la luzerne atteint ses narines et le fit saliver. Il trotta jusqu'à la cuisine où il vit sa femme, penchée au dessus de la soupière, maniant avec précaution la salière. Il se glissa derrière elle et l'embrassa sur la nuque.
_Doucement, le sermonna t-elle gentiment, faudrait pas que je lâche le sel dans la soupe.
_C'est bon la luzerne salée, objecta son mari, l'embrassant une nouvelle fois.
_Sauf que là ça serait plus du sel à la luzerne, gloussa Aztarté en se retournant vers son époux, et en posant brièvement ses lèvres sur les siennes. Voilà, ajouta t-elle avec le plus grand sérieux, maintenant que t'as ton bisou, tu vas peut-être me laisser finir la soupe avant qu'elle brûle.
_La reine des licornes cède vite sous la pression, répondit Hélios avec le même ton sérieux en laissant sa femme retourner s'occuper du déjeuner.
_La reine des licornes protège la vie de ses sujets. Même celle de la soupe à la luzerne.
_Rappelle moi de faire passer un décret qui garantit l'existence pleine et entière de la soupe, ma chérie.
L'absurdité de sa phrase fit s'esclaffer Hélios. Le pire étant que techniquement, s'il le voulait, il en avait le droit. La monarchie licorne était absolue, du moins en théorie. Dans les faits ses pouvoirs étaient contrebalancés par leur division entre ceux du Chancelier terrestre et du Commandant pégase, mais très techniquement, le roi des licornes avait tout pouvoir sur les affaires licornes.
Rares avaient étés les monarques à s'y adonner toutefois. Le dernier en date devait être Silver V et sa fin peu enviable avait dû servir d'exemple à ne pas imiter aux rois qui avaient suivis.
Aztarté agita la salière quelques secondes au dessus de la soupe bouillonnante avant de poser le récipient non loin d'elle, et de recouvrir la soupière de son couvercle. Elle ajusta les feux avant de tirer deux assiettes creuses et de les déposer sur la table de la cuisine.
_Les filles ne mangent pas avec nous ? s'étonna Hélios.
_Elles ont décidé de passer la journée dans ces ruines qu'elles ont trouvées dans Evercon l'autre jour. Je leur ai fait des sandwichs ce matin.
_Elles sont toutes seules dans la forêt ?
_Bien sûr que non, elles ont leur escorte. Mais tu connais Celestia...elle a sûrement réussi à semer les gardes histoire d'être tranquille.
Le roi des licornes se dit qu'en effet, c'était typiquement ce que sa fille aînée ferait.
_Je préférerais quand même les voir étudier et rester dans le coin plutôt que jouer là bas.
Aztraté eut un haussement d'épaules en apportant les couverts.
_Vu ce qui s'est passé il y a deux semaines, on peut les laisser souffler un peu je pense. Et puis Evercon est sans doute le bois le moins dangereux d'Equestria. Il ne s'appellerait pas comme ça sinon, tu ne crois pas ? demanda sa femme avec un petit sourire.
Hélios ne dit rien. En tant que père, il était bien entendu d'accord avec sa femme. En tant que roi, il avait une opinion différente. Le coup d’État avait prouvé quelque chose : que des individus étaient prêts à s'en remettre à la force pour briser l'ordre établi, et que l'idée du meurtre ne leur faisait pas peur. Hélios ne pouvait pas écarter l'hypothèse que lui et sa femme soient un jour victimes d'un nouvel attentat, attentat qui réussirait cette fois.
Celestia et Luna devraient être prêtes à reprendre le trône au plus vite, pour assurer la sécurité de la succession.
Quelque part, le mariage avec le fils du Négus zèbre aiderait aussi au renforcement du legs. L'alliance d'Equestria avec un Empire apporterait une stabilité bien nécessaire.
Mais tout ça, Hélios le voyait avec son regard de monarque. Son regard de père lui, voyait sa fille aînée de dix-sept et sa cadette de sept ans qui avaient échappé de peu à la mort et qui effectivement, avaient bien mérité de se reposer un peu.
Il laisserait donc passer cette escapade sylvestre. Pour cette fois du moins.
Il tira une chaise et s'assit, laissant sa femme apporter la soupière à table tandis qu'il remplissait leurs verres de vin.
C'était amusant d'un certain côté de refaire le service eux-mêmes, comme à l'époque. Hélios avait refusé que les pages continuent à les aider pendant qu'ils revivaient dans leur ancienne maison.
Ils s'étaient occupés des tâches ménagères pendant près de sept ans, ils y arriveraient bien le temps que le palais soit réparé.
Prenant le manche de la louche entre ses dents, Aztarté versa une bonne part de soupe dans l'assiette de son époux et de la sienne, avant de rapporter la soupière sur les fourneaux, à feu très doux, afin de maintenir la soupe chaude s'ils décidaient d'en reprendre.
Hélios ferma les yeux et savoura le fumet de la luzerne. Pour tout ce qui touchait aux plantes, Aztarté était exceptionnellement douée et ça incluait les repas. En cuisine, le roi des licornes, lui, à part le foin grillé, ratait à peu près tout plat sur lequel il avait le malheur de poser les sabots. Au début de sa relation avec Aztarté, il avait voulu lui cuisiner un dîner aux chandelles romantique. Avoir réussi à brûler l'eau du plat avait conforté le jeune alicorne qu'il était à l'époque qu'il aurait tout aussi bien fait d'inviter sa petite amie au restaurant. Au moins, l’événement avait bien fait rire Aztarté et la soirée avait été loin d'être gâchée.
_On a plus de nouvelles sur les détails du coup d’État ? questionna la reine des licornes, soufflant sur sa soupe pour la refroidir.
_Pas beaucoup, répondit son époux en faisant de même. Les chefs du complot sont morts et on a mis le sabot que sur des sous-fifres.
Hélios avait vraiment espéré pouvoir capturer le marquis Noblitas vivant.
Il s'était désigné lui-même comme le cerveau de l'affaire, le faire parler c'était s'assurer que tous les coupables étaient punis, et que plus rien ne menaçait la tranquillité d'Equestria et de sa famille. Mais s'ils avaient bien retrouvé la licorne, elle était loin d'être vivante. Une patrouille qui chassait les dernières poches de résistances griffonnes avait trouvé son corps, étendu au milieu d'une rue mal famée, à moitié recouvert de neige. L'autopsie avait conclut à un empoisonnement, et la piste du suicide était de loin la plus solide. Son coup d’État ayant raté, son identité révélée, le marquis avait préféré se tuer de son propre sabot plutôt que de comparaître devant la justice licorne.
Ils avaient eu plus de chance en lançant l'assaut sur le club que présidait Nobilitas, la Corne d'ivoire. Ce cercle de licornes bien nées s'était révélé être le vivier des putschistes, et les derniers complices de Nobilitas y avaient été capturés. Mais comme l'avait dit Hélios à sa femme, ce n'étaient que des seconds couteaux, qui ne savaient rien de plus que les grandes lignes du plan, soit déposséder le conseil et amener Ira, dernière membre de l'ancienne famille royale, sur le trône.
Hélios avait immédiatement ordonné qu'on ouvre une enquête sur la duchesse mais les résultats concordaient avec ce que lui avait affirmé Nobilitas dans la salle du conseil.
Elle était absente d'Equestria ces dix derniers jours, partie à Agrabay, à l'autre bout du monde. Difficile d'organiser un coup d’État en n'étant pas sur place pour occuper le trône.
Non, il avait fort à parier qu'Ira elle même n'était pas au courant de la tentative de putsch, et n'aurait servie que de jument de paille à Nobilitas et à ses sbires.
Les griffons eux, fidèles à leur sens de l'honneur, avaient préféré tous se faire tuer sur place plutôt que de se rendre, même quand ils avaient été débordés par les renforts venus de Stormpit. Leur nombre d'ailleurs avait été insuffisant pour représenter une véritable menace. Menace néanmoins assez réelle pour la dizaine de gardes tombés sous leurs griffes, mais Hélios était persuadé qu'ils n'avaient au fond, servi qu'à faire diversion, à occuper l'armée, remplissant le même rôle que l'incendie, pendant que Noblitas et les hauts responsables griffons forçaient le conseil à se retirer.
Hélios n'aurait sans doute pas dû tuer le Seigneur-Bec Gexan. En tant que chef de la diplomatie de la Horde, ce devait être le premier comploteur des griffons. Mais le roi avait été incapable de se contrôler après que le diplomate ait pris sa fille en otage. Il l'avait fait payer.
_Sous-fifres ou pas, j'espère bien qu'ils se prendront le maximum, dit Aztarté en buvant de sa soupe.
_Vu ce qu'ils ont fait, y vont effectivement se faire charger. On parle même de la peine de mort.
_Je croyais qu'Aurum II l'avait abolie ?
_Suspendue, rectifia Hélios. Mais officiellement, elle est toujours applicable.
_Y vont y avoir droit, non ?
_Je ne suis pas leur juge chérie, ce n'est pas à moi de prononcer la peine. Le pouvoir judiciaire n'est pas dans les sabots du conseil. Comme ce sont des licornes, je peux juste faire état de mon droit de grâce. Ce ne que je ferais pas.
Les deux époux se turent, le temps pour eux de boire un peu de soupe. Aztarté brisa le silence à nouveau.
_Le Négus revient bien après-demain à Canterlot ?
_Avec son fils oui, confirma Hélios. Les noces sont dans un mois, il faut quand même que Celestia rencontre son futur mari.
_Ca ne me plaît pas qu'on précipite les choses comme ça avec Celestia, grimaça Aztarté.
_Pas plus qu'à moi, lui assura le roi des licornes. Mais on en a déjà parlé, on a pas d'autre choix.
_C'est drôle, ajouta sa femme après un moment de silence, je pensais que le jour où nous rencontrerions le futur mari de Celestia, elle serait heureuse de nous le présenter, et que ça serait elle qui l'aurait choisi. Au final, ça sera ni l'un, ni l'autre.
_Je le pensais aussi, dit simplement Hélios en regardant une volute de fumée s'échapper de sa soupe à la luzerne.
Le roi et la reine des licornes finirent leur déjeuner sans un mot.
¤¤¤
Discord pencha la tête sur le côté, examinant le pont de corde, ballotté par les vents. Le pont était sûrement des plus solides mais le draconequus n'avait pas envie de tenter sa chance. Autant se servir du fait qu'il avait des ailes. Il déploya son aile de pégase et son aile de chauve souris et s'élança par dessus le ravin. Il profita du fait d'être en vol pour étendre son long corps serpentin et profiter de la caresse du soleil sur son pelage. D'une manière générale de toute façon, dès qu'il pouvait reprendre sa véritable apparence de draconequus, Discord en profitait pour décrisper ses muscles et faire craquer quelques os. Tout le problème venait de quand il se faisait passer pour un pégase : ce n'était pas un sort d'illusion, mais de modification de la réalité, en pure magie chaotique. Il devenait un poney volant au sens propre, et son corps subissait les contrecoups de cette transformation. Comme il passait désormais le plus clair de son temps en public, il devait maintenir ce sort presque en permanence. Il n'y avait guère que dans l'intimité de sa chambre où le draconequus pouvait lever le sort pour redevenir ce qu'il était vraiment.
Sa chambre et la forêt Evercon - ou Everfree plutôt, puisque il y était pour retrouver Celestia -.
Discord se rapprochait d'un amas de ruines d'une belle taille, planté au bord d'une falaise. On ne pouvait y accéder qu'en prenant le pont de corde, ou en volant par dessus bien sûr, ce que faisait le draconequus.
D'après les propres dires de Celestia, ces ruines étaient devenues son nouveau quartier général, là où elle s'exilait pour trouver un peu de paix. Sa sœur Luna, elle, voyait plus les décombres comme un terrain de jeu immense, plein de cachettes et de secrets à découvrir.
Discord avait déjà entendu son amie en faire mention mais c'était la première fois qu'il s'y rendait en personne.
Contrairement au reste d'Equestria, les poneys n'avaient pas encore nettoyé la neige dans cette partie de la forêt et le décor était encore blanc.
Discord avait à peine atterri et posé les pattes sur les marches de l'escalier de pierre qui conduisait aux ruines qu'une voix l'interpella de derrière la porte.
_Mot de passe ? lui demanda une voix de pouliche.
Le draconequus marqua un temps d'arrêt de surprise, temps que mit à profit la voix derrière la porte pour poser à nouveau sa question.
_Heu...c'est moi, c'est Discord, s'identifia l'esprit du chaos.
_C'est pas le mot de passe ! lui répliqua t-on.
_Bon sang Lu, laisse-le entrer, annonça une seconde voix que Discord reconnut sans peine.
_Pas tant qu'il a pas le mot de passe !
Discord eut l'impression de sentir le soupir de frustration de Celestia à travers la porte.
_Lu, on est dans des ruines. Les murs sont pétés. Discord peut passer au dessus si y veut. Garder la porte ça sert à rien tu sais.
Avec un temps de recul, le draconequus se rendit compte que c'était parfaitement vrai.
Il manqua de se cogner le front de la paume de la patte pour se blâmer de sa stupidité, mais préféra continuer à suivre l'échange entre Celestia et sa sœur à travers la porte. C'était assez distrayant en fin de compte.
_Garder la porte ça sert à ceux qui ont pas le mot de passe, ben, y peuvent pas entrer ! objecta Luna avec une assurance implacable.
Le silence qui s'en suivit prouva à quel point l’aînée de la princesse alicorne avait du mal à trouver les mots pour convaincre sa sœur.
_Discord, le mot de passe, c'est « mot de passe », annonça Celestia à son ami.
_Hey ! s'exclama Luna d'un ton outré. Tia, t'as pas le droit de dire le mot de passe. Sinon c'est plus un mot de passe.
_Mot de passe, dit simplement Discord.
_Il a dit le mot de passe Lu. Ouvre lui.
Discord perçut un marmonnement de protestation avant que la porte ne s'entoure d'un halo et ne s'entrouvre. Le draconequus se glissa à l'intérieur pour y découvrir Luna, qui s'éloignait de l'huis toujours grommelante et Celestia, qui regardait sa petite sœur bouder d'un air amusé.
_Luna a décidé de prendre en charge elle-même le service de sécurité, expliqua l'adolescente à son ami qui s'avançait jusqu'à elle.
_Faut bien faire quelque chose si on veut pas que les méchants recommencent ! lâcha Luna d'un ton sec, comme si elle avait pris la phrase de sa grande sœur comme un reproche.
La mine toujours pincée, Luna prit place sur une colonne écroulée située juste en face d'un petit interstice qui donnait directement sur l'entrée et la porte. La plus jeune des alicornes scruta l'extérieur en silence. Celestia fit signe à Discord de la suivre un peu plus loin.
_Luna a été assez marquée par l'incendie, se sentit obligée d'expliquer Celestia à Discord.
Ils quittaient ce qui semblait être l'entrée des ruines pour gagner une cour extérieure au bout de laquelle se dressait un imposant donjon, pratiquement intact.
_Je pense que c'est sa manière à elle de s'en remettre, dit-elle sans se retourner.
_Et toi ? demanda Discord.
_Quoi moi ?
_Ben entre l'incendie, le coup d’État, ce griffon qui t'a prise en otage...ça a dû être dur.
Celestia ralentit le rythme alors qu'ils commençaient à grimper l'escalier du donjon :
_On va dire que j'ai connu des Veillées plus calmes.
La princesse des licornes se força à prononcer ces mots d'un ton détaché mais n'y arriva que partiellement. Discord fit semblant de n'avoir rien remarqué.
_Et à propos de la Veillée...tu sais quand tu m'as tirée de la travée alors que j'allais me faire écraser. J'ai même pas pensé à te remercier.
_T'as pas à le faire c'était normal que je...
Le draconequus fut interrompu dans sa phrase par le contact fugace des lèvres de Celestia sur sa joue.
_Merci Dis, glissa la jeune jument à l'oreille de l'esprit du chaos en l'enlaçant de ses pattes.
Discord eut un hoquet de surprise avant d'entourer la princesse de ses propres pattes, tout en se disant que les étreintes avec Celestia se multipliaient ces derniers temps. Pas que ça soit de nature à lui déplaire d'ailleurs, bien au contraire.
C'était curieux, un peu effrayant et étonnamment agréable.
L'adolescente maintint le contact encore quelques secondes avant d'ouvrir les pattes, de s'éloigner de Discord et de reprendre son ascension. Le draconequus la suivit après avoir pris les quelques secondes nécessaires à se reprendre.
Celestia était déjà entrée dans le donjon quand l'esprit du chaos en arriva à la porte, qu'elle avait laissée ouverte.
Contrairement à la pièce principale, le donjon était non seulement en bon état, mais surtout était loin d'être vide. Des livres, un garde manger, de quoi faire un feu, quelques jouets qui devaient appartenir à Luna...le donjon était indiscutablement la pièce de vie des ruines.
Celestia s'étendit sur un amas de coussins qui traînait à terre et de la patte, invita Discord à la rejoindre. Trop grand pour profiter véritablement des coussins, le draconequus s'assit sur sa propre queue, qu'il enroula pour former un appui de fortune.
_Tu étais venu pour quelque chose de particulier ou est-ce que tu passais juste dire bonjour ? demanda Celestia à son ami.
_Je voulais te rendre ça, lui répondit Discord en claquant des doigts en faisant apparaître dans un flash de lumière le roman qu'il avait emprunté à l'alicorne, suite à leur dernière chasse au trésor.
L'adolescente regarda le livre avec des yeux ronds :
_Tu maîtrises la téléportation sur des objets maintenant ? C'est super !
_Pas encore super bien mais je commence à me débrouiller, confessa le draconequus avec une pointe de fierté. Ça consiste juste à modifier la réalité des distances au fond.
_Et il est intact en plus, insista la princesses des licornes en le feuilletant à la va-vite.
Celestia lut encore quelques secondes puis referma la couverture reliée du roman.
_Donc les objets c'est bon. Et les gens ?
_C'est pas encore ça, grimaça Discord.
_Mais pourtant quand tu m'as sauvée à la Veillée, tu nous as bien téléportés non ?
_Je sais pas comment j'ai réussi, y a deux semaines, avoua l'esprit du chaos. Je pense que je stressais tellement que c'est allé tout seul. J'ai pas pris le temps de réfléchir, je me suis juste laissé porter.
_Genre un truc inconscient, quoi, résuma Celestia en mordillant pensivement l'extrémité de la corne d'un de ses sabots.
Discord hocha la tête. Il y avait déjà pensé de son côté, mais effectivement, ses pouvoirs se révélaient bien plus puissants quand ils étaient utilisés sans y réfléchir. La téléportation dans la travée, certaines altérations qu'il avait dû mal à réussir en se concentrant et qui allaient toutes seules quand d'un coup de sang, il ne se maîtrisait plus...l'exemple le plus probant étant bien sûr la corruption qu'il avait utilisé sur le chef griffon, la nuit de la Veillée Chaleureuse. Alors qu'il ne l'avait jamais fait avant, non seulement il l'avait corrompu mais en plus, le sort avait été si puissant que le cœur de son adversaire n'avait pas résisté.
Discord avait été effrayé et impressionné par son pouvoir.
Le pouvoir de tuer, même s'il n'avait jamais voulu cela à l'origine.
Pour la première fois depuis que le roi Hélios lui avait permis de se montrer au monde, Discord avait pleinement écouté son instinct de serviteur du chaos.
Et le pire – ou le meilleur ? - c'est qu'il en avait tiré du plaisir. Un plaisir légitime, bien loin d'être interdit. Comme si ça avait été la chose à faire depuis le début.
Et quelque part, Discord savait qu'il n'avait jamais été plus un draconequus qu'à ce moment précis.
Il n'avait parlé à personne des sentiments que cet événement avait fait naître en lui. Pas même à Celestia alors qu'elle devait être la personne en qui Discord avait le plus confiance. Mais c'était justement parce qu'elle était son amie que le draconequus gardait le silence sur cette chose là. Il craignait que sa réaction soit négative.
_Le bouquin t'a plu ? demanda la jeune jument en agitant le roman dont les lettres dorées scintillèrent sous la lumière du soleil.
_Ouais, il était cool. Je comprends pourquoi c'est un de tes livres préférés.
Celestia eut un petit sourire et feuilleta à nouveau le roman.
_T'as pensé quoi de la fin ? Quand y se barre ?
Discord n'était pas étonné que Celestia lui demande son avis sur ce passage précis du roman. A la fin de livre, le couple phare, dont les aventures étaient la trame principale de l'histoire, se séparait. Pas dans les larmes et la douleur, non au contraire, dans une certaine froideur qui contrastait particulièrement avec le caractère enflammé des protagonistes.
_J'ai trouvé ça assez logique en fait. Je veux dire, elle, il lui faut presque toute une vie pour comprendre que c'est de lui qu'elle est vraiment amoureuse. Il en a assez d'attendre, surtout après tout ce qu'il a fait pour elle. Alors y s'en va.
_T'as pas trouvé ça égoïste de sa part ?
_Pas vraiment. Elle est pire que lui je te ferais dire, elle manipule tout le monde pour arriver à ses fins. Lui il est peut-être cynique, mais honnête.
_Elle fait ça pour défendre sa plantation, objecta Celestia.
_Non, elle fait ça parce que c'est une manipulatrice de A à Z, crois-moi. C'est dans sa nature.
_Je suppose que je dois prendre l'avis sur la manipulation d'un draconequus comme vérité absolue, pas vraie ? demanda Celestia en levant un sourcil.
_Hey, se défendit Discord en ouvrant les pattes à hauteur du visage, tu voulais mon avis sur la fin Cel, tu l'as. Désolé de pas être d'accord avec toi.
_Ça va, finit par dire la princesse avec un mouvement d'épaules. C'est cool aussi quand on a un avis différent. C'est pas vraiment à Luna que je pourrais demander son avis sur le bouquin.
L'image mentale de la petite alicorne de sept ans, le front plissé pour essayer de comprendre les ramifications psychologiques et sociales d'Autant en emporte le foin fit rire les deux adolescents.
Surtout quand ils décidèrent de se livrer à un concours d'imitation.
Le soleil était haut dans le ciel quand Discord était arrivé au quartier général des sœurs alicornes. Désormais, l'astre du jour était presque sur le point de se coucher, baignant l'horizon de sa lueur orangée. D'un commun accord, Celestia et Discord tinrent à rentrer à Canterlot avant la nuit.
Ils quittèrent le donjon et les ruines, Luna grimpant sur le dos de sa grande sœur pour le voyage retour. En quittant l'orée de la forêt, Discord se transforma en pégase, comme à son habitude.
Le trio ne fut pas très long à gagner le quartier qui depuis deux semaines, faisait officie de château de fortune. Alors que Discord laissait Celestia et Luna sur le pas de la porte de leur demeure, Aztarté en sortit et demanda à avoir quelques mots avec le draconequus. Un peu inquiet, l'esprit du chaos eut un mouvement affirmatif du museau. Quelques minutes plus tard, il cheminait dans les rues de Canterlot, accompagné par la reine des licornes.
_Discord, commença la reine en ayant visiblement du mal à trouver ses mots, je voulais prendre un peu de temps pour parler avec toi, seule à seul. Ça va faire six mois que tu vis pratiquement avec nous, exact ?
_Oui, Majesté, confirma l'esprit du chaos.
_Tu as dû remarquer que j'étais plutôt...froide avec toi, non ?
Discord aurait plutôt employé l'expression « plus glacée que la neige tout au nord de la terre des ours » mais il ne voulait pas contredire son interlocutrice. Il se borna donc à hocher la tête.
_Discord, est-ce que tu sais d'où nous venons ? Moi, Hélios, les filles ?
_Celestia m'a parlé de l'Elysium une fois ou deux. Mais pas beaucoup.
_Nous vivions effectivement là bas avant de venir ici, comme toutes les alicornes d'ailleurs. Je vais te faire la version courte : un jour, Lucimare, une agitatrice politique, a réussi à prendre le pouvoir. Elle a renversé les dirigeants légitimes et s'est employée à massacrer tous ceux qui étaient de près ou de loin rattachés à l'ancien régime.
Aztarté marqua une pause pour stabiliser le tremblement qui saisissait sa voix.
_Hélios travaillait comme bras droit d'un des chefs de l'Elysium. Il s'est retrouvé sur la liste noire de Lucimare. Elle n'était pas du genre à faire les choses à moitié : quand on était son ennemi, tous les proches de cette personne le deviennent aussi.
_Vous voulez dire que...
_Que Celestia qui avait dix ans et que moi, enceinte de Luna, nous avons manqué d'être massacrées. Les partisans de Lucimare ont brûlé la maison,assassiné nos voisins aussi. Je me demande encore comment nous avons fait pour nous en sortir.
La reine des licornes laissa échapper un soupir douloureux.
_Est-ce que tu sais comment Lucimare s'y prenait pour tuer ses ennemis ?
Discord secoua la tête et sentit son sang se glacer en entendant la réponse de l'épouse du monarque.
_Elle utilisait des draconequus. Des gens de la même race que toi Discord.
Quelque chose tilta dans l'esprit de Discord. Comme une bouffée de vérité. Les paroles d'Aztarté ne firent que confirmer ce sentiment.
_Des draconequus qui faisaient disparaître les choses, qui les transformaient, qui les corrompaient. Exactement ce que tu es capable de faire. C'étaient les plus fidèles serviteurs de Lucimare. Ils ont le sang de milliers d'alicornes innocentes sur les pattes.
_Je ne suis pas comme ça, objecta Discord. Je ne connais même pas cette Lucimare. Je vivais dans une grotte je vous rappelle !
_Discord, le corrigea la reine d'un ton presque navré, tu ne t'es jamais demandé d'où tu venais ?
_Je...je...
Discord en perdait ses mots.
_Le peuple a finalement rassemblé assez de courage pour détrôner Lucimare au bout d'une semaine, poursuivit Aztarté. On l'a tuée et ses draconequus, on les a enfermés au Tartare. Après ça, plus personne n'a jamais vu un seul esprit du chaos...jusqu'à maintenant.
Discord tomba sur les fesses, hébété. Il devait y avoir une erreur ! Il ne pouvait pas y avoir de lien entre lui et ces monstres que décrivaient la reine !
_Tu comprendras, je pense pourquoi j'étais un peu...réticente à l'idée de te voir près de mes enfants, dit Aztarté. Mais tes actions d'il y a deux semaines m'ont prouvé que j'avais sûrement tort. Alors Discord, si tu le veux bien, j'aimerais te présenter mes excuses pour avoir douté de toi. Et qu'on essaye de repartir de zéro, toi et moi. Tu es d'accord ?
Le draconequus trop choqué pour pleinement comprendre le sens des mots d'Aztarté hocha mécaniquement la tête. Il ne vit pas le sourire qui se dessina sur le visage de l'alicorne blanche.
_Merci Discord. Je suis contente qu'on puisse mettre ça dernière nous.
Aztarté sourit une nouvelle fois et s'éloigna de l'ami de sa fille, retournant chez elle pour dîner avec sa famille.
Discord lui, restait abasourdi au milieu de la rue, l'esprit embrouillé. Les mots de la reine lui faisaient encore mal, comme s'il avait le cerveau en feu. Il devait stopper cette douleur.
Il plongea dans les tréfonds de son âme et recouvrit la lumière de la vérité du voile du déni. Il se répéta qu'il n'avait rien à voir avec cette Lucimare, qu'il était quelqu'un de bon et que jamais il ne s'abaisserait à faire ce que les draconequus de cette alicorne folle avaient fait.
En ce début de soirée, Discord le draconequus découvrait le vrai pouvoir du mensonge.
¤¤¤
Habte, prince impérial des zèbres, était assez nauséeux, pour tout un tas de raisons. La première, et la plus évidente était le roulis de la litière dans laquelle il prenait place depuis son départ du village. Il savait bien que c'était l'usage pour les zèbres de haut rang de se véhiculer ainsi, mais l'adolescent ne comprenait pas comment des générations, et des générations d'aristocrates avaient pu vivre ainsi sans être malades, et sans demander à leur escorte de s'arrêter tous les deux kilomètres pour calmer les torsions de leur estomac.
La seconde raison était le stress. C'était aujourd'hui qu'il allait être présenté à sa fiancée, la princesse Celestia de Canterlot. Et au fait, si elle était fille du roi des licornes, pourquoi était-elle princesse de Canterlot d'ailleurs ? Est-ce que la capitale equestrienne n'était peuplée que de poneys à corne ?
Interroger son cerveau calma un peu l'anxiété du jeune zèbre. Mais pas beaucoup. Son oncle et son père avaient eu beau ne pas tarir leurs éloges sur sa fiancée, Habte continuait de douter. Et si elle était laide ? Ou idiote ? Il ne voulait pas faire le difficile, il se mariait pour le bien de l'Empire, mais quand même, il ne voulait pas non plus épouser quelqu'un qui n'en vaille pas la peine.
Puisque il allait être forcé de passer sa vie avec cette jument, il priait les dieux pour qu'elle soit bourrée de qualités. Ça adoucirait autant l'amertume de la pilule du mariage d’État.
De temps en temps, Habte farfouillait dans les coussins de la litière jusqu'à en tirer un petit coffret de bois précieux, gravé avec soin. Il l'ouvrait régulièrement pour s'assurer que le cadeau pour sa fiancée était toujours là. Son œuf de phénix.
Habte s'était donné tellement de mal pour poser le sabot dessus qu'il veillait sur l’œuf comme sur la prunelle de ses yeux.
L'intérieur du coffret avait été garni de plumes, et des cordes tressées retenaient le cadeau parfaitement immobile. Il ne manquerait plus qu'il vienne à se briser.
Ils n'apportaient pas que l’œuf bien entendu. Le Negusse Negest avait vu les choses en grand, et fait remplir le convoi impérial de cadeaux de mariage. Habte avait vu s'entasser des instruments de musique, des tissus, des œuvres d'art...Eliah avait expliqué à son fils que ces présents serviraient autant de cadeaux de noces que pour donner un aperçu de la culture zèbre aux equestriens.
Habte était moins enthousiaste que son père à l'idée de l'alliance qui allait se nouer entre leur peuple, et celui des poneys. Il avait écouté tous les arguments paternels, sur la nécessité de renforcer les liens d'amitié, sur le nouvel Empire qui verrait le jour, mais malgré tout, le prince impérial restait dubitatif.
Peut-être parce que tout leul qu'il était, il n'avait que quinze ans, et pas une folle envie de se marier.
¤¤¤
Hélios n'aimait pas beaucoup Manehattan. Il avait peut-être pris des goûts de luxe à force de vivre à Canterlot depuis sept ans, mais la capitale des poneys terrestres le repoussait profondément. Comme Canterlot, Manehattan était prise d'une fièvre de construction, à la différence que la cité semblait vouloir se construire en hauteur. Les poneys avaient empilé leurs maisons jusqu'à faire des immeubles et plus récemment, construisaient des bâtiments encore plus hauts, qui s'étendaient jusqu'à tutoyer les nuages. Il y avait quelque chose d'effréné, de boulimique dans ces constructions, qui dérangeait le roi des licornes.
C'était comme cette gigantesque statue qu'ils bâtissaient à l'entrée de la ville, celle qui représentait un poney en toge, tenant contre lui une tablette, censée figurer les premiers traités de lois equestriens.
Pour l'instant, ce n'était rien de plus qu'une armature de câbles mais ce simple squelette donnait déjà le vertige.
Au delà de son gigantisme, Manehattan semblait vouloir n'être rien d'autre. Il y avait peu de décorations, peu de mosaïques ou d'architecture agréable à l’œil.
Manehattan s'était donnée toute entière à ce nouveau matériau de construction, le béton, qui permettait des prouesses technologiques au moins autant qu'il faisait perdre en esthétique.
A cause de cela, la ville était une grande nuance de gris, et ce n'était pas la fumée noire qui sortait du quartier industriel de la cité qui lui redonnait des couleurs.
Même l'hôpital central, où se trouvait Hélios était terne.
_Ma ville n'est pas des plus jolies hein ?
Hélios pivota pour répondre au Chancelier Strawberry, étendu sur son lit d'hôpital, les couvertures remontées jusqu'à la gorge et la nuque posée sur un oreiller.
_Je n'irai pas jusque là, répondit l'alicorne, de peur de blesser le poney terrestre, c'est juste que je trouve que Manehattan est un peu trop...grise à mon goût.
Strawberry eut un petit sourire et se tortilla pour s'assurer une position plus confortable.
_Je ne vous en voudrais pas si vous dites la vérité vous savez. Manehattan est laide, c'est un fait. Ou plutôt, elle n'a pas été bâtie pour être belle mais pour repousser les limites de la construction, encore et encore. Il faut voir la ville pour ce qu'elle est, une merveille technique, pas esthétique.
Le Chancelier des poneys terrestres s'interrompit, se saisissant d'un verre d'eau sur sa table de chevet.
_Vous savez, le Commandant Tramonstane était du même avis que vous à propos de la ville. Si je me souviens bien, la première fois qu'il est venu, il avait proposé de l'utiliser comme arme pour que son mauvais goût face fuir les ennemis d'Equestria.
_Connaissant le Commandant comme nous le connaissions, il avait dû employer d'autres termes, n'est-ce pas ?
_Des termes plus colorés, dirons-nous, sourit Strawberry en finissant son verre. Remarquez, ça n'aura pas été la seule fois où le Commandant m'a fait découvrir à quel point un dictionnaire peut contenir d'injures.
_A propos de Commandant, demanda Hélios, se retournant en direction de la fenêtre, est-ce que vous avez rencontré le successeur de Tramonstane ?
_Le Commandant Haboob ? Oui. Il est passé m'apporter des fleurs juste après sa prise de fonction. Elles étaient délicieuses d'ailleurs.
Hélios avait rencontré brièvement Haboob à l'enterrement du Commandant Tramonstane. Quoique « enterrement » ne devait sûrement pas se dire étant donné la façon particulière qu'avaient les pégases de disposer des corps de leurs anciens leaders. Le cadavre de Tramonstane, en grand uniforme d'apparat avait été jeté dans le puits des tempêtes de Stormpit, où il avait fini broyé.
Les Commandants Suprêmes étaient les seuls pégases à ne pas être inhumés sur le lieu précis de leur dernier soupir.
Haboob était un poney volant à la robe sable et à la crinière noire. Plus petit que Tramonstane, il avait aussi donné l'impression à Hélios d'être plus posé, plus froid. Ils n'avaient pas du partager plus de trois phrases à la cérémonie funèbre.
_Vous savez, soupira tristement Strawberry, avec tout le respect que je dois à notre nouveau collègue du conseil, je sais que Tramonstane va me manquer. C'était quelqu'un de bien.
Le Chancelier baissa la tête.
_C'est de ma faute ce qui est arrivé.
Surpris des paroles du terrestre, Hélios pivota pour faire face au lit.
_Y a six mois, juste avant que vous ne soyez sacré roi, poursuivit Strawberry, j'ai été approché par Nobilitas. Enfin, par la duchesse Ira plutôt, Nobilitas est allé voir Tramonstane. Ils ont essayé de nous persuader d'appuyer un coup d’État contre vous. Bien sûr, nous avons refusé de les aider mais...
_Vous ne m'avez pas prévenu ?
_J'en ai parlé à votre bras droit, le baron Mérovis, qui m'a assuré que le danger était nul. Je crois qu'on s'est tous trompés sur ce coup là.
Hélios sentit l'amertume envahir sa bouche. Si seulement Strawberry était venu le voir lui plutôt que de s'adresser à Mérovis ! Ils auraient pu prendre des mesures et étouffer dans l’œuf le putsch...
_Est-ce que vous acceptez mes excuses ? demanda d'une petite voix le Chancelier.
_Strawberry...murmura le roi des licornes en trottant jusqu'au malade alité, vous avez failli mourir dans le coup d’État. Vous étiez grièvement blessé et vous avez proposé d'échanger votre vie contre celle de Celestia. Je serais le pire des monstres de vous en vouloir alors que vous étiez prêt à mourir pour sauver ma fille.
Hélios tendit la patte et posa son sabot sur celui du Chancelier.
_Vous avez fait tout votre possible et ce que vous pensiez être la bonne chose à faire. Se morfondre ne sert plus à rien. Il faut regarder vers l'avenir maintenant. Haboob et moi allons avoir besoin de vous pour Equestria.
Strawberry laissa échapper un nouveau soupir en dégageant sa patte, mais qui tenait plus du soulagement cette fois :
_Concernant l'avenir justement, c'est bien demain que le Négus arrive pour présenter son fils à votre fille ?
_Oui, confirma l'alicorne, un peu surpris. Vous vous tenez très au courant des choses.
_Les médecins m'interdisent de quitter la chambre, pas de travailler sur mes dossiers, gloussa le terrestre qui sembla brusquement reprendre quelques couleurs. Vous comptez recevoir l'Empereur à Canterlot ?
_Ca me semble le plus logique non ?
_Vous savez Hélios, je suis Chancelier, ce qui veut dire que je n'ai pas mon mot à dire sur la diplomatie, mais je me dis qu'abriter le Negusse Negest dans une ruine à demi-brûlée qu'on reconstruit, ça n'est pas l'idéal.
_Quelques bâtiments à Canterlot pourront loger l'Empereur et sa suite.
_On en arrive au même problème, aucun n'est officiel. Vous pourriez prendre la Chancellerie.
Hélios marqua un temps d'arrêt.
_La Chancellerie, comme dans « la Chancellerie » ?
Strawberry donna un coup de museau affirmatif.
_On a des salles de réception, et de quoi abriter des invités vous savez. On a beau être des terrestres, on vit pas dans des maisons en chaume.
La solution enchantait le roi au moins autant qu'elle ne l’embarrassait. En théorie, les affaires licornes se traitaient à Canterlot, et les ponettes, à Manehattan. Même si l'idée du Chancelier était parfaite, c'était une entorse à la séparation des pouvoirs qui régissait Equestria depuis sa fondation.
_Écoutez, reprit Strawberry. L'alliance entre les licornes et les zèbres est la meilleure chance pour qu'une chose comme ce qui s'est passé à la Veillée Chaleureuse n'arrive plus jamais. Si nous, les terrestres pouvons faire quelque chose pour aider cette alliance, croyez bien que nous le ferons.
_Je croyais que vous désapprouviez l'idée du mariage ?
_Je n'ai pas mon mot à dire. C'est votre fille et votre royaume. Mon opinion personnelle n'entre pas en ligne de compte. Par contre, mon opinion politique sait qu'il faut tout faire pour que le traité licorno-zèbre soit effectif au plus vite. Et ça passe par un bon accueil du Négus et de sa suite. Si vous êtes d'accord, je ferais donner des ordres pour que la Chancellerie soit prête à recevoir l'Empereur.
_Entendu, finit par lâcher Hélios après un long silence. Vous m'ôtez une épine de la patte. Vous êtes vraiment quelqu'un d'exceptionnel.
_Arrêtez, pouffa le Chancelier, je suis allergique à la flatterie.
Strawberry marqua un temps de silence. Puis :
_Si ça ne vous ennuie pas Hélios, j'aimerais me reposer un peu. Je vous remercie d'être venu prendre de mes nouvelles.
_Bien sûr, dit l'alicorne en quittant la chambre de son collègue du conseil.
Resté seul dans sa chambre d'hôpital, le Chancelier Strawberry se laissa tomber bien à plat sur son lit, et soupesa une fois de plus le dilemme auquel il était confronté depuis l'attentat. Son mandat arrivait à terme dans quelques mois. Devait-il se représenter ? D'un côté, il était au faîte de sa popularité, les marques de sympathies et les cadeaux reçus sur sa couche d'hôpital le prouvaient bien. S'il se relançait dans la bataille des urnes, il était sûr d'être élu dans un fauteuil.
Peut-être même à la majorité absolue dès le premier tour, ce qui assurait à nouveau cinq ans pour continuer à moderniser Equestria.
Mais d'un autre côté, l'attentat l'avait poussé à se remettre en question.
Est-ce que son poste valait le risque que quelqu'un l'en détrône, par la force même ?
Strawberry avait toujours eu dans l'idée de ne quitter la Chancellerie qu'une fois sûr qu'il avait mis Equestria sur les rails du progrès. Deux mandats en tant qu'un des trois grands poneys de la nation, ça lui avait toujours semblé l'idéal, assez pour lancer ses réformes et voir leur impact sur la société.
Mais maintenant, il doutait. Il était partagé entre son envie de continuer à aider sa race par son travail, et celui de jeter l'éponge une fois pour toutes après sa longue carrière politique. De se retirer à la campagne, avec son compagnon.
Non, décidément, le Chancelier Strawberry ne savait toujours pas quoi faire. Le seul avantage de ce dilemme, c'était qu'il l'empêchait de penser à sa poitrine couverte de pansements et à la douleur qui lui vrillait les poumons en permanence.
¤¤¤
Celestia regarda à gauche et à droite dans la grande galerie de la Chancellerie de Manehattan, contemplant la longue rangée de tableaux qui représentaient tous un Chancelier de l'histoire d'Equestria. Certains étaient en tenue officielle, d'autres, portaient des vêtements plus décontractés, quand ils n'en portaient pas du tout. Le premier tableau, peint pour figurer Puddinghead, père fondateur de la nation était pour le moins surprenant.
_Dites, interpella t-elle le premier secrétaire de la Chancellerie, qui était quelques pas devant elle, qu'est-ce qui va pas sur ce tableau ? Pourquoi il a la tête dans la cheminée ?
Le secrétaire à la robe amande rejoint la princesse des licornes avec un sourire gêné, comme s'il justifiait une scène particulièrement loufoque, ce qui était le cas en vérité : tous les Chanceliers posaient devant la même cheminée, certains avec un air grave, d'autre, plus détendus. Mais un seul avait le visage et la moitié du corps dans l'âtre, et c'était bien Puddinghead.
_En fait, expliqua le secrétaire avec un grand sourire, Son Excellence avec tout le respect que nous lui devons, c'est un des fondateurs de notre contrée après tout, avait parfois des moments...d’absence.
_D’absence ? répéta l'adolescente.
_Le Chancelier Puddinghead agissait parfois de manière très imprévisible. Et il adorait faire ses réunions de travail depuis l'intérieur de cette cheminée. Ce qui ne l'a jamais empêché d'être un chef des plus capables, juste un peu...
_Maboul ? le coupa Celestia.
_J'allais dire « incohérent », reprit le poney terrestre d'un ton un peu sec.
_Tia, viens voir ! cria Luna depuis l'autre bout de la galerie.
Celestia et le secrétaire s'approchèrent de la plus jeune des alicornes, qui était assise devant le tableau du dernier Chancelier en date, Strawberry.
_Il est bizarre, tu trouves pas Tia ?
En regardant de plus près, Celestia nota que sa petite sœur avait raison. Les contours, les proportions et la perspective du tableau étaient superbes, on aurait cru la réalité.
Les couleurs en revanche, semblaient complètement décalées avec le reste de l'image, comme si on avait gribouillé par dessus la toile.
_Vous le trouvez bizarre parce que ce n'est pas un tableau Vos Majestés, dit le secrétaire avec une certaine fierté dans la voix. Ce que vous avez sous les yeux est une invention toute récente, on appelle ça la photographie. Pour faire simple, un engin reproduit à l'identique ce qu'il voit, sans se tromper. Comme un tableau hyperréaliste.
Celestia hocha la tête, piquée par l'intérêt. Elle avait dû entendre parler de cette histoire de photographie une fois ou deux, mais n'avait jamais eu la chance qu'on lui mette le museau devant. Jusqu'à aujourd'hui.
_Pour l'instant, l'appareil ne tire qu'en noir et blanc, ce qui oblige l'artiste à peindre par dessus pour rajouter les couleurs, expliqua le terrestre. Mais le progrès avance à pas d'ursa major. Un jour, nous pourrons capturer la réalité exactement comme elle est, dans toute sa beauté.
Les deux sœurs étaient fascinées par cette nouvelle technologie. Elles commençaient à croire que la beauté de Manehattan se cachait peut-être ailleurs que dans ses murs. D'ailleurs, elles n'étaient pas aussi réluctantes que leurs parents devant la grandeur de la cité. Les jeunes alicornes se grisaient de ces défis d'innovations qu'on voyait à tous les coins de rue.
La Chancellerie n'était d'ailleurs pas si laide comparée aux autres bâtiments manehattaniens.
Premièrement, elle avait été construite dans des tons blancs, et même si la fumée et la poussière de la ville la salissait, la Chancellerie restait infiniment plus claire que les autres édifices de la capitale terrestre.
Elle n'était pas démesurément haute non plus, et les grandes colonnes de marbre de son entrée lui donnaient un cachet antique assez anachronique, mais appréciable dans cet océan de modernité qu'était Manehattan.
Ses grandes pièces, bien éclairées, donnaient plus que jamais l'impression d'un lieu plutôt simple et franc, entièrement dévoué à la population ponette. La simplicité de l'endroit séduisait Celestia. Il y avait quelque chose d'excessif dans le château de Canterlot, avec ses murs massifs et ses fresques peinturlurées à tout bout de champ.
Bien sûr, elle ne pouvait pas oublier la raison de sa présence ici, et savoir que c'était à la Chancellerie qu'elle allait rencontrer ce fameux prince zèbre auquel son père voulait la marier, ça ne portait pas crédit au bâtiment.
La princesse avait caressé l'espoir qu'avec ce qui s'était passé à la Veillée, son père aurait d'autres choses en tête que de préparer ses noces. Pourtant, loin de retarder le mariage, Celestia avait presque l'impression que les choses s'étaient emballées. Comme si en célébrant son union avec ce zèbre, son père espérait conjurer le mauvais sort sur la nation ou quelque chose du genre.
L'adolescente avait la désagréable impression d'être sacrifiée sur l'autel de la raison d’État. Le fait que mademoiselle Lavande l'ait particulièrement bien habillée aujourd'hui renforçait ce sentiment.
Celestia s'était laissée habillé un peu comme une poupée, sachant très bien que toute résistance serait vaine.
C'était la raison pour laquelle elle portait une robe colorée, aux tons lie-de-vin éclatants. D'ailleurs, ça embêtait presque l'adolescente de l'avouer, mais elle commençait à aimer les belles robes, à force de les porter.
Elle n'était pas la seule à avoir dû s'habiller correctement par ailleurs : de sa famille, aux quelques diplomates licornes qui avaient fait le déplacement, en passant par les terrestres de la Chancellerie eux-mêmes, Celestia croyait bien ne pas avoir vu un seul poney sans habit. Mais ça pouvait se comprendre : on recevait un Empereur après tout.
_Tu viens Tia ? demanda Luna en s'éloignant à petits pas de la photographie. Faut pas qu'on soit en retard.
_J'arrive Lu, répondit Celestia, prenant encore quelques secondes pour admirer la prouesse technologique qu'elle avait sous le museau.
A contrecœur, elle se força à se laisser dépasser par le secrétaire et à se laisser guider dans l'enchevêtrement des couloirs de la Chancellerie.
Les deux sœurs stoppèrent devant une grande double porte en bois, aux poignées dorées. Le secrétaire demanda à Celestia si elle était prête.
_Allez-y, s'entendit-elle répondre. Qu'on en finisse.
Le terrestre ouvrit la porte sur la grande pièce de réception dans laquelle s'engagèrent les deux jeunes alicornes.
La salle était assez imposante, avec son grand tapis qui la recouvrait entièrement. Une bonne dizaine de poneys et de licornes qui discutaient, se turent quand Celestia et Luna entèrent.
_Leurs Majestés les princesses Celestia et Luna, annonça t-on à haute voix à la foule, filles du roi des licornes.
L'adolescente chercha des yeux ses parents et les trouva à l'extrémité droite de la pièce, juste à côté d'un petit groupe de zèbres. Celestia sentit son ventre se nouer. Le moment des présentations était venu.
_Eliah, déclara Hélios à l'Empereur qui se tenait à sa droite, je vous présente donc mes filles, Celestia et Luna.
Luna fit une révérence, Celestia se borna à un signe de tête. Déjà qu'ils la précipitaient dans les bras d'un zèbre sans lui demander son avis, ils n'allaient pas en plus exiger qu'elle respecte l'étiquette, non ?
_J'ai déjà eu l'occasion de les croiser quand j'étais votre hôte, dit le Négus avec un sourire aimable. Mais j'aimerais moi, vous présenter mon enfant.
L'Empereur battit des sabots et immédiatement, un jeune zèbre surgit de derrière le monarque. Il était plus petit que son père, plus fin aussi. Celestia s'était préparée à l'idée que son prétendent serait repoussant, mais s'il n'avait rien de spécialement attirant, il n'était pas horrible non plus.
_Votre Majesté, s'inclina l'adolescent zèbre en courbant brièvement l'échine devant Celestia. Je suis Habte, leul des zèbres.
Celestia allait répondre au salut quand elle fut interrompue par le petit rire de sa sœur.
_ « Leul », c'est rigolo comme mot, gloussa Luna, écrasant à moitié son sabot contre sa bouche pour en retenir ses éclats de rire.
Celestia faillit éclater de rire elle aussi quand elle se rendit compte quel outrage venait de faire la petite alicorne en pouffant au titre de noblesse zèbre. Sa petite sœur était décidément impayable quand sa nature d'enfant reprenait le dessus sur sa stature princière.
Pourtant, au contraire d'Hélios et d'Aztarté qui foudroyaient leur cadette du regard, le Négus se borna à sourire à la petite alicorne.
_Leul pourrait se traduire par « lion » dans votre langue Majesté. C'est comme ça que nous les zèbres, nous appelons nos princes.
_Alors, demanda Luna, fronçant brusquement les sourcils sous l'effet de la réflexion, je suis leul aussi ? Et Tia avec ?
_On dit « leult » pour une princesse, mais oui, vous avez raison, sourit Eliah.
_Et quand je deviendrais Négus, reprit Habte à l'attention de Celestia, un certain tremblement dans la voix, vous deviendrez Itege. Ca veut dire « Impératrice ».
Celestia manqua de pouffer une nouvelle fois. Déjà qu'elle trouvait que « princesse Celestia » sonnait horriblement faux, alors « Impératrice Celestia », ce n'était même pas la peine d'en parler.
_Mon fils, demanda le Negusse Negest à son enfant, tu n'as pas quelque chose pour la princesse ?
Habte cilla plusieurs fois, comme s'il prenait soudainement conscience de quelque chose qu'il avait oublié.
_Oui bien sûr !
Il fit un geste de la patte et on vit lui apporter un coffret de bois, qu'il déposa aux pattes de Celestia.
_Votre Majesté, dit-il à l'adolescente, j'ai apporté un cadeau pour célébrer nos fiançailles.
Intriguée, l'alicorne entrouvrit le coffret par magie et donna de petits coups de museau pour découvrir ce qu'il y avait à l'intérieur. C'était un œuf orange, avec des marques jaunes qui évoquaient le feu.
_C'est un œuf de phénix ? demanda Hélios, visiblement impressionné.
_Du plus haut volcan de l'Empire, se sentit obligé d'ajouter le leul, ravi que le cadeau ait un bon écho au moins auprès de son futur beau-père.
Celestia n'était pas aussi ébahie que son géniteur. Au contraire, recevoir un cadeau de fiançailles ne faisait que la conforter dans l'idée qu'elle était vendue à l'Empire zèbre, comme s'ils se trouvaient sur la place du marché. Même si l’œuf était très beau.
_Merci, dit tout de même l'adolescente, soucieuse de donner l'illusion qu'elle s'était faite à l'idée du mariage.
_Nous avons préparé le petit salon avec de quoi vous restaurer. Vos Majestés pourront faire plus ample connaissance autour d'un peu de thé, indiqua le secrétaire de la Chancellerie en pointant du sabot la pièce toute proche.
Celestia maîtrisa assez son personnage pour ne pas lâcher un soupir de frustration alors qu'elle emboîtait le pas du prince impérial, et d'un domestique jusque dans la salle qu'on leur avait désigné alors que le reste de l'assemblée restait dans la grande pièce de réception. La porte du petit salon refermée sur les adolescents, les occupants de la salle se dirigèrent eux-aussi vers leur collation, un buffet dressé contre un des murs de la pièce.
Luna taraudait les officiels zèbres de questions sur l'Empire tandis qu'Hélios et Eliah discutaient autour d'une coupe de jus de fruit frais.
_J'ai appris en arrivant ce qui s'est passé il y a quelques semaines, commenta sombrement le Négus. Si vous voulez que nous attendions un peu plus pour le mariage, je comprendrais.
_Non, répondit le roi des licornes d'un ton catégorique. Je refuse que nos plans soient modifiés pour ce genre de raisons. Les terroristes ont gâché la Veillée, je ne les laisserai pas chambouler les célébrations de la St Galopin. Surtout avec le mariage de nos enfants.
Eliah salua les paroles de l'alicorne d'un toast.
_Dans ma tribu, nous avons un proverbe, qui dit que si on crie assez fort sa joie d'être en vie, on entendra jamais d'autres cris de toute son existence. Une façon de dire qu'il faut célébrer dès qu'on en a l'occasion.
_Je ne vous cache pas que j'ai eu du mal à me faire à l'idée de donner ma fille en mariage à votre enfant. Mais vous avez raison. Nous vivons une époque troublée. Tout ce qui peut apporter un peu de joie doit être chéri.
Le Negusse Negest ne trouva rien de plus à ajouter que de porter un second toast.
Tandis que les monarques licornes et zèbres trinquaient, dans la pièce adjacente, les héritiers des deux nations apprenaient à se connaître. Enfin disons plutôt qu'Habte restait immobile sur son fauteuil, visiblement des plus mal à l'aise tandis que Celestia faisait les cent pas dans le petit salon. Peut-être se disait-elle que le temps passerait plus vite ainsi.
_Et donc...demanda le leul d'une voix hésitante...est-ce que votre Majesté aime la musique ?
Il faillit se frapper lui-même pour avoir posé une question aussi stupide. Les dieux le maudissent pour perdre ses moyens à ce point !
Celestia arrêta de tourner en rond, et se passa le sabot sur le visage.
_Laisse tomber les titres avec moi d'accord ? Et tant qu'on y est, lâche le « vous » aussi, OK ? T'as mon âge non ? On va pas commencer à causer comme des vieux.
_J'ai quinze ans, je suis adulte, précisa Habte, d'un ton un peu pincé.
Celestia sembla accuser le coup avant de se frotter plus vigoureusement le museau du sabot.
D'une on la mariait de force, de deux, c'était avec un zèbre, de trois, de deux ans son cadet, ce qui pour Celestia, donnait sérieusement l'impression qu'on allait célébrer son union avec un gamin.
Continuer à donner le change allait être de plus en plus difficile. Heureusement qu'elle avait fait un peu de théâtre étant petite.
¤¤¤
La tête de Discord perça les nuages, laissant un peu de gaz s'empaler sur ses cornes. Il secoua la tête pour s'en libérer.
Le draconequus continua son ascension jusqu'à ce que ses pattes touchent la couche nuageuse, qu'il foula avec précaution.
Voyant qu'il ne traversait pas le gaz (une chance que son aile de pégase lui donne aussi, apparemment, le pouvoir de se déplacer sur les nuages), Discord s'avança d'un pas plus assuré.
Son esprit chauffait à blanc cela dit. Il n'arrêtait pas de se demander s'il avait bien décodé l'énigme précédente, et s'il était sur la bonne route. Celestia et lui participaient à leur première chasse au trésor depuis les événements de la Veillée, mais l'alicorne avait insisté – pour ne pas dire supplié – auprès de son ami de lui laisser les clés de la partie pour une fois. Exceptionnellement donc, c'était Discord le challenger et l'adolescente, la maîtresse du jeu.
L'alicorne ne disposant pas des pouvoirs chaotiques du draconequus, elle avait préféré mettre en place un jeu de piste que devait remonter son ami. A chaque énigme résolue, un indice était donné sur la localisation du prochain mystère et ainsi de suite. Discord ne l'aurait pas cru, mais Celestia se révélait être une meneuse de jeu habile. Certaines énigmes étaient particulièrement tordues et le draconequus avait dû se creuser la cervelle pour les percer. Le jeu durait depuis bientôt trois heures entières, et les énigmes avaient conduit Discord jusqu'à un amas de nuages blancs, qui planaient au dessus d'Equestria. Il avait craint de briser la sacro-sainte règle de « pas d'ailes et pas de magie », mais Celestia lui avait laissé une note codée, lui expliquant qu'il avait le droit, exceptionnellement, de ne pas tenir compte de la consigne pour gagner le terrain de jeu gazeux. Ça avait fait bizarre à Discord de violer une règle qu'il avait lui-même mise en place. Mais ce n'était pas désagréable pour autant.
Le draconequus fit quelques pas, jusqu'à apercevoir une arche nuageuse qui marquait visiblement l'entrée du terrain de jeu. Il la franchit pour découvrir une sorte d'arène gazeuse, modelée à la va-vite mais avec un certain style. A quelques mètres au devant de lui, Celestia se tenait immobile, un léger sourire sur les lèvres, assise devant un nuage qui lui servait visiblement de table de bar, à en juger par les six verres qui étaient posés dessus. Trois étaient de grandes chopes en bois tandis que les trois derniers, en verre, étaient à peine plus grands que des dés à coudre.
_T'as réussi à aller jusqu'en finale, lança Celestia, visiblement impressionnée. C'est pas mal du tout. Je pensais pas que t'arriverais à passer l'énigme du poney qui a quatre pattes le matin et le midi mais cinq le soir. Moi et Lu, on est resté bloquées bien deux semaines avant de la comprendre celle-là.
_Je suis bon Cel, c'est tout, fanfaronna le draconequus. Alors, vas-y explique moi la dernière épreuve.
Celestia lui fit signe de la rejoindre près du nuage-bar. En s'approchant, Discord vit que les six verres étaient remplis à ras bord d'un liquide jaune et mousseux. Du cidre, probablement.
_Voilà comment ça va se passer. Celui qui finit ses trois verres avant l'autre à gagné.
Discord souffla par les naseaux de rire :
_L'épreuve finale, c'est une beuverie ? Pas très princier, Votre Altesse.
_Je compose ma partie comme je veux non ? rétorqua Celestia, légèrement vexée. Tu as les trois verres, j'ai les trois choppes. Pas le droit de se servir de sa magie. Pas le droit non plus de toucher aux verres de l'autre. Celui ou celle qui viole les règles est déclaré perdant d'office, compris ?
Discord hocha sa tête de poney alors qu'il enroulait sa queue serpentine pour s’asseoir dessus. Il était sûr que Celestia lui préparait un coup fourré. Même en allant aussi lentement que possible, il avait largement le temps de vider ses trois verres avant que Celestia ne finisse sa première choppe. Ou se situait le piège ?
_J'aimerais juste que tu me laisse un coup d'avance, demanda Celestia. Histoire que j'ai au moins une chance.
Discord fronça les sourcils, examina sommairement les six verres, mais conclut qu'ils étaient parfaitement normaux. D'un hochement de la tête, il laissa le droit à son amie de boire avant lui. Celestia se saisit d'une choppe en bois, la porta à ses lèvres et la but lentement, comme si elle était en train de siroter son cidre plutôt que de participer à un concours de boisson. Discord se tendit, prêt à bondir sur ses verres à lui dès qu'elle en aurait terminé.
Celestia renversa complètement la choppe, passa sa langue sur ses lèvres, sourit et regardant Discord dans les yeux, elle reposa son verre sur le nuage-bar. Le draconequus tendit sa serre d'aigle et sa patte de lion, s'emparant de deux de ses verres avant que Celestia n'enroule son sabot autour de l'anse de sa seconde choppe. Elle n'avait pas soulevé le verre de bois que Discord avait déjà vidé le contenu de ses verres minuscules. Il sourit à son tour, sûr de sa victoire, et de l'extrémité de sa queue, se prépara à se saisir de son dernier verre. Avant de s'arrêter en plein mouvement : autour de son verre, retournée, ne laissant aucun espace pour l'atteindre, se trouvait la choppe vide de Celestia. Discord contempla le bois grossier et ses rivets qui entouraient complètement son verre encore plein. Sa première impulsion avait été de chasser le choppe d'un coup de serre, mais les règles du jeu résonnaient dans son esprit. « Pas le droit de toucher aux verres de l'autre. ».
Discord releva le regard vers Celestia qui buvait sa seconde choppe à petites gorgées, une lueur malicieuse illuminant son regard magenta. Discord en revint au bar-nuage, explorant les possibilités qu'il avait de remporter la dernière manche. Mais l'alicorne avait trop bien calculé son coup. Soit Discord touchait au verre de Celestia pour prendre le sien, et il était éliminé, soit il ne faisait rien et regardait l'adolescente remporter la victoire.
Discord sentit un rire naître au creux de son estomac, qui remonta le long de son corps avant de sortir en gros éclats. Celestia l'avait piégé d'un sabot de maître.
La princesse elle-même avait du mal à garder son sérieux, pouffant et s'étranglant à moitié avec son cidre alors qu'elle attaquait sa dernière choppe. Quelques longues secondes plus tard, quand Celestia laissa retomber le verre de bois sur le nuage-bar, Discord se sentit obligé d'applaudir.
_Bravo, déclara t-il, très admiratif. Une arnaque digne d'un draconequus.
_J'ai eu un bon professeur, rit Celestia.
_Donc, dit Discord, brisant le silence qui s'était brièvement imposé entre eux deux, tu as gagné ta première partie de chasse au trésor en tant qu'organisatrice. Même si j'ai aucune idée de ce que t'as gagné en fin de compte.
_Ho Dis, sourit Celestia en faisant lentement le tour du nuage-bar, un peu chancelante sur ses pattes, les règles des chasses au trésor s'appliquent toujours non ? Le vainqueur prend quelque chose au vaincu.
_Sauf que j'ai rien Cel, fit remarquer l'esprit du chaos en haussant les épaules. Je suis un draconequus, on est pas les plus riches du monde.
_T'as pourtant quelque chose qui m’intéresse, murmura Celestia en se rapprochant très près de Discord.
Le draconequus se figea, le corps comme pris dans la glace alors que son cœur battait la chamade, et qu'une boule se formait dans son ventre. Ce qu'il avait vécu alors qu'il restaurait la fresque en compagnie de Celestia le reprit. L'adolescente se transformait littéralement sous ses yeux, sa robe devenait plus brillante, l'éclat de ses mèches roses plus étoilé, son parfum plus capiteux. Et surtout, ses yeux, ses yeux qui semblaient gagner en profondeur jusqu'à l'infini.
Le corps tendu, la tête penchée en avant, son museau touchant presque celui de Discord, Celestia semblait attendre quelque chose du draconequus. Paralysé par le stress, il ne bougea pas. Celestia leva très brièvement les yeux au ciel, l'air de dire « faut vraiment que je fasse tout ici » et franchit l'infirme distance qui les séparait encore.
Sa bouche s'écrasa sur celle du draconequus. Avant qu'il n'ait eu le temps de réaliser qu'il était en train d'embrasser Celestia, Discord sentit la boule qu'il avait dans le ventre exploser en une myriade de décharges électriques de plaisir, de bonheur et de stress mêlés.
Il sentit le goût du cidre sur les lèvres de Celestia passer sur les siennes.
Il se sentit aussi basculer sur le sol nuageux, étreignant Celestia aussi fort que possible.
A plusieurs kilomètres au dessus de la tête des poneys, dans une arène de nuages, sous le regard du soleil, alicorne et draconequus s'unirent.
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Je me disais aussi..
Ils font l'amour, tout simplement.
Qu'est-ce que tu entend par "unir"?