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Brasier Année Zéro

Une fiction écrite par BroNie.

Quatrième partie : Combustion (2)

La forme du gouvernement pose problème à plus d'un titre. Il est évident que pour réformer en profondeur la société, le gouvernement doit être fort. Un gouvernement faible n'osera pas prendre les mesures nécessaires à l’assainissement de la société et par son inaction, pourrira sur place.

De ce point de départ, la corollaire logique serait d'opter pour l'absolutisme. Par définition, l'absolutisme n'a pas de limites, pas d'entraves, autrement dit, le gouvernement a les sabots libres pour mener ses réformes.

 

Cela dit, l'absolutisme est bien souvent mal perçu par les peuples. Quand bien même ce seraient eux qui le réclament et qui seront les premiers bénéficiaires de la politique absolutiste, l'attachement viscéral populaire à la liberté ou plutôt, à l'illusion de liberté qu'ils pensent détenir, les peuples s'opposeront à l'idée d'absolutisme, synonyme pour eux, d'exactions et de débordements.

 

L'idéal serait que les peuples comprennent la vanité du désir de liberté et à quel point cet idéal chimérique est dangereux à la survie des races, mais cette prise de conscience ne peut passer que par un encadrement et une pédagogie poussée...soit justement quelques unes des réformes nécessaires dont nous parlions plus tôt.

 

Nous sommes donc face à un paradoxe : pour que le peuple comprenne qu'il n'a pas besoin de liberté, il faut le lui enseigner. Pour le lui enseigner, il faut mettre en place des structures éducatives particulières. Structures qui ne naîtront que par la volonté d'un gouvernement fort, volonté considérée comme tyrannique par le peuple tant que l'enseignement n'aura pas eu lieu.

 

On pourrait être tenté de se passer de l'avis du peuple et d'imposer directement sa volonté. Après tout, un gouvernement absolutiste n'a par définition, pas de limites.

Ce serait une erreur. Pas dans sa finalité mais dans son exécution.

 

Tout doit se faire de façon progressive. Comme avec un animal sauvage que l'on approche avec précaution, il faut avancer prudemment auprès du peuple jusqu'à ce qu'il comprenne la vérité.

 

La meilleure tactique étant de s'appuyer sur les gouvernements locaux, dotés de larges pouvoirs. Le peuple aura l'impression d'une décentralisation et d'un accroissement du pouvoir local. Ce sera vrai. Dans une certaine mesure.

 

Le gouvernement local devra être entièrement inféodé au gouvernement central, auprès duquel il prendra directement ses ordres. Cela rajoutera un maillon dans la chaîne de commandement, en effet, ce qui par nature, va à l'opposé de l'idéal centralisateur.

 

Mais ce maillon est nécessaire en ce qu'il adoucira le regard des peuples sur le gouvernement, quitte à le conforter dans son illusion de liberté.

 

Puis, quand viendra le temps, quand le peuple se sera habitué à l'idée de réforme, on pourra ôter tout pouvoir aux gouvernements locaux pour en revenir à la seule forme de politique qui permettra d'entreprendre les réformes nécessaires à l’assainissement de la société : l'absolutisme plein et entier.

 

Veuillez noter que s'il s'agit de changer au minimum l'apparence des gouvernements locaux, dans le but de ne pas brusquer les peuples, il serait impensable de ne pas y appliquer une stricte politique raciale.

 

A cet égard, toute alicorne qui n'a pas au moins la robe flave doit être immédiatement exclue dudit gouvernement. (pour plus de précisions sur le degré de pureté d'une alicorne en fonction de la jauneur de ses poils, veuillez vous reporter au chapitre six, De la défense de la race.)

 

Ira relut brièvement les dernières lignes avant de refermer le livre avec un soupir d'exaspération. Comme d'habitude avec Lucimare, les analyses politiques étaient des plus fines et des plus pertinentes jusqu'à ce que l'alicorne se mêle de théories raciales.

 

Non vraiment, si seulement Lucimare avait été moins obsédée par la couleur de la robe de ses congénères, elle aurait été une des plus grandes politiques de son temps. Enfin, le régime de terreur qu'elle avait imposé à sa nation durant une semaine l'avait de toute façon propulsée aux sommets de l'horreur. C'était une façon de devenir grande.

 

La duchesse poussa le traité sur la banquette arrière de son fiacre jusqu'à ce qu'il tombe au sol, là où reposaient déjà les autres livres lus par la licorne. Par le sang de la princesse Platinium, que ce pouvait être long ! Plus de deux semaines qu'elle essayait de mettre le sabot sur ce fameux Discord. Pourtant, un pégase dans l'entourage de la cour, ça ne devait pas courir les rues !

Ah si seulement Colt n'était pas mort à Al-Khali...l'espion aurait retrouvé le draconequus en un rien de temps lui.

 

Mais Ira était ce soir sur une pistes des plus sérieuses : ses informateurs lui avaient rapporté qu'un pégase brun était souvent vu à travailler sur le chantier de reconstruction du château. En tant que tel, c'était déjà un peu hors du commun, mais on rapportait également qu'il s'entretenait régulièrement avec la famille royale, et n'avait pas de cutie mark. Pas mal pour un flanc-blanc !

 

Même si l’absence de cutie mark ne voulait pas dire grand chose au final, la duchesse elle-même étant flanc-blanc, Ira était sûre de tenir son draconequus.

Il lui fallait juste une confirmation.

 

C'était la raison pour laquelle Alfred, son majordome, avait déplacé son fiacre jusqu'à une ruelle adjacente au chantier de reconstruction, désert à cette heure de la journée et ce depuis plusieurs heures, la licorne tuait son ennui en lisant des écrits de Lucimare ou d'autres auteurs, en attendant enfin d'apercevoir le fameux pégase brun.

 

_Mademoiselle la duchesse, annonça la voix de son domestique, je crois que c'est lui.

 

Ira se pencha à la fenêtre de sa voiture, et vit effectivement dans la clarté du soir, un poney volant à la robe brune, s'approchait d'un tas de débris, une pelle au sabot. La licorne braqua ses jumelles sur lui. Le bref regard que lança le pégase dans la direction du fiacre avant qu'il ne se mette à travailler, révéla à la prétendante au trône, des yeux rouges et jaunes, et de taille différente. Un mauvais sourire éclaira le visage de la duchesse. Elle le tenait son draconequus cette fois. Restait à trouver comment l'approcher et s'arranger pour lui faire prêter serment mais...

 

Un mouvement attira l’œil de la licorne. Quelqu'un venait.

 

D’instinct, la duchesse se tassa sur la banquette de son fiacre, prenant garde à ce qu'on ne la voit pas au travers de la fenêtre. Quelques secondes passèrent avant que la licorne ne jette un coup d’œil discret par la vitre. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise en voyant la jeune princesse Celestia s'entretenir avec le pégase brun. Les derniers doutes d'Ira furent balayés.

 

Quelques secondes après, ce fut la mâchoire de la licorne qui s'ouvrit quand elle aperçut le pégase embrasser fugacement l'alicorne avant que l'adolescente ne décolle à tire d'aile.

 

_La princesse et le monstre, gloussa d'une petite voix Ira en se rasseyant sur sa banquette. Un vrai conte de fée.

 

Tellement dommage que dans la réalité, se dit-elle, les contes de fée finissent mal.



¤¤¤




Ce fut le père de Celestia qui la réveilla ce matin-là. Pas directement et physiquement, mais par son action de lever le soleil. L'astre du jour monta haut dans le ciel, et sa lumière passa à travers la fenêtre de la chambre de l'alicorne, droit sur son lit.

Il y avait une époque encore récente où Celestia aurait grommelé avant d'enfouir son visage sous son oreiller, et essayé de dormir encore quelques minutes de plus. Tout en sachant très bien que ces minutes allaient se transformer en heures en un claquement de sabot sur le sol, et qu'elle serait en retard pour le reste de la journée.

 

Mais l'adolescente accueillit favorablement le jour nouveau. Un sourire de bonheur parfaitement idiot lui collait au visage, et refusait de quitter son museau.

 

Quelques semaines que ça durait. Quelques semaines que la princesse des licornes était amoureuse.

 

Depuis que Discord l'avait faite jument. Quand elle repensait à la scène qui avait précédé leur première fois, Celestia ne comprenait pas encore tout sur la corne des sabots. Elle avait gagné la chasse au trésor, et elle s'était à nouveau sentie prise de cette fièvre agréable qui la frappait quand elle était en compagnie du draconequus. Mais seulement cette fois, au lieu de chercher à combattre cette fièvre, l'adolescente lui avait laissée le champ libre. Et la fièvre s'était révélée être une amie des plus utiles, qui l'avait poussée à agir au lieu de rester plantée là. C'était comme ça qu'elle avait pris son courage à quatre sabots, et qu'elle avait embrassé Discord. C'était comme ça qu'elle l'avait senti répondre à son désir. Comme ça que tout avait commencé.

 

Celestia était assez lucide pour se rendre compte qu'elle s'était donnée à Discord au moins autant par plaisir que par esprit de revanche sur son père, sur son fiancé et sur sa couronne. Mais ça ne changeait rien au fait qu'elle avait cédé à ses désirs avec joie.

 

Rêveuse, Celestia caressa plusieurs fois les draps qui recouvraient son corps de la corne de ses sabots. Elle se sentait belle depuis peu. A peine six mois auparavant, elle pestait contre ses os qui lui faisaient mal en poussant, sa corne qu'elle trouvait toujours trop courte, ou sa crinière qui n'était pas étoilée. Mais maintenant, elle se sentait bien dans sa peau, mieux qu'elle ne l'avait jamais été.

 

Le fait de n'avoir toujours pas sa cutie mark à dix-sept ans la taraudait, mais l'amour qu'elle portait à Discord et celui qu'elle recevait du draconequus en retour, reléguait au dernier plan la virginité de son flanc.

 

Sa relation avec Discord avait complètement chamboulé la façon de voir la vie de l'adolescente. Elle ne la voyait plus comme une adversaire, mais comme une alliée. Elle avait l'impression que le ciel était plus bleu, que les fleurs sentaient plus bon.

Un peu comme si l'univers était devenu amoureux lui aussi.

 

A l'époque du professeur Regal, Celestia avait toujours regardé les couples autour d'elle avec un mélange de jalousie et de mépris. Elle les avait enviés au moins autant que dédaignés.

Mais maintenant qu'elle était à la place de ses anciens camarades de classe, elle avait plus l'impression que comme eux, elle faisait partie d'une sorte de confrérie semi-secrète, celle des poneys amoureux. Elle se demandait aussi désormais pourquoi est-ce que tout le monde ne tombait pas amoureux C'était tellement mieux que de ne pas l'être. Celestia avait eu l'impression que tous ses malheurs avaient été balayés au loin comme une nuée d'insectes noirs par une explosion d'amour. C'était probablement naïf comme façon de penser mais l'alicorne n'allait pas nier ce qu'elle ressentait.

 

Le bruit régulier d'une petite respiration se fraya un chemin jusqu'aux oreilles de l'adolescente. Dans son lit superposé, Luna dormait encore profondément. Rien d'étonnant à cela quand on savait que la petite alicorne avait joué avec sa sœur jusqu'à tomber de sommeil. En temps normal, Celestia se serait vite lassée : ce n'était pas qu'elle n'aimait pas jouer avec Luna, mais il y avait des limites à le faire à trois heures du matin. Pourtant, la princesse aînée des licornes avait accepté d'aider sa cadette à dresser un fort de couvertures, et avait même pris l’initiative d'organiser une bataille de polochons.

 

Celestia sentit son estomac se rappeler à elle avec un grondement sourd. Il était temps d'aller prendre un solide petit-déjeuner. L'alicorne s'extirpa des draps et sauta au bas de son lit. Elle n'avait pas fait trois pas en direction de la porte qu'un de ses sabots entrait en contact avec quelque chose de mou, et de poussiéreux. L'adolescente baissa la tête pour découvrir qu'elle venait de marcher dans un tas de cendres. Elle en retira sa patte, et frotta la corne de ses sabots l'un sur l'autre pour en décoller les particules qui y étaient accrochées, tout en se demandant comment ces cendres avaient pu arriver là.

 

Hier au soir, la chambre des princesses était immaculée. Sans dessus dessous, recouverte de livres, de jouets et d'habits d'accord, mais Celestia était certaine de ne pas avoir vu de cendres au pied de son lit au moment de se coucher.

 

Alors qu'elle s'interrogeait toujours sur l'origine des cendres, les particules grises lui donnèrent d'elles-mêmes la réponse.

Elles se mirent à remuer, à s'agiter, à frissonner. Puis, elles se déployèrent, comme un serpentin dans les airs, avant de tournoyer de plus en plus vite. Elles finirent par prendre l'apparence d'une petite tornade, jusqu'à produire un flash jaune si aveuglant que Celestia dut détourner le regard. La princesse dut papillonner plusieurs fois des yeux pour dissiper le flou qui lui obstruait la vue. Mais quand elle porta à nouveau le regard sur la tornade de cendres, Celestia eut la surprise de découvrir un tout jeune oisillon aux couleurs rouge et or des plus éclatantes.

 

La princesse se souvint brusquement de la nature du cadeau que Habte lui avait offert. Un œuf de phénix. L'adolescente chercha des yeux le présent, qu'elle avait laissé sur la commode de sa chambre, et sourit en n'apercevant qu'une coquille brisée, complètement vide. Le jeune phénix qui se tenait devant sa nouvelle maîtresse était bien l'ancien occupant de l’œuf.

 

Et les cendres, c'était simplement le trait le plus caractéristique de cet animal, cette fonction de mourir en s'enflammant pour renaître de ses cendres quelques instants plus tard.

 

_On devrait l'appeler Philomena, suggéra une petite voix encore ensommeillée.

 

Celestia se retourna et leva la tête. Luna avait le menton posé contre la rambarde de son lit superposé, et regardait l'oiseau battre silencieusement des ailes dans leur chambre.

 

_Pourquoi Philomena ? questionna sa grande sœur.

 

_Parce que c'est joli, répondit Luna d'un ton imperturbable. Ca veut dire « amour puissant » en vieux équestrien, et vu que c'est un cadeau de ton amoureux, ça colle non ?

 

A l'annonce du mot « amoureux », Celestia sentit les poils de sa nuque se hérisser. Mais elle se calma tout aussi vite en se rendant compte que Luna voulait parler d'Habte, et non de Discord.

 

_C'est pas mon amoureux, se sentit obligée de préciser la princesse des licornes. Et puis comment tu connais le vieil équestrien, toi d'abord ?

 

_J'écoute en cours, moi, répondit la petite alicorne d'un ton extrêmement fier.

 

_T'écoute peut-être en cours, répondit Celestia avec un demi-sourire en commençant à quitter la chambre, Philomena sur son épaule, mais si tu te dépêches pas un peu, y aura plus de chocolat au petit déjeuner.

 

_Hey non attends ! objecta Luna en sautant du haut de son lit et en amortissant sa chute avec ses ailes. Laisse moi au moins une tartine de miel !

 

Celestia se borna à transformer son demi-sourire en sourire complet, et à franchir la porte de la chambre. Moins d'une seconde plus tard, Luna lui passait devant, et cavalait en bas jusque dans la cuisine, probablement terrifiée à l'idée d'attaquer la matinée sans rien manger.

 

Celestia gloussa. Prendre le petit-déjeuner en otage ne ratait jamais.



¤¤¤




Au même moment, dans un autre quartier de Canterlot, dans le luxueux salon de l'hôtel particulier de la duchesse Ira, la licorne essayait de trouver son chemin jusqu'à sa chaise. C'était un des problèmes de l'accoutumance au café. C'était très rapide de ne plus savoir où on allait, sans le bol de noir matinal, qui désembrumait l'esprit.

 

En fait, Ira était si hagarde, qu'elle ne remarqua même pas un changement pourtant criant dans la décoration du salon : les tapis et les tableaux avaient été retirés, de même que la jolie nappe de dentelle. La pièce aurait pu sembler vide si une dizaine de bibelots criards n'avaient été disposés un peu partout dans la salle, de façon à recouvrir le maximum d'espace.

 

Mais Ira, le regard vitreux, ne nota rien. Elle se laissa à moitié guider par son majordome jusqu'à sa place habituelle, et tâtonna du sabot jusqu'à sentir la chaleur du café au travers le bol de porcelaine. Elle en approcha le rebord de ses lèvres, et le vida d'un coup. C'était inhabituel chez elle, mais ce matin, elle en avait vraiment besoin.

 

Le liquide noir atterrit dans l'estomac vide de la licorne et passa rapidement dans son sang. En quelques secondes, les neurones de la duchesse se reconnectèrent, la dotant à nouveau de la capacité de réflexion et de vision. Elle s'aperçut d'un changement dans son salon en reposant son bol juste à côté d'un vase blanc. Ses yeux caressèrent l'émail de mauvaise qualité, avant de se lever vers son majordome, mi-interrogateurs, mi-réprobateurs.

 

Alfred, sans se départir de son flegme, fit glisser silencieusement à sa maîtresse, un journal plié en quatre. Intriguée, Ira le prit en sabot, et le déplia. Elle avait à peine lu le gros titre qu'un marteau la frappait en pleine poitrine, et que le vase qui était proche d'elle n'était déjà plus que miettes.

 

_Comment ça « le roi Hélios annonce le mariage de sa fille avec le prince impérial des zèbres » ? Alfred, qu'est-ce que c'est que ces histoires ! rugit la licorne, faisant de grands gestes avec ses pattes, envoyant valser d'autres bibelots dans l'action.

 

_C'est l'édition de ce matin, mademoiselle la duchesse, répondit un Alfred imperturbable. Si vous voulez recouper, j'ai pris la liberté de prendre d'autres titres, annonça le poney en transmettant à sa maîtresse lesdits journaux.

 

Ira arracha presque des sabots de son majordome les journaux, en dépliait un, lisait son gros titre, soufflait par les naseaux de rage avant de réduire le journal en boule de papier et quelque chose sur la table en miettes. Puis, elle prenait une autre gazette et tout recommençait.

 

Alfred, pattes croisées derrière le dos, voyait le salon de l'hôtel particulier se remplir doucement de débris et de papier froissé.

Il avait bien fait de vider la salle des bibelots de mademoiselle, pour en apporter des objets ici, après avoir mis les choses de valeur du salon à l'abri. Le majordome avait su, en allant acheter le journal à l'aurore, que l'actualité ne plairait pas à mademoiselle la duchesse. Il avait simplement préparé le terrain.

 

_Les noces maintenant ! pesta Ira en se prenant la tête entre les sabots. Comme si ça ne suffisait pas comme ça !

 

L'annonce du mariage avait frappé la licorne dans ce qu'elle avait de plus cher au monde : sa fierté raciale. Qu'Hélios lui-même soit roi était un accident de l'Histoire, accident que la duchesse comptait bien corriger. Que par ce sacre, sa femme devienne reine et ses filles princesses, ça suivait la même logique. Un accroc du cours naturel de ce qui devrait être. C'était réparable.

 

Mais ça ?

 

Unir les licornes et les zèbres ? Ira en frissonnait d'horreur. D'une, aucune, aucune famille dotée d'un minimum de respect pour son rang, n'irait chercher à se marier avec des zèbres, aussi nobles soient-ils. Si on pouvait considérer que les zèbres avaient un niveau de civilisation assez avancé pour ne serait-ce que concevoir le concept de noblesse du sang, ce qui était déjà en soi un autre problème. Mais même...

 

La princesse Celestia était la fille aînée du roi Hélios. L'héritière du trône licorne dans les faits. C'était sur les épaules de cette adolescente que reposait des millénaires d'histoire licorne. Si elle se mariait avec ce prince zèbre, avec ce leul – par la couronne de la princesse Platinium, on dirait un nom de maladie ! – toute la lignée licorne disparaissait. Les zèbres prenaient l'ascendant et effaçaient en une noce, toute la civilisation licorne.

 

Ira avait toujours lutté contre l’abâtardissement de sa race de toutes ses forces. Mais au moins, les poneys et les pégases, ils étaient un peu civilisés, eux. Ce n'était pas le cas des zèbres.

 

La duchesse avait lu les carnets de Livingsthoof consacrés à cette engeance. Comment ils vivaient dans des cases, comment ils sacrifiaient les jeunes zébreaux pour s'accorder les faveurs de leurs divinités païennes dégénérées.

 

Que la maison licorne épouse celle des zèbres équivalait à se jeter du haut d'une falaise. Et les enfants, par sa crinière, les enfants !

 

Qui savait ce que pouvait donner l'union d'une alicorne avec une race aussi inférieure que les zèbres ? Un zébralicorne ?

Ira eut une bouffée de nausées à cette pensée.

 

La duchesse se leva, le visage livide. C'était décidé, elle avait assez attendu. Elle devrait frapper pour reprendre son trône avant que ce mariage n'ait lieu. Ce n'était pas que pour elle, c'était pour le bien de la race licorne, celle de la civilisation toute entière !

 

C'était son devoir.

 

Ira avait un temps considéré de rétrograder Hélios et les siens à un rang inférieur, leur accorder un titre de courtoisie pourquoi pas ? Même si la duchesse considérait cela comme profondément injuste, l'alicorne s'était assis sur le trône des licornes, et à ce titre, méritait un minium de respect de sa part.

 

Mais cette décision absurde des noces changeait la donne. Si Hélios était prêt à brader des siècles de civilisation aux sauvages, le coup d’État devenait plus nécessaire que jamais. C'était bien la preuve concrète que le royaume licorne devait avoir un – et même plutôt une – monarque licorne. Elle n'aurait de toute façon pas dû s'attendre à grand chose avec le sacre d'une alicorne.

 

Ira remonta silencieusement dans sa chambre, l'esprit chauffé à blanc. N'ayant rien avalé de plus qu'un bol de café, elle avait faim, mais elle était trop préoccupée pour écouter son corps. Elle sonnerait Alfred dans la matinée pour qu'il lui apporte quelque chose à se mettre sous la dent.

 

La duchesse referma la porte de sa chambre derrière elle, alla se saisir d'une plume, d'un encrier, et d'un parchemin, et s'affaira à lister les solutions possibles pour sa prise de pouvoir. Elle avait un certain nombre d'options, certaines plus valables que les autres.

 

Exiger formellement qu'on lui remette le trône, menacer la famille régnante pour obtenir ce qu'elle voulait...

 

Coucher ses idées sur le parchemin permit à la licorne de calmer le bouillonnement de son cerveau, et d'étudier plus au calme les chemins possibles. Elle écarta l'idée du putsch traditionnel, Nobilitas avait bien prouvé qu'un grain de sable pouvait enrayer la plus huilée des machines. Sans compter qu'Equestria devait être sur les dents depuis la Veillée Chaleureuse. Non, elle devait utiliser ce qu'elle était allée chercher à Al-Khali. Elle avait besoin de Discord.

 

Le problème était que si elle avait bien fini par savoir sous quelle identité il se cachait à Canterlot, elle n'avait aucunes idées sur la manière de le contraindre à travailler pour elle. La voix de la madina avait dit qu'il fallait que le draconequus prête serment. Comment pouvait-elle faire pression sur l'esprit du chaos ?

 

La réponse s'imposa d'elle même. La princesse Celestia. Le voilà son angle d'attaque.

 

Pour l'avoir vu de ses yeux, Ira savait que la princesse et le draconequus entretenaient une liaison secrète. L'adolescente ne devait pas être des plus enthousiastes à l'idée d'épouser un zèbre on dirait. Au moins cette petite, elle, avait un minimum de respect pour sa race. C'était tout à son honneur.

 

Ira allait forcer le draconequus à se plier à sa volonté. Peut-être en menaçant de révéler sa liaison avec la princesse des licornes peut-être ? Ira n'était qu'à moitié convaincue. Sa longue expérience en complots lui avait appris qu'on pliait toujours plus sous un mélange de corruption et de menace, que juste de chantage.

 

Si ça marchait sur les plus grands aristocrates licornes, la duchesse ne voyait pas pourquoi ça ne fonctionnerait pas sur un draconequus.

 

Ira se mit à compter les jours qui les séparaient de la date officielle choisie pour le mariage royal. Moins d'un mois. Elle allait devoir agir, à la fois sans se précipiter pour ne pas faire d'erreur, mais sans trop attendre non plus. Que cette union soit célébré, et c'était la fin de la civilisation.

 

Mais Ira ne laisserait pas cela arriver.

 

Elle aimait beaucoup trop son peuple pour le condamner au néant du barbarisme zèbre.

 

Au fond, Ira était de la race des altruistes.



¤¤¤



Aztarté passa la corne de son sabot sur le pelage de son front, emmêlé de sueur. Elle avait beau porter son grand chapeau de paille, le soleil tapait fort et la faisait transpirer abondamment. Mais l'alicorne était une habituée : jardiner était un travail physique après tout, et le choix de la reine de ne pas utiliser sa corne, ne lui facilitait pas la tâche.

 

Elle aurait pu s'aider de mille façons pourtant, en jetant un sort de soin sur ses muscles crispés, ou en ensorcelant ses plantes pour qu'elles poussent plus vite. Mais Aztarté aurait eu l'impression de tricher, de ne pas faire les choses comme il le fallait.

 

Elle avait ce besoin instinctif de toucher la terre, de sentir les arômes des plantes chauffées par le soleil, de savoir que par ses soins, elle permettait à la vie de s'épanouir. Quelque part, Aztarté était sûre qu'elle était une ponette terrestre que le hasard avait doté d'ailes et d'une corne.

 

Déjà à l'Elysium, elle avait toujours eu cette inclinaison pour les plantes, et la reine était persuadée que ce n'était pas un hasard si elle avait rencontré Hélios dans une pépinière.

 

Bien sûr, ce qu'elle avait dans leur petit jardin de Canterlot n'était que l'infime part de ce qu'ils possédaient à l'Elysium.

Mais Aztarté était tout de même heureuse de pouvoir malgré tout y prodiguer ses soins à ses plantes. Surtout qu'elle pouvait vraiment s'y remettre depuis six mois d’absence. Quand ils vivaient au château, le grand jardin était aux sabots des poneys jardiniers, et Aztarté avait eu beau insister, personne ne l'avait laissé travailler la terre comme avant. Trop inconvenant pour une reine lui avait-on répondu.

 

Alors depuis qu'ils avaient réaménagé dans leur ancienne maison, Aztarté avait retrouvé son lopin de terre, et avait naturellement repris ses activités de jardinière.

 

Chacun avait ses hobbys après tout, et celui de l'alicorne lui permettait d'évacuer tous ses soucis quand elle avait les sabots dans la terre.

 

_Majesté !

 

Aztarté ne fit pas attention à la première apostrophe, l'esprit plus concentré sur les chenilles qui grignotaient ses violettes, que sur autre chose.

 

_Votre Majesté ! répéta t-on derrière elle.

 

L'alicorne finit par se retourner pour découvrir le jeune Habte, qui se tenait très droit, derrière la barrière de leur jardin.

 

_Bonjour Habte, lança la reine des licornes à son futur beau-fils. Viens, je t'en prie.

 

_Je ne voudrais pas déranger, Votre Majesté...

 

Aztarté esquissa un sourire. Que ce soit parce qu'il était confronté à ses futurs beaux parents, ou simplement parce qu'il s'estimait ambassadeur de sa nation, Habte était d'une prévenance à toutes épreuves. A tel point que cela sonnait faux, et qu'il n'était pas dur de sentir l'adolescent de quinze ans pointer sous cette carapace.

 

_Viens, répéta l'alicorne en ouvrant le portillon du jardin.

 

Habte s'avança, prenant garde de ne pas piétiner les semis qui se trouveraient sous ses sabots. Au terme d'une déambulation aussi soigneuse qu'un peu comique, il atteignit la reine des licornes.

 

_Tu veux quelque chose à boire ? lui demanda Aztarté, pointant de la patte la petite table de bois sur laquelle elle avait posé une carafe d'eau.

 

_Je n'ai pas soif Votre Majesté, merci.

 

Aztarté savait très bien que le jeune zèbre avait dit cela pour ne pas la déranger, mais ne fit semblant de rien. Elle s'efforçait d'être aussi aimable que possible avec Habte, puisque c'était avec lui que sa fille devrait passer le restant de ses jours.

Et en fréquentant son futur beau-fils depuis quelques semaines, Aztarté se disait que le hasard aurait pu faire bien pire.

Oui Habte était jeune, oui il était encore assez mal à l'aise, et attaché au protocole – ce qui n'était pas sans rappeler Luna d'ailleurs – mais dans l'ensemble, il semblait être un brave garçon.

 

_Tu es venu voir Celestia, je présume ? demanda Aztarté, reprenant sa binette en sabot. Elle ne devrait pas tarder.

 

_Oui Votre Majesté. J'espérais passer un peu de temps avec mademoiselle votre fille.

 

_Tu peux m'appeler juste « Aztarté » si tu veux, dit l'alicorne en commençant à biner.

 

Habte eut un mouvement de recul, comme s'il avait reçu une gifle :

 

_Voyons c'est votre titre, je ne pourrais jamais...

 

_Tu vas faire partie de la famille non ? demanda la reine des licornes en binant avec énergie. Et je t'assure qu'entre nous, on est pas des fanatiques des titres.

 

_Je préférerais continuer à employer votre titre, Majesté. Si vous êtes d'accord, bien entendu.

 

Aztarté donna un petit coup de tête affirmatif avant de reposer la binette, et d'aller chercher son sécateur, pour tailler quelques branches mortes. Habte regardait l'alicorne faire, sans dire un mot.

 

_Une reine qui fait le jardinage, ça te semble bizarre ? demanda Aztarté.

 

_Pas tellement, répondit le leul avec un demi-sourire. Chez nous, on cultive les champs pour ne pas mourir de faim. Et ma mère, comme les autres zèbrelles de la tribu, aidait à la récolte.

 

_Aidait ?

 

_Elle est morte quand j'avais cinq ans.

 

_Désolée, s'excusa Aztarté, je ne voulais pas...

 

_Vous ne pouviez pas savoir votre Majesté, la dédouana t-il. Et puis elle est sur la Grande Plaine maintenant, avec tous nos ancêtres. Je sais qu'elle est heureuse.

 

Un moment de flottement suivit cette déclaration. Soucieuse d'effacer la gêne qu'elle avait elle-même provoquée, Aztarté se hâta de changer de sujet.

 

_Tu te plais à Equestria ?

 

_C'est très différent de l'Empire, répondit Habte en regardant autour de lui. Je n'aime pas beaucoup la ville en fait. C'est trop...bruyant, il y a trop de monde. J'aime bien la campagne par contre.

 

Aztarté sourit une nouvelle fois. Un futur beau-fils proche de la nature. Quand elle disait que le hasard faisait bien les choses !

 

L'alicorne s'apprêtait à rebondir sur les propos du prince impérial quand leurs regards furent attirés par une Celestia qui survola le jardin pour atterrir sans ménagement devant la maison.

 

_Celestia ! l'interpella sa mère. Le prince Habte est là pour te voir !

 

_Pas le temps, répondit laconiquement l'adolescente en entrant en trombe dans la maison pour en ressortir quelques secondes plus tard.

 

Elle s'arrêta une seconde.

 

_J'avais juste besoin d'un truc à grailler, expliqua t-elle, la bouche pleine, en se mettant à battre des ailes.

 

_Celestia ! l'interpella à nouveau sa génitrice, plus durement cette fois. Habte est venu spécialement pour toi.

 

_Bah y va devoir attendre. Ciao ! lança la jeune alicorne en prenant son envol sans même accorder un regard à son fiancé.

 

Un silence gêné suivit le départ de la jeune jument.

 

_Désolée, s'excusa la reine des licornes. Celestia est un peu...

 

Elle chercha ses mots. Dire « en pleine crise d'adolescence » n'irait sûrement pas étant donné son interlocuteur.

 

_...un peu impulsive ces derniers temps, dit-elle, enrobant sa phrase d'un petit sourire pour qu'elle passe mieux.

 

Habte hocha silencieusement la tête. Il se souvint que son oncle lui avait dit au village qu'il devrait « dompter » sa future femme. Le leul se souvint très bien avoir pensé que le shaman avait employé une hyperbole, pour donner plus de poids à sa phrase. Mais depuis qu'Habte fréquentait Celestia, il commençait à se demander si le sorcier n'avait pas trouvé le mot juste.

 

Voire utilisé un euphémisme.



¤¤¤



Discord fronça les sourcils, tentant de rassembler sa magie. Il approchait du but depuis des heures sans jamais l'atteindre tout à fait. C'était rageant.

 

Il était assis dans les ruines du repaire de Celestia, dans la forêt Evercon, depuis l'aube, à essayer d'employer toute sa puissance chaotique pour créer son chef d’œuvre. Mais il peinait.

 

Il était arrivé dans les ruines avec un sac de sucre sous le bras, ainsi qu'un seau de chocolat, dérobés dans une confiserie de Canterlot. Discord aurait probablement pu faire autrement mais il n'avait pas résisté à la tentation de pouvoir enfin mettre en place son chef d’œuvre...

 

Et à propos de tentation...

 

Discord dressa l'oreille, reconnaissant sans peine les battements d'ailes caractéristiques de Celestia. Il savait où elle se poserait dans le repaire, en combien de foulées elle serait auprès de lui, comment elle l'embrasserait avant même de lui adresser la parole.

 

L'arrivée de l'alicorne força le draconequus à hâter ses préparatifs. C'était censé être une surprise pour Celestia, s'il n'arrivait pas à la faire alors que l'adolescente était là, c'était plutôt gênant.

 

Les prédictions de Discord s’avérèrent exactes. Celestia se posa à quelques mètres de l'esprit du chaos, le rejoignit, et lui donna un long baiser avant de lui dire bonjour.

 

Discord profita tant qu'il le put de...de quoi ? De son amie ? De sa petite amie ? De sa maîtresse ? Y avait-il seulement un mot pour définir la relation qu'entretenaient l'alicorne et le draconequus ? Discord en doutait. Il savait bien qu'ils avaient franchi un palier depuis leur première fois dans les nuages, à la fin de la chasse au trésor, au moins autant que cette relation était complexe. Enfin non pas complexe, condamnée à ne pas durer.

 

Celestia était princesse, Discord n'était rien du tout. Elle était alicorne, il était draconequus. Et puis elle allait devoir se marier avec ce zèbre pour des raisons d’État, et Discord doutait fortement que le roi Hélios dénonce ces noces pour les beaux yeux de sa fille.

 

Non, rien ne collait sur le papier. Ce qui n'empêchait pas les deux adolescents d'être profondément amoureux l'un de l'autre.

 

Celestia finit par briser son étreinte avec le draconequus, et l'embrassa une seconde fois, bien plus rapidement, à nouveau sur les lèvres. C'était quelque chose qu'elle faisait de temps en temps. Comme si elle voulait laisser une signature, prouver que le baiser qu'ils venaient d'échanger était bien d'elle.

 

L'alicorne se détacha de Discord et désigna le sac de sucre, et le seau de chocolat du museau.

 

_Ca avance comme tu veux ?

 

_Moyen, répondit l'esprit du chaos.

 

_Je me doutais que t'arriverais à rien, lança Celestia d'un ton pince-sans-rire.

 

_Modérez vos propos Votre Majesté, répliqua Discord, en adoptant le même ton, je pourrais bien vous faire votre fête.

 

_T'oublies que j'ai toujours le dessus quand on en arrive à la lutte Dis, termina Celestia en tirant la langue.

 

_Parce que je veux bien, ouais, pouffa le draconequus avant de se reconcentrer sur son expérience.

 

Discord ferma les yeux une énième fois, et se força à puiser toute l'énergie chaotique qu'il put rassembler. Le fait que Celestia se tienne devant lui, exacerbant sa passion l'aida plus que cela ne le desservit.

 

Alors que le draconequus avait clos ses paupières, l'alicorne vit une poignée de sucre s'envoler, rester en l'air quelques secondes avant d’atterrir lourdement dans le seau de chocolat, projetant du liquide marron hors du récipient. Celestia fit un pas en arrière. Le chocolat dans les poils, c'était une horreur à faire partir.

 

Puis, le sucre, enrobé de chocolat s’éleva à nouveau, certains morceaux retombant en des splatchs sonores dans le seau. Le sucre se mit à tourner sur lui-même, expédiant des gouttelettes chocolatées dans tous les sens. Celestia dressa rapidement devant elle une barrière de protection. On était jamais trop prudente.

 

Comme les cendres de Philomena ce matin, le sucre se mua en tornade, allant si vite que la princesse ne put en suivre le mouvement.

 

Le tourbillon finit par s'immobiliser, laissant place à un minuscule nuage rose bonbon. Discord rouvrit les yeux, et fit venir à lui l'étrange nuage, dont il brisa un bout, l'offrant à Celestia, lui faisant signe de le manger.

 

Curieuse, cette dernière l'avala, et eut la surprise de le sentir fondre sur sa langue.

 

_C'est de la barbe à papa ? demanda Celestia à Discord, qui confirma.

 

_Au chocolat, précisa le draconequus. Enfin, si j'ai pas raté mon sort, rajouta t-il, croquant à son tour un bout du nuage.

 

Effectivement, l'alicorne sentit la saveur du chocolat inonder ses papilles.

 

_Comment est-ce que t'as réussi à faire ça ?

 

_Un magicien ne révèle jamais ses trucs, Cel, répondit Discord sur ce ton si sérieux qu'ils affectionnaient tous les deux. Non sérieusement, c'est de l'altération, c'est tout. De pointe, mais de l'altération quand même.

 

_Tu peux en refaire ?

 

Discord eut un mouvement de tête affirmatif, et recommença la manœuvre. L'expérience portant ses fruits, il créa deux nuages cette fois, un pour Celestia, un pour lui.

 

L'adolescente prit la barbe à papa en sabot, et se sentit d'humeur joueuse.

Sans cesser de regarder Discord dans les yeux, elle se mit à chantonner.

 

_Je t'aime un peu, récita t-elle en donnant une première bouchée dans le nuage. Beaucoup, poursuivit-elle en mordant une seconde fois. Passionnément.

 

C'était une vieille comptine qu'elle avait apprise étant pouliche. Normalement, elle se faisait en arrachant les pétales d'une fleur, mais Celestia trouvait que l'adapter au nuage de barbe à papa était une brillante idée.

 

_Un peu, conclut-elle en finissant sa dernière part de barbe à papa.

 

Elle lécha la corne de son sabot, couverte de sucre et gloussa.

 

_Et bien on dirait que je t'aime un peu en fin de compte. A toi !

 

Discord approcha à son tour son nuage de sa bouche et imitant Celestia quelques secondes plus tôt, accompagna chacune de ses bouchées d'un mot de la comptine.

 

Devait-il lui dire ? Que ce nuage était bien plus qu'une confiserie pour lui ? Que c'était le symbole de leur liaison ? Qu'il avait choisi le nuage parce que c'était sur une mer ce ces derniers qu'ils avaient fait l'amour pour la première fois ? Que le chocolat était censé rappeler le cidre, trop lourd pour convenir en personne à l'expérience de l'altération ? Que la couleur rose du nuage n'avait pas été choisie par hasard, mais pour faire écho aux nuances de la crinière étoilée de Celestia ?

 

Discord préféra se taire. C'était sans doute un peu puéril d'avoir voulu faire ça. Et Celestia appréciait. Pourquoi gâcher en voulant révéler l'envers du décor ?

 

Le draconequus se rendit compte qu'il avait presque fini son nuage, et la comptine par la même occasion. Il lui restait trois bouchées, et c'était terminé. Ce qui achèverait la comptine sur le « à la folie ». Pourtant, Discord fit ce que tout draconequus digne de ce nom aurait fait.

 

Il tricha.

 

Il ouvrit grande sa mâchoire, et avala le nuage en deux bouchées.

 

_Passionnément, récita Discord en avalant la barbe à papa.

 

_Hey non, objecta Celestia, riant à moitié, t'as triché. Tu m'aimes à la folie, dis ! Tu m'aimes à la folie ! répéta t-elle.

 

_Oh non Cel, dit Discord en secouant la tête, pas à la folie, non surtout pas.

 

_Et pourquoi ça ?

 

_Parce que c'est beaucoup trop proche de « pas du tout ».



¤¤¤



Penchée sur sa table à dessin, fusain entre les dents, ce qui emplissait sa bouche d'un goût désagréable, et lui salissait les lèvres, mademoiselle Lavande griffonnait. Elle n'arrivait toujours pas à croire que elle, simple gouvernante, ait été choisie par Sa Majesté, afin de confectionner la robe que porterait la princesse Celestia à son mariage. Oui, Lavande avait un certain talent pour les habits, elle ne le niait pas, mais elle avait toujours vu ce don comme plutôt secondaire comparé à ses autres qualités. Et voilà que le roi en personne lui avait passé cette commande.

 

Lavande se souvint très bien avoir manqué d'applaudir des quatre sabots sur le sol comme une petite pouliche quand le monarque licorne lui avait passé commande de la robe.

 

Ce n'était pas une tâche facile cela dit. Le mariage était dans moins d'un mois, et Lavande savait à quel point la princesse Celestia pouvait être bornée quand elle le voulait. D'après ce que la gouvernante s'était laissée dire, elle snobait purement et simplement son fiancé. Lavande pouvait comprendre que l'alicorne soit stressée à cause des noces, et qu'elle agisse stupidement – qui ne l'avait pas fait à l'approche de son mariage ? - mais quand même, de là à traiter le jeune Habte, comme s'il n'existait pas...le pire était en plus que, sur le papier, le rang du leul était bien au dessus de celui de l'adolescente.

Mais ce n'était pas comme si Celestia semblait attacher la moindre importance aux titres de noblesse de toute façon.

 

Lavande ouvrit la bouche, laissant le fusain tomber hors de sa gueule. Elle regarda le dessin qu'elle venait de réaliser, et grimaça. Trop de froufrous. Ça ne plairait pas à la princesse.

 

La gouvernante soupira, prit la feuille de papier pour la réduire en boule et la jeta sur le sol, où reposaient déjà une dizaine d'autres croquis froissés. Elle prit une énième feuille vierge, coinça une nouvelle fois le fusain entre ses dents, et recommença ce qu'elle faisait depuis des heures, essayer de trouver une robe de mariée que la jeune Celestia porterait sans broncher.



Il y avait au moins quelque chose de positif dans les frasques de l'adolescente, Lavande pouvait déjà éliminer tout projet de robe avec corset.

 

Absorbée dans ses travaux, Lavande mit près d'une seconde avant de se rendre compte qu'on avait ouvert la porte derrière elle, et qu'on venait de pénétrer dans sa chambre. La gouvernante, qui avait étudié les bonnes manières sur la corne des sabots pour les enseigner aux enfants dont elle avait la charge, ressentit ce manque de savoir-vivre comme particulièrement insultant.

 

_Vous pourriez au moins frapper avant d'entrer...lança t-elle d'un ton assez sec en se retournant vers la personne qui venait la déranger.

 

Mais la fin de la phrase de mademoiselle Lavande mourut en silence quand elle s'aperçut que l’intrus n'était pas n'importe qui. Grand et musculeux, une morphologie différente des trois races équestriennes, une peau blanche striée de noir, à moins que ce soit le contraire...

 

Lavande n'arrivait pas à croire que l'Empereur des zèbres se tenait devant elle. Et encore moins qu'elle venait de le sermonner !

 

_Votre Majesté, s'excusa la gouvernante en quittant derechef sa table de dessin pour courber profondément l'échine devant le monarque, je ne savais pas que c'était vous, sinon, je ne vous aurais jamais parlé comme ça, je...

 

Le Négus leva un sabot pour couper la domestique dans sa tirade.

 

_C'est plutôt moi qui vous dois des excuses, dit Eliah avec un léger sourire. Dans ma tribu, nous n'avons pas de porte à l'entrée de nos cases. Nous mettons des rideaux le plus souvent. J'ai oublié qu'il est de coutume de s'annoncer en frappant avant d'entrer en Equestria. Pour mon manque de savoir vivre, je vous prie de bien vouloir me pardonner.

 

Lavande se releva lentement, se demandant si elle avait bel et bien entendu. Est-ce que le Negusse Negest venait de lui faire des excuses à elle, petite gouvernante qu'elle était ?

 

_Ce n'est vraiment pas grave votre Majesté, se hâta se de répondre la ponette.

 

Eliah fit quelques pas en direction de la gouvernante.

 

_Mademoiselle Lavande, si je viens vous interrompre dans votre travail, c'est que j'ai besoin de votre aide, dit le Négus d'un air grave.

 

Lavande cligna plusieurs fois des yeux. Elle ne voyait pas très bien comment elle, la petite roturière, était en mesure d'aider un Empereur.

 

_Vous êtes la gouvernante des enfants du roi et de la reine, annonça le zèbre en regardant la ponette. A ce titre, vous devez connaître les princesses Celestia et Luna mieux que n'importe qui dans tout Equestria.

 

_En fait, je ne les connais que depuis six mois, objecta d'une petite voix Lavande.

 

_C'est de la princesse Celestia que je suis venu vous parler aujourd'hui, poursuivit le Négus, sans tenir compte de ce que venait de déclarer son interlocutrice. Je me doute que l'idée d'un mariage d’État puisse être dur, surtout à cet âge là. Je le vois bien avec mon propre fils. Oh bien sûr, il fait semblant, mais je connais mon garçon. Pourtant, Habte s'est fait à l'idée des noces. Pas la princesse Celestia.

 

Le ton de l'Empereur était sec, presque réprobateur. Lavande se sentit obligée de se mettre du côté de l'adolescente dont elle avait la charge.

 

_Elle est encore jeune votre Majesté, et elle a un caractère plutôt difficile. Ça ne date pas des fiançailles, croyez-moi.

 

_Il y a une différence entre être difficile, et laisser celui à qui on est destiné, battre le pavé comme un gueux attendant une audience.

 

Eliah se mit à faire les cent pas, ses sabots traînant d'un bout à l'autre de la pièce, les boules de papier froissées qu'ils rencontraient.

 

_Encore une fois, repris le Negusse Negest, je comprends que la princesse Celestia puisse avoir du mal à l'idée de se marier. Mais elle est princesse, héritière de son trône. Par ces noces, un grand empire zébro-licorne verra le jour. Dites vous mademoiselle Lavande, que nous allons écrire l'Histoire, zèbres et licornes, sabot dans le sabot.

 

Lavande hocha poliment la tête. Ça la dépassait plus qu'autre chose les grands discours de l'Empereur. Mais elle faisait comme si elle comprenait parfaitement, pour ne pas froisser son impériale personne.

 

_Mon fils ira voir la princesse Celestia cet après-midi, il veut visiter Canterlot et compte sur sa fiancée pour satisfaire ce désir. Mademoiselle Lavande, j’apprécierais fortement, dit le Négus en appuyant sur l'adjectif, que vous fassiez en sorte que la princesse Celestia soit des plus disponibles, après le déjeuner. Me suis-je bien fait comprendre ?

 

_Oui Votre Altesse, répondit la ponette avec un sourire crispé.

 

_Alors parfait, dit le Negusse Negest avec un sourire qui lui, était parfaitement détendu. Je savais que je pouvais compter sur vous, mademoiselle.

 

Puis, aussi vite qu'il était venu, Eliah repartit, laissant Lavande à nouveau seule dans sa chambre, assez perturbée par l'entretien qu'elle venait de passer.

 

Bon. Déjà que tenir la princesse Celestia tranquille en temps normal relevait de l'impossible, voilà maintenant que c'était une requête impériale. Soupirante, la gouvernante réduisit les quelques croquis qu'elle avait tracé en morceaux, tira une nouvelle feuille de papier, et se mit à réfléchir au meilleur moyen de convaincre l'adolescente de ne pas envoyer promener son fiancé cet après-midi.

 

Lavande dut avouer qu'en comparaison, designer des robes était bien plus facile.



¤¤¤



Torquemaneda, Grand-Prêtre de l'Ordre des Trois Sabots, fit quelques pas dans le préau du cloître de son abbaye, jusqu'à s’asseoir sur le petit banc de pierre qui jouxtait la fontaine qu'on pouvait trouver au centre du jardin. Pas d'ornementation délirante, ou quoi que ce soit. Juste quelques maximes gravées dans la pierre, celles des plus grands penseurs de l'Ordre, Clover le Sage le premier d'entre eux.

 

Oh bien sûr, Clover n'avait jamais été le magicien qu'avait été son mentor, le grand Star Swirl le Barbu. Inventer les sorts d'animorphisme , ce n'était tout de même pas rien. Mais Star Swirl avait toujours vu l'Ordre comme devant servir avant tout les licornes. Il considérait les poneys non cornus comme des sortes de grands enfants, un peu perdus dans ce monde hostile, sans les licornes pour les guider. Star Swirl avait vécu avec les préjugés de son temps. Comme quoi on pouvait être le plus grand sorcier de tous les temps, et manquer sérieusement d'ouverture d'esprit sur certains sujets.

 

Clover, son disciple, avait été plus complaisant. Sa décision d'ouvrir l'Ordre aux poneys des trois races, de dispenser un enseignement gratuit, même à ceux qui n'avaient pas le sou...et Torquemaneda n'oubliait pas que c'était Clover le premier, avec le première-classe Pansy, et le premier secrétaire Smart Cookie, qui avait permis la réconciliation des trois tribus.

 

Oui, c'étaient bien Platinium, Hurricane et Puddinghead qui avaient fondé Equestria, mais si leurs bras droits ne s'étaient pas entendus lors de la première Veillée Chaleureuse, il n'y aurait jamais eu de nation à créer. Pas de villes, pas de monnaie unique, pas de société moderne.

Ils en seraient tous restés au niveau tribal.

 

C'était cet état d'esprit que s'efforçait de respecter le Grand-Prêtre. Même si l'Ordre ne possédait plus qu'une force toute symbolique, Torquemaneda considérait comme crucial de rester attaché aux valeurs d'ouverture, et de tolérance, prônées par Clover le Sage.

 

C'était la raison pour laquelle il s'efforçait de voir la licorne qui avait demandé à le voir aujourd'hui, d'une manière parfaitement neutre. Il en avait entendu des choses sur la duchesse Ira. Sur sa vision simpliste et archaïque du monde.

Sur les moyens déloyaux qu'elle emploierait pour arriver à ses fins. Torquemaneda avait des oreilles après partout. Mais le Grand-Prêtre prenait ses rumeurs pour ce qu'elles étaient, des bruits qui courent. Il n'avait aucune raison de mal considérer la duchesse. Clover le Sage lui-même ne demandait-il pas à ses disciples de ne pas juger son prochain ?

 

_Pour dire la vérité, je suis un peu surpris de vous voir ici, annonça Torquemaneda.

 

Ira eut un mouvement de recul, ce qui fit onduler sa crinière acajou.

 

_Et pourquoi-cela ? demanda t-elle, posant un sabot sur son poitrail, l'air stupéfaite. Vous n'allez pas me dire que vous ne recevez jamais de visite dans l’abbaye, si ?

 

_De la visite, si, rétorqua le Grand-Prêtre. Des séminaristes aussi, même si je dois bien avouer qu'avec les années, ils se font de plus en plus rares. Non, là où je suis un peu étonné, mademoiselle, c'est de vous voir vous. Et qui plus est, pour faire un tel don à notre communauté, dit-il en pointant du sabot trois épaisses caisses de bois dans un coin du préau, remplies à ras bord de livres, que déchargeaient les serviteurs de son hôte, un poney terrestre en livrée, et un chameau.

 

_Mademoiselle la duchesse, rectifia Ira, souriante, mais d'un ton assez sec. Et je ne pensais pas que votre Ordre était du genre à être regardant sur les dons qu'on lui faisait. Je peux demander à mes domestiques de tout remballer, dit la licorne en faisant mine de s'éloigner.

 

_Non, s'il vous plaît ! s'exclama Torquemaneda en tendant la patte pour retenir la jument. Je vous demande pardon si je vous ai vexée, mademoiselle la duchesse.

 

Le titre lui brûla la langue au moment où il sortait de sa bouche. L'Ordre des Trois Sabots, à l'intérieur de ses bâtiments, ne reconnaissait aucune différence entre les êtres. Tous étaient traités avec le même respect, mais les prédicats nobiliaires étaient volontairement effacés. Quand il se rendait ici à l'époque de son règne, le roi Aurum III n'était jamais appelé par son titre. Encore une fois, l'égalité était de mise.

 

Et généralement, les visiteurs le savaient, et ne posaient aucun problème. Les cas comme Ira étaient rares. Mais Torquemaneda avait vécu assez longtemps au contact des grands de ce monde pour se faire roseau, et plier quand la situation l'exigeait.

 

Ira s'interrompit et revint vers le Grand-Prêtre.

 

_Vous avez raison sur un point, confessa t-elle, je n'ai pas été la plus active des soutiens de l'Ordre ces dernières années. C'est justement pour ça que je voulais vous faire don d'une partie de ma bibliothèque, pour réparer cette erreur.

 

_C'est tout à votre honneur, mademoiselle la duchesse. Je sais que les livres dont vous nous faites cadeau serviront à des dizaines, et des dizaines de poulains, pour qu'ils puissent apprendre à lire.

 

Ira renvoya son sourire au Grand-Prêtre, resta silencieuse quelques secondes, puis :

 

_Dites-moi, demanda t-elle, jouant sans même le remarquer du bout de son sabot avec une de ses mèches acajous, c'est bien vous qui marierez la princesse Celestia, et son fiancé zèbre ?

 

_Oui, répondit Torquemaneda avec un hochement de tête approbateur. L'Ordre prendra effectivement cette cérémonie en sabot. Comme nous l'avons fait pour l'inhumation d'Aurum et de son fils, ou le sacre du roi Hélios, d'ailleurs.

 

_Ça se passera où ?

 

_Ici-même, dit le Grand-Prêtre en embrassant le cloître d'un mouvement de patte. Normalement, les mariages se font au château, mais comme il a été abîmé pendant le coup d’État...

 

Torquemaneda préféra passer rapidement sur les événements de la Veillée Chaleureuse. Le fait que le cerveau du putsch, le marquis Nobilitas, était connu pour fréquenter de très près l'interlocutrice du Grand-Prêtre pouvait être délicat à évoquer.

 

_Vous en pensez-quoi vous, de cette union avec les zèbres ?

 

_« Ne juge pas ton prochain », récita Torquemaneda, citant une des maximes de Clover, inscrite dans la pierre de la fontaine à côté d'eux.

 

_Vous devez bien avoir un avis sur la question...objecta la duchesse.



_Bien sûr. Mais je m'efforce de garder un œil neutre sur ces zèbres. Je ne vois pas en quoi je serais plus autorisé qu'un autre à donner mon avis sur cette union.

 

_Peut-être parce que vous serez celui qui va la prononcer ?

 

_En tant que Grand-Prêtre, répondit la licorne avec amabilité, oui. Mais en tant que simple membre de l'Ordre, je m'abstiens de juger. Cela fait longtemps que l'Ordre des Trois Sabots n'a plus de poids politique : le dernier conseiller religieux de la couronne a été limogé sous Silver V. Et encore, déjà à l'époque, nous n'avions plus qu'un rôle très limité dans les affaires du royaume. Aujourd'hui, nous enseignons, nous apportons notre protection aux nécessiteux. Et nous enterrons, nous sacrons, nous célébrons. Nous gardons la lune et le soleil lorsque la situation l'exige. Mais croyez-moi, je préfère être heureux pour ces deux jeunes gens qui vont s'unir, que me polluer l'esprit avec des pensées qui seraient archaïques aujourd'hui.

 

Ira n'avait pas l'air convaincue. Elle laissa filer un blanc, avant de reprendre la parole.

 

_J'aimerais pouvoir assister au mariage.

 

_Ça va être difficile, annonça d'emblée le Grand-Prêtre. Comme tous les équestriens, vous serez la bienvenue à la fête qui sera donnée après je pense, mais les noces en elles-mêmes, elles sont assez restrictives. Les mariés, leur famille, c'est à peu près tout.

 

_Je m'attendais à plus de coopération de la part de l'Ordre, répliqua Ira avec une moue. Vous n'avez aucun problème par contre, à accepter mon cadeau, mais moi...

 

_Il ne s'agit pas de vous en particulier, précisa Torquemaneda. C'est juste que...

 

_Je suis la descendante de la princesse Platinium, poursuivit Ira sur sa lancée. Celle qui a donné les moyens à Clover le Sage de développer l'Ordre des Trois Sabots. Votre organisation a une dette envers ma famille, elle lui doit la vie.

 

La duchesse avait une légère tendance à orienter les faits historiques dans une certaine direction. Pour autant, le Grand-Prêtre ne pouvait pas totalement lui donner tort. Sans le soutien politique de Platinium, Clover n'aurait jamais pu réformer l'Ordre à ce point.

 

_Je suppose qu'on peut vous permettre d'assister à l'office de la St Galopin. Avec une robe de laïque, si vous me promettez de vous tenir tranquille, et de ne pas attirer l'attention.

 

_Je le jure sur ma corne, promit Ira, touchant du sabot son appendice frontal.

 

Torquemaneda et la duchesse échangèrent encore quelques mots, puis, les deux licornes se séparèrent. Torquemaneda resta seul dans le jardin, se demandant s'il avait bien fait de céder face à son interlocutrice. Les yeux du Grand-Prêtre s'égarèrent sur la fontaine, et décryptèrent une autre maxime de Clover le Sage. « Ne blâme pas, et tu ne seras pas blâmé en retour ». Les mots du véritable père fondateur de l'Ordre mirent du baume au cœur de Torquemaneda. Il avait probablement fait une bonne action après tout.

 

Ira elle, grimpait dans son fiacre et faisait signe à Alfred et à Kamel de démarrer la voiture. Alors que le véhicule s'engageait dans les cahots des rues de Canterlot, la duchesse arriva à la conclusion qu'elle avait pressenti en arrivant au cloître. Quand elle serait reine des licornes, elle réformerait en profondeur l'Ordre des Trois Sabots. Ce n'était pas normal qu'une organisation qui avait secondé les monarques licornes pendant des siècles en vienne à accepter l'union de l'héritière du trône, aussi illégitime qu'elle soit, avec un zèbre.

 

L'Ordre se rendait complice de l'abâtardissement de sa propre race. Le monde courait à sa perte. A croire qu'Ira était la seule encore saine d'esprit ici !

 

Se repassant son entretien avec Torquemaneda en tête, la duchesse repensa fatalement à ses lectures de Clover le Sage, et surtout, de son maître, le grand Star Swirl le Barbu.

 

Celui qui disait que s'il arrivait un jour où l'existence même des licornes se retrouvait menacée par le métissage, il faudrait se séparer des dégénérés en bloc, et ne pas garder les petits.

 

Décidément, Ira avait toujours préféré Star Swirl à son disciple.



¤¤¤




Celestia s'engagea dans les rues de Canterlot, Habte sur les talons. Ça l'ennuyait profondément d'avoir à se coltiner le zèbre cet après-midi mais mademoiselle Lavande avait été des plus inflexibles, expliquant à l'adolescente à quel point il était important, qu'elle fasse bonne figure auprès de son futur mari.

 

Celestia aurait aimé l'envoyer balader, comme elle le faisait pratiquement depuis qu'elle l'avait rencontré, mais l'alicorne s'était rendue compte que si elle continuait trop dans cette voie, on finirait par la punir. Peut-être pas officiellement, elle était princesse après tout, mais Celestia était sûre qu'elle aurait à le regretter si elle poursuivait son action de snober le leul. On lui collerait des chaperons.

Elle ne serait plus libre de ses mouvements. Et si on la surveillait de près, fatalement, quelqu'un finirait par découvrir la liaison qu'elle avait avec Discord.

 

De son point de vue à elle, elle se moquait bien que quelqu'un finisse par se rendre compte des sentiments qui la liaient au draconequus. Au contraire même. Ça serait un beau sabot d'honneur adressé à tous ceux qui voulaient contrôler sa vie, un moyen de prouver qu'il n'y avait qu'elle-même qui était maîtresse de son existence. Mais si leur liaison éclatait au grand jour, Discord pourrait avoir de graves ennuis.

 

Les deux adolescents se devaient d'être prudents. Ils ne s'embrassaient qu'à l'abri des regards, et en public, ils se comportaient comme avant, en parfaits amis. Même si Celestia devait se faire violence pour ne pas couvrir le draconequus de baisers dès qu'elle le voyait.

 

Alors la princesse des licornes s'était décidée à passer cet après-midi avec Habte. Parce que si elle se comportait comme une gentille petite pouliche, on la surveillerait de moins près, et surtout, elle pourrait retrouver Discord, ce soir, aux ruines d'Evercon.

 

En fin de compte, c'était un peu comme avaler ses épinards pour avoir droit au dessert.

 

Et puis au moins, le but de la sortie de cet après-midi n'était pas si désagréable. Faire visiter Canterlot, ça pouvait aller. Surtout dans la mesure où c'était Celestia qui servait de guide au zèbre, et qui avait les cartes en sabot.

 

_Tu veux voir quoi ? demanda l'alicorne au jeune zèbre.

 

_Je ne sais pas trop. Ce qu'il vous plaira de me montrer.

 

Celestia esquissa une grimace. S'il avait réussi à abandonner les prédicats avec elle, il n'avait toujours pas laissé tomber le vouvoiement, que Celestia détestait peut-être encore plus. Ça la vieillissait. Elle n'avait que dix-sept ans par les étoiles de sa crinière ! Personne ne se vouvoyait à cet âge là.

 

_Bon, on va laisser tomber les monuments, y sont barbants. T'aimes le théâtre de marionnettes ?

 

Habte regarda sa fiancée sans comprendre. Celestia fit un mouvement de tête pour l’inviter à la suivre.

 

Le couple progressa dans les rues encombrées de Canterlot, passant près des grands bâtiments de toile et de bois. Celestia s'était demandé un jour s'ils comptaient bâtir la cité en dur. Depuis sept ans qu'elle y vivait, le seul véritable bâtiment de pierre qu'elle connaissait, c'était le château. Et encore, il avait été à moitié réduit en ruines pendant la Veillée Chaleureuse.

 

Alicorne et zèbre marchèrent jusqu'à arriver à une petite place circulaire, sur laquelle une petite estrade de bois avait été installée. Sur cette estrade, on avait tendu un simple drap rouge, duquel on voyait dépasser de petits poneys de chiffons, qui se frappaient l'un l'autre avec un bâton. Le public n'était pas très nombreux, des poulains principalement, avec leurs parents, mais ils étaient captivés. Ils riaient à la moindre farce ou au jeu de mots des marionnettistes, et frappaient régulièrement le sol de leurs sabots pour applaudir. Celestia se fraya un chemin jusqu'à avoir une bonne place, et s'assit. Habte fit de même, juste à côté d'elle.

 

La princesse avait découvert ce théâtre de marionnettes, il y a quelques années, en y amenant sa sœur. Et même si le spectacle était à l'origine, plutôt pour les enfants, même une adolescente comme Celestia pouvait l'apprécier. C'était de l'humour absurde, des gags, des jeux de mots. Rien de très élaboré, et donc, rien de terriblement ennuyeux. On était loin des pièces barbantes de la Veillée Chaleureuse : là, quand une marionnette en frappait une autre avec un bâton, il n'y avait pas besoin de chercher loin la critique sociale ou politique de l’œuvre. C'était fait pour rire, point.

 

D'ailleurs, Celestia et Luna n'étaient pas les seules dans leur famille à aimer le théâtre de marionnettes. A l'époque, il n'était pas rare que leurs parents les accompagnent à une représentation, et applaudissent avec elles aux pitreries des poneys de chiffon. Bien sûr, avec Hélios qui avait fini par recevoir de plus en plus de responsabilités avec les années, les visites de la famille au théâtre de marionnettes s'étaient espacées. En fait, cela faisait presque un an que Celestia ne s'était pas rendue à un spectacle. Elle pouvait au moins mettre au crédit d'Habte de lui avoir donné l'excuse d'y retourner.

 

Le zèbre s'efforçait de garder un air grave et sérieux, mais l'alicorne ne manqua pas de voir que les commissures des lèvres du prince se relevaient de temps en temps, suite à un gag particulièrement réussi, ou une scène idiote. Cela conforta Celestia dans l'idée qu'elle se faisait du leul : il jouait un rôle plus qu'autre chose. Elle n'était pas la seule à être écrasée par le poids de son titre, Habte était dans le même cas. La différence résidait dans le fait que Celestia avait le cran d'envoyer tout valser, mais pas le zèbre.

 

Quand l'adolescente comprit cela, son attitude envers Habte commença à changer. Elle ne le vit plus comme un adversaire, mais comme un adolescent, comme elle, qui aurait largement préféré vivre normalement plutôt que de devoir recevoir la couronne de son peuple sur la tête. Ce n'était pas pour ça que Celestia voulait davantage se marier avec lui, mais quelque part, elle se dit qu'elle comprenait un peu ce que vivait le leul. Et que si elle avait une chance de le pousser à briser ses chaînes impériales, ça serait bénéfique pour tout le monde.

 

Surtout que si elle parvenait à le convaincre de rejeter le mariage lui aussi, ils avaient peut-être une chance d'y échapper.

 

Le spectacle de marionnettes se termina avec sa scène finale, le héros poursuivi par les poneys-gendarmes, qui disparaissait derrière le drap sous les rires et les exclamations de joie des jeunes spectateurs. Celestia applaudit avec entrain et nota avec joie qu'Habte s'était joint au mouvement. Juste quelques coups de corne de sabots les uns contre les autres, rien d'exceptionnel mais c'était déjà ça.

Sous les applaudissements du public, les marionnettistes sortirent de derrière le drap pour saluer, et firent passer dans les spectateurs, une petite corbeille d'osier. Celestia y laissa quelques pièces.

 

_Ça t'a plu ? demanda t-elle à Habte, faisant passer la corbeille derrière eux.

 

_C'était amusant, répondit-il.

 

«Amusant » ? Celestia aurait plutôt dit « énorme » elle, mais bon.

 

_J'ai faim, annonça t-elle en se levant et en étirant ses pattes pour les dégourdir. Un pain au chocolat, ça te dit ?

 

_Un pain au ?

 

_Au chocolat, répéta Celestia. Tu sais, genre comme un croissant, mais avec du chocolat dedans.

 

_Je ne sais pas ce que c'est, finit par confesser Habte.

 

Celestia en fut abasourdie. Bon d'accord, elle savait que les zèbres n'avaient pas le même mode de vie qu'eux, mais quand même, comment quelque chose d'aussi bon que le pain au chocolat n'avait pas pu traverser les frontières ?

 

_Faut combler cette lacune, annonça Celestia en poussant d'autorité le prince impérial jusque dans une boulangerie. Je peux pas croire que quelqu'un ait jamais goûté à ça.

 

Quelques minutes plus tard, les deux fiancés étaient attablés dans la boulangerie, deux pains au chocolat tout juste sortis du four devant eux. Habte commença par chercher à effeuiller le gâteau, mais Celestia lui montra comment faire, en se saisissant de la pâtisserie et en mordant dedans. Le zèbre donna un coup de dent hésitant dans son pain au chocolat avant de pousser un grognement d'approbation, et de prendre une seconde bouchée, bien plus franche.

 

_Mais tu manges quoi le matin alors ? demanda Celestia.

 

_Du fit-fit, répondit le prince. C'est un mélange de kitcha, de niter kibbeh et de berbéré.

 

_Ça doit être cool, hésita Celestia, si je savais ce que c'est.

 

Le leul eut un hoquet de rire :

 

_C'est du pain avec du beurre aux épices. Le matin, on le mélange avec des oignons, de l'ail, des clous de girofle...ça change selon les tribus en fait. Chacune a son fit-fit à elle.

 

_Et c'est bon ?

 

_On en mangerait pas sinon, répliqua le zèbre, du tac au tac. Mais c'est quand même moins bon que ce pain au chocolat, ajouta t-il avant de mordre une fois de plus dans la pâtisserie.

 

Celestia sourit plus franchement. Tout n'était peut-être pas perdu pour faire de son fiancé un adolescent ordinaire en fin de compte.

Le reste de la journée se déroula à peu de choses près comme Celestia l'avait prévu. Sa plus grande victoire, incontestablement, fut quand Habte la tutoya sans y penser, au détour d'une question. Il avait repris le vouvoiement à la phrase d'après, mais c'était déjà un pas d'ursa major en avant.

 

Le soleil déclinant, Celestia laissa le jeune prince devant les appartements occupés par les zèbres à Canterlot, lui souhaita une bonne soirée, et s'envola rapidement. Elle avait juste le temps de retrouver Discord dans leur repaire d'Evercon avant de devoir rentrer.

 

Le draconequus trompait l'ennui en attendant Celestia, traçant de sa serre, des grilles de morpion dans la poussière des ruines. Il utilisait ensuite sa magie chaotique pour transformer les signes, et voir ce qui se passait. Mais l'esprit du chaos arrêta bien vite son jeu quand l'alicorne arriva auprès de lui. Ils s'embrassèrent et Celestia s'allongea sur le draconequus, tête sur son torse. Discord la maintint contre lui sans rien faire de plus que de passer sa patte de lion dans sa crinière étoilée. L'adolescente se laissa aller à somnoler entre les bras de son amant.

 

Discord la réveilla finalement. Celestia se releva, quitta l'étreinte du draconequus, déploya ses ailes, mais pourtant, ne s'envola pas immédiatement. Elle traînait du sabot par terre, l'air visiblement gênée, comme si elle hésitait entre dire quelque chose, ou le taire. Finalement, elle prit son courage à quatre pattes, et dit à l'esprit du chaos :

 

_Je vais partir.

 

La phrase sonna stupidement aux oreilles de Discord. Bien sûr qu'elle allait partir puisque elle devait dîner avec sa famille.

Comme elle le faisait chaque soir, obligeant les deux adolescents à respecter un emploi du temps qui...

 

_Discord, répéta t-elle, comprenant que le draconequus n'avait pas saisi. Je vais partir d'Equestria.

 

_Quoi ? demanda Discord, sûr d'avoir mal entendu.

 

_Je veux pas me marier, dit la jeune jument en se mettant à faire les cent pas dans les ruines, les ailes toujours grandes ouvertes. Même si Habte est plus cool que ce que je pensais, je l'aime pas. C'est...c'est toi que j'aime Discord. Et on me mariera pas à quelqu'un juste parce que c'est comme ça que les choses doivent être !

 

Discord ne savait pas ce qui lui donnait le plus l'impression qu'il rêvait. Le fait que Celestia venait d'annoncer sa volonté de ficher par terre une alliance cruciale, ou parce qu'elle venait de lui dire qu'elle l'aimait.

 

_Je vais partir, dit-elle encore une fois. Je pourrais pas avant le mariage, y me surveillent de trop. Mais juste après, je me tire.

 

_Mais tu comptes aller où ? finit par demander Discord, sortant de sa léthargie.

 

_Au nord. A ce qui paraît, le droit d'asile est sacré chez les ours. Et y respectent vachement la noblesse. Pour une fois que ce fichu titre de princesse va me servir à quelque chose, gloussa t-elle.

 

_Alors tu pars vivre chez les ours pour toujours ?

 

_Non, quand même pas, répondit-elle en secouant la tête. Juste le temps que mon père me fasse la promesse qu'il cherchera plus à me marier sans me demander mon avis. Je veux redevenir sa fille, pas un de ses pions politiques à la noix.

 

L'idée de voir Celestia en exil volontaire au Tsardom des ours déplut fortement à Discord. On disait plein de choses sur les ours. Ce seraient des êtres rustres, prompts à la bagarre, portés sur la bouteille. Et puis la météo surtout, de la glace et de la neige, partout, tout le temps.

 

_Et tu comptes aller là bas toute seule ?

 

_C'est justement ça le truc, marmonna Celestia. J'aurais pas été contre que tu m'accompagnes.

 

Discord écarquilla les yeux de surprise. Bon et c'était quoi la prochaine nouvelle ? Elle était enceinte et elle portait leur enfant ?

 

_Dis, tu pourrais venir avec moi, avança Celestia en faisant quelques pas vers le draconequus. On serait pas obligés de se cacher là bas. On aurait quelques mois peinards, rien que nous deux. Personne pour nous surveiller. On serait...libres.

 

_Tu as pensé à tes parents ? A Luna ?

 

_Mais justement ! Ça leur apprendra à essayer de contrôler ma vie ! Et puis c'est pas comme si je m'en allais pour toujours. Juste quelques mois, le temps que mon père emmagasine une fois pour toutes que je suis pas une poupée. Et pour Luna bah...sa grande sœur lui manquera, mais je reviendrais bien un jour. J'ai pas besoin de grand chose pour partir. Deux trois affaires, des habits chauds. Mais...

 

Elle se rapprocha encore de Discord et l'entoura de ses ailes. Ne pouvant le faire de ses pattes sans perdre l'équilibre, c'était la manière de l'adolescente de l'étreindre.

 

_Tout ce que j'ai besoin, murmura t-elle, fermant les yeux et rapprochant sa bouche de celle du draconequus, ce que j'ai vraiment besoin, c'est de toi.

 

L'espace d'un instant, Discord fut à un poil de crinière d'accepter. D'embrasser Celestia, de la serrer dans ses bras, de la faire tournoyer. C'était une idée géniale. Partir loin de tout, ne plus être surveillés...mais la crudité de la réalité se rappela au draconequus. Il ne pouvait pas.

Il prit le menton de l'adolescente et la détourna doucement de lui. Celestia rouvrit les yeux, et Discord put aisément lire la surprise dans son regard.

 

_Je peux pas Cel, dit Discord en s'excusant. Je...je pourrais pas vis à vis de tes parents. C'est eux qui m'ont sauvé la vie, je peux pas les remercier en m'enfuyant avec toi.

 

_Tu préfères mes parents à moi ? demanda sèchement Celestia, se dégageant brusquement du draconequus, repliant ses ailes contre son corps.

 

_C'est pas ça, tenta-il d'expliquer, c'est juste que...ton père m'a tiré de la grotte, ta mère m'a soigné. Ton père m'a permis de vivre dehors, au grand jour, même déguisé en pégase, de travailler pour lui. Il m'a donné une vie Cel. Et ta mère...elle et moi, on commence à repartir d'un bon sabot. Je peux pas...je peux pas tout flanquer par terre.

 

_Alors tu me lâches ? fulmina l'alicorne.

 

_Je ne t'accompagnerai pas, annonça le draconequus en baissant le museau. Mais si tu veux t'exiler chez les ours, c'est ton choix, je ne m'y opposerai pas.

 

_Tu es censé être de mon côté ! tempêta Celestia, frappant le sol des ruines de ses sabots.

 

_Je ne te dénoncerai pas, je te le promets, poursuivit Discord, sur le même ton monocorde. Si tu veux, je pourrais même t'aider à rassembler des affaires chaudes. Mais je le répète Celestia, je n'irai pas avec toi au Tsardom des ours.

 

L'adolescente eut une moue, rouvrit ses ailes, et s'en alla sans un mot, après avoir jeté un regard noir à l'esprit du chaos. Discord resta sur place à la voir s'envoler.

 

_Et moi aussi je t'aime tu sais, murmura t-il, à la silhouette qui était déjà presque hors de vue.

 

Discord poussa un long soupir, se transforma en pégase, et s'envola à son tour, pour gagner les ruines du château de Canterlot. Il faisait partie des volontaires qui essayaient de remettre ce qui restait de l'édifice en état, et de nettoyer les gravats. Le travail lui faisait du bien, le draconequus ayant l'impression de se sentir utile, et de repayer sa dette au roi Hélios.

 

En chemin pour Canterlot, Discord se demanda plusieurs fois s'il avait fait le bon choix. Mais il se heurtait toujours au même problème : Hélios et Aztarté en avaient trop fait pour lui pour qu'il les trahisse. L'idée de Celestia, c'était une lubie d'adolescente au fond. Et il avait beau aimer profondément l'alicorne, il ne pouvait pas partir avec elle chez les ours. C'était impossible.

 

Discord atterrit sur le chantier, et ne fut pas long à se mettre au travail. Les poutres noircies de suie salissaient son pelage, mais l'effort physique lui faisait du bien. Il oubliait un peu sa dispute avec Celestia au moins.

 

_Monsieur Discord ? demanda une voix derrière lui.

 

Le faux pégase se retourna pour découvrir un poney en livrée qui s'inclina légèrement.

 

_Monsieur Discord, reprit le poney, ma maîtresse, mademoiselle la duchesse Ira souhaiterait vous parler.

 

Le draconequus fouilla sa mémoire à la recherche de quelqu'un de ce nom là mais rien ne lui vint.

 

_Vous devez faire erreur, répondit Discord en se remettant au travail.

_Mademoiselle la duchesse avait prévenu que vous pourriez être sceptique, dit le poney en livrée, toujours de son ton très respectueux. Elle m'a demandé de vous remettre ceci, annonça t-il en tendant une feuille pliée en quatre.

 

Le draconequus la déplia pour découvrir marqué en toutes lettres : « Je sais qui vous êtes draconequus. J'ai à vous parler de vous, et de la princesse Celestia. Je vous conseille de suivre mon domestique, si vous ne voulez pas que certaines informations sur la nature des relations que vous avez avec sa fille ne tombent entre les sabots du roi. »

 

Le faux pégase pâlit. Sa couverture était grillée. Non seulement ça, mais en plus, cette personne savait pour lui et Celestia ! Discord n'avait pas le choix. Il suivit le domestique jusqu'à un fiacre, garé dans une petite impasse. Le poney lui fit signe de grimper à l'intérieur, et le faux pégase s’exécuta. Une licorne se trouvait déjà dans le fiacre, qui démarra juste après que le draconequus se soit assis sur la banquette. A cause de l'obscurité, Discord ne distinguait presque que le bout de sa corne, et ses yeux verts, qui brillaient comme ceux d'un félin à l'affût.

 

_Discord, je présume ? demanda la voix.

 

_Et vous, vous devez être cette duchesse Ira, répondit le faux pégase, agitant en sabot le petit mot que le domestique lui avait remis.

 

_Tout à fait.

 

_Qu'est-ce que vous me voulez ? C'est quoi ces menaces ?

 

_Ce ne sont pas des menaces, juste des...comment dire ? Avertissements ? Je devais trouver un moyen de te parler Discord, c'est tout.

 

_Et bien je suis là. Parlez.

 

Malgré les ténèbres qui tapissaient l'intérieur du fiacre, Discord aurait pu mettre sa patte à couper que la licorne s'était mise à sourire.

 

_D'abord, j'aimerais que tu prennes ta vraie apparence pour que nous discutions. Tu serais plus à l'aise, non ?

 

Discord reprit donc son apparence de naissance, devant courber son long corps pour ne pas heurter le toit de la berline. Et encore, ses cornes touchaient largement le plafond.

 

_Impressionnant, commenta la duchesse. Un vrai draconequus, en chair et en os.

 

_Vous m'avez fait venir juste pour me voir me changer en quelque chose ? Parce que je peux vous donner l'adresse de deux trois poneys transformistes qui...

 

_Je n'ai pas le temps pour les sarcasmes, coupa Ira. Je t'ai fait venir pour te faire une offre.

 

_Une offre ? répéta l'esprit du chaos.

 

_Je suis la dernière descendante de la princesse Platinium. Aurum III était mon oncle, Bronze mon cousin. C'est à moi qu'aurait dû revenir le trône si ces idiots de mâles n'étaient pas aussi machistes.

 

Discord ne voyait pas ce que ça avait à faire avec lui. Mais il laissa la duchesse terminer.

 

_A la place, ils ont nommé Hélios roi des licornes. C'est quelqu'un que tu apprécies je crois. Même si je pense que tu apprécies encore plus sa fille, ajouta la licorne avec un sourire entendu qui déplut fortement à Discord.

 

_C'est juste pour ça que vous m'avez fait venir ? Pour parler du roi et de Celestia ?

 

_Discord, poursuivit la duchesse sans tenir compte de la phrase du draconequus, c'est à moi que la couronne devrait être, pas à Hélios. Le plus drôle étant que je suis sûre qu'il serait d'accord avec moi.

 

_Hélios est un bon roi ! lâcha Discord. Vous ne pouvez pas...

 

Ira leva son sabot pour interrompre l'adolescent.

 

_Tais toi et écoute. Oui, Hélios est roi. Sa femme est reine, et ses filles princesses. Des princesses qui doivent servir les intérêts de l’État. Comme une certaine alliance avec les zèbres...

 

Discord était toujours dans le flou.

 

_Ça n'a pas dû te plaire hein, quand ta petite chérie t'a annoncé qu'elle allait se faire passer la bague à la corne par un sauvage de la savane ?

 

_Je...

 

Pour une raison qu'il était incapable d'expliquer, Discord se révéla incapable de mentir.

 

_Non. Non bien sûr.

 

_Comme Celestia elle-même. Elle le prend plutôt mal ces noces, non ?

 

_Elle les déteste.

 

L'espace d'un instant, Discord, malgré sa promesse faite un peu plus tôt dans les ruines, avait failli révéler que l'alicorne voulait s'exiler au Tsardom des ours, le mariage tout juste passé.

 

_Discord...dit la voix doucereuse d'Ira. Et si je te disais que j'ai le moyen de faire annuler ces noces ? Que Celestia n'épouse pas le prince zèbre ? Mieux, qu'elle pourrait être avec toi, pour de vrai, sans que vous ayez à vous cacher ?

 

L'esprit du chaos releva la tête d'intérêt, ce qui ficha la pointe de sa corne de cerf dans le plafond de la berline. La propriétaire du fiacre ne parut pas en être affectée cela dit.

 

_Réfléchis, dit-elle en enrobant ses mots. Celestia doit se marier parce qu'elle est princesse. Alors comment faire en sorte qu'elle ne se marie pas ?

 

_Si...elle n'est plus princesse ? hésita le draconequus.

 

_Précisément ! répondit la duchesse avec emphase. Si Celestia redevient roturière, les zèbres n'ont aucun intérêt à ce qu'elle épouse leur prince. Ils se trouveront une autre pauvre jument, et laisseront ton amie en paix.

 

L'idée paraissait simple. Séduisante. Et elle pourrait même plaire à Celestia elle-même, qui se plaignait sans cesse de son titre.

 

_Comment est-ce que vous comptez faire ? Pour lui enlever son titre ?

 

_Tu as oublié ce que j'ai dit tout à l'heure ? Celestia n'est princesse que parce que son père est roi. Si Hélios perd le trône...

 

_...la famille royale ne l'est plus, conclut Discord.

 

Ira hocha la tête avant de reprendre :

 

_Le trône devrait être à moi. Par le sang. C'est un hasard que Hélios l'ait eu. Tout ce que je veux, c'est récupérer mon droit de naissance.

 

_La dernière fois que quelqu'un a essayé de s'emparer du trône, il y a eu des dizaines de morts, objecta le draconequus. Je refuse que...

 

_Il n'y aura pas un mort, le coupa Ira d'un ton implacable. Simplement parce que nous allons nous servir de tes pouvoirs pour exiger l'abdication du roi Hélios. Ça va être du bluff, de l'intimidation. Une tempête de chaos pendant le mariage, au dessus des invités, et tout le monde nous mangera dans le sabot. Je demanderai à Hélios de me rendre ma couronne. Et ça sera tout. Personne ne sera blessé. Je conserverais même Hélios à son ancien poste de régent solaire s'il le souhaite. Les zèbres iront se faire pendre ailleurs. Et toi, tu auras Celestia.

 

Discord hocha silencieusement la tête. Ce projet, ça voulait dire libérer Celestia de ses chaînes. C'était faire en sorte qu'elle n'ait plus à aller en exil chez les ours. Elle pourrait rester en Equestria. Avec lui.

 

_Celestia et toi ensemble...ça ne te tente pas ?

 

Bien sûr que ça le tentait ! Mais quand même...l'idée de se dresser contre le roi Hélios...

 

_Vous me promettez que personne ne sera blessé ?

 

_Je le jure sur ma corne, annonça solennellement la duchesse en touchant son appendice. Tout ce que je te demande Discord, c'est ta parole que tu me soutiendras dans ce projet.

 

L'esprit du chaos sembla encore hésiter. Mais l'image de lui et de Celestia, pouvant se montrer au grand jour emporta ses derniers doutes comme une lame de fond.

 

_Je...d'accord. Je vous aiderais.

 

Ira tendit sont sabot droit en avant, et Discord le serra. Quand la serre d'aigle toucha la corne, les deux occupants du fiacre sentirent une décharge magique les traverser tous les deux.

 

Discord venait de prêter serment à la duchesse Ira. Et comme la voix de la madina Al Khali l'avait annoncé à la duchesse, le draconequus serait désormais obligé de servir la licorne. La jument le vérifia après avoir lâché la serre de Discord, lui demandant sur un ton très sec de se transformer à nouveau en pégase. L'esprit du chaos se changea dans la seconde, obéissant sans même chercher à réfléchir.

 

Ira sourit.



Dans peu de temps, se dit Ira, s'amusant à demander au draconequus des transformations de plus en plus absurdes pour tester son contrôle total sur l'esprit du chaos, Unicornia sera enfin une réalité. Il faudra que je pense à mettre une belle robe pour le mariage.

 

L'alliance qui allait transformer le visage d'Equestria pendant des années venait d'être scellée à l'arrière d'un fiacre bringuebalé dans les rues de Canterlot. Les pièces avançaient sur l’échiquier de l'Histoire.

 

Et le mat était pour bientôt.



¤¤¤



Ira se réveilla seule. C'était inhabituel chez la duchesse. Depuis plus ou moins trente ans, la licorne était réveillée par le même rituel. Ses domestiques venaient doucement secouer leur maîtresse, ils tiraient les rideaux de la chambre et lui apportaient ses affaires.

 

Mais ce matin, Ira ouvrit les yeux sans l'aide de personne. Pas besoin de la bassine d'eau tiède, pas besoin qu'on l'aide à sortir du lit. Elle était fraîche et alerte dès son réveil. En fait, elle était même si alerte, qu'elle ôta seule sa chemise de nuit, et qu'elle enfila sa robe de chambre sans l'aide de personne.

 

Elle surprit un sourire un peu idiot sur ses lèvres, quand elle se rendit compte que la prochaine fois qu'elle se réveillerait, elle ne porterait plus simplement une robe de chambre griffée de ses initiales, mais des armoiries royales. Ce qui au final, serait un peu la même chose, le trône étant son droit de naissance.

 

Ira était excitée comme une pouliche qui allait à sa première soirée dansante. Elle ne pouvait pas croire qu'enfin, quand le soleil se coucherait – enfin, quand l'Ordre des Trois Sabots, à qui elle aurait redonné le pouvoir astral, ferait coucher le soleil techniquement -, elle serait enfin reine des licornes d'Equestria.

 

Ira avait déjà prévu un certain nombre de mesures, et de réformes à mettre en place dès qu'elle serait officiellement monarque. Les décrets raciaux en premier lieu. Ils avaient assez attendu. Les licornes devaient avoir le droit de défendre leur sang contre les pégases, et les terrestres. C'était même un devoir par rapport aux générations futures.

 

La duchesse ouvrit la porte de sa chambre, et s'engagea dans le couloir, croisant le regard stupéfait de ses domestiques, qui lui apportaient sa bassine d'eau tiède. Non, ce n'était pas d'eau tiède dont avait besoin la licorne, mais d'eau brûlante, quelque chose qui relaxe le moindre de ses muscles.

 

_Je vais prendre un bain Marie, annonça Ira à sa domestique en passant devant la ponette. Vous m'apporterez mon petit déjeuner quand je serai dans l'eau.

 

_Oui mademoiselle, répondit la terrestre.

 

_Vous direz aussi à Alfred de tenir le fiacre prêt à partir dès que je l'ordonnerais, compris ?

 

Marie confirma encore une fois, mais Ira ne l'entendit qu'à moitié : elle avait déjà refermé derrière elle la porte de la salle de bain, et fait tourner les robinets. L'eau brûlante remplit vite la baignoire, de la buée se formant sur les grands miroirs.

 

Estimant la baignoire assez remplie, Ira coupa les robinets, ôta sa robe de chambre qu'elle laissa tomber au sol d'un roulement d'épaules, et enjamba le rebord d'émail, en prenant garde à ne pas renverser ses précieux flacons de parfum. Elle se glissa très lentement dans l'eau chaude avec un soupir de plaisir non feint.

 

La licorne étendit ses pattes, frissonnant de délectation alors que l'eau brûlante entourait sa robe. Elle déboucha magiquement quelques flacons de parfum, et les secoua délicatement au dessus de la baignoire. Quelques gouttes tombèrent, et libérèrent leurs effluves au moment où elles se mêlaient à l'eau. Les narines de la duchesse reconnurent la fleur d'oranger et le petit-grain.

 

Elle pencha la tête en arrière, laissant sa crinière s'imbiber de liquide, jusqu'à la racine de ses cheveux.

 

Enfin, elle ferma les yeux.

 

Le corps détendu à la perfection, tous ses sens apaisés, Ira était dans son paradis personnel. C'était un cadeau qu'elle se faisait à elle-même, en cette journée si particulière. Parce que si c'était bien le jour où elle allait devenir reine des licornes, c'était aussi la St Galopin. Le jour des amoureux.

 

Ira, qui n'avait pourtant jamais été très portée sur les fêtes, aimait particulièrement la St Galopin. Et d'ailleurs aujourd'hui, la duchesse ferait le plus beau des cadeaux à l'être qu'elle aimait par dessus tout : le peuple licorne. Sa prise de pouvoir était un geste d'amour, il n'y avait pas d'autre mot. La licorne ne se serait jamais autorisée à mettre en place son coup de force si elle n'avait pas été follement amoureuse de sa race.

 

Ira fêterait ses trente ans dans quelques mois. Elle avait assez vécu pour faire le distinguo entre désir, et amour.

 

Le désir, c'était une pulsion du corps, un besoin primaire.

Pas très différent de la faim, ou de la soif, mis à part que c'était plus agréable de faire l'amour que de manger un sandwich – quoiqu'Ira était tombé sur un amant une fois, qui avait vraiment remis cette théorie en question –.

 

L'amour...c'était autre chose. C'était plus dans la tête. Plus profond aussi.

 

Ira aurait probablement pu vivre sans désir. Mais pas sans amour.

 

La duchesse se souvenait, la première fois qu'elle avait ressenti ça. Ce grand frisson, qui avait couru le long de son échine, l'impression d'avoir le vertige, la bouche sèche, le souffle qui manquait. C'était des années plus tôt, quand elle n'était encore qu'une toute jeune jument. Quand ses parents lui avaient mis sous le museau leur arbre généalogique. Quand elle avait compris que le sang de la princesse Platinium, pourtant morte depuis des siècles, pulsait encore dans ses veines à elle.

 

Elle avait compris ce jour là sa place dans le monde. Qu'elle devait être le pivot de cet univers. Pas pour elle. Pas pour suivre des intérêts égoïstes. Mais pour son peuple. Pour le bien universel des licornes.

 

La race des seigneurs devait gouverner. C'était évident.

 

_Mademoiselle ?

 

La voix avait chuchoté. Mais c'était assez pour briser la bulle de tranquillité de la duchesse. La licorne eut l'impression qu'on lui arrachait la compagnie d'un amant particulièrement doué.

 

Ira ouvrit les yeux, et pencha légèrement la tête sur le côté. Au travers de la vapeur, une forme floue se dressait devant la baignoire, un plateau entre les sabots.

 

_Voilà votre petit-déjeuner mademoiselle la duchesse, poursuivit la voix qu'Ira reconnut comme étant celle de Marie, sa domestique.

 

Ira ne répondit pas. Elle tenta de fermer les yeux à nouveau et de se détendre encore un peu.

 

_Je vous mets ça là, dit Marie en posant le plateau sur le sol.

 

Ira était habituée à la température très élevée de ses bains, et accoutumée, non seulement à l'eau brûlante, mais aussi au fait de ne pas voir plus loin que le bout de son museau.

Ce n'était pas le cas de Marie.



Se redressant après avoir posé le plateau à ses sabots, une bouffée de vapeur la fit tousser, et par réflexe, elle agita la patte devant elle pour dissiper la fumée. Sans voir ce qu'elle faisait, son sabot heurta un des parfums hors de prix d'Ira, qui bascula au sol, et se brisa. Une odeur de citron très concentrée envahit la salle de bain.

 

Le bris de verre fit rouvrir les yeux à la duchesse. Marie déglutit.

 

_Oh mademoiselle, je suis désolée, je n'ai pas fait attention, je...

 

Un rictus déforma le visage de la jument. Non seulement cette idiote de domestique troublait la tranquillité de son bain, mais voilà qu'elle se mettait à casser des flacons de parfums, qui valaient plus que tout ce que cette miséreuse aurait pu gagner en toute une vie !

 

Le fait que Marie ne soit jamais rentrée dans la salle de bain que sur l'ordre de sa maîtresse, n'effleura pas une fois l'esprit de la licorne.

 

Ira se dressa brusquement sur ses pattes arrière, manqua de déraper dans la baignoire et enjamba le rebord. Trempée, elle ne prit même pas la peine de s'enrouler dans une serviette. L'eau dégoulinait en filets continus le long de sa robe, inondant le sol.

 

Marie serra les dents. Ira était proche d'elle, mais avec la vapeur du bain, elle ne voyait que les yeux verts resplendissants de mademoiselle dans la fumée, ce qui était absolument terrifiant.

 

_Marie, commença la voix doucereuse de la licorne. Est-ce que vous savez pourquoi j'aime les bains ?

 

_Pour...pour vous détendre mademoiselle, balbutia la domestique, qui sentait son ventre se tordre sous l'effet de la peur.

 

_Oui. Me détendre. Au calme. Sans personne pour m'interrompre, ou casser mes flacons de parfum.

 

_Mademoiselle, je vous assure, je ne l'ai pas fait exprès, vous pourrez retenir le prix du flacon sur mes gages, je...

 

_Est-ce que tu as la moindre idée à quel point ce genre de bain est apaisant ? demanda Ira, coupant son employée.

 

Marie secoua négativement la tête. En fait, elle se doutait très bien à quel point un bain pouvait être relaxant, mais ce n'était visiblement pas le genre de réponse qu'attendait la duchesse !

 

_Non mademoiselle.

 

_Est-ce que tu voudrais essayer ?

 

Marie regarda sa maîtresse sans comprendre.

 

_Mademoiselle, je ne suis pas sûre de...

 

_J'insiste, dit Ira, faisant briller sa corne.

 

Un halo entoura soudainement la domestique, qui se vit traîner jusqu'à la baignoire. La baignoire pleine d'eau brûlante.

 

_Non ! hurla la terrestre. Mademoiselle ! Je suis désolée ! Ne faites pas ça ! Noooon !

 

La fin de la phrase de Marie fut le cri de douleur qu'elle poussa quand Ira la plongea dans la baignoire. L'eau était si chaude que la domestique eut l'impression que son uniforme de soubrette fondait, et se mêlait à sa robe.

 

Maintenant toujours sa domestique de force dans la baignoire, sourde à ses suppliques, Ira se dirigea jusqu'à son bol de café, et y trempa à ses lèvres. Ah, Marie avait oublié le sucre.

 

Avec un soupir fataliste, Ira ouvrit le robinet d'eau chaude. On ne pouvait vraiment plus faire confiance au petit personnel.



¤¤¤



Soutenu par son chauffeur, un peu chancelant, le Chancelier Strawberry s'efforçait de ne pas vaciller alors qu'il progressait à petits pas vers son fiacre, garé devant l'entrée de l'hôpital central. Autour du poney terrestre, le directeur de l'établissement, accompagné par quelques docteurs, et des infirmiers, tentait de le retenir.

 

_Votre Excellence, lança le directeur à l'attention de Strawberry, qui n'arrêtait pas sa progression vers sa voiture, s'il vous plaît, vous devez encore vous reposer. Vous n'êtes pas prêt à sortir !

 

Strawberry le savait très bien.

 

Ses poumons le brûlaient encore, il devait encore porter de larges pansements au niveau de la poitrine, le moindre effort le rendait aussi faible qu'un poulain, mais il serrait les dents, et continuait à avancer.

 

_Monsieur le Chancelier, soyez raisonnable, remontez dans votre chambre !

 

_J'y suis depuis presque un mois et demi docteur, dans cette chambre, siffla Strawberry, je pense que j'ai assez pris de repos comme ça.

 

_Mais vous mettez votre santé en danger ! objecta un des docteurs.

 

Strawberry saisi de vertige, dut s'appuyer sur son chauffeur. Le tournis ne dura que quelques instants, mais fut ô combien désagréable. Quand la vue du Chancelier fut à nouveau nette, il nota le regard très désapprobateur du personnel médical, un air de dire « on vous l'avait bien dit » sur le visage.

 

Le poney à la robe rouge donna un coup de museau en direction de son fiacre, pour indiquer à son chauffeur qu'ils reprenaient la marche. Le Chancelier ne fit pas de nouveau malaise.

 

Son chauffeur lui ouvrit la porte, et l'aida à s'installer sur la banquette. Le simple fait de grimper sur le marchesabot fit grimacer Strawberry.

 

_Votre Excellence, lança une dernière fois le directeur de l'hôpital, je vous en prie. Pensez à votre santé.

 

Malgré la douleur qui lui vrillait la poitrine à chaque respiration, le terrestre à la crinière verte réussit à sourire au directeur.

 

_On ne m'a pas élu pour que je m'occupe de ma santé, mais de celle du pays, monsieur le directeur. C'est ce que je vais faire aujourd'hui.

 

Quand Strawberry avait appris par ses secrétaires que le Commandant Haboob ne serait pas présent au mariage de la princesse Celestia et du leul Habte, le poney avait compris qu'il était encore plus important qu'il fasse le déplacement. Il fallait faire comprendre au peuple que ce n'était pas qu'une histoire entre les licornes, et les zèbres, mais que toutes les races d'Equestria étaient concernées. Et d'un point de vue plus personnel, Strawberry n'était pas contre respirer un air un peu différent de celui du petit jardin artificiel de l'hôpital central.

 

Toujours souriant, Strawberry claqua la porte de la voiture, et frappa trois fois du sabot contre la paroi, pour faire signe à son chauffeur de partir. Canterlot n'était pas vraiment à côté, et ils feraient bien de se dépêcher.

 

Pour assurer une présence diplomatique à un mariage, encore fallait-il y être physiquement.



¤¤¤



Son menton posé contre sa patte de lion, Discord regardait pensivement le ciel bleu, et le soleil brillant du matin. Une boule s'était formée dans son estomac, et le doute le torturait. Il se sentait mal à l'aise depuis qu'il avait rencontré cette Ira, et qu'il avait accepté de l'aider à prendre le pouvoir. Il n'avait pas pu s'empêcher de se demander en permanence s'il avait fait le bon choix.

 

Mais il avait beau retourner le problème dans tous les sens, il en arrivait à la même conclusion que la licorne : s'il voulait Celestia, il devait lui ôter sa couronne. Et ça passait par enlever son titre au roi Hélios.

 

Tout s'accordait en faveur de ce plan : le roi Hélios, qui n'avait jamais caché n'être pas très à l'aise face au pouvoir, serait relevé de ce fardeau, la reine Aztarté pourrait se consacrer pleinement à sa famille, Celestia ne serait plus princesse, comme elle le désirait...c'était sans doute ce dernier élément qui avait le plus de poids aux yeux du draconequus. Elle n'aurait pas à s'exiler chez les ours, elle pourrait rester en Equestria, avec les siens.

 

Avec Discord.

 

Et puis, ce n'était pas comme si Ira allait faire tuer tout le monde. Elle avait juré que le coup d’État se ferait sans verser une goutte de sang.

 

Discord ne pouvait pas non plus se sortir de la tête l'étrange pouvoir que la duchesse avait eu sur lui, après qu'il ait accepté de l'aider. Qu'elle demande quelque chose, et le draconequus obéissait. Il ne réfléchissait pas, il agissait. Dans ses moments là, Discord voyait presque son corps bouger seul, comme s'il était piégé à l'intérieur.

 

Ça, ça l'inquiétait. Discord se promit d'éclaircir le problème avec la duchesse, dès qu'il la verrait. C'est à dire, dans quelques minutes.

 

Un mouvement dans la rue en contrebas attira l’œil du draconequus. Un grand fiacre aux rideaux tirés s'arrêtait devant l'immeuble. Discord n'eut aucun mal à reconnaître la voiture dans laquelle il était monté quelques jours plus tôt, scellant son alliance avec la prétendante au trône.

 

Il devait y aller.

Soupirant, Discord se transforma en pégase, ouvrit la fenêtre, et s'élança. Ses sabots heurtèrent le pavé avec un bruit mat, juste à côté du fiacre. Le conducteur de la voiture, le domestique qui avait remis à Discord le mot d'Ira, toisa le draconequus d'un regard neutre, et se borna à descendre pour lui ouvrir la portière.

 

Le faux pégase se glissa à l'intérieur. Confortablement installée sur la banquette, la duchesse Ira attendait Discord en feuilletant le journal, un petit pot de verre posé à ses sabots. Une odeur de fleur d'oranger se dégageait d'elle. De temps en temps, elle en tirait magiquement ce qui ressemblait à un minuscule poney en sucre, le conduisait jusqu'à sa bouche, et l'avalait.

 

Le fiacre était déjà reparti depuis quelques minutes quand Ira nota l'expression un peu perplexe du faux pégase.

 

_Bonbons au sucre, dit-elle en agitant le pot, dont le contenu s'entrechoqua. Prends-en si tu veux.

 

Discord ne bougea pas. Ira considéra la scène avec une lueur d'intérêt.

 

_Prends-en.

 

Discord vit son sabot se saisir du pot en verre, le renverser sur sa patte, et avaler prestement les deux bonbons de sucre qui s'y trouvaient.

 

_Donc, ça ne marche que quand c'est un ordre direct. Intéressant, affirma la duchesse.

 

_Comment est-ce que vous faites ça ? demanda Discord. Comment est-ce que vous arrivez à me contrôler ?

 

_Dis-toi simplement que je l'ai mérité ce pouvoir, répliqua sèchement la duchesse.

 

Et c'était vrai. L'expédition d'Agrabay avait bien failli lui coûter la vie. Sans le sacrifice de Colt, Ira ne serait même pas là aujourd'hui. Il faudrait qu'elle pense à lui rendre hommage quand elle serait reine. Arriver à arracher le respect de la duchesse n'était pas une chose facile, surtout quand comme Colt, on avait été un poney terrestre.

Ira s'était d'ailleurs plusieurs fois posé la question de savoir si le coursier ne comptait pas des licornes dans ses ancêtres, mais que le hasard de la génétique, l'avait fait naître simple poney. Ça aurait expliqué ses extraordinaires compétences.

 

_Ça veut dire que je suis votre esclave ? demanda Discord.

 

_C'est juste une précaution pour aujourd'hui. Je te libère du charme à la fin de la journée.

 

Bon, la réalité était un peu plus complexe. Ira n'avait aucune envie de se priver d'un draconequus à sa botte. Les pouvoirs chaotiques de l'adolescent pourraient grandement servir la politique de la duchesse, une fois reine.

Discord pourrait devenir le marteau de la toute-puissance licorne. Quiconque se dresserait contre elles, serait brisé par les forces du chaos. Après tout, Lucimare n'avait pas fait autrement à l'Elysium.

 

Avec une différence toutefois : une fois Ira assez sûre de l'avenir d'Unicornia, elle forcerait Discord à se suicider. On était jamais trop prudente avec une créature aussi puissante, et instable.

Et puis, d'un simple point de vue racial, le draconequus était une abomination. L'exterminer, serait rendre service à l'univers tout entier.

 

Ira nota l'air maussade du faux pégase.

 

_Allons Discord, l'enjoignit-elle, tu devrais sourire. On va à un mariage tout de même.

 

Le draconequus ne sourit pas.

 

Ira haussa les épaules, et mangea un autre bonbon au sucre.



¤¤¤



Hélios jeta un coup d’œil en coin à sa fille, assise dans la voiture royale à côté de lui. Celestia avait la mine basse, un air renfrogné sur le museau, mais semblait étrangement calme. Hélios s'était attendu à une tempête de colère de la part de sa fille, et la voilà qui semblait plus éteinte que furieuse. Elle avait enfilé la belle robe que lui avait confectionnée mademoiselle Lavande, avec ces fleurs brodées, et ces fers en or blanc, sans dire un mot. Son esprit semblait complètement ailleurs.

 

_Celestia ? hasarda Hélios en direction de sa fille.

 

L'adolescente émit un grognement qui sembla assez affirmatif au roi des licornes.

 

_Je voulais te dire que je suis très fier de toi chérie. Que tu acceptes de te marier avec Habte, alors que tu n'en as aucune envie...que tu aies compris pourquoi il faut le faire...

 

Hélios hocha la tête.

 

_Oui, je suis très fier de toi ma fille. Très fier de toi.

 

_Pas d'quoi, répondit à demi-mot Celestia.

 

Celestia n'avait qu'une envie, c'était cracher la vérité à son père. Lui dire à quel point l'idée des noces l'horrifiait, lui crier au visage qu'elle n'en revenait toujours pas d'être considérée comme un objet, et non comme sa fille. Mais l'adolescente se retint. Elle était sur le point de mettre en branle son plan, ce n'était pas le moment de tout gâcher en le révélant.

 

Et pourtant, ça serait si bon ! Dès qu'elle serait conduite à l'autel, elle ouvrirait ses ailes, s'envolerait hors de l'abbaye des Trois Sabots, récupérerait quelques affaires qu'elle avait laissées à l'abri, sous un amas de caisses, dans une ruelle de Canterlot, et hop ! Direction le nord, chez les ours !

 

L'adolescente avait calculé que ça ne lui prendrait pas plus que cinq minutes pour mettre les voiles.

 

Beaucoup plus pour rejoindre le Tsardom des ours, mais Celestia s'était préparée au voyage. La seule chose à laquelle elle devrait faire très attention, c'était ne pas voler trop haut : déjà qu'il faisait frais en Equestria à cette époque de l'année, alors chez les ours, ça devait défier l'imagination. Et autant Celestia était chaude – sans mauvais jeu de mot – pour quelques semaines à Medved, la capitale de l'Empire des Ours, autant elle l'était moins pour que ses ailes se chargent de glace, et pour qu'elle s'écrase dans la toundra.

 

S'exiler le temps qu'il faudrait oui, mourir non. Celestia n'était pas suicidaire non plus.

 

L'adolescente était aussi en colère contre Discord. Elle n'aurait jamais pensé qu'il puisse lui tourner le dos ainsi. Le draconequus était censé être son petit ami, ou du moins, quelqu'un qui se dresse de son côté. Pas qui choisisse de ne rien faire au moment où elle quittait Equestria.

 

Le pire était peut-être que tout au fond, Celestia comprenait un peu le point de vue de l'esprit du chaos. Mais ce n'était pas parce qu'elle le comprenait qu'elle l'approuvait, loin de là.

 

D'ailleurs, il n'y avait pas que ça que la princesse des licornes avait du mal à approuver. Le fait que Discord tienne à garder leur liaison secrète par exemple. Celestia n'était pas idiote, elle savait pourquoi le draconequus voulait agir ainsi. Mais elle avait espéré qu'à son contact, le draconequus finisse par adopter ce côté qu'avait Celestia à balayer les convenances d'un revers de sabot. L'adolescente avait du mal à concevoir pourquoi, alors qu'elle était épanouie, et heureuse, elle devait le cacher. Discord la rendait heureuse. Est-ce que c'était un crime de dire la vérité aux yeux du monde ?

 

Celestia avait caressé le projet de convaincre le draconequus pendant l'exil à Medved. Le fait que le draconequus refuse de partir pour le Tsardom des ours, avait bien sûr fait tomber le projet à l'eau.

 

L'alicorne s'était résolue à envoyer une lettre à l'esprit du chaos quand elle serait à Medved. Une sorte d'ultimatum. Faire comprendre à Discord que puisque elle l'aimait, elle ne voulait pas le cacher, et qu'elle estimait qu'il devait faire de même en retour.

 

Un rayon de soleil passa par la fenêtre, et se refléta sur les fers d'or blanc de Celestia. L'adolescente se tint silencieuse alors que le fiacre continuait son chemin vers l'abbaye de l'Ordre des Trois Sabots.



¤¤¤



Torquemaneda, Grand-Prêtre de l'Ordre des Trois Sabots joignit les pattes à hauteur de son visage, et tenta de trouver ses mots. En face de lui, le shaman zèbre, Ekundayo, le corps recouvert de peintures rituelles, écoutait respectueusement.

 

_Je sais que vous avez l'habitude de faire comme cela à vos mariages, dit Torquemaneda, mais vous devez comprendre qu'ici, sacrifier un lapin, et se servir de son sang pour en arroser les mariés, ce n'est pas vraiment vu comme quelque chose de positif.

 

_Premièrement ce n'est pas un lapin, objecta le sorcier, mais un lièvre des hauts plateaux. Et c'est un signe de chance d'en avoir un à ses noces. C'est un animal très rapide. Les dieux en nous permettant de le capturer, nous montrent bien qu'ils bénissent cette union.

 

Torquemaneda se mordit les lèvres. Il avait toujours été pour la tolérance, et le compromis en cas d'impasse, mais n'avait jamais été confronté à quelqu'un comme le shaman zèbre. Le Grand-Prêtre se retourna en direction des invités déjà arrivés. La reine Aztarté, efflanquée de sa plus jeune fille, la princesse Luna, jouxtaient l'Empereur Eliah, qui arrêta de parler avec son fils, pour s'adresser à Ekundayo.

 

_Oublie le lièvre mon frère, ordonna le Négus.

 

_On sacrifie toujours un lièvre aux noces, répliqua le sorcier d'un ton pincé. Et encore plus pour un mariage impérial.

 

Eliah leva les yeux au ciel quelques secondes, et s'avança pour parler à son frère en privé.

 

_Écoute, lui dit-il, je sais que tu es très attaché aux traditions. Mais ici, mon fils va se marier en Equestria. Alors, on célèbre les noces à la façon équestrienne.

 

Le shaman émit un grognement désapprobateur. Le simple fait qu'Habte, le jeune marié, n'aie pas revêtu ses peintures nuptiales, suffisait déjà à le désarçonner.

 

_Les dieux n'accepteront pas cette union si elle n'est pas correctement faite.

 

Eliah posa un sabot sur l'épaule de son frère.

 

_Ngaï et les siens sont des êtres sages. Ils comprennent que nous devons nous plier à d'autres règles que les nôtres, quand nous sommes hors de l'Empire.

 

Ekundayo sembla réfléchir une seconde.

 

_D'accord pour le lièvre. Mais je ne passerais pas sur la corne de buffle broyée!

 

Eliah hocha la tête, un sourire sur le museau.

 

_Entendu mon frère. Va pour la corne.

 

Le sorcier hocha également la tête en retour.

 

_Retourne auprès de ton fils Roi des rois. Je dois encore régler quelques détails avec Ato Torquemaneda.

 

Le sourire du Negusse Negest s'élargit quand il rebroussa chemin. Son frère était décidément impayable, jusqu'à donner de la marque de respect traditionnelle zèbre, le « ato », même quand la personne dont il parlait n'avait pas un atome de sang zèbre.

 

Eliah s'en retourna auprès de son fils. Le leul était visiblement nerveux. Il avait passé une bonne partie de la matinée à se faire brosser la robe par des domestiques, et évitait de bouger depuis lors, sûrement de peur de ficher en l'air sa mise en poil.

 

L'Empereur ne pouvait pas vraiment lui en tenir rigueur. Lui-même s'était senti comme un petit zébreau au moment de son union avec sa première femme. Il se souvenait qu'il aurait encore préféré s'en retourner au pays des ours, affronter dix fois le meilleur guerrier du tsar, que de répondre aux questions d'Ekundayo à ce moment précis.

 

Le Négus embrassa le décor d'un coup d’œil. C'était bien qu'ils aient choisi ce lieu pour le mariage. L'abbaye des Trois Sabots disposait d'une très jolie cour d'intérieur, et le préau était charmant. Le fait qu'ils n'étaient qu'une poignée autour de cette fontaine, renforçait le sentiment d'intimité.

 

Il y avait le Grand-Prêtre Torquemaneda, et Ekundayo, bien sûr, qui mèneraient la cérémonie, la reine Aztarté et sa fille Luna, et enfin, l'Empereur lui-même, et son fils. Conformément au mariage équestrien, la princesse Celestia ferait son entrée au bras de son père, pour être conduite jusqu'à l'autel.

 

Quelques membres de l'Ordre passaient ici et là dans le préau, mais dans l'ensemble, rien ne donnait l'impression qu'on allait célébrer un mariage impérial et royal dans quelques instants.

 

Un bruit de sabots clopinant se fit entendre, et toutes les personnes présentes dans le jardin, tournèrent la tête en direction de l'origine du bruit. Un poney terrestre à la robe rouge et à la crinière verte, s'appuyant sur une canne, peinait visiblement à atteindre la fontaine autour de laquelle étaient rassemblés les invités.

 

_Chancelier Strawberry ! s'exclama la reine Aztarté en s'avançant vers le terrestre. Qu'est-ce que vous faites là ?

 

_Je suis venu présenter les vœux de bonheur des poneys terrestres au prince impérial Habte pour son mariage avec votre fille, répliqua un Strawberry souriant à l'alicorne.

 

Ah oui, maintenant que Eliah y repensait, il connaissait Strawberry. Ils s'étaient vus quelquefois, lors des premiers séjours du Négus en Equestria. Les manières affables du poney, avaient plaidé en sa faveur. La dernière fois qu'ils s'étaient croisés, c'était juste avant que le Negusse Negest ne reparte dans sa tribu, quand Equestria était couverte de neige. Mais le Strawberry d'aujourd'hui semblait bien loin du Chancelier d'alors : le poney était amaigri, cerné, et le simple fait qu'il s'aide d'une canne, prouvait bien qu'il n'était pas au mieux de sa forme.

 

_Vos Majestés Impériales, salua Strawberry en courbant la tête devant Eliah et Habte. Permettez-moi, en tant que Chancelier d'Equestria, de vous faire cadeau de ceci.

 

Il termina sa phrase en plaçant un petit coffret dans les bras du leul, qui en fit sauter le fermoir, et regarda à l'intérieur. Intrigué, le père de l'adolescent fit de même.

 

Sur un coussin de velours noir, reposait des pièces de métal finement ouvragées, tout ce que les zèbres avaient vu dans les ateliers de Manehattan, des rouages, des ressorts, et toutes ces choses.

Au dos de la pièce la plus grande, de forme circulaire, on avait gravé les silhouettes d'une alicorne, et d'un zèbre se donnant la patte, surmontées d'une double couronne.

 

_Vous voyez, expliqua Strawberry en pointant le cadeau de la patte, je me suis dit que le symbole serait approprié. L'union des deux races, sur une montre, le temps qui passe, etc.

 

Habte referma le coffret, et le posa à ses sabots avant de s'incliner devant le Chancelier.

 

_Merci Votre Excellence. Je suis très touché par votre présent, et c'est tout l'Empire qui vous remercie par ma bouche.

 

Strawberry rougit – quoique avec la couleur de sa robe, cela se vit peu -, échangea encore quelques mots avec le leul et son père, avant de gagner sa place, derrière la reine Aztarté et la princesse Luna.

 

Les préparatifs des noces reprirent.

 

Les cloches de la ville sonnaient midi quand la princesse Celestia et son père firent leur entrée dans l'abbaye. La robe de l'adolescente était particulièrement chargée : si le tissu était d'un blanc simple, des multiples fleurs d'or brodées renvoyaient la lumière, de même que quelques pierres précieuses, cousues à même la robe. Celestia avait passé des fers en or blanc, et un lis avait été déposé sur son oreille gauche.

 

Un sourire ténu, mais un sourire tout de même, éclairait le visage de l'adolescente. Le regard des personnes présentes dans le jardin fut attiré par une tache rouge et or, située un peu en arrière de Celestia. On s'aperçut alors que c'était Philomena, son phénix de compagnie, qui tenait la traîne de la jeune mariée dans ses serres.

 

Torquemaneda en fut un des premiers surpris avant de se souvenir que les phénix, même jeunes comme pouvait l'être l'oiseau de compagnie de la princesse, pouvaient soulever de lourdes charges. Rien d'étonnant, en y repensant bien, à ce qu'il puisse porter la traîne.

 

Hélios, qui donnait le bras à sa fille, était habillé assez simplement : uniforme, et quelques décorations. Il ne voulait pas voler la vedette à sa fille.

 

Tandis que tous avaient les yeux rivés sur la mariée et son père, Torquemaneda se retourna en direction du préau, et fit un léger signe de tête. Si la duchesse Ira voulait assister discrètement au mariage, c'était le moment ou jamais.

 

Un des prêtres répondit positivement au signe de son supérieur, et alla ouvrir une porte adjacente. Cette dernière à peine entrebâillée, deux poneys, une licorne et un pégase, revêtus de bures de laïques en sortirent.

 

_Vous étiez censée être seule ! objecta le prêtre à l'attention de la licorne.

 

_Ce n'était marqué nulle part dans notre contrat, répliqua Ira. Et filez maintenant. Le mariage commence, je ne veux rien rater.

 

Le prêtre émit une protestation de pure forme avant de s'en aller. Ira s'autorisa un large sourire. C'était tellement facile d'obtenir ce qu'on voulait. On haussait un peu le ton, on campait sur ses positions, et voilà. Rien de plus simple.

 

La duchesse se retourna vers son compagnon.

 

_Ne fais rien avant que je ne l'ordonne Discord. Tu agis seulement quand je le dis.

 

Le draconequus hocha la tête. De toute façon, il n'avait pas très bien entendu. Il était littéralement ébloui par Celestia, à quelques mètres de lui, dans cette robe magnifique. L'alicorne était plus belle que jamais.

 

Alors qu'Ira rabattait le capuchon de sa bure sur sa tête, Celestia et son père avaient franchi les quelques mètres qui les séparaient de l'autel. Habte déglutit, et s'avança devant Torquemaneda et son oncle. Le roi s'arrêta devant le leul, et lui présenta la patte de sa fille. Anxieux, Habte la prit en tremblant.

 

Puis, Hélios posa une dernière fois paternellement son sabot sur sa tête de son enfant, et recula jusqu'à s'asseoir auprès de sa femme, et de leur fille cadette. Voyant Strawberry derrière lui, le roi eut un mouvement de surprise, puis, une fois ce dernier passé, donna un petit coup de museau à l'attention du Chancelier, qui le lui rendit.

 

L'abbaye de l'Ordre des Trois Sabots était devenue soudainement calme. Torquemaneda et Ekundayo hochèrent la tête de concert après s'être consultés du regard. Il était temps de lancer la cérémonie.

 

_Vos Majestés Royales, votre Excellence le Chancelier, commença le Grand-Prêtre.

 

_Roi des rois, poursuivit le shaman, aujourd'hui est jour de fête.

 

_En effet, souligna Torquemaneda. Et c'est le cas de tous les mariages. Mais celui-ci est particulier.

 

_Les dieux nous baignent de leur lumière. Car ce matin, il ne s'agit pas de deux êtres ordinaires que nous allons unir.

 

_La princesse Celestia, est l'aînée du roi Hélios. C'est l'héritière du peuple licorne.

 

_Le leul Habte, est le fils du Negusse Negest Eliah.

 

A l'annonce de son titre, le prince impérial se raidit par réflexe.

 

_Ce jour, reprit Torquemaneda, est à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire des peuples. Car c'est la première fois qu'à lieu un mariage impérial et royal.

 

_Par ces noces, enchaîna Ekundayo, la princesse Celestia deviendra leult de l'Empire zèbre, tout comme le leul Habte, prince licorne.

 

_Ce n'est pas qu'une union d'êtres, c'est une union de races, affirma le Grand-Prêtre avec conviction.

 

_Une alliance des peuples.

 

_Aujourd'hui, nous célébrons un jour nouveau dans l'histoire de la civilisation. Celle où deux puissantes monarchies ont décidé d'unir leurs forces, par le mariage de leurs enfants. Princesse Celestia, demanda Torquemaneda à la jeune alicorne. Est-ce que devant les vôtres, en votre âme et conscience, vous acceptez de prendre le prince impérial Habte pour époux ?

 

On y était. Celestia sentit sa bouche devenir sèche. Elle se força à inspirer profondément. Allez, elle y était presque. Un oui, il répondait la même chose, et elle pouvait s'enfuir d'ici.

 

L'adolescente ouvrit la bouche.

 

_Elle ne le veut pas, annonça une voix derrière l'autel.

 

Surprise, comme tous les autres poneys et zèbres présents dans la petite cour intérieure, Celestia vit s’avancer une licorne en robe de bure, au pelage gris perle, à la crinière acajou, et au regard vert.

 

Torquemaneda foudroya la duchesse du regard. Il lui avait pourtant demandé de se tenir tranquille ! C'était leur accord pour qu'ils la fassent entrer dans l'abbaye pendant le mariage !

 

_Qui êtes vous ? demanda sèchement le shaman.

 

_Cela m'ennuie que des êtres aussi dégénérés que les zèbres entendent mon nom, mais après tout, il faut bien le faire. Je suis la duchesse Ira, descendante directe de la princesse Platinium. Et reine légitime des licornes.

 

_T'es une menteuse!

 

Tout le monde se retourna vers Luna, qui pointait son petit sabot accusateur sur la licorne.

 

_Tu peux pas être la reine ! Parce que c'est maman qui l'est la reine ! Et même que papa il est roi, et que Tia et moi, on est des princesses d'abord !

 

Ira resta interdite quelques secondes, sans savoir si la remarque de l'alicorne était touchante, ou juste pathétique.

 

_C'est justement ça que je viens régler ma petite, annonça Ira en faisant quelques pas en avant. Je viens reprendre la place qui m'est due.

 

Hélios se sentit brusquement très las, et se passa les sabots sur son visage. Mais ils avaient quoi tous, à vouloir le détrôner à la fin ?

 

_Ce que vous avez fait à la Veillée Chaleureuse ne vous a pas suffi ? lança sèchement Aztarté.

 

_Visiblement non puisque je suis là, gloussa la duchesse.

 

Le sourire mourut sur les lèvres de la licorne.

 

_Assez joué. Roi Hélios, abdiquez ici et maintenant en ma faveur. Et je vous laisse partir en paix.

 

La menace d'Ira fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Hélios se leva brusquement, et frappa du sabot contre le sol.

 

_Ca suffit ! cria t-il. D'abord à la Veillée, maintenant, le mariage de ma fille ! Je refuse de céder le trône à quiconque qui cherche à le prendre par la force !

 

_Alors vous refusez ?

 

_Je vous conseille de partir, l'avertit l'alicorne, avant que je n'aille chercher les gardes.

 

Ira ferma la bouche et hocha plusieurs fois la tête.

 

_Bien. C'est comme ça donc. Discord !

 

Un pégase en robe de bure s'avança du fond du préau jusqu'à se tenir à côté de la licorne. Celestia était hébétée. Ce n'était pas possible. Ce ne pouvait pas être Discord, pas son Discord, qui aidait cette espèce de malade !

 

_Prends ta vraie forme, ordonna la duchesse.

 

Et Discord se transforma. De pégase, il reprit son apparence véritable de draconequus, son corps longiligne, sa patte lion, sa serre d'aigle, sa queue de serpent...en quelques secondes, la bure était en lambeaux, et l'esprit du chaos s'était révélé à tous.

 

Ekundayo accusa le choc quelques secondes. C'était lui ! C'était la créature qu'il avait vue dans ses prophéties ! Celle qui détruirait le monde !

 

Se concentrant, le shaman se mit à invoquer la puissance des dieux par ses prières répétées. S'il n'agissait pas maintenant, l'avenir était condamné.

 

Ira remarqua le sorcier psalmodiant, et eut un rictus des plus méprisants.

 

_Sale sauvage, gloussa t-elle, tu crois pouvoir faire quelque chose contre moi ? Discord, efface son cœur.

 

Sans y penser, le draconequus tendit le doigt en avant, et de sa magie chaotique, il ôta le cœur d'Ekundayo. Le shaman s'arrêta au milieu de sa prière, la bouche grande ouverte, et glissa lentement à terre. Torquemaneda tenta de le relever, mais il baissa vite les bras devant l'évidence : le sorcier était mort.

 

_Vous avez compris de quel pouvoir je dispose ? éructa Ira d'un air triomphant. Je peux plier le monde à ma volonté !

 

Des prêtres de l'Ordre des Trois Sabots avaient commencé à rejoindre la cour centrale, intrigués par la grande créature qui s'y trouvait. Mais personne n'était aussi terrifié qu'Aztarté.

 

A la place d'Ira, elle voyait Lucimare. A la place de Discord, elle voyait Alkhali, Brouille et Confusion. Son cauchemar était devenu réalité. Tout recommençait.

 

La duchesse décida de sortir l'assemblée de sa torpeur.

 

_Discord, crée une tempête de chaos. La plus violente que tu puisses faire.

 

Le draconequus serra les dents, mais fut encore une fois incapable de se contrôler. Il joignit les pattes, et toute sa magie chaotique se concentra en un même point. Le vide, la corruption, et l'altération, se mêlaient, augmentant en puissance.

 

Il croisa le regard que lui jeta Celestia. Le regard de celle qui ne comprenait pas. Discord voulut tout lui expliquer, mais le fracas de la magie qu'il avait entre les pattes le couvrit totalement.

 

Le ciel s'obscurcit soudainement, et des éclairs de magie chaotique, échappèrent au moyeu que formait Discord. L'un d'entre eux toucha un arbre, qui disparut purement et simplement du paysage. L'autre frappa un prêtre qui devint soudainement gris, et se mit tout aussi brusquement à insulter ses frères de l'Ordre.

 

Hélios déglutit avec horreur. Si cette magie éclatait pour de bon, ça serait la fin d'Equestria. Tout serait ravagé, et ce, à tout jamais. Le roi imagina les effets du chaos sur son pays. Sur ce qui pourrait arriver si un éclair frappait Celestia, Luna, ou Aztarté.

 

Aucune couronne au monde ne valait ce prix là.

 

Il baissa la tête.

 

_D'accord, annonça t-il à Ira. J'abdique. Mais dites à Discord d'arrêter ça.

 

Ira sourit aussi fort que ses muscles faciaux le lui permirent. Elle avait gagné !

 

_Discord, obéis. Annule ton sort.

 

Le draconequus poussa un soupir de soulagement. Finalement, les choses ne tourneraient pas à la catastrophe absolue. Il ne pourrait pas revenir sur la mort du sorcier zèbre bien sûr, mais au moins, Celestia et sa famille allaient bien et...

 

Discord se glaça d'horreur : la tempête de chaos continuait de grandir !

 

_Arrête ta magie ! ordonna une nouvelle fois la duchesse. Ça suffit.

 

_Je n'y arrive pas ! répondit l'esprit du chaos affolé. Elle est beaucoup trop puissante !

 

Ira cilla plusieurs fois. Ça, elle ne l'avait pas prévu.

 

Le corps entier de Discord le brûla. C'était comme essayer de tenir le soleil entre ses doigts.

 

Et la tempête explosa.

 

Comme une bombe, le chaos se répandit dans l'abbaye, et au delà. Les éclairs de chaos sautaient d'un bout à l'autre de la cour, effaçant parfois des choses, en transformant certaines, en détruisant d'autres.

 

L'assemblée poussa un cri d'horreur.

 

Aztarté sauta sur Luna, pour la caler à l'abri entre ses pattes, tandis que Hélios galopait jusqu'à sa fille aînée, pour la tirer du passage des éclairs du chaos. Une des décharges du chaos rebondit sur un mur, qu'elle transforma en barbe à papa, avant de revenir en direction de l'autel. Discord vit clairement que l'éclair allait faucher le roi Hélios s'il ne faisait rien.

 

Le draconequus se concentra, se préparant à téléporter l'alicorne hors de la trajectoire.

 

_Discord protège-moi !

 

C'était la voix d'Ira. Discord se vit arrêter là son sort de téléportation, pour obéir aveuglément aux ordres de la duchesse. Spectateur de son propre corps, le draconequus entoura la licorne d'un charme de protection. Rien ne la frappa.

 

Ce qui ne fut pas le cas de l'éclair du chaos qui traversa le roi Hélios de part en part.

 

L'alicorne s'arrêta net dans sa course, et considéra son sabot droit avec intérêt. Il était devenu brun, et rugueux, comme l'écorce d'un arbre. Non en fait, à en juger par les petites vignes qui grimpaient le long de son corps, il était bien en train de devenir un arbre.

 

Hélios se tourna vers sa fille pour lui dire qu'il l'aimait, mais son sang se satura de chlorophylle. De la mousse envahit ses poumons, et de jeunes pousses bourgeonnèrent sur son cœur.

 

Au moment où il ouvrit la bouche, il ne cracha que de la sève.

 

Puis Hélios, roi des licornes, et père des princesses Celestia et Luna, mourut.

 

_Noooon !

 

Ce cri, plus un déchirement qu'une plainte, était celui de la reine Aztarté, qui venait de voir tomber son époux. Ce n'était pas possible se disait-elle. Hélios et elle avaient survécu à l'impensable. Ils avaient survécu à Lucimare. Ce n'était pas pour mourir ici, non, non !

 

_Qu'est-ce qui se passe maman ? Demanda la voix étouffée de Luna, toujours blottie contre sa mère.

 

_Rien ma chérie, répondit une Aztarté sanglotante. Des jeux...de grandes personnes.

 

Des jeux bien amers.

 

Celestia, hébétée, tituba jusqu'au cadavre de son père. L'alicorne était couché sur le flanc, une grande partie du corps parasitée par de l'écorce d'arbre, et des feuilles de vignes. Ce qui était probablement des racines traversait le poitrail du roi de part en part.

 

_Tu as tué mon père, gronda Celestia, les yeux embués de larmes en regardant Discord.

 

_Je ne voulais pas le faire ! se défendit le draconequus. Cel, je te jure que...

 

_Ne m'appelle pas comme ça ! hurla la princesse à s'en briser la voix.

 

Elle voulut se précipiter sur Discord pour lui ouvrir le crâne à coups de sabots, mais Habte la retint à même les pattes.

 

_Laisse moi passer ! cria Celestia au zèbre, cherchant à se dégager de son emprise.

 

_Non, objecta le leul évitant Celestia qui était à la limite de le mordre pour forcer le passage, je ne te laisserai pas te tuer !

 

Ira considéra la scène avec intérêt quelques secondes. Alors comme ça, les zèbres avaient malgré tout un minimum d'instinct de protection ?

 

Le regard de la duchesse traîna jusqu'au cadavre du roi. Elle n'avait pas prévu sa mort, juste sa destitution. Enfin, elle ne pouvait pas revenir en arrière, n'est-ce pas ?

 

Les éclairs chaotiques continuaient leur triste parcours, semant la destruction partout où ils frappaient, avec une force amoindrie cela dit. Ils semblaient s'user eux-mêmes. D'ailleurs, ils finirent même par réduire leur action, avant de s'évaporer soudainement dans la nature. L'abbaye était toujours autant défigurée par le chaos, mais la tempête en elle-même n'existait plus.

 

Luttant contre son fiancé, Celestia en déchira à moitié sa robe de mariée. Des perles et d'autres pierres précieuses, arrachées à l'étoffe, allèrent rouler dans l'herbe.

Celestia fut soudain entourée d'un halo, et brutalement tirée en arrière.

 

Elle se retrouva aux côtés de sa mère, qui la regardait d'un air grave.

 

_Chérie, tu vas partir.

 

_Non ! cria Celestia en retour. Il a tué papa ! Comment est-ce que tu veux que...

 

_C'est un ordre, dit sèchement sa mère. Tu ne peux rien faire contre Discord. Luna non plus. Je refuse de vous mettre en danger.

 

Celestia n'avait jamais vu sa mère avec un air aussi sérieux.

 

_Toi et Luna, vous partez tout de suite pour l'Elysium. C'est la plus grande montagne du pays, vous ne pouvez pas la manquer. C'est le seul endroit où vous serez en sécurité. Demandez l'asile à votre tante.

 

_Tante ? répéta Celestia. T'as une sœur ? Ou papa ?

 

_Moi, l'Empereur, et son fils, on va tenter de faire tout ce qu'on peut contre Ira et Discord. Même si on gagne pas, ça vous donnera le temps à toi et à Luna de vous en aller.

 

_Mais...mais...

 

_Ne discute pas Celestia. Va t-en.

 

Sa mère confia Luna à l'adolescente, et regarda ses filles avec une grande douceur.

 

_Quoiqu'il arrive plus tard, rappelez vous bien que vous êtes la meilleure chose qui soit jamais arrivé dans la vie de papa et moi.

 

Elle embrassa fugacement les deux alicornes sur le front, et d'un signe tacite de la tête, fit signe à Celestia de s'en aller.

 

L'adolescente déglutit, jeta un dernier regard brouillé de larmes à sa mère, déploya ses ailes et s'envola, Luna serrée contre elle, Philomena les suivant.

 

Aztarté regarda ses enfants jusqu'à ce qu'elles ne soient plus qu'un point dans le ciel. Puis l'attention de la reine revint sur la duchesse Ira, et sur Discord.

 

La licorne avait croisé les bras sur sa poitrine, et toisait l'alicorne d'un regard méprisant.

 

_Pendant que vous étiez aux adieux déchirants, j'en ai profité pour demander à Discord de s'occuper des sauvages. J'espère que ça ne vous dérange pas ? demanda t-elle, pointant de la patte deux tas de chairs ensanglantés dans lesquels on reconnaissait des lambeaux de peau noirs et blancs.

 

Aztarté baissa silencieusement le museau. Eliah et Habte avaient décidé de se sacrifier pour permettre à Celestia, et à Luna de s'enfuir. Ces zèbres avaient été de vrais héros.

 

L'alicorne releva le visage, et foudroya Discord d'un regard noir.

 

_J'ai cru que tu étais différent Discord. Vraiment. Que ce n'était pas parce que tu étais un draconequus que tu étais mauvais.

 

_Ce n'est pas de ma faute ! s’excusa Discord. Elle m'oblige à...

 

_C'était ce que disaient tes frères à l'Elysium, tempêta la reine, alors que la magie envahissait son corps. Et tu avais presque fini par me le faire croire.

 

La crinière évanescente noire d'Aztarté se dressa au dessus d'elle, alors que son être saturait d'énergie magique.

 

_Mais j'ai compris maintenant. Rien de bon ne peut naître d'un draconequus. Rien. Ta place est au Tartare, avec les tiens !

 

Une décharge d'énergie magique partit de la corne de la jument, droit sur le draconequus. Il se défendit par réflexe, modifiant la réalité de l'air devant lui pour dévier le tir.

 

La reine serra les dents, et se prépara à utiliser le tout pour le tout. Elle faisait face à ce que Lucimare utilisait ? Très bien. Elle utiliserait ce qui avait marché il y a sept ans, contre la dictatrice.

 

Aztarté ferma les yeux, et en appela à la toute puissance de la magie alicorne. Elle en appela aux Elements.

 

Elle n'avait que très peu de chance pour que ça marche : les six pierres étaient à l'Elysium, en sécurité, presque inertes après leur utilisation massive contre Lucimare et ses partisans.

Sans leur présence physique, elle ne pourrait pratiquement rien faire.

Mais c'était une chance qu'elle devait saisir.



Puisant dans les ultimes réserves de sa magie, Aztarté réussit à invoquer le sort le plus puissant qu'elle put trouver. Il prit la forme d'un étroit faisceau de couleur arc-en-ciel, qui s'en alla frapper Discord.

 

Comme il y a quelques instants, le draconequus tenta de dévier le tir, mais cette fois, le rayon arc-en-ciel franchit sa barrière, et le frappa en plein cœur.

 

Le draconequus eut l'impression de recevoir un coup de marteau dans la poitrine. La douleur l'obligea à fermer les yeux.

 

Quand il les rouvrit, il eut la surprise de découvrir qu'une minuscule zone de son poitrail était devenue grise, et dure comme la pierre. Pierre qui s'effrita l'instant d'après, ne laissant aucun dommage sur la poitrine de l'esprit du chaos.

 

Complètement vidée, Aztarté sentit ses pattes fléchir, et elle tomba au sol. Elle le savait, toute seule, elle n'avait eu aucune chance que ça marche. Mais elle avait eu raison d'essayer.

 

De sa vue troublée, la reine aperçut Ira se pencher sur le cadavre d'Hélios, murmurer quelque chose, et se rapprocher d'elle. La licorne recommença le même manège, et Aztarté sentit un des minuscules pouvoirs qu'elle avait encore, glisser hors d'elle.

 

_Je vous reprends la charge de la lune, expliqua Ira. Vous aurez un peu de mal à faire ce travail une fois morte, n'est-ce pas ?

 

Aztarté ne répondit pas. C'était d'ailleurs une question rhétorique.

 

_Discord, dit la licorne, pointant la reine étendue sur le sol, finis-là. C'est un ordre.

 

L'alicorne vit le draconequus se rapprocher d'elle, et lever sa griffe.

 

_Tu m'as beaucoup déçu.

 

_Pardonnez-moi, l'implora l'esprit du chaos en abattant serre sur l'alicorne.

 

Ira considéra le spectacle qui s'offrait à elle, l'abbaye à moitié détruite, tous les morts...il faudrait qu'elle demande à Discord de s'occuper des pégases d'ailleurs. La dernière fois, ils n'avaient pas été pour rien dans l'échec du coup d’État.

 

Alors que la duchesse se demandait quelle mesure raciale faire passer en premier, son regard fut attiré par une forme rouge, sous un énorme morceau de pierre.

Elle s'en approcha pour découvrir que c'était le Chancelier Strawberry, à moitié écrasé par un des blocs de l'abbaye. Et aussi étonnant que cela pouvait paraître, il respirait encore.

 

_L'inverti est toujours en vie à ce que je vois, commenta t-elle.

 

_Parce qu'en plus d'être raciste, vous êtes homophobe ? lui répondit le terrestre, toujours d'un ton très aimable. Y a un défaut que vous avez pas, ou vous êtes un genre de concept dans le négatif ?

 

Ira sourit au trait d'humour.

 

_Ça ne vous fait rien de vous dire que si vous aviez accepté de me suivre il y a six mois, vous n'en seriez pas là ?

 

_Vous m'auriez éliminé il y a six mois. Donc non.

 

Ira lui concéda le point.

 

_Vous avez quelque chose à dire avant que j'abrège vos souffrances ?

 

_En fait oui. Ne le prenez pas personnellement hein, mais de l'avis de mon ami, le Commandant Tramonstane, que vous avez fait assassiner, vous en étiez une belle. Je m'étais toujours dit qu'il exagérait mais en fait, je commence à me demander s'il avait pas raison en fait.

 

_Une belle quoi ?

 

_Une belle salo...

 

La phrase de Strawberry mourut alors qu'Ira lui enfonçait le sabot dans la gorge. La licorne maintint la pression jusqu'à ce que la trachée craque.

 

Puis, elle s'essuya la patte sur l'herbe. Les derniers mots d'un mourant oui. De la grossièreté non. C'était bien la raison pour laquelle elle n'aimait pas ces paysans de terrestres, tiens.

 

_Viens Discord, ordonna t-elle au draconequus qui restait silencieux devant les cadavres des parents de Celestia. On a un royaume à fonder.

 

_Non, répondit Discord.

 

_Pardon ?

 

_Non. Vous m'avez trompé. Vous m'aviez dit que personne ne serait blessé.

 

_Les choses ne se sont pas passées comme je le voudrais. Mais on ne change pas le passé Discord.

 

_A cause de vous j'ai tout perdu. Celestia pense que j'ai tué volontairement ses parents ! Elle me hait maintenant !

 

_Tu ne vas pas pleurer pour cette gamine, si ?

 

Discord sentit la colère affluer en lui. Une rage pure et brûlante.

 

Il fit un pas menaçant en direction de la licorne, qui le toisa avec froideur.

 

_Tu es sérieux ? Tu oublies que je dis quelque chose, et tu le fais ? Alors maintenant Discord, je te conseille d'arrêter de prendre cet air là avec moi, ou je t'oblige à traquer et à tuer ta petite amie.

 

Ce fut au tour de Discord de jeter un regard mauvais à la duchesse.

 

_Vous ne pouvez pas m'ordonner quoi que ce soit si vous ne parlez pas, pas vrai ?

 

_Mmmmm !

 

Ira stoppa net au son de sa voix. Par sa corne, qu'est-ce qui se passait ?

 

_Mmmmm !

 

Elle toucha sa bouche de ses sabots, pour découvrir avec horreur que Discord avait fait fusionner ses lèvres. Ira était devenue muette.

 

_Mmmmm ! MMMM !

 

Discord regarda la duchesse d'un air triomphateur.

 

_Vous vouliez la couronne ? Vous l'avez.

 

Il claqua des doigts. Aussitôt, Ira sentit une douleur inimaginable la saisir à la corne. Un peu comme les poussées de croissance de l'adolescence, en mille fois plus douloureuses. Elle tâtonna à la recherche de son appendice, et le sentit changer de forme.

Sa corne s'évasait, faisant lentement le tour de sa tête, comme un diadème.

 

Ou une couronne.

 

Ira tenta d'arrêter le phénomène magiquement, mais avait trop mal pour se concentrer. Ses tentatives d'arracher la couronne d'os à même les sabots ne fut pas plus fructueuses.

 

_Elle est peut-être un peu lourde à porter, non ?

 

Discord claqua des doigts une nouvelle fois. La corne-couronne s'enfonça alors lentement dans le crâne d'Ira, centimètre par centimètre, broyant ce qui se trouvait sous elle.

 

Folle de douleur, la duchesse se roula en boule sur le sol, alors que la couronne d'os continuait inexorablement sa funeste descente. Discord se demanda si avec le son, ça ne serait pas meilleur.

 

Il claqua des doigts, et annula son premier sort. Les lèvres de la licorne se descellèrent.

 

Trop occupée à hurler, et à tenter de résister contre sa propre corne qui s'enfonçait maintenant dans son cerveau, Ira ne put donner de contre-ordre clair et intelligible à Discord.

 

Ce dernier fit apparaître un seau de pop-corn, et s'assit sur une grosse pierre pour profiter du spectacle qui s'offrait à lui.

 

Il prit sa première poignée quand la matière grise de la licorne commençait à être réduite en pulpe.



¤¤¤



Celestia commença à fatiguer. Elle volait depuis des heures, et se serait probablement endormie si elle ne se répétait pas constamment que Luna était sur son dos, et qu'elle devait protéger sa petite sœur à tout prix.

 

Elles avaient atteint la montagne depuis près d'une heure, mais l'alicorne tournait en rond autour de son sommet, sans jamais savoir où précisément aller.

 

L'adolescente avait de plus en plus peur de succomber à la fatigue, et de condamner Luna avec elle.



Elle somnolait déjà, à survoler ce qui semblait être mille fois la même paroi rocheuse, quand Philomena la dépassa, et d'un cri, sembla inviter sa maîtresse à la suivre. Celestia se laissa guider.

 

Phénix et alicornes traversèrent un banc de nuage. Et au delà, Celestia la vit : une ville bâtie à flanc de montagne, faite de verre et de cristal. Une cité dont les murs renvoyaient le spectre de l'arc-en-ciel.

 

Celestia sourit, et s'écrasa plus qu'elle ne se posa sur la plate-forme la plus proche.

 

Alors qu'elle sentait qu'on s'approchait d'elles, elle s'évanouit.

 

L'Elysium.

 

Elles étaient arrivées.

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constantoine
constantoine : #13544
Vachement triste
Il y a 3 ans · Répondre

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