Chapitre Quatre
"Ce que Sa Majesté doit comprendre, c'est que notre nation ne se bat pas contre des hommes mais contre des suppôts de l'Enfer : prenez les allemands et les pointes qu'ils arborent sur leurs casques, ou les autrichiens et leur mélange détestable des races. Quand aux ottomans, je préfère ne pas en parler. Ils sont mahométans, cela veut tout dire."
"Certes monseigneur, j'entends vos idées mais pour ce qui est des poneys ? Sont-ils mauvais ?"
"Ils sont jetés du même moule, sire. Pardonnez moi cette question mais enfin, que croyez-vous que chevauchent les cavaliers de l'Apocalypse ? Des bicyclettes ?"
Discussion entre Rendall Davidson, archevèque de Canterbury et George V, roi de Grande Bretagne et d'Irlande, le 25 mai 1915, au palais de Lambeth.
Blueblood, prince impérial et chef naturel autant que fantoche de la résistance equestrienne sortit de sa tente après avoir, comme chaque matin, passé de longues minutes à brosser sa crinière. Le Prince n'avait jamais négligé son apparence, déjà à l'époque où il n'était qu'un riche oisif à la cour princière et aujourd'hui, il n'avait pas abandonné cette manie, leader des partisans ou non.
Le Prince croisa plusieurs poneys qui lui donnèrent de profonds signes de tête en guise de bonjour. Blueblood, habitué à sentir les mensonges des licornes bien nées sous leurs sourire à l'époque de Canterlot n'eut aucun mal à arracher les masques d’hypocrisie que se collaient les partisans. Les rebelles ne l'aimaient pas. Et cela ne tombait pas si mal parce que Blueblood ne les aimait pas non plus.
Le Prince aurait donné cher pour être à nouveau à Canterlot, entouré par la bonne société, à goûter aux plaisirs de la vie plutôt qu'à se briser l'échine sur un lit de camp bon marché au sommet de montagnes où chaque pas était un martyr pour les sabots.
A la place, l'Histoire avait fait de lui un révolutionnaire. Et Blueblood n'était pas le genre de poney - ou de licorne, techniquement - à rejeter son destin. Il avait était le seul quand Equestria toute entière cavalait à la guerre à s'y opposer. Plus parce qu'il pensait que se battre c'était terriblement populaire qu'autre chose mais le fait était là. Quand Luna, sa tante, devenue Impératrice d'Equestria avait appelé ses sujets à rallier les corps expéditionnaires, Blueblood avait dit non.
Blueblood était sans doute un être superficiel et avec une haute opinion de lui-même, mais il connaissait Equestria.
Il l'aimait.
Il aimait sa nation et c'était précisément pour cela qu'il n'avait pas voulu la guerre. Car Equestria n'était pas ainsi faite.
Equestria était un joyau. Une gemme magnifique. Mais pas un diamant. Equestria était fragile, précieuse.
Elle cassait sous le choc de l'inconnu. Et cette Grande Guerre était plus qu'un choc de l'inconnu.
C'était un séisme de l'occulte.
Même au cours des premiers succès des armées allemandes en Belgique et en France, Blueblood n'avait pas révisé son opinion.
Il avait continué d'affirmer qu'il fallait tout arrêter au plus vite, se retirer dans les frontières equestriennes, rétablir le sort d'isolation que la Princesse Celestia avait brisé. On l'avait pris pour un fou. Un original ou un idiot qui ne voyait même pas que Paris tomberait comme un fruit mûr dans le creux du sabot des poneys et que la race equestrienne pourrait imposer ses volontés aux humains en leur faisant regretter la mort de leur Princesse.
Puis il y avait eu la Marne. Et l'immobilisation du front. Le peuple s'était dit que la chance finirait par basculer de leur côté.
Blueblood lui, savait que s'il ne faisait rien, sa patrie tomberait.
Alors il avait réagi. Peut-être plus pour préserver sa vie de luxe et ses appuis que par réel intérêt national mais il avait agi. Il avait tenté de prendre le contrôle de Canterlot en l'absence de sa tante et de signer un armistice immédiat. Après tout, il était légalement un prétendant à la couronne. Le droit de succession equestrien était flou, du fait que Celestia n'ait pas eu d'enfant ou d'héritier direct.
Le bon sens et la tradition avait apporté la couronne à Luna mais en s'appuyant sur le droit canon, Blueblood avait clamé le titre de Prince d'Equestria, quand bien même la principauté était devenue Empire.
Le coup d'Etat fut un terrible échec, l'obligeant à s'exiler avec une poignée de fidèles dans les Alpes où le hasard leur avait fait rencontrer leurs premiers alliés humains, les contrebandiers italiens.
Blueblood avait cru qu'ils devraient rester là jusqu'à ce que la guerre s'achève et qu'ils viennent demander pardon en rampant aux pattes de l'Impératrice. Mais la guerre ne s'était pas finie rapidement.
Au fur et à mesure qu'elle avait duré, les rangs de la rébellion avaient grossi, nourris par les poneys qui n'en pouvaient plus, ou les ennemis politiques de Luna.
La rébellion avait un but, l'arrêt du conflit et une ennemie, Luna. Il leur manquait un chef et pour avoir été le premier à s'opposer à la guerre, Blueblood fut paré du titre.
Malgré leur nombre relativement important, les partisans n'avaient jamais représenté de vraie menace pour Canterlot. Et Blueblood était plus que satisfait au fond, de n'être qu'un insecte un peu énervant, qui tournait autour de la crinière de sa tante pendant qu'elle se dépêtrait avec la Grande Guerre. Au moins, ils étaient plus ou moins tranquilles dans les Alpes. Ils restaient en haut et personne ne les en chassaient.
Enfin ça c'était le statu quo d'avant ces derniers mois. Avant qu'on ne bafoue ses ordres, que des membres de la rébellion ne décident d'attaquer un poste-frontière equestrien et surtout, avant que la Triple Alliance ne subisse un terrible revers à l'ouest.
Les informations qui leur parvenaient par leurs alliés italiens étaient confuses mais il semblait que les français aient percé les Flandres et donné l'assaut qui avait brisé l'équilibre des forces. Depuis, ça serait la panique à l'ouest comme à l'est, la Triplice tentant de sauver ce qu'elle pouvait pendant que l'Entente exploitait du mieux qu'elle le pouvait son avantage.
Dans un sens comme un autre, la rébellion equestrienne aurait bientôt un rôle à jouer. Ne serait-ce que parce qu'elle pourrait aider les italiens et les autres forces de l'Entente à passer par les Alpes pour en finir avec le régime impérial de Luna.
Blueblood continua sa progression dans le camp jusqu'à ce qu'il trouve la personne qu'il cherchait : Fancypants, ancienne coqueluche de Canterlot et désormais son principal adjoint était en train de jouer à même le sol, comme si de rien était avec ces trois pouliches qu'ils avaient du recueillir...ah comment s’appelaient-elles encore ?
Swifty Ball, Appleblam et ? Oh et puis ça n'avait aucune espèce d'importance. Blueblood ne les aimait pas.
La rébellion n'avait rien à faire de pouliches et si le Prince avait pu agir à sa guise, il aurait renvoyé les petites d'où elles venaient. Et peu importe que l'une soit la petite sœur d'Applejack, une des meilleures partisanes. Ils menaient la résistance dans la montagne, ils ne faisaient pas du baby-sitting.
Fancypants, comme la majorité des rebelles, pensait différemment. Il avait débattu avec son chef pendant près de trois heures montre en sabot pour lui expliquer par A plus B que la présence des pouliches serait plus bénéfique que maléfique pour la résistance, à commencer parce qu'elles changeraient les idées aux poneys et que le simple fait qu'elles soient des enfants rappellerait aux combattants leur famille et leurs proches, leur donnant une raison supplémentaire de lutter.
Blueblood avait fini par abandonner. Et puis c'était vrai qu'au fond, tout au fond, il n'aurait pas eu le cœur de renvoyer les petites vers l'inconnu. Même quand la pégase orange avait réussi à bouter le feu à une partie déserte du camp pour que ses amies puisse l'éteindre et gagner une cutie mark de pompier. Elles étaient assez mignonnes dans leur genre. Et heureusement pour elles parce que sinon, aucun partisan n'aurait hésité à offrir une session de vol gratuite aux trois pouliches, terrestre et licorne comprises par dessus les Alpes.
Le Prince s'éclaircit la gorge et attendit que Fancypants se reprenne. La licorne remarqua la présence de Blueblood, roula sur le côté et se remit bien droit sur ses pattes. Le Prince nota que le costume de la licorne alors qu'il venait de s'ébattre dans la poussière était totalement immaculé. Un véritable tour de force.
Fancypants essuya son monocle de son mouchoir de soie par télékinésie et faisant comprendre aux pouliches qu'il reviendrait auprès d'elles plus tard, il se mit à cheminer en compagnie du Prince.
Les deux licornes ne dirent rien pendant de longues secondes avant que Blueblood ne se décide à briser le silence :
_Vous semblez bien vous entendre avec ces enfants, mon ami.
_Je suppose que j'essaye de rattraper quelque chose, répondit Fancypants avec une ombre de sourire. Vous savez que Fleur de Lys et moi-même, nous ne pouvons avoir d'enfants de notre sang. Alors je dois avoir tendance à considérer tous les poulains et toutes les pouliches d'Equestria comme les miens quelque part. Après tout, n'est-ce pas le rôle de la noblesse, Prince ? De se poser en parents par devant ses sujets ?
_Vous n'êtes pas noble, répliqua Blueblood d'un ton froid mais sans méchanceté aucune. Vous êtes un bourgeois.
_Nous nous comprenons, sire, dit la licorne en haussant les épaules.
_Puisque vous me parliez de votre compagne, lança le Prince en changeant de sujet, je présume que vous n'avez toujours pas de nouvelles d'elle ?
_Elle doit toujours être à la cour de votre tante, majesté, répliqua la licorne au monocle. Je ne vous apprendrais rien en vous disant que Fleur a pris très au sérieux le serment d'allégeance que nous avons juré en arrivant à Canterlot, il y a des années. Elle considère que sa parole est liée au trône, pour moi, c'était à la personne de feu votre tante Celestia. C'est par fidélité à Canterlot et à Equestria plus qu'envers Sa Majesté Impériale elle-même que Fleur est restée à la cour.
Blueblood s'immobilisa brusquement, comme s'il cherchait ses pensées.
_Elle vous manque ? questionna t-il après un temps de réflexion.
_Elle est le soleil de ma vie sire, répondit Fancypants avec un sourire triste. On a froid loin des étoiles.
Le Prince se tint silencieux comme si quelque chose d'important ou de similaire occupait ses pensées. Puis il eut un brusque mouvement du museau comme pour chasser ces idées et se forcer à se concentrer sur la raison pour laquelle il était venu chercher son éminence grise.
_Fancy, est-ce que nos espions ont confirmé nos soupçons ?
_Absolument votre Majesté. Tous les rapports ne s'accordent pas mais en les recoupant nous arrivons à une idée assez claire de la situation : l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie sont totalement désorganisées depuis trois semaines avec la percée des Flandres. Une mutinerie aurait éclaté à Kiel il y a deux jours et le reste de l'armée du kaiser Guillaume pourrait suivre rapidement. L'Impératrice Luna rappelle ce qu'elle peut sauver dans les frontières de l'Empire mais le peuple grogne.
_Equestria se soulève contre ma tante ? demanda Blueblood, mi-surpris, mi-excité.
_Encore une fois sire, dit Fancypants, tempérant l'ardeur du Prince, les rapports sont confus et se contredisent. Mais je pense personnellement qu'Equestria est lasse des privations et des efforts de guerre. Il ne faudra pas attendre longtemps avant que les poneys ne prennent les choses en sabot.
Blueblood marqua une seconde de réflexion, jetant un coup d’œil aux immenses plaines que l'on apercevait depuis le haut des montagnes.
_Est-ce le bon moment pour marcher ?
_Les poneys sont gonflés à bloc si vous me permettez l'expression. La plupart rêvent de ce jour depuis des mois. Ils n'attendent que votre ordre.
_Ne jouez pas au politicien, Fancypants, répliqua Blueblood avec une moue agacée. Répondez à ma question. Devons nous marcher ?
_Si nous nous mettons en route aujourd'hui sire, nous pourrons profiter de la ferveur populaire pour tenter le coup de force et déposer votre tante. Nous pourrons ensuite signer les accords de paix avec l'Entente avant que l'Italie ou une autre nation n'envahisse Equestria. Si ça devait se produire, l'esprit de résistance étoufferait la volonté de paix et le peuple se rassemblerait sous la garde de Sa Majesté Impériale. Nous passerions pour des traîtres aux yeux d'Equestria, plus seulement de la cour impériale.
_En un mot comme en cent mon ami, vous me conseillez de nous mettre en branle ?
_C'est mon avis. Mais l'ordre doit venir de votre majesté.
_Très bien, déclara le Prince après avoir frotté pendant de longues minutes ses sabots les uns contre les autres. J'espère que les gardes-frontière ne nous poseront pas trop de problèmes.
_Ils plieront devant le poids du nombre, affirma Fancypants en connaisseur. Eux aussi sont fatigués de la guerre. J'insiste cependant sur le fait sire, que cette marche sur Canterlot devra se faire pacifiquement. Nous ne voulons pas voir le sang equestrien couler. Il n'a que trop été versé ces derniers mois.
_C'est entendu, déclara Blueblood en s'éloignant à petits pas en direction du centre du camp. Je vais rassembler les troupes et leur parler. Je compte sur vous et sur les autres chefs pour se charger des détails.
Fancypants opina du chef et laissa le prince impérial se charger de son discours. La licorne se tourna à son tour vers le beau panorama equestrien, encore noyé dans la brume matinale et se laissa aller à quelques suppositions et hypothèses de travail. Ce qu'il faudrait faire si le peuple s'était finalement rallié à l'Impératrice ou au contraire, l'avait déjà détrônée quand ils arriveraient à Canterlot. Comment faudrait-il gérer la présence des troupes humaines, de l'Entente autant que de la Triple Alliance, tout autour des montagnes, des différents courants qui s'agitaient dans le mouvement de la résistance.
Il pensa à Fleur de Lys aussi.
Une pression légère sur son arrière-train le tira hors de ses pensées et le fit se retourner. La petite Applebloom, un grand sourire collé au visage, agitait son sabot en un geste vainqueur.
_J't'ai touché ! C't'toi le carpocaspe main'nant ! A toi de m'attraper ! cria t-elle en cavalant au loin rejoindre ses amies.
Fancypants sourit, essuya son monocle et se mit à galoper à la suite de la pouliche. Il aurait encore de nombreuses occasions de se consacrer à la guerre dans les jours à venir mais de jouer avec les petites, c'était bien moins sûr.
Autant profiter de l'instant.
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