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Brasier Année Zéro

Une fiction écrite par BroNie.

Troisième partie : Etincelles (3)

Sous le regard de la lune, Géric, Seigneur-Serre de la Horde Griffon plongea sous le couvert des arbres gelés d'Evercon. Il n'aimait pas voler l'hiver. Pas pour des raisons de confort mais parce qu'il avait déjà vu de grands guerriers être piégés par cet ennemi mortel. C'était un piège insidieux le froid. Pour peu que vous vous battiez dans ces conditions, que vous faisiez appel à vos muscles et à votre force, et vous vous mettiez à transpirer. En temps normal, rien de plus ordinaire. Géric comme tout bon griffon avait même appris à la chérir cette sueur parce qu'elle évitait le sang. Mais pour un peu que l'on passe dans un nuage de neige ou que l'on monte trop haut dans le ciel et l'eau gelait. Au sens propre. Géric avait déjà vu des combattants de la Horde tomber comme des pierres en direction du sol, leurs ailes emprisonnées par la glace.

C'était pour cela qu'autant que possible, la Horde se battait l'été. Leur victoire éclair sur l’État Libre des Ânes avait prouvé le bien fondé de cette théorie.

Cette nuit, les choses seraient différentes. La Horde devrait se battre de nuit, en plein hiver, par surprise, en jouant sur la vitesse et la brutalité plutôt qu'en respectant les codes d'honneur propres à tout guerrier.

Cela déplaisait à Géric. D'ailleurs qu'il sache, ça déplaisait tout autant au Seigneur-Aile Gver et à toute la Horde par dessus le marché. Mais le Seigneur-Bec Gexan l'avait assez expliqué : c'était la seule chance pour la Horde de se préserver en l'état. La victoire de ce soir annulerait la honteuse débâcle des Trois Pics et la mort du Seigneur-Plume Gabriel.

La honte au fond était moins d'avoir perdu – ce qui arrivait fatalement un jour dans la vie d'un guerrier – que de se voir dicter des conditions d'armistice inacceptables par Equestria. Passe encore leurs réparations de guerre, après tout, la Horde se faisait verser un tribut par les nations qu'elle avait vaincues, ou leur demande d'accès à leurs territoires mais le désarmement ? Géric aurait préféré qu'on lui arrache le cœur plutôt que sa lance.

Il était un combattant. Il faisait la guerre moins pour les récompenses matérielles qu'elle pouvait charrier même si sa position de premier lieutenant de la Horde avait des avantages certains, que pour la guerre elle-même. Les autres peuples haïssaient la guerre. Pas les griffons. La guerre avait une beauté en elle, une magnificence qu'on ne retrouvait nulle par ailleurs. Géric avait appris à l'aimer la guerre. Cet affrontement des volontés, ce choc des corps, ce maelström de violence.

Certains peuples se battaient pour des motifs religieux, d'autres économiques, d'autres encore par volonté politique. Toutes les nations se défendaient si on les agressait. Mais la Horde était à part. Elle ne levait pas ses troupes parce que c'était la volonté de leurs dieux, d'ailleurs, la majorité des griffons se complaisaient dans un certain agnosticisme. Non la Horde se battait parce qu'elle avait compris l'essence de la guerre et s'y plaisait. C'était le pilier de leur culture, leur plus grande fierté et leur plus grande force.

C'était bien pour préserver leur mode de vie que la Horde s’apprêtait à aller à contre-courant de ses convictions les plus élémentaires en étant le fer de lance de ce coup d’État licorne.

Géric atterrit dans une clairière clairsemée, ses pattes de lion s'enfonçant lourdement dans la neige quand il se posa. Il scruta du regard la frondaison sombre tout autour de lui. Pas un mouvement, pas un bruit. Soit les troupes étaient expertes en camouflage, soit Géric était tout seul. Par respect envers ses frères, le Seigneur-Serre opta pour la première solution.

_Goffer ! appela le griffon droit sans regarder dans une direction particulière. Montre toi.

Une paire de yeux jaunes étincelants s'allumèrent dans l'obscurité face à Géric avant de sortir lentement de la frondaison. Le griffon qui se dressait devant Géric avait sensiblement son âge quoique moins de cicatrices.

C'était après tout la raison pour laquelle Goffer était Seigneur-Hallux et Géric Seigneur-Serre, même si ce premier grade était tout à fait honorable en lui-même.

_Je te salue Géric et j'honore les morts de ta famille.

_Comme j'honore les tiens, Goffer.

Le salut traditionnel griffon pouvait sembler assez rébarbatif pour un non-initié, mais il occupait une place tellement importante dans la culture de la Horde que pas un de ses membres n'aurait osé le bafouer. Même le Seigneur-Bec Gexan qui se distinguait de ses frères d'armes par sa malice et parfois un certain irrespect des valeurs guerrières griffon honorait le salut avec application.

_Les troupes sont prêtes ?

Goffer hocha la tête et de sa serre droite eut un mouvement circulaire. Tout autour des deux griffons, des dizaines et des dizaines de paires d'yeux or se mirent à briller dans l'obscurité.

_Parfait, annonça simplement Géric.

_Gaven n'est pas avec toi ? s'étonna Goffer.

_Il accompagne le Seigneur-Aile Gver, lui sert de garde du corps pour cette nuit. Gexan est aussi avec eux d'ailleurs.

Le bec du Seigneur-Hallux ne cacha rien de sa déception :

_J'aurais quand même préféré l'avoir à nos côtés.

_Gaven est là où il doit être et fera ce qu'il doit faire. Ne t'en fais donc pas. Concentre toi plutôt sur ce que nous, nous devons accomplir cette nuit.

_Fondre sur Canterlot et massacrer les pégases de garde. Ça devrait pas être trop compliqué.

_Les Trois Pics aussi ça devait pas être trop compliqué je te rappelle. Et on a perdu.

_Malchance. Et puis y ont plus de prince licorne pour leur sauver la mise cette fois.

Géric lui concéda le point. Puis il se retourna et se mit à scruter en direction de la lumière de Canterlot, qui même filtrée par les grands arbres était resplendissante. Aucun risque de rater le signal. Ne restait plus qu'à attendre en définitive.

¤¤¤

Nobilitas pesta quand un cahot du fiacre lui fit rater son nœud papillon. Il n'avait jamais été doué pour ce genre de choses. Et paradoxalement, il aimait porter de beaux habits.

Ce soir, il avait sorti le grand jeu : smoking noir, rose rouge à la boutonnière, boutons de manchette en argent...il avait même sorti son chapeau haut de forme. Et le nœud papillon bien sûr, si cette saleté voulait bien se nouer.

Assis sur la banquette en face de lui, le marquis de Brismane fit briller sa corne et en quelques manipulations magiques, avait rectifié le nœud papillon de son vis à vis à la perfection. Nobilitas lui sourit en remerciement et amusé, Brismane donna un petit coup de chapeau.

Nobilitas jeta un rapide coup d’œil par la fenêtre et eut un mouvement de tête satisfait en voyant que les autres fiacres les suivaient bien. Le convoi était parti du club de la Corne d'ivoire depuis une bonne heure et aurait dû arriver au château depuis longtemps, mais c'était la Veillée Chaleureuse et les rues de Canterlot étaient bouchées de poneys, les pattes chargées de cadeaux colorés et l'épaisse couche de neige n'arrangeait pas la circulation. La musique d'une chorale des rues parvint jusqu'aux oreilles des marquis. Typique de la Veillée Chaleureuse : le moindre poney mettait un bonnet à pompon, et se sentait le droit de disputer le pavé à un autre dans un affrontement musical aussi implacable et plein de bonnes intentions que médiocre.

_On devrait interdire ces chanteurs des rues, bougonna Brismane. Déjà qu'ils souillent notre vue toute l'année, voilà qu'à la Veillée, ils s'attaquent à nos oreilles.

_Vous êtes grognon, lâcha Nobilitas avec un sourire.

_Mélomane, rectifia la licorne. Je vous jure sur ma corne que si nous pouvions les faire taire je...

_Nous pourrons passer un arrêté royal si cela vous plaît.

_Vous parlez sérieusement ? demanda Brismane en écarquillant les yeux.

_Vous acceptez de soutenir notre action et vous serez récompensé comme cela a été entendu marquis, le rassura Nobilitas en lissant sa moustache bleue. Si vous voulez qu'on ferme le clapet de ces gueux, je suis certain qu'Ira ne trouvera rien à redire.

_Rien de plus sur les origines de mon fils vous voulez dire...

Nobilitas eut un sourire rassurant :

_Je sais que les choses se sont assez mal passées la première fois que vous avez rencontré la duchesse – ou devrais-je déjà dire reine pour m'habituer ? –, j'ai eu moi-même quelques mots avec elle ces derniers mois.

Machinalement, les sabots de Nobilitas passèrent sur sa gorge nue.

_Mais Ira est une ponette plutôt sanguine. C'est ce qui fera d'elle une bonne souveraine du reste.

_Nobilitas, vous êtes vraiment sûr qu'Ira gouvernera en nous accordant de grands pouvoirs ? Je veux dire, je n'ai pas tout risqué et accepté qu'une femelle monte sur le trône pour me retrouver avec des miettes.

_Encore une fois marquis, je vous rassure, j'ai sa promesse de gouverner en laissant une autonomie presque totale aux grands seigneurs. Unicornia sera loin d'être une monarchie absolue.

Bon en réalité, les choses seraient un peu différentes. Ira serait mise devant le fait accompli, et Nobilitas aurait de toute façon tellement noyauté sa cour qu'elle n'aurait pas d'autre choix que de se plier à la volonté de son tout nouveau vice-roi.

Le marquis sentait qu'il allait aimer avoir le pouvoir. Un vrai pouvoir s'entend, pas les bribes qu'il avait en tant que président du club de la Corne d'ivoire. Son nom serait marqué dans les livres d'Histoire et dans les siècles à venir, on se souviendrait de lui. Pas mal pour une licorne de la noblesse de robe, non ?

A long terme, très long terme, Nobilitas envisageait même de renverser Ira. Quoique connaissant son ex-maîtresse - et bientôt plus ex d'ailleurs -, il n'aurait pas grand chose à faire pour qu'elle se fasse détester par le peuple.

Les licornes seraient heureuses de tenir le haut du pavé dans sa nouvelle société, mais personne ne voulait aller aussi loin qu'Ira dans ses délires eugénistes de protection de la race. Ça lui aliénerait très vite les sympathies de tous les poneys qui n'étaient pas fous comme elle, soit quatre-vingt-dix neuf pourcent de la population. On supplierait même le brave vice-roi d'intervenir pour sauver la nation. Et finalement, la couronne de roi d'Unicornia arriverait sur sa tête. C'était dans longtemps, d'accord. Et seulement à tenter s'il était sûr de son coup. Sinon, une vie d'aisance et de plaisir en maître en second du royaume, ça lui conviendrait aussi.

Bon peut-être que Nobilitas traçait des plans sur la comète. Il fallait encore faire tomber le conseil régnant. Mais après ces six mois de préparation, la nuit de l''exécution du coup d’État n'était que la suite logique des choses.

Hélios, Tramonstane, Strawberry, toute cette clique était en train de respirer les dernières goulées d'air frais de leur vie. Nobilitas n'avait rien contre eux personnellement. Hormis le Commandant pégase cela dit, pour l'avoir humilié comme il l'avait fait à Stormpit. Tramonstane mis à part, le marquis n'avait aucun grief particulier contre les premiers poneys d'Equestria. Mais ils devaient mourir ce soir. C'était comme ça.

Alors oui, officiellement il avait assuré aux griffons qu'il s'agirait d'une abdication. C'était une forme un peu particulière d'abdication voilà tout. Avec une bonne dose de violence. Mais c'était nécessaire.

Après tout, on ne faisait pas d'omelette sans casser d’œufs.

D'ailleurs les griffons eux-mêmes ne savaient pas que leur existence prenait aussi fin ce soir. Laisser la Horde en vie après le coup d’État, c'était laisser une gigantesque épée planer au dessus d'Unicornia, suspendue par un crin de poney. Trop dangereux. Le Seigneur-Aile Gver et ses bras droits rejoindraient la liste des victimes du putsch. Ça désorganiserait assez la Horde pour que les griffons se battent entre eux et oublient un peu les poneys.

Nobilitas s'accorda un applaudissement mental. Peut-être un peu précipité étant donné que le coup d’État n'était pas encore un succès ni lancé tout court d'ailleurs, mais le travail extraordinaire qu'il avait abattu en six mois était phénoménal.

Se lier avec les griffons, gagner leur confiance, persuader le club de soutenir Ira malgré la très désagréable impression qu'elle avait laissé là bas, trouver le moyen de faire tomber le conseil régnant d'une manière que tout soit fini en quelques heures, peaufiner les détails...c'était un travail de titan. Nobilitas aurait bien mérité quelques vacances après leur victoire.

A se demander où était Ira en ce moment d'ailleurs. Bah ça n'avait pas d'importance. Elle poserait ses fesses sur le trône encore chaud d'Hélios dans la matinée et tout irait bien.

Nobilitas avait tout prévu, tout envisagé, tout calculé.

Qu'est-ce qui pourrait mal tourner ?

¤¤¤

Mademoiselle Lavande, gouvernante des enfants du roi et de la reine des licornes avait toutes les peines du monde à empêcher son cœur de fondre alors que la princesse Luna, assise devant elle, refusait toujours d'ôter les deux bois de cerf en mousse qu'elle avait passé dans sa crinière.

_Je vous assure Majesté, insista la ponette, vous n'avez pas à porter ça.

_Mais nous devons le faire ! insista Luna en tapant de son petit sabot sur le sol, sûrement dans le but d'appuyer des propos qu'elle voulait rendre plus royaux. Nous nous sommes toujours déguisée pour la Veillée. On dîne avec papa et avec maman et avec Celestia et on joue à des jeux et tout le monde met des costumes pour jouer. Pourquoi est-ce que ça changerait ce soir?

_Parce que, hésita Lavande, ne sachant pas comment bien l'expliquer à la petite alicorne, vous êtes une princesse maintenant et que les princesses ne se déguisent pas à la Veillée Chaleureuse. C'est une question...d'étiquette, dit-elle en instant sur le mot, sachant à quel point il était important pour Luna.

La jeune alicorne fronça les sourcils, hésitant visiblement entre son respect absolu de l'étiquette et l'envie de garder ses faux bois, comme elle le faisait chaque année.

_Monsieur Sîn pourra garder ses chaussettes ? demanda Luna en pointant son doudou du sabot, d'un ton qui laissait clairement entendre que le mot « non » était banni de son univers.

_Je ne vois rien dans l'étiquette qui empêche une peluche de porter des chaussettes votre Majesté, répondit mademoiselle Lavande de son air le plus sérieux.

Luna se détendit visiblement avant d'ôter – à regrets tout de même – ses bois en mousse et les poser sur la commode où reposait déjà un nombre impressionnant d'objets hétéroclites, des boucles d'oreilles à un nez rouge en mousse. Lavande se rapprocha de la petite alicorne pour lui passer quelques coups de brosse dans la crinière et remettre en place ce que les bois avaient défait. L'électricité statique crépita ce qui fit glousser Luna. Mademoiselle Lavande elle-même ne put réprimer un sourire.

C'était horrible de penser ça mais l'ascension au trône du roi Hélios avait été une bénédiction pour la ponette. Elle était faite pour s'occuper des enfants, sa cutie mark en forme d'un sabot sur un cœur le prouvait bien. Mais quand elle était entrée au service de la famille royale, le prince Bronze était déjà grand, un poulain presque adulte. Lavande s'était donc retrouvée reléguée au rang de simple domestique, ce qui ne lui avait jamais convenu. Puis Bronze était mort aux Trois-Pics, son père peu de temps après et le destin avait confié le trône à Hélios. Et pour le plus grand bonheur de Lavande, Hélios avait deux filles : Luna, la plus jeune qui était mignonne à en mourir et Celestia, la plus âgée, plus dure à gérer. Crise d'adolescence.

Mais il n'y avait pas que ça. Quelque chose poussait toujours Celestia à montrer les dents, à se conduire comme une pouliche.

Lavande avait espéré que le poids de sa charge aiderait la princesse à sa canaliser mais ça n'avait fait qu'empirer les choses. Elle passait le plus clair de son temps avec ce pégase brun, ce Discord, et dès qu'ils en avaient l'occasion, ils allaient se perdre dans Evercon. Pas des manières de jeune fille, oh ça non. Lavande faisait partie de celles qui espérait que son mariage mettrait un peu de plomb dans la cervelle de l'alicorne.

Officiellement, la gouvernante n'était au courant de rien, bien entendu mais la ponette avait des oreilles. Et les rumeurs de l'union de l'adolescente avec le prince impérial zèbre faisait le tour du palais. La dernière à s'attendre aux noces devait être Celestia elle-même d'ailleurs. A sa place, Lavande se serait quand même doutée de quelque chose, après tout, à dix-sept ans...mais l'alicorne avait vraiment donné l'impression de tomber des nues en apprenant la volonté de son père de la marier avec l'héritier de l'Empire zèbre.

Elle était restée dans sa chambre des heures et des heures, rideaux tirés, dans le noir total, refusant de sortir pour remplir ses devoirs de princesse – que Luna avait très gentiment proposé de « prendre en plus pour aider Tia jusqu'à ce qu'elle soit plus malade » - ou simplement de s'alimenter.

Pour Lavande, Celestia était simplement trop surprise par cette union que vraiment reluctante à son avènement. Quelle pouliche de dix-sept ans aurait dit non à un mariage de conte de fée, avec un vrai prince, qui venait de lointaines contrées étrangères ? Un prince impérial en plus ce qui voulait dire gain de quartiers pour l'adolescente.

Le mariage serait superbe, Lavande en était assurée. A la St Galopin en plus, le jour des amoureux ! Il n'y avait pas plus beau jour pour célébrer des noces !

Mademoiselle Lavande espérait que le roi lui réserverait une belle place pour le mariage. Il faudrait qu'elle pense à retoucher sa robe de fête d'ailleurs...

_Hey pourquoi ça fait plus « crrr » ? interrogea la voix de Luna, arrachant la gouvernante à ses pensées. Refais « crrr » Lavande !

Lavande se rendit compte que depuis plusieurs secondes, perdue dans ses rêveries, elle ne brossait plus que du vide. S'excusant, elle se remit à repasser l'ustensile dans la crinière de l'alicorne, provoquant une nuée de « crrr » électriques pour la plus grande joie de la pouliche.

Quelques minutes plus tard et les cheveux de la princesse cadette des licornes étaient parfaits.

_Voilà, déclara la gouvernante en reposant la brosse sur la commode. Vous êtes superbe comme ça.

Ce n'était pas un compliment en l'air du reste : avec sa petite robe violette, la même qu'elle avait mise pour le sacre de son père, six mois auparavant et sa crinière désormais parfaitement brossée, Luna avait tout d'une princesse.

_Si vous voulez bien m'excuser Majesté, je vais voir où en est votre sœur. Les pages viendront vous chercher pour vous conduire à vos parents dans quelques minutes.

D'un mouvement de museau tacite, Luna lui donna l'autorisation de la quitter. Lavande fit une petite révérence et quitta la pièce en veillant bien à ne jamais tourner le dos à la princesse, dans le plus pur respect de l'étiquette. Luna devait être la seule de toute la famille royale à tenir à ce détail par ailleurs.

Lavande progressa dans les couloirs du palais, évitant les pages qui trottaient en tous sens, accompagnant des poneys d'importance ou réglant les ultimes détails avant le début de la soirée. La gouvernante stoppa devant la porte de la chambre de la princesse Celestia et frappa du sabot. La voix de l'adolescente lui donna le feu vert pour entrer. Poussant la porte, Lavande s'attendait à trouver Celestia comme elle avait été ces derniers temps : roulée en boule sur son lit, échevelée, les oreilles aplaties, la mine basse.

Quelle ne fut par la surprise de Lavande de découvrir une Celestia en grande tenue, une étoffe rouge carmin passée sur son pelage, parfaitement brossée, des fers en or au sabot et ayant même quelques touches de maquillage.

_Princesse Celestia...s'étonna la gouvernante. Je n'imaginais pas que…

_Quoi ? demanda la princesse d'un ton coupant. Que je ne savais pas me préparer toute seule ? J'ai vécu seize Veillées sans une stupide domestique pour m'habiller. Je vois pas pourquoi ça changerait pour la dix-septième.

La rudesse du ton surpris la gouvernante qui était pourtant habituée aux mouvements d'humeur de l'adolescente.

_Et bien si vous êtes prête, murmura la ponette, il ne vous reste plus qu'à attendre les pages...

_Y peuvent aller se faire voir, objecta Celestia en passant à grandes enjambées devant Lavande et en franchissant la porte de sa chambre. Je vais au spectacle.

Mademoiselle Lavande n'eut le temps de rien dire avant que Celestia ne disparaisse déjà à l'autre bout du couloir. Bon. Plus qu'à espérer qu'elle se calmerait un peu avec son mariage, sinon, on célébrerait un divorce royal dans pas très longtemps...

En tournant à l'angle du couloir, Celestia manqua de percuter un page qu'elle expédia presque dans une fenêtre. Mais elle s'en moquait. Elle était trop en colère pour se soucier de quoi que ce soit. Elle n'arrivait toujours pas à accepter le fait qu'elle allait devoir se marier selon la volonté de son père. C'était complètement dément. A dix-sept ans, on allait lui faire passer bague à la corne avec un zèbre qu'elle ne connaissait même pas. Juste parce que son père et le Négus Eliah en avaient décidé ainsi. A eux deux, roi et Empereur avaient considéré Celestia comme un outil, ou une jolie potiche qui ferait bien à côté du prince impérial zèbre. Si encore on avait demandé son avis à l'alicorne...elle n'aurait pas accepté, ce n'était pas la question, mais au moins on l'aurait considérée comme une personne et non pas comme un objet.

Oui, Celestia était en colère. Très, très en colère. Dire qu'elle avait cru que devenir princesse serait quelque chose de positif ! Elle s'était bien trompée. Au moins, quand elle n'était que la fille d'Hélios et d'Aztarté, elle était encore elle-même. Oui, Regal avait été un horrible professeur, oui, il y avait eu Séraphine et ses sbires mais Celestia était Celestia là bas. Pas la princesse aînée des licornes.

L'adolescente avait prévu d'assister au spectacle de la Veillée Chaleureuse, en bonne petite fille bien obéissante. Histoire de donner des gages à sa famille, faire croire que finalement, elle s’accommodait de cette histoire de mariage.

Puis elle trouverait un moyen de se venger.

Elle ne savait pas encore ni où, ni quand, ni comment mais elle ferait regretter à son père de l'avoir traitée ainsi. Celestia en faisait la promesse.

Il y a encore un an, l'idée n'aurait jamais effleuré l'esprit de l'alicorne. Elle se serait pliée à la volonté paternelle de mauvaise grâce, traînant les sabots jusqu'à l'autel mais elle l'aurait fait.

Maintenant quelle avait goûté au fruit de la vengeance grâce à Discord, Celestia voulait y croquer à nouveau.

Contre Séraphine le revanche avait eu une saveur sucrée. Celestia se demandait si se venger de son père la remplirait de la même félicité. Quelque part, elle se disait que ça serait encore meilleur.

Se venger d'une rivale était une chose mais de son propre géniteur ? Roi des licornes par dessus le marché ?

Ca n'allait pas être bon, ça allait être succulent.

L'adolescente n'avait pas encore de plan hormis celui de faire croire qu'elle acceptait la situation. C'était déjà ça, le temps que son père baisse la garde. Et Celestia pourrait frapper. Elle ne savait pas encore ni où, ni quand, ni comment mais elle ferait quelque chose.

Elle n'allait pas laisser se terminer sa vie à dix-sept ans. Elle s'y refusait complètement.

Celestia finit par arriver au grand hall. Le lieu avait été complètement transformé pour les besoins de la soirée : une grande estrade aux rideaux violets avait été dressée en bout de salle, condamnant de fait le grand escalier principal. Sur toute la longueur du hall, de la scène jusqu'à l'entrée, les pages avaient disposés des chaises, garnies de coussins pour les premiers rangs. Une travée avait été laissée entre les deux grands carrés de chaises, pour laisser les invités gagner leur place. Celestia fit son entrée par une des portes latérales qui s'ouvrait sur les côtés de la grande entrée, et traversa rapidement la travée pour gagner sa place. Elle ne réagit même pas quand les poneys qui la virent apparaître se levèrent, pour respecter le protocole. L'adolescente foula à grandes enjambées le tapis bordeaux qui recouvrait la travée, avança jusqu'à toucher la scène, tourna à gauche et alla s’asseoir au premier rang, sur une des quatre chaises prévues pour la famille royale.

A sa gauche, trois places vides, respectivement celle de sa mère, de son père et de sa jeune sœur. Immédiatement derrière Celestia prenaient place les licornes les plus nobles du royaume, les grands barons. Parmi eux, Mérovis qui avait troqué l'habituelle couverture qui recouvrait ses jambes paralysées par une pièce de tissu décorées de sapins et d'étoiles, fit un signe de sabot amical à la jeune princesse. Celestia souffla par les naseaux et ne répondit pas au salut de l'éminence grise de son père. Elle était sûre que l'idée du mariage venait de Mérovis de toute façon.

Celestia croisa les pattes et bouillonnant d'amertume, attendit que le spectacle commence.

A la droite de l'adolescente, une fois passée la travée, le Chancelier Strawberry donna un coup de coude à son voisin, le Commandant Tramonstane, pour attirer son attention.

_Vous avez vu ? demanda t-il au pégase. La princesse Celestia est déjà là. Elle n'a pas vraiment l'air dans son assiette.

_J'ai un peu autre chose en tête que les pensées d'une ado. C'est ce soir qu'on reçoit les griffons je vous rappelle.

_Ah oui, confirma le terrestre en ayant un mouvement du museau. C'est vrai que maintenant que vous le dites...

_Ne me dites pas que vous aviez oublié qu'on recevait les culs de lion aujourd'hui ?

Strawberry eut un sourire navré et haussa les épaules :

_Vous savez ce que c'est, la Veillée Chaleureuse, on fait la fête et on oublie le travail.

_Vous êtes pas possible, grommela Tramonstane en se massant les tempes des sabots. Y a des fois où je me demande comment vous faites pour diriger Equestria.

_Je ne dirige pas tout seul je vous ferais dire. Vous me filez un sacré coup de patte, comme le roi Hélios. On est un triumvirat après tout.

_Me lustrez pas trop les sabots non plus. Je botte la croupe de ceux qui veulent nous la mettre en leur mettant plus profond avant, c'est tout.

_Je me répète Commandant mais vous devriez vraiment songer à écrire des poèmes, lâcha Strawberry après un long silence.

_Nan, c'est pour les mauviettes ces trucs là.

Le Chancelier n'ajouta rien de plus. Pas certain que le Commandant comprenne le concept même de l'ironie en fait.

Prenant appui sur l'arrière de sa chaise, Strawberry se retourna pour observer le grand hall. Il n'était pas rempli à ras bord mais ça en approchait tout de même. Des dizaines et des dizaines de poneys en belle tenue étaient rassemblés, certains en smokings, d'autres en complets. Les juments n'étaient pas en reste, avec leurs belles robes colorées et leurs grands chapeaux.

De son côté, Strawberry avait opté pour un costume aux tons bruns et or, pour renvoyer au costume du Chancelier Puddinghead, fondateur d'Equestria dont ils célébraient ce soir la naissance.

Le poney aurait été ravi de mettre le fameux couvre-chef du père fondateur mais ils l'avaient égaré depuis longtemps.

Ce n'était pas le cas du casque du Commandant Hurricane qui trônait fièrement sur le crâne de Tramonstane. Le pégase était allé jusqu'à revêtir l'armure noire frappée d'un éclair de son illustre prédécesseur. Il dénotait d'ailleurs, dans cette assemblée de poneys bien habillés en tenue de guerre. Mais Tramonstane se faisait toujours un devoir de porter avec honneur le casque de Hurricane. La Veillée Chaleureuse lui donnait l'occasion de compléter son hommage.

_Excusez-moi ? demanda un poney au nœud papillon qui était assis juste derrière le poney et le pégase. Pourriez vous enlever votre chapeau ? La crête m'empêche de bien voir.

_Et si je te le fous dans l'arrière-train avec ton nœud papillon, histoire de déloger le balai que t'as dans le derrière, tu verras mieux ? demanda Tramonstane d'un ton acerbe.

Le poney au nœud papillon resta bouche bée devant la virulence de la réponse du militaire. Avec un sourire gêné, Strawberry s'excusa pour son ami et le pria d'ôter son casque. Tramonstane s'exécuta de mauvaise grâce, gratifiant à l'occasion le poney derrière eux de nouvelles remarques acides.

Le Chancelier leva les yeux au plafond, préférant contempler l'impressionnante décoration que de découvrir à quel point le dictionnaire equestrien pouvait être riche en insultes.

Le hall avait été transformé de bout en bout, il n'y avait pas d'autres mots. Les poneys volants de Tramonstane avaient tendu des vélums décorés de flocons de neige sur toute la surface du plafond et d'autres pièces d'étoffes, elles aussi aux couleurs de la Veillée Chaleureuse et de l'hiver, décoraient la pièce.

Quand Strawberry baissa à nouveau les yeux au niveau du sol, il ne lui échappa pas que Tramonstane donnait des coups d’œils dans tout le hall, scrutant la foule.

_Vous cherchez quelqu'un Commandant ?

_Le Négus Eliah. Je pensais qu'il serait là ce soir.

_Je crois qu'il a dû rentrer d'urgence à sa capitale, dit le Chancelier, passant un sabot dans sa crinière verte. Une histoire de rite de passage de son fils, régler quelques détails pour le mariage aussi. Et comme vos pégases prévoient une grosse tempête de neige dans les jours à venir, l'Empereur voulait rentrer tant qu'il le pouvait encore. C'est un zèbre vous savez, lui et le froid…

_Dommage, murmura le pégase sans cesser de chercher. J'aurais bien voulu avoir son avis sur la pièce de théâtre.

_Vous vous intéressez au point de vue zèbre sur notre culture ? s'étonna le terrestre.

_Pas vraiment. Mais on m'a dit que dans les anciennes lois impériales, si un troubadour ennuyait l'Empereur par son spectacle, le Negusse Negest avait le droit de le faire mettre à mort. Une super idée histoire de pousser un peu les acteurs à se donner sur scène non ?

_Une idée intéressante, répondit Strawberry d'un ton qui dissimulait parfaitement les doutes qu'il avait à voir appliquer une loi impériale zèbre archaïque en Equestria.

Strawberry se dit que tant que Tramonstane restait Commandant des pégases, il ferait de son mieux pour être réélu à son poste de Chancelier. Rien que pour avoir des histoires comme ça à raconter à ses amis et à son compagnon, ça valait le coup. Dommage qu'il ait préféré rester à Manehatthan d'ailleurs. Bah, en même temps, Strawberry avait l'habitude. Son compagnon s’évertuait à le considérer comme un poney tout à fait ordinaire et à cet égard, ne l'accompagnait jamais aux réceptions officielles et à tout ce qui touchait son travail à la Chancellerie.

D'un certain côté, ça peinait Strawberry qui aurait bien apprécié avoir le poney qu'il aimait à ses côtés dans ces grandes occasions, mais de l'autre, ça accordait une certaine normalité à son couple. Avec son compagnon, il n'était plus un des trois membres de la Troïka equestrienne, juste un poney terrestre comme les autres, un peu trop honnête pour son bien.

Un bruit de trompettes arracha le Chancelier à la robe rouge de ses pensées. Il se retourna sur sa chaise pour voir le roi Hélios en grande tenue, accompagné de sa femme et de leur fille cadette traverser la travée. Tous les poneys se levèrent par respect de l'étiquette et saluèrent la famille royale. Les seuls à ne pas avoir à le faire, étant donné leur rang étaient Strawberry et Tramonstane. Le poney terrestre tint toutefois à présenter ses respects à son hôte, qui les accueillait pour la soirée. Il se leva donc et fit un profond signe de tête au monarque qui le lui rendit.

Puis, Hélios, sa femme et sa fille rejoignirent Celestia dans le carré royal. Strawberry jeta un œil à la grande horloge du hall. Vingt-et-une heure moins dix. Le spectacle allait bientôt débuter.

Hélios ne rata rien de la mine renfrognée de sa fille aînée alors qu'il s'asseyait à une place d'écart d'elle, laissant sa femme occuper la chaise en question. Celestia avait du mal à avaler l'idée du mariage et pour dire vrai, Hélios lui même avait été confronté au même rejet. Mais toutes les propositions arrivaient à la même conclusion : ce mariage devait avoir lieu, pour le bien d'Equestria, de l'Empire zèbre et de leurs peuples.

Nerveux, Hélios remis en place quelques décorations sur sa tenue de cérémonie.

Il allait déplacer une énième médaille quand il sentit le sabot de sa femme prendre le sien et le presser fort. Le contact lui fit du bien et le détendit.

_Stressé ? lui chuchota son épouse.

_Un peu. J'arrive pas à me faire à ça.

_A ça ? s'étonna t-elle.

_A ça, répéta t-il, désignant d'un geste du sabot leurs belles tenues et leurs chaises, dont le coussin comportait une couronne brodée. A être roi. J'ai l'impression que je suis pas fait pour ça.

_Ne dis pas de bêtises, le sermonna gentiment sa femme. Tu es un très bon roi.

_Je sais seconder Aztarté. J'ai aidé le roi Aurum, le prince Bronze, les Manedicis à l'Elysium...

Sa voix se fit plus lourde, comme s'il avait mal en prononçant sa phrase.

_Et encore avant, Lucimare. Je suis né pour être numéro deux chérie, et ça me va tout à fait. Je seconde, je sers de bras droit. C'est ça ma place. Je devrais être encore régent solaire, rien de plus.

_Hélios, dit sa femme en emprisonnant son visage entre ses sabots. C'est vrai, pendant la majeure partie de ta vie, tu as toujours été au service de quelqu'un de plus puissant que toi et ça te convenait. Mais dis toi deux choses : une, au fond, tu secondes au moins autant le Chancelier Strawberry et le Commandant Tramonstane qu'eux, ne t'épaulent. Tu es la première licorne d'Equestria, c'est vrai. Mais tu travailles avec le premier poney et le premier pégase, à égalité. Et tous ensemble, vous êtes au service de milliers de poneys.

Le roi voulut protester pour la forme mais les sabots de sa femme, posés sur ses joues l'empêchaient physiquement de le faire.

_Et deux, poursuivit-elle, si ça peut te rassurer, dis-toi qu'à la maison, tu es le meilleur bras droit que j'aurais jamais pu trouver.

Le sérieux du ton fit pouffer Hélios.

_Je crois que ça doit être la seule fois dans l'histoire d'Equestria où un monarque est content parce que sa femme vient officiellement de le déclarer numéro deux.

_T'es même numéro trois si tu veux, conclut Aztarté en riant à son tour et en déposant un baiser léger sur les lèvres de son époux.

L'alicorne lâcha le visage de son mari et se remit droite sur sa chaise, sans lui lâcher le sabot toutefois. Et ce fut donc de sa patte libre que le roi des licornes, à vingt-et-une heures précises, fit donner le signal du spectacle.

Les lumières se tamisèrent, trois coups retentirent et la pièce débuta.

Alors que les rideaux se tiraient et que le narrateur déclamait sa première tirade, vers le milieu de la salle, le vidame de Quenes se pencha vers son voisin de devant, le marquis Nobilitas.

_Tout est en place n'est-ce pas ? lui glissa t-il à l'oreille.

_Tout va bien vidame, lui répondit la voix rassurante de la licorne crème. Détendez vous et profitez du spectacle. Nous avons encore deux bonnes heures devant nous.

_Mais vous êtes sûr que ça va marcher, hein ?

_Ce n'est pas vraiment le genre de chose qu'on peut se permettre de tester en conditions réelles je vous rappelle. Mais oui, tout ira bien.

Quenes se rassit sur son siège avec un grognement qui traduisait parfaitement sa perplexité. Nobilitas ne pouvait pas lui en vouloir. C'était quelque chose de fou qu'ils s’apprêtaient à faire, de complètement inouï. Pour des licornes dont l'occupation principale consistait à partager des verres à leur club en crachant sur les poneys mal nés, un coup d’État c'était aussi exotique qu'effrayant.

Décidant de suivre le conseil qu'il venait de donner au vidame, Nobilitas se concentra lui aussi sur le spectacle. Après tout, c'était le dernier d'Equestria. Autant lui faire honneur.

Sous son apparence de pégase, Discord, placé en bout de salle lui aussi suivait avec attention la pièce de théâtre. C'était une chose d'avoir restauré toutes ces fresques et ces peintures qui parlaient de la Veillée Chaleureuse, c'en était une autre de la voir animée. De voir pour de vrai les personnages s'animer, parler, vivre. C'était peut-être des acteurs sur scène mais les personnages étaient plus vrais que jamais pour le draconequus.

Songer aux fresques lui fit repenser à l'incident avec Celestia. Enfin incident...ils s'étaient touchés en peignant, ça n'avait rien d'exceptionnel non plus. Ça devait arriver tout le temps aux poneys peintres en bâtiment. Ce qui était plus rare, c'était l'inexplicable torpeur dans laquelle il avait été pris en regardant Celestia à ce moment là.

C'était toujours Celestia mais une version améliorée de Celestia, à la robe plus brillante, aux yeux plus profonds, à la crinière plus étoilée. Discord avait aussi senti quelque chose se passer dans son corps, une pointe de stress et d'excitation ainsi qu'une drôle de sensation dans son estomac. La sensation qui s'en rapprochait le plus aurait été des papillons dans le ventre. Mais à moins que Discord ait très mal maîtrisé ses pouvoirs, il n'avait pas eu l'impression d'avoir fait apparaître ces insectes à l'intérieur de lui.

Cette drôle de sensation s'était évanouie avec le départ de Celestia pour s'entretenir avec son père. Discord ne comprenait pas bien ce qui s'était passé.

Il espérait ne pas être malade. Mais d'un autre côté, cette impression avait été plutôt positive. Elle ne pouvait donc pas être quelque chose de négatif, non ?

Le draconequus se força à revenir à la pièce, à découvrir les divisions de la société pré-equestriennes, les rivalités des trois clans et l'accord ténu qui régissait les tribus. Le passé d'Equestria l'absorba tant et si bien que lorsque le rideau de l'entracte tomba, il fut étonné de constater que cent-vint minutes s'étaient déjà écoulées.

Les choses passaient vites quand on était dedans.

Les lumières du hall se rallumèrent, permettant aux spectateurs de parler à voix haute ou d'aller se dégourdir les pattes quelques minutes dans le jardin ou dans l'allée. Personne ne fit attention à une licorne crème et à la moustache bleue qui se fraya discrètement un chemin dans le brouhaha jusqu'aux coulisses.

¤¤¤

Accompagné de Gaven, son second Seigneur-Serre et de Gexan, son Seigneur-Bec, Gver, Seigneur-Aile de la Horde Griffon pénétra dans la salle du conseil des Trois par les grandes fenêtres entrouvertes. A peine étaient-ils entrés dans la pièce qu'un serviteur venait à leur rencontre, les priant de patienter le temps que le roi Hélios vienne recevoir leur désarmement en personne. Gver laissa le poney disparaître par la grande porte.

Il s'assit à la table du conseil, imité par Gexan. Gaven en revanche, resta un pas en retrait de son maître, la serre crispée sur la grande lance qu'il tenait serrée contre son corps. Cette lance était un des plus grands trésors de la Horde. C'était le symbole du pouvoir griffon lui-même, une arme qui avait traversé les générations, et plus prosaïquement, la poitrine d'une dizaine de races différentes. C'était cette arme que Gver était censé remettre au roi Hélios cette nuit, en signe de leur acceptation totale des conditions d'armistice.

Mais ce qu'Hélios ne savait pas, c'est que c'était justement cette lance qui provoquerait sa chute.

¤¤¤

Le serviteur pénétra dans le grand hall et se fraya difficilement un chemin jusqu'au roi Hélios.

_Votre Majesté, annonça t-il, le Seigneur-Aile Gver vous attend dans la salle du conseil.

Hélios eut un mouvement de museau affirmatif tandis que sa femme lui jetait un regard l'air de dire « est-ce que c'est le genre de choses à faire la nuit de la Veillée Chaleureuse ? ». L'alicorne eut un haussement d'épaules navré, traversa rapidement la travée pour s'arrêter devant Strawberry et Tramonstane.

_Gver est prêt à rendre les armes, il attend dans la salle des Trois, annonça le monarque. J'aimerais que vous soyez avec moi. Que ça ne fasse pas trop « les griffons contre les licornes », vous voyez ?

Terrestre et pégase hochèrent la tête de concert et quittèrent rapidement leurs places. Hélios retourna quelques secondes au carré royal, le temps pour lui d'embrasser sa femme et la charger d'assurer le bon déroulement de la pièce pendant qu'il était pris. Les lumières se tamisaient au moment où la troïka d'Equestria quittait le hall pour la salle du conseil.

Dans les coulisses, d'un sort de feu discret, Nobilitas allumait une longue mèche reliée à un cylindre noir, caché dans les vélums.

¤¤¤

Gver et ses compagnons n'eurent pas à attendre longtemps avant de voir le roi Hélios, le Chancelier Strawberry et le Commandant Tramonstane pénétrer dans la salle.

Le Seigneur-Aile et le Seigneur-Bec tinrent à se lever à l'entrée des trois poneys. Le respect de l'adversaire était quelque chose de sacré dans la culture griffon.

_Nous vous saluons et nous honorons les morts de votre famille, annonça Gexan, prenant la parole pour son Seigneur-Aile.

_Comme nous honorons les vôtres, répondit Hélios avec application. Et permettez moi de vous souhaiter une bonne Veillée Chaleureuse, dit-il en prenant place à la table.

Les griffons hochèrent la tête de concert. C'était déplaisant qu'on leur rappelle qu'ils étaient au cœur de la fête la plus sacrée d'Equestria, célébration qu'ils allaient troubler dans quelques minutes. Mais enfin, c'était pour le bien de la Horde...

_Votre arme, ordonna le Commandant Tramonstane en tendant le sabot en direction de Gaven.

Le Seigneur-Serre jeta un coup d'oeil à Gver, comme s'il attendait son autorisation. Le Seigneur-Aile déglutit puis donna un petit coup de tête affirmatif.

_La voici, annonça simplement le griffon en tendant la patte droit devant lui, expédiant la pointe de la lance dans l'aile du pégase.

La brutalité de l'action surpris tout le monde, peut-être même les griffons eux-mêmes, qui se rendaient compte qu'il ne pouvaient plus reculer.

Tramonstane grogna de douleur et empoigna fermement la hampe de la lance, cherchant à la dégager de son aile. Sortant brusquement de son immobilisme, Strawberry fonça jusqu'à la porte, dans l'espoir d'alerter la garde. Il n'avait pas fait trois pas qu'il percutait le poitrail du Seigneur-Aile Gver, qui d'un coup d'aile, avait sauté pour lui barrer le chemin.

_Je suis désolé, s'excusa le griffon en abattant sa serre sur le Chancelier.

Strawberry vit son habit brun et or se déchirer comme une vulgaire feuille de papier et quelque chose d'humide tremper son étoffe. Il baissa les yeux pour découvrir une tache rouge, pareille à la couleur de sa robe qui allait grandissante, souillant sa tunique. Il n'avait pas mal. Pas vraiment. Juste froid. Et extrêmement las, comme si toute la fatigue accumulée au cours de sa vie était venu le faucher d'un coup.

Il voulut dire quelque chose, ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. Il n'eut pas plus le temps de s'en étonner puisque la seconde d'après, il glissait au sol, à moitié inconscient.

Hélios cligna plusieurs fois des yeux, incapable de comprendre la situation. Ce n'était pas possible. Les griffons n'avaient pas pu les attaquer, pas eux, les trois plus grands poneys d'Equestria, pas dans la salle du Conseil !

Pourtant, Tramonstane luttait toujours contre son adversaire et Strawberry gisait à terre, ensanglanté mais encore en vie, comme en témoignait sa respiration erratique.

_Maintenant votre Majesté, nous allons rediscuter des termes de l'armistice, annonça le Seigneur-Bec Gexan, toujours installé à la même table qu'Hélios.

Ce fut quand l'alicorne crut que la soirée ne pouvait pas être pire que le monde au dessous d'eux explosa.

¤¤¤

Celestia, le menton posé contre son sabot droit, maugréa, le regard vaguement centré sur la pièce de théâtre. Elle s'ennuyait. C'était bien le problème de la Veillée Chaleureuse : la fête en elle-même était géniale mais la pièce sur le passé d'Equestria était toujours la même. Ils ne changeaient jamais ou quoi ?

Trompant son ennui, l'adolescente se retourna sur sa chaise et scruta la salle obscure, cherchant si elle voyait quelqu'un qu'elle connaissait. Voyons, il y avait le baron Mérovis et les autres licornes, d'accord. Mademoiselle Lavande un peu plus loin, avec les autres serviteurs de la famille royale. Discord devait être là aussi. Mais où ? Celestia n'arrivait pas à le repérer avec cette fichue obscurité.

La princesse remarqua des mouvements dans la travée, au milieu de la salle. Une demi-dizaine de licornes semblaient pressées de quitter le hall. Celestia aurait bien aimé faire comme elles tiens.

Elle jeta un coup d’œil rapide à sa mère et sa sœur. Elles étaient toutes les deux complètement absorbées par le spectacle. Celestia décida d'aller se dégourdir les pattes dans le jardin. Après tout, si des licornes se sentaient l'envie de quitter la pièce en pleine représentation, leur princesse devait en avoir largement autant le droit.

Et puis dans le noir, personne ne remarquerait son départ.

Celestia se leva doucement de sa chaise, veillant à ne pas alerter sa mère. Elle posa précautionneusement les sabots au sol et profitant du tapis qui recouvrait la travée, elle le foula sans bruit. Elle était à mi-chemin de la sortie quand une détonation atroce retentit dans tout le grand hall, accompagné d'une intense lumière. Celestia leva la tête vers le vélum, imitée en cela par tous les spectateurs et les acteurs.

Le feu dévorait le hall. Les grandes toiles décorées flambaient allègrement, se transmettant les flammes les unes aux autres, faisant tomber une pluie de cendres brûlantes sur le public. Pendant quelques secondes, aucun poney ne bougea, trop stupéfait par la situation.

Ce fut quand le feu gagna les murs, embrasant les rideaux qui se racornirent et tombèrent droit sur le spectateurs que la panique générale éclata.

Tous les poneys se levèrent d'un bond, marchant les uns sur les autres pour atteindre la sortie. Horrifiée, Celestia vit plusieurs ponettes trébucher dans leurs grandes robes et être littéralement avalées par la foule qui avançait inexorablement vers la sortie. Mais elle n'eut pas le temps de les plaindre. Son cerveau lui hurla qu'elle était précisément sur le chemin du public affolé et de sa porte de sortie.

L'alicorne voulut gagner la sécurité d'une des rangées de chaises mais des poneys semblaient en sortir de partout, l'empêchant d'aller à contre-courant.

Celestia commença à reculer aussi vite que ses pattes lui permettaient mais elle se cognait aux poneys qui étaient derrière-elle. Elle était prise entre deux blocs de chair qui allaient se refermer sur elle et la broyer.

Le feu gagnait en intensité, sautant d'un bout à l'autre du hall, faisant suffoquer tout le monde et nourrissant encore la panique.

Celestia serra les dents en voyant la foule lui foncer dessus. Elle ferma les yeux et par réflexe, mis ses pattes avant en protection, espérant mourir sans trop souffrir.

Dans son obscurité intérieure, Celestia ressentait encore plus la chaleur, la fumée qui lui piquait les yeux malgré la protection de ses paupières closes, son cœur qui battait à en exploser. Elle percevait le roulement de la foule qui allait la piétiner.

La princesse sentit ses jambes trembler de peur et son estomac se tordre d'anxiété. Elle serra les dents, attendant un choc qui ne vint jamais.

A la place elle sentit des pattes l'entourer, comme si on l'enlaçait et eut l'impression de tomber à la renverse. Elle ne sentait plus le sol sous ses pattes.

La sensation de chute ne dura qu'un instant avant qu'elle ne retrouve le contact du plancher sous ses sabots. La chaleur aussi n'était pas la même, plus intense. Elle pouvait entendre le crépitement du bois et le bruit des étoffes qui se consumaient. Plus de brouhaha en tout cas. Ou plutôt si, mais plus loin, qui ne lui fonçait plus dessus. Inquiète, elle ouvrit une paupière pour se rendre compte qu'elle avait bel et bien changé de place : de la travée où elle était, elle se retrouvait maintenant dans un coin de la salle, entourée de chaises vides. Elle leva sa seconde paupière sur un œil brouillé de larmes, à cause de la fumée et de la chaleur de l'incendie.

_Ca va ? lui demanda une voix derrière elle.

Celestia répondit machinalement par l'affirmative avant de se retourner pour découvrir Discord, sa robe de pégase brun brûlée en plusieurs endroits mais visiblement beaucoup plus inquiet pour elle que pour lui-même.

_C'est toi qui m'a tirée de là ? lui demanda t-elle.

_On a pas le temps de discuter de ça ! Faut sortir du hall avant que tout brûle.

_On a qu'à passer par la porte, comme les autres, non ? proposa Celestia, haussant la voix pour couvrir le vacarme de l'incendie.

Elle vit dans les yeux de Discord que cette option n'était pas envisageable. Elle tourna la tête en direction de la sortie du hall et plaqua un sabot contre sa bouche d'horreur. La porte était fermée. Des dizaines et des dizaines de poneys tapaient de toutes leurs forces contre le bronze, criant et suppliant qu'on leur ouvre. De plus en plus de spectateurs, fuyant l'incendie derrière eux, grossissaient le nombre de poneys agglutinés contre l'entrée. Les poneys qui étaient arrivés les premiers à la porte étaient écrasés contre les battants de bronze, broyés par la foule en panique. Lorsque un succombait et glissait à terre, le poney derrière lui prenait sa place et se mettait à son tour à frapper la porte avec l’énergie du désespoir.

C'était un spectacle absolument horrible et terrifiant. La peur avait rendu les poneys fous.

_Où sont maman et Luna ? s’inquiéta soudainement Celestia en cherchant du regard le premier rang.

_Celestia, la réprimanda son ami, on a pas le temps pour ça ! Faut sortir !

_Lâche-moi ! cria la princesse d'autorité en se dégageant du draconequus qui essayait de la retenir.

Celestia galopa dans la travée, allant à l'opposé de là où allaient tous les poneys, droit vers le foyer de l'incendie.

Le feu était extrêmement violent, la chaleur faisant tourner la tête de l'alicorne. Elle dut lutter pour se rapprocher des premiers rangs où elle chercha désespérément sa mère et sa sœur.

Elle ne voyait que des chaises dévorées par les flammes qui s'effondraient sur elles-mêmes après s'être consumées. Elle se mit à prier pour que sa mère et sa petite sœur aillent bien.

Enfin elle les trouva : sanglotante, Luna était blottie dans les bras de sa mère, qui la serrait contre elle, un halo autour de sa corne faisant écho à la bulle de protection qu'elle avait invoquée.

_Maman ! s'exclama Celestia en se précipitant près d'elle.

_Celestia, murmura la reine avec un petit sourire qui éclaira brièvement son visage tendu par l'effort. Il faut que tu quittes le hall tout de suite.

_Je te laisserais pas ! Ni toi, ni Luna !

_Celestia, c'est un ordre ! dit sa mère. Je m'occupe de ta sœur.

_Mais tu peux pas bouger tant que tu tiens le bouclier en place ! Je...

_Fais ce que je dis ! rugit Aztarté.

Celestia voulut argumenter mais l'incendie ne lui en laissa pas le temps. Une poutre enflammée tomba du plafond, s'écrasant à l'endroit précis où sa mère et sa sœur se trouvaient. L'adolescente hoqueta d'horreur.

Par bonheur, elle vit les débris rouler le long du dôme de protection, qui n'était pas brisé. Sa mère et sa sœur allaient bien. Mais la poutre barrait complètement le passage jusqu'à elles désormais.

L'adolescente essaya d'utiliser sa magie pour dégager le passage mais la chaleur et la peur brisaient toute tentative de concentration. Le cœur serré, Celestia n'eut pas d'autre choix que de tourner les sabots et de regagner la travée où l'attendait un Discord visiblement nerveux.

_On pourra pas passer par là, dit-il en pointant du sabot la porte de bronze, toujours prise d'assaut par les poneys affolés.

_Tu peux pas faire ce que t'as fais tout à l'heure pour me tirer du passage ?

_Je sais pas comment j'ai réussi à nous téléporter et de toute façon, j'arriverais sûrement pas à le refaire.

Il baissa le museau, visiblement embarrassé de son aveu d'échec. Puis il se reprit :

_Mis à part la porte de devant, y a un autre moyen de sortir ?

Celestia jeta des coups d’œils rapides autour d'elle, sachant déjà la réponse, hélas. Il n'y avait que deux sorties au grand hall : la porte de bronze qui était fermée et les escaliers, derrière la scène. Mais le brasier était trop violent pour envisager de la franchir.

_Les vitraux, annonça une voix âgée derrière-eux.

Les adolescents se retournèrent pour découvrir le baron Mérovis, calme comme jamais, la couverture qu'il avait sur les jambes roussissant à son ourlet.

_Vous êtes en train de brûler ! s'exclama Discord en pointant du sabot le poney en chaise roulante et cherchant quelque chose pour l'aider.

_Ne t'occupe pas de moi, lui ordonna Mérovis. Je ne suis pas important. C'est ton amie qui l'est. Tu dois protéger la princesse, compris ?

_Oui, balbutia le draconequus, surpris de voir la licorne aussi calme alors que sa couverture s'enflammait doucement.

_Bien. Comme je le disais il y a des vitraux dans le hall, juste là, affirma t-il en désignant une zone du plafond carbonisée mais relativement épargnée par les flammes. L'incendie à brûlé les velux et ne peut pas attaquer ce qu'il a déjà consumé. Vous allez passer par là.

_Ma mère est bloquée par cette poutre ! s'exclama Celestia en désignant le premier rang. Je peux pas la laisser comme ça. Luna est avec elle.

_Je m'occupe de Leurs Majestés, promit Mérovis d'un ton calme, je vous le promets princesse. Je vais dégager le passage pour qu'elles puissent vous suivre.

_Et vous alors ?

_Je ne suis pas important, répéta Mérovis d'un ton plus dur. Déjà n'ai pas d'ailes mais en plus, je suis vieux et paralysé. Je ne pourrais pas sortir. Mais je peux faire en sorte que d'autres y arrivent.

_Vous allez mourir ! s'exclama Discord.

_Tout le monde meurt un jour. Et c'est une sortie de scène plutôt sympathique en fin de compte. Allez filez vite !

Alicorne et draconequus sous apparence de pégase s’entre-regardèrent avant de déployer leurs ailes et d'atteindre le plafond. Mérovis les regarda quelques secondes avant de sentir une odeur de brûlé et de se rendre compte que sa couverture flambait allègrement, emportant dans le même temps, la moitié inférieure de son corps. Un des avantages à être paralysé en fait, c'était qu'il n'avait plus aucune sensation dans les jambes. Sans être gêné par la douleur, il put donc tranquillement concentrer sa magie pour dégager les débris enflammés qui barraient le chemin de la reine des licornes.

L'éminence grise du roi Hélios sourit en constant que la reine Aztarté et la princesse Luna pouvaient s'échapper elles-aussi.

Ses pensées allaient toujours vers la famille royale qu'il servait fidèlement depuis des générations quand la fumée le fit suffoquer et finalement perdre connaissance.

On dit que la carcasse carbonisée du baron Mérovis souriait toujours quand on identifia son corps après le drame.

¤¤¤

Sur les murailles d'Equestria, les pégases de garde trompaient l'ennui en partageant une bouteille d'eau de vie. C'était un sacré manque de chance d'avoir été tirés au sort pour monter la garde à la Veillée Chaleureuse. Personne ne travaillait ce soir. Personne mis à part eux.

Dire que pendant qu'ils se gelaient les plumes, tout Canterlot faisait la fête. A dîner en famille, à ouvrir leurs cadeaux, à assister aux pièces de théâtre. Rien de tout ça pour eux. Bonjour la fête pourrie.

Quelque part, ils en venaient presque à espérer qu'il se passe quelque chose ce soir. Pas grand chose, mais au moins de quoi les tenir occupés. Travailler à la Veillée c'était déjà dur mais en plus si c'était pour ne rien faire...

Le sergent en charge du mur allait reprendre une gorgée d'eau de vie quand un de ses soldats désigna silencieusement la silhouette du château, qui se détachait dans l'obscurité. Une grande lumière jaune-orangée jaillissait de sa base et une épaisse fumée noire s'en échappait, se détachant même dans la nuit.

Est-ce que le palais était en train de brûler ?

Le sergent n'eut pas le temps de confirmer ou d'infirmer son hypothèse cela dit : une douleur le saisit dans le dos et le sang lui monta à la bouche. Il tourna lentement la tête sur le côté pour voir un griffon au visage dur, qui tourna lentement la hampe de sa lance pour accentuer la blessure. Alors que sa vue se floutait, le soldat vit que ses gardes subissaient le même sort.

Prenant appui de sa patte sur la croupe du pégase, le griffon arracha son arme du poney volant. Le sergent tomba comme une masse sur la pierre glacée de la muraille.

Vraiment une Veillée Chaleureuse pourrie...

¤¤¤

Nobilitas manqua de trébucher tant il se pressait pour gagner la salle du conseil, ses compagnons sur les talons. Ils croisaient une nuée de gardes et de pages qui s'agitaient dans tous les sens, entre ceux qui effrayés par l'incendie, faisaient tout leur possible pour gagner la sécurité des jardins, et les rares poneys qui se rappelaient leur devoir et tentaient de sauver les personnes piégées dans le grand hall.

Bonne chance à eux pour ouvrir la porte. Nobilitas l'avait scellée par magie. Rien de bien compliqué à briser, c'était un sort basique, mais la panique empêcherait quiconque de réfléchir avant d'agir. La peur était la meilleur alliée du camp de Nobilitas ce soir.

Il avait eu une petite appréhension au moment d'activer la bombe. Se dire que les centaines de poneys du hall allaient mourir d'une façon aussi atroce. Mais le marquis s'était résigné. C'était inévitable et même nécessaire.

La panique causée par l'incendie et la disparition de tous ces poneys importants perturberait assez Equestria pour faciliter encore le coup d’État.

Le cas de la famille royale et des barons licornes, ces vieillards qui s'étaient toujours opposés à la jeune garde incarnée par le club de la Corne d'ivoire était réglé. Il ne manquait plus qu'à se charger du triumvirat poney.

Nobilitas finit par arriver devant la double porte de la salle du conseil et frappa deux fois du sabot, respectant le code entendu avec les griffons. La porte s'entrouvrit et Nobilitas entra, accompagné du marquis de Brismane, laissant Quenes et Buckingham garder l'entrée au cas où.

La scène qui découvrit à l'intérieur le stupéfia : le Chancelier Strawberry était à terre, grièvement blessé tandis que le roi Hélios ne bougeait pas de la table du conseil. Dressé sur ses pattes arrières, le Commandant Tramonstane, malgré la lance qui lui perforait l'aile, luttait contre un griffon de haute taille, les deux combattants cherchant à prendre l’ascendant sur l'autre.

Pourquoi est-ce que les deux griffons ne faisaient rien pour aider leur congénère ? Ils étaient trois nom d'un foin ! A la limite, même en laissant un griffon pour surveiller le roi Hélios, ils étaient à deux contre un !

Tirant un poignard des profondeurs de son smoking, Nobilitas s'approcha de Tramonstane. Le pégase ne le vit pas, trop occupé à lutter contre son adversaire. Il ne put rien faire quand la lame de la licorne s'enfonça dans ses omoplates, le faisant vaciller.

Le Commandant tomba à genoux et sans cesser de saisir la hampe de la lance, il tourna la tête sur le côté, jetant un regard noir au marquis. De son sabot libre, il arracha son casque et le jeta de toutes ses forces sur Nobilitas. Le marquis reçut la protection en plein visage et sentit son nez se briser sous l'impact.

Le griffon profita de sa distraction pour lâcher la hampe de la lance et se rapprocher brusquement du pégase, le griffant cruellement au visage. Tramonstane répondit par un déluge de coups de sabots. Les ennemis s'affrontèrent jusqu'à ce que Nobilitas ne reprenne son couteau et ne poignarde à nouveau le Commandant dans le dos, jusqu'à ce que ce dernier cesse de se battre.

Nobilitas compta une dizaine de coups pour calmer le pégase. Tramonstane finit par s'immobiliser mais continuait de lâcher des insultes à l'encontre des griffons ou des licornes.

Son adversaire, le Seigneur-Serre Gaven lança un regard empli de reproches au jeune marquis.

_Vous l'avez poignardé dans le dos, marquis. C'est une mort indigne d'un guerrier.

_Il fallait le neutraliser, objecta Nobilitas d'une voix nasillarde, due à son nez cassé. Et puis pourquoi vous n'avez rien fait vous ? demanda t-il à l’encontre de Gver et de Gexan. Vous étiez là, les bras croisés...

_Un duel est sacré, répondit le Seigneur-Aile. Personne n'a le droit de s'en mêler sans que les combattants n'en donnent leur accord.

Nobilitas grommela. Ces griffons et leur sens tribal de l'honneur. Quels primitifs...

_Bon, dit-il, désireux de passer à autre chose en gagnant la table d'où Hélios n'avait toujours pas bougé. Votre Majesté, déclara t-il à l'alicorne, je suis le marquis Nobilitas, ici pour obtenir votre abdication.

_Et c'est en tuant tout le monde que vous comptez l'avoir ? répondit Hélios, la voix aussi aiguisée qu'un rasoir.

_Le pégase n'est pas mort, signala Gaven en arrachant sa lance du corps du soldat.

_Pas plus que le Chancelier, déclara Brismane, qui s'était penché pour prendre le pouls du terrestre.

_Et bien vous avez vu Sire, nous ne tuons pas tout le monde non plus. Nous ne sommes pas des monstres.

_Et l'explosion ?

_Ca ? Hum...oui, là je pense effectivement que vous risquez de nous voir comme des monstres.

_Ma famille...je ne ferais rien du tout tant que je ne saurais pas si ma femme et mes filles sont en sécurité.

_J'ai l'impression que vous ne comprenez pas très bien la situation, déclara posément Nobilitas en passant précautionneusement son sabot sur son nez blessé. C'est un coup d’État. Nous sommes ici pour demander l'abdication totale du conseil des Trois.

_Pour que vous preniez le pouvoir, c'est ça ?

Nobilitas eut un haussement d'épaules, l'air de dire « et bien oui. ».

_Vous auriez dû vous attendre que les licornes seraient contre votre ascension au trône. La royauté licorne doit avoir un monarque licorne, c'est tout.

_Alors vous travaillez pour la prétendante Ira, c'est ça ?

_Indirectement. Ou plutôt c'est elle qui va travailler pour nous. Elle n'est même pas au courant des détails de l'opération si c'est ça votre question.

_C'est vous le cerveau de l'affaire donc ?

_On peut dire ça comme ça, avoua le marquis avec une pointe de fierté.

_Donc, ça sera vous qui serez jugé. C'est bon à savoir.

Nobilitas eut un petit rire :

_Au risque de me répéter, dans quelques minutes, vous n'aurez plus aucun pouvoir. Donc, plus le pouvoir de juger.

Il fit un geste en direction de Brismane qui lui apporta un parchemin.

_Fini de parler Sire. Signez votre abdication.

Hélios regarda le parchemin d'un air presque idiot.

_Je vous ai dit que je signerai rien tant que ma famille ne sera pas en sécurité.

Nobilitas souffla par les naseaux et se saisissant du parchemin, se dirigea jusqu'au Commandant Tramonstane.

_On va voir si votre ami est plus disposé à coopérer que vous. Tramonstane ! apostropha la licorne en s'adressant au pégase blessé. Je vais vous donner un papier qui vous relève de votre poste de Commandant Suprême. Signez le, et je vous soigne immédiatement. Je m'assure ensuite de votre sécurité et de votre transfert jusqu'à Stormpit.

Tramonstane répondit par une volée d'insultes.

_Allons Commandant, insista Nobilitas en agitant le parchemin sous son museau. La vie sauve ça vaut bien le coup de se retirer non ?

_Demande à ta sœur si j’aime me retirer, lâcha le soldat en accompagnant sa réponse d'un crachat ensanglanté au visage de la licorne.

Très calme, le marquis se saisit d'un mouchoir et s'essuya la joue, étalant plus la salive mêlée de sang qu'il ne l'ôta. Les poils de sa pommette avaient pris une teinte rosâtre. La licorne saisit de force le sabot du Commandant qui se débattit mais était trop faible pour opposer plus qu'une résistance de principe. Nobilitas trempa la patte du soldat dans l'encre et la posa sur le parchemin.

Satisfait, il fit briller sa corne et déplaçant magiquement le pégase, il l’amena au bord de la fenêtre.

_Vous m’excuserez de ne pas avoir prévu d'harnachement spécial ou de puits des tempêtes Commandant. Ex-Commandant, pardon. Mais voilà comment ça va se passer. Si vous touchez le sol sans mourir, vous avez gagné. Bonne chance.

Puis d'une poussée magique, il fit basculer le pégase à demi-conscient dans le vide.

Le pégase eut le temps de jurer une dernière fois avant de disparaître par dessus la rambarde.

En fait, il jura tout le long de sa chute. Jusqu'à temps que sa nuque ne se brise dans les jardins, arrêtant l'ancien Commandant Tramonstane au milieu d'une tirade particulièrement longue et colorée.

_Bien, bien, bien, déclara le marquis en revenant auprès du roi après avoir suivi la chute en se penchant à la fenêtre. Reparlons de cette abdication, voulez-vous ?

¤¤¤

Réfugiés dans les jardins du palais, Celestia et Discord contemplaient avec inquiétude les grandes flammes lécher l'extérieur du palais. Ils avaient franchi les vitraux comme l'avait indiqué Mérovis, récoltant quelques coupures superficielles au passage, mais rien de grave. Une fois au dehors, Celestia avait couru jusqu'à la grande porte de bronze et avait réussi à l'ouvrir, en brisant la protection magique qui la scellait depuis l'extérieur.

Les poneys avaient jailli du grand hall comme si la pièce les vomissait. La panique était toujours présente mais au moins, l'évacuation avait pu se faire, à défaut d'avoir lieu dans le calme. Certains spectateurs étaient allés jusqu'à se rouler dans la neige pour éteindre les flammèches qui couraient sur leurs habits.

Heureusement, quelqu'un avait réussi à prévenir la garde du feu de l'incendie, à moins qu'un poney de garde n'ait repéré les flammes depuis leur caserne. Quoiqu'il en soit, les pompiers étaient sur place, faisaient tout ce qui était ponettement possible pour endiguer l'incendie, puisant l'eau dans les fontaines des jardins, et jetant de la neige directement sur les flammes. Quelques volontaires aidaient également, après s'être remis de leurs émotions.

Suivie par le draconequus, Celestia fendait la foule, poussant du sabot les juments en pleurs et les étalons noircis de suie dans l'espoir de retrouver sa mère.

Elle finit par apercevoir une mèche noire étoilée, typique de la crinière maternelle. L'adolescente se précipita jusqu'à elle, et lâcha un soupir de soulagement en la découvrant harassée de fatigue, la robe extrêmement sale mais en vie. Luna était toujours accrochée au cou de sa mère, sanglotant doucement.

_Ça va Luna, la rassurait la reine des licornes en passant affectueusement son sabot dans la crinière de la petite alicorne, c'est fini. Tout va bien.

Tout était loin d'aller bien au contraire ! Qu'est-ce que c'était que cet incendie ? Pourquoi est-ce que la porte avait été fermée ? La seule explication logique qui naissait dans l'esprit de l'adolescente la glaçait d'horreur. Non ça n'était pas possible. Ce devait être un accident, un stupide accident, il ne pouvait pas y avoir d'autre cause à l'incendie. Ça ne pouvait quand même pas être...Celestia frissonna rien que d'y songer. Un attentat ?

_Tu vas bien chérie ? demanda Aztarté à sa fille.

_Grâce à Discord et monsieur Mérovis, oui, répondit l'adolescente. Ça va. Où est papa ?

_Il allait dans la salle du conseil, murmura la reine des licornes en levant le museau vers les hauteurs du château, comme si son regard pouvait percer la pierre et le bois pour apercevoir son mari.

_Je vais le chercher ! annonça Celestia en partant tout de go, sans entendre l'ordre de sa mère de rester sur place.

Aztarté se retrouva donc seule avec sa fille cadette dans les pattes, face à un Discord qui avait visiblement l'air embarrassé, comme à chaque fois qu'il se tenait face à face avec l'alicorne blanche.

_Tu as vraiment sauvé ma fille ? demanda la reine au faux pégase, d'un ton où toute douceur maternelle avait disparu.

Le draconequus hocha la tête et n'en crut pas ses oreilles quand l'alicorne ajouta :

_J'aimerais que tu accompagnes Celestia là haut. Je ne peux pas laisser Luna, et Celestia refusera de faire demi-tour. Veille sur elle. Je te tiens personnellement responsable de sa sécurité, compris ?

_Oui...votre Majesté, bafouilla un Discord stupéfait de cette marche extraordinaire de confiance.

Puis, il tourna les sabots et s'éloigna en galopant de la princesse Luna et de sa mère, cherchant à rattraper son amie avant qu'elle ne soit partie trop loin.

Avec un soupir de dépit, Aztarté se dit que finalement, Discord n'était peut-être pas la créature horrible que Lucimare avait voulu qu'il soit, tout draconequus qu'il était.

Ce qui ne l'empêcherait pas de respecter le serment qu'elle s'était faite si Discord causait le moindre mal à sa famille.

L'arrivée d'un garde en nage lui indiquant que Canterlot était envahi par un commando meurtrier de griffons fit autant lever les yeux au ciel la reine que la conforter dans son idée première que cet incendie cachait un plan bien plus élaboré.

Elle fit donner ordre de demander des renforts à Stormpit et de protéger les civils autant que possible.

Elle s'en souviendrait de sa première Veillée Chaleureuse en tant que reine des licornes...

¤¤¤

En quelques minutes, galopant jusqu'à s'en faire éclater le cœur, Celestia arriva en bas des murs du château, à quelques dizaines de mètres de la grande fenêtre de la salle du conseil. De la lumière signalait clairement que quelqu'un se trouvait dans la pièce. Peut-être que son père et les autres membres du conseil pour une raison ou pour une autre ne s'étaient pas rendus compte de l'incendie ? Celestia devait les prévenir et les sortir de là.

Elle déploya ses ailes et se prépara à décoller quand une forme sombre attira son regard. A quelques mètres d'elle, quelque chose était étendu dans la neige. L'adolescente s'en rapprocha à petits pas. Elle vit une robe bleu glace et une crinière outremer. Son ventre se serra, sachant déjà la nature de ce qui se tenait devant elle. Son cerveau refusa la réalité et l'obligea à faire encore un pas en avant pour lever le doute.

C'était le Commandant Tramonstane. Il avait les yeux injectés de sang et la bouche grande ouverte, un rictus figeant ses traits. Un gros trou perforait son aile droite, laissant la neige combler l'interstice. Sa tête était penchée sur le côté avec un angle bizarre, complètement de travers.

Et bien entendu, il ne respirait absolument pas.

La résistance de Celestia, déjà affaiblie par ce qu'elle avait vu dans le grand hall, vacilla complètement et son estomac demanda grâce, se vidant à moitié sur la neige, à moitié sur sa robe rouge. Quand elle s'aperçut qu'elle s'était vomi dessus, prise d'une bouffée de honte, Celestia arracha sa tenue carmin, la roula en boule et la jeta aussi loin que possible d'elle.

L'adolescente se sentait toujours nauséeuse. En fait, elle aurait probablement régurgité une nouvelle fois si un sabot amical ne s'était pas posé sur son épaule. Elle reconnut la patte de Discord.

Sans chercher la logique dans son action, la princesse se retourna et enlaça le draconequus de toutes ses forces. Elle avait besoin d'un soutien et l'esprit du chaos était là. C'était parfait.

Discord mit quelques secondes avant de serrer plus fort l'alicorne dans ses pattes. L'étreinte fit un bien fou à Celestia. Pendant les quelques secondes où le câlin dura, elle oublia totalement le corps désarticulé du pégase à quelques mètres d'eux, l'incendie, ou d'une manière générale, quoi que ce soit. Elle était dans les bras de Discord et elle était bien. Une définition de l'existence qui lui convenait tout à fait.

Celestia sentit Discord lui prendre doucement le menton et l'obliger gentiment à lui faire face. L'espace d'un instant, elle crut qu'il allait se pencher et l'embrasser mais il se borna à lui sourire.

_Ca va mieux Cel ?

Le petit nom qu'il lui donnait fut la dernière chose qui mit du baume au cœur de l'adolescente. Elle hocha la tête.

_Ca va Dis. Allons chercher mon père.

Le draconequus lui fit un petit sourire et la lâcha. Avant de décoller en direction de la fenêtre de la salle des Trois, Celestia tint à avaler un peu de neige fraîche, à la faire passer d'une joue à l'autre avant de recracher l'eau glacée. Au moins, elle n'avait plus ce goût de bile dans la bouche.

Alicorne et faux pégase déployèrent leurs ailes et grimpèrent jusqu'au niveau de la fenêtre du conseil.

Celestia avait cru qu'après tout ce qu'elle avait vu cette nuit, de l'incendie au cadavre de Tramonstane, rien ne pourrait plus la surprendre. Elle perdit ce pari contre elle-même en découvrant dans la salle du conseil trois griffons visiblement animés d'intentions hostiles qui entouraient son père, pendant qu'une licorne crème à la crinière et la moustache bleue agitait un parchemin sous son museau.

Son père avait croisé les pattes à hauteur de la poitrine et refusait visiblement d'obtempérer aux ordres de la licorne moustachue.

Celestia jeta un coup d’œil silencieux à Discord, comme pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas et que quatre inconnus entouraient bien le roi des licornes. Non, pas quatre. Cinq en fait.

Une deuxième licorne fit son apparition, posant les pattes avant sur le rebord de la fenêtre. La licorne croisa le regard de Celestia et de Discord. Elle ouvrit la bouche pour donner l'alerte mais Celestia fut la plus rapide. Sans même vraiment le penser, elle envoya une décharge de magie en plein dans la poitrine de la licorne qui se retrouva projetée en arrière. Sa tête cogna un coin de la table et elle tomba inanimée.

Les trois griffons, la licorne et Hélios se retournèrent en direction de la fenêtre, visiblement aussi surpris que Celestia par ce qui venait de se passer.

Un des griffon ne prit pas une seconde pour s'élancer sur les deux adolescents, toutes serres dehors. Mais cette fois, ce fut Discord le plus rapide. Il tendit le sabot droit devant lui et les ailes du griffon disparurent. La créature n'eut même pas le temps de comprendre ce qui se passait qu'elle chutait comme une pierre et s'écrasait près du cadavre du Commandant Tramonstane, le rejoignant dans la mort.

La licorne à la moustache était complètement stupéfaite, laissant l'occasion au père de Celestia d'agir. D'un sort de feu, il enflamma le parchemin que la licorne tenait toujours au sabot. La licorne jura, lâcha ce qui n'était déjà plus qu'un brûlot et le piétina dans l'espoir de le sauver. Quand il releva les sabots, il n'y avait plus que des cendres. La colère se lut sur son visage alors qu'il dégainait son poignard et se rapprochait avec un sourire mauvais du roi Hélios.

_Lâche mon père, toi ! s'exclama Celestia sans réfléchir en se jetant de tout son poids sur la licorne.

Elle percuta l'assaillant du roi avec violence, renversant plusieurs chaises de la table du conseil dans le processus.

Les deux adversaires roulèrent par dessus la table et s'écrasèrent contre un des piliers de la salle, les laissant tous deux à moitié sonnés. Les deux derniers griffons se regardèrent et tandis que celui qui était le plus petit se dirigeait vers le roi Hélios, le plus grand choisissait très visiblement Discord pour cible.

Le draconequus essaya de faire appel à la magie du chaos pour se défendre avant que le griffon ne soit sur lui mais il n'arrivait pas à faire disparaître ses ailes comme il l'avait fait avec l'autre créature quelques minutes plus tôt. Changer la réalité ne l'aiderait pas plus. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire...

Gver sourit à l'encontre du petit pégase brun qui osait lui faire face. Qu'est-ce qu'il croyait ? Qu'est-ce qu'un pauvre petit poney volant pouvait faire contre le Seigneur-Aile de la Horde griffon ?

Amusé, Gver le laissa même porter le premier coup. Le sabot du pégase rebondit mollement contre la poitrine du griffon. Le Seigneur-Aile gloussa en abattant sa serre sur sa victime.

Mais quelque chose attira son regard : ses plumes. Elles étaient différentes. Il avait toujours eu ce plumage gris si particulier, qui rappelait une armure à plus d'un titre. Mais il était d'un gris brillant, resplendissant. Pas gris comme ça. Pas gris terne.

Il se força à sortir ce détail de sa tête. Ce n'était pas une question de couleur qui l'empêchait de terrasser son adversaire. Comme il avait terrassé Strawberry. Et des pégases avant ça. Et des chiens diamants avant ça. Et des ânes. Et des griffons.

Gver sentit brusquement un poids dans sa poitrine, alors que les visages de tous ceux qu'il avait tués au cours de sa vie lui revenaient brusquement en mémoire.

Il avait toujours glorifié la guerre et le combat mais soudainement, elle lui faisait horreur. Il repensait à la famille de ses victimes, aux centaines de familles endeuillées, aux enfants laissés orphelins.

Brusquement, Gver n'eut plus envie de se battre. Au contraire même.

Cela lui semblait si...absurde.

Il arrêta sa serre à quelques centimètres du visage du pégase et l'observa. Sa belle serre noire, sombre comme la nuit. Mais il y avait quelque chose dessus. Est-ce que c'était... ?

Oui, c'était bien du sang. Le sang de ceux qu'il avait assassinés. Il n'y avait pas d'autre mot. Il regarda autour de lui pour se rendre compte qu'il était à GrandNid, assis sur son trône. Un trône fait d'os et de chair.

Tout autour de lui, des cadavres. Des centaines, des milliers de cadavres. Partout, absolument partout.

Gver se sentit gagner par la peur. Une peur atroce, horrible insurmontable. Il se roula en boule et tremblant de tous ses membres, attendit que la crise passe. Elle ne fit qu'augmenter quand il vit son propre fils Gabriel, s'avancer vers lui, tenant quelque chose dans sa serre. C'était ses propres entrailles.

Le cœur du Seigneur-Aile lâcha à ce moment là.

Ébahi, Gexan vit le corps de son maître agité de quelques convulsions puis plus rien. Le Seigneur-Aile Gver était mort. Comme ça, sans explication. Il avait voulu frapper le pégase brun, s'était ravisé, avait hurlé, était tombé puis était mort.

Est-ce que le poney volant était un genre de sorcier ?

Ca ne plaisait pas du tout au Seigneur-Bec. Ça et de savoir qu'il était le dernier encore en vie de la pièce. Il y avait bien Nobilitas mais il était KO, et pas vraiment dans l'état d'aider.

Gexan jura, sauta par dessus le roi Hélios et atterrit près du marquis et de la jeune alicorne. Il saisit l'adolescente et la plaça devant lui, en bouclier poney, la serre posée sur sa jugulaire.

Hélios avait entamé un geste qu'il stoppa aussitôt en voyant que sa fille était entre les pattes du griffon. Le pégase lui aussi s'était immobilisé.

_Bien, dit Gexan, tout va bien se passer. Roi Hélios, vous allez faire passer un décret qui libère la Horde du traité d'armistice, des réparations de guerre au désarmement. Je lâche votre fille après ça. Et tout se passera bien.

_Il faut la signature des trois membres du conseil, objecta l'alicorne. Et au cas où vous l'auriez oublié, votre ami a tué le Commandant Tramonstane et l'autre, le Chancelier Strawberry.

_Je suis pas mort je vous ferais dire, répondit une voix extrêmement faible.

Griffon, alicorne et faux pégase tournèrent tous la tête vers l'entrée de la pièce pour découvrir Strawberry qui se relevait très lentement, le visage extrêmement pâle, un sabot plaqué contre sa poitrine ensanglantée. Discord se précipita pour l'aider en lui fournissant un appui.

_Laissez la princesse Celestia, articula difficilement Strawberry. Prenez-moi à sa place.

_Et pourquoi est-ce que je ferais ça ? cracha le griffon d'un air nerveux.

_Parce que...je suis Chancelier d'Equestria. La princesse Celestia n'a aucune valeur en tant qu'otage. Et c'est une enfant. Vous n'allez pas me faire croire que le sens de l'honneur griffon à disparu au point de menacer la vie d'enfants, non ?

L'argument toucha le chef de la diplomatie de la Horde.

_Vous me promettez de garantir ma sécurité ?

_Je vous le promets.

Gexan eut un mouvement de tête affirmatif et fit quelques pas en avant, maintenant toujours Celestia, à demi-groggy contre lui. Strawberry s'avança également, soutenu par Discord.

Au moment de libérer sa prisonnière, le griffon eut un mouvement d'hésitation que le regard tranquille du terrestre dissipa.

Il lâcha Celestia qui mit autant de distance possible entre lui et elle. Strawberry fit signe à Discord de le lâcher et fit quelques pas en avant. Il avait presque atteint Gexan qu'une chaise, entourée d'un halo venait percuter le griffon avec une violence inouïe.

Gexan recula sous le choc et regarda le roi Hélios, qui soulevait d'autres chaises de sa magie.

_Le Chancelier Strawberry a promis ! beugla Gexan, comme s'il contestait une injustice d'un ton particulièrement infantile. Il a juré qu'on ne me ferrait pas de mal !

_J'ai rien promis du tout, moi, répliqua le roi d'un ton dur en jetant une nouvelle chaise en plein visage de Gexan.

Le chef de la diplomatie griffon tomba à genoux, cherchant à se protéger alors que les coups continuaient à pleuvoir aveuglément avec une violence croissante.

_Personne. Ne touche. A mon bébé ! rugit le roi en ponctuant chacun de ses mots de coups de chaises.

Au bout d'une dizaine d'assauts, le Seigneur-Bec ne bougeait plus. Hélios mit un point d'honneur à frapper encore.

Quand Gexan ne fut plus qu'une carcasse ensanglantée, l'alicorne estima en avoir fini. Il jeta les chaises dans un coin de la pièce et se précipita auprès de sa fille pour la prendre dans ses pattes. Celestia, blottie contre son père, pleura comme une petite pouliche.

Laissant sa fille évacuer ses émotions, Hélios chercha du regard ce maudit marquis Nobilitas. La licorne n'était plus à la place qu'elle occupait quelques secondes auparavant.

Par contre, la porte de la salle du conseil était entrouverte. Il avait réussi à s'échapper, le rat.

_Votre Majesté, dit Discord qui avait repris sa place de soutien du Chancelier Strawberry, le château est en train de brûler. On doit gagner les jardins.

Hélios hocha la tête. Le draconequus avait raison. Prenant sa fille dans ses bras tandis que l'esprit du chaos prenait la charge du Chancelier des terrestres, le quatuor sauta par la fenêtre et atterrit en sécurité, dans la neige des jardins. Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour qu'Aztarté tenant Luna par le sabot, et accompagnée d'une nuée de gardes n'apparaisse au tournant et ne se jette au cou de son époux.

Hélios ferma les yeux et apprécia cette étreinte à quatre.

Lui, Aztarté, Celestia et Luna.

Sa famille était en vie. C'était le plus beau cadeau de Veillée Chaleureuse qu'on lui ait jamais fait.

¤¤¤

Ira avait à peine poussé la porte de son hôtel particulier que son majordome venait la débarrasser de ses affaires. La lueur du petit matin filtrait par les grandes fenêtres et le majordome avait les traits tirés, n'ayant visiblement pas dormi de la nuit.

_Je suis content de voir, mademoiselle, annonça Alfred en prenant son manteau dans la gueule. Il y a eu un incident cette nuit, au château.

_Un incident ? répéta la licorne de sa voix des plus étonnées.

C'était le moment de vérité. De savoir si elle allait être reine des licornes aujourd'hui ou plus tard.

_Un coup d’État, avec l'aide des griffons. Contre le roi Hélios et le conseil.

_Et alors ? demanda Ira, visiblement impatiente.

_Les putschistes ont tué le Commandant Tramonstane, mais le roi Hélios et la famille royale vont bien. Le Chancelier Strawberry a été grièvement blessé, mais est toujours en vie.

Ira eut un haussement d'épaules imaginaire. C'était une chance sur deux de toute façon. Et elle avait été assez intelligente pour s'éloigner de Canterlot pendant que Nobilitas et ses amis faisaient leur petit coup de force. On allait sûrement enquêter sur elle mais pour le coup, elle était aussi blanche que la neige qui recouvrait Equestria de son manteau.

_Mademoiselle, je devais aussi vous dire que votre ami, le marquis Nobilitas est ici.

_Ici ? répéta la licorne grise, cette fois, réellement surprise.

_Il est arrivé en pleine nuit, expliquant qu'il n'avait pas d'autre endroit où aller. J'ai voulu le mettre dehors mais je me suis dit que...

_Vous avez bien fait Alfred. Où est-il ?

_Je l'ai laissé patienter dans votre chambre.

Ira hocha la tête et donna ordre à Alfred d'aller dans la cour intérieure de l'hôtel particulier, aider Kamel à ranger les affaires qu'il restait de leur expédition d'Agrabay.

La prétendante gagna ensuite silencieusement sa chambre dont elle poussa la porte. Elle était à peine entrée que Nobilitas, avachi sur un fauteuil, sursauta, un couteau au sabot.

_Tu es là, s'exclama t-il, se passant le sabot sur le front, épongeant une plaque de sueur qui se reforma aussitôt.

_Je suis là, répondit simplement Ira en se dirigeant à petits pas vers son service à thé.

_Ça c'est mal passé, balbutia le marquis en posant le poignard devant lui, l'air exténué. Tout allait bien pourtant, la bombe, l'incendie...

_Qu'est-ce qui a mal tourné ? demanda Ira, faisant chauffer la théière d'un sort de feu mineur.

_Y a eu la princesse Celestia. Mais aussi ce drôle de pégase.

_Un pégase ? questionna Ira, vivement intéressée.

_Un pégase brun ou je ne sais quoi. Je sais pas comment il a fait, mais il a réussi à faire disparaître les ailes d'un des griffon qui s'est tué au sol. Mais le pire c'est qu'il a juste touché le chef de la Horde qu'est devenu tout gris, et il a...il a craqué, je sais pas comment le dire autrement. Il s'est effondré comme ça et il est mort.

Ira avait la réponse, elle, qui tenait en un mot. Draconequus.

_Et tu n'avais pas de plan de secours ? demanda t-elle en remplissant deux tasses de thé fumant.

_Si, mais les griffons qui ont attaqué la ville se sont faits déborder par des renforts de Stormpit. C'était d'ailleurs prévu à terme, pour que je me débarrasse d'eux.

_Et tes complices ?

_Brismane est mort. Je crois. Les autres ont disparu. Y ont dû se faire la malle quand ils ont senti que ça tournait mal.

_Sûrement, dit Ira, apportant les tasses sur une table basse et s'asseyant en face de son ancien amant.

_Ira faut que tu m'aides, implora le marquis en se saisissant d'une des tasses, tremblant tant qu'il manqua de la renverser. Que tu me caches et que tu me fasses quitter Canterlot.

_Tu veux aller où ?

_Je sais pas, avoua la licorne en portant la tasse à ses lèvres, se brûlant à moitié en buvant le thé. Loin. Très loin. Les colonies peut-être. Ou même l'étranger. Toi qui en revient,y a bien des villes à Agrabay, non ? Je pourrais me cacher là bas. T'en penses quoi ?

_Agrabay est un bel endroit, annonça la jument grise en soufflant sur son thé sans le boire. Mais tu sais, il faut aimer le thé.

_Ca devrait aller, répliqua le marquis en vidant sa tasse.

_Je suis sérieuse, c'est tout un cérémonial là bas. Tu dois boire trois thés différents, chacun avec leur goût. Les chameaux ont même un dicton pour ça.

_Vraiment ?

_Absolument, affirma Ira en hochant la tête, attends que je m'en souvienne. C'est...la première tasse est aussi amère que la vie. La seconde, aussi douce que l'amour.

_Et la troisième ?

Ira lui renvoya un petit sourire.

_Aussi apaisante que la mort.

Nobilitas sentit brusquement un choc dans sa poitrine, comme un coup de marteau. Il voulut dire quelque chose mais seul un croassement sortit de sa gorge alors que la douleur allait crescendo.

Il fit un geste de la patte en direction de son poignard, mais son sabot refusa de bouger. Il sentit ses muscles se tétaniser un à un.

L'horrible sensation ne s'arrêta pas avant que ses poumons et son cœur ne se bloquent lentement à leur tour, laissant tout le temps à son empoisonneuse d'apprécier le spectacle.

Finalement, les yeux du marquis Nobilitas se révulsèrent et il poussa son dernier soupir. Façon de parler puisque il ne pouvait plus respirer de toute façon.

Ira décroisa les pattes et jeta le contenu de sa tasse dans une plante verte. Comme quoi son vieux poison marchait encore après tout ce temps. Bon à savoir.

Elle eut une pensée de regrets pour Nobilitas. Il avait mérité de finir autrement que comme ça. Si seulement il n'avait pas voulu faire cavalier seul. Enfin, c'était son destin, Ira ne l'avait pas forcé.

La licorne se leva et alla sonner Alfred, pour qu'il déplace le corps. L'esprit de la prétendante était déjà ailleurs.

Le récit du marquis avait confirmé ce que lui avait dit la voix à Al Khali. Discord était bien à Canterlot. Et il était en pleine possession de ses pouvoirs de torsion de réalité.

Ira allait lui mettre le sabot dessus. Le soumettre à son autorité. Déposer Hélios et la famille royale, se faire sacrer reine des licornes et fonder Unicornia.

La vraie conquête d'Ira pour le trône commençait en ce jeune lendemain de Veillée Chaleureuse.

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DaBronyGamer
DaBronyGamer : #10987
J'ai voulu arrêter de lire pour aller jouer ,mais l'explosion est arrivée et je suis resté jusque la fin ,trop de BADASS LEVEL dans ce chapitre
Il y a 3 ans · Répondre
BroNie
BroNie : #9464
Un brasier ne commence que lentement.
Il y a 3 ans · Répondre
Enis
Enis : #9463
Mercredi 17 Décembre 2014

Je viens de commencé à lire ta fic.
Ça me surprend que les étincelles ne fassent place que maintenant à la combustion.
Il y a 3 ans · Répondre

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