Ma mémoire

J’avais frappé à la porte de la bibliothèque, que Spike était venu ouvrir. « Twilight, elle est là ! avait-il lancé.

— Merci, Spike. Qu’est-ce que Twilight me veut ? avais-je demandé.

— Oh, elle te l’expliquera dans une minute, Scootaloo, avait répondu Spike. Assieds-toi. »

Il me mena à la table, sur laquelle se trouvaient des cookies. Je me servis et pris même un peu du thé qui les accompagnait. J’aurais préféré du lait, mais ma tante ne pensait pas toujours à me nourrir, alors j’avais l’habitude de manger ce qui se présentait.

Après quelques minutes, Twilight descendit les escaliers et arriva alors que j’étais en train de lécher les pépites de chocolat dans l’assiette.

« Scootaloo, je suis contente que tu sois venue. » Twilight sourit et s’assit de l’autre côté de la table, remplissant ma tasse et réchauffant le thé avec sa magie.

« Ouais, j’ai vu ta lettre en vérifiant le courrier. Je, euh… merci de ne pas avoir essayé d’entrer. » J’auscultai mes sabots et enlevai quelques miettes qui s’y étaient logées.

« Il n’y a pas de quoi. Je voudrais te parler de Dash. »

J’ignorais le nœud qui se formait dans ma gorge, m’efforçant de ne pas pleurer. Elle était inconsciente depuis des semaines, et c’était arrivé juste après qu’elle m’a promis de me prendre sous son aile. « Ouais ? répondis-je.

— Tu serais prête à tout pour la sauver, n’est-ce pas ? »

Je levai les yeux vers son visage. « Bien sûr que oui ! Pourquoi, elle va mieux ?

— Malheureusement, non. » Twilight prit une gorgée de sa tasse et me sourit. « Mais je pense savoir comment tu peux l’aider, Scootaloo.

— Comment ? Quoi que ce soit, je veux le faire !

— Elle est en état de mort cérébrale, Scootaloo. Est-ce que tu sais ce que ça veut dire ?

— C’est comme ma tante ? » Je me demandai si elle allait bien. Je l’avais laissée seule à la maison, près de la fenêtre.

« Non, ta tante est atteinte par la maladie d’Alzheimer. Dash n’a aucune activité cérébrale, et on ne peut pas lui donner de nouveau cerveau. Par contre, je peux tenter quelque chose d’autre.

— Quoi ?

— Je peux utiliser ma magie pour te transférer dans Dash ; tu sauverais ton idole et tout le monde t’en serait infiniment reconnaissant ! »

Mon souffle se coupa, et je me sentis hésitante. J’avais souvent rêvé d’être Rainbow Dash le temps d’une journée, mais est-ce que je voulais vraiment lui prendre son corps ? « Ça peut la sauver ?

— Oui, je peux restaurer ses souvenirs grâce à toi. Tu pourras mener ta vie en tant que Dash, les Éléments de l’Harmonie seront épargnés, et je promets de prendre soin de ta tante.

— Je peux m’en occuper moi-même, en étant Dash. » Je commençai à remuer mes sabots, me demandant si ça allait faire mal.

« Non, Scootaloo. Il faudra que tu fasses croire à tout le monde que tu es Dash. C’est le seul moyen pour que cela fonctionne ; ta tante sera transférée dans une maison de retraite à Cloudsdale. Tu ne la verras plus, mais elle vivra les dernières années de sa vie heureuse.

— Et moi ? Est-ce que je vais mourir ?

— Non, tu feras partie de Dash.

— Je parle de mon corps, répondis-je.

— Je ne sais pas. Tu seras Dash. Il est possible que ton corps hiberne ou meure, mais je prendrai soin de toi. »

Je bâillai et étirai mes petites ailes. « Elle l’aurait fait pour moi, donc je vais le faire pour elle. D’accord, Twilight, j’accepte. » Twilight esquissa un sourire et me fit signe d’aller sur le canapé. « Pourquoi tu ne ferais pas une sieste ? Tu dois être fatiguée.

— Est-ce que la magie me fera mal ? demandai-je.

— Non. Quand tu te réveilleras, tu seras Dash, et ta tante sera prise en charge. »

Je me dirigeai vers le canapé, ressentant déjà les effets de la fatigue. Elle m’aida à m’installer, et je ne tardai pas à m’endormir.

***

« C’est la vérité, Dash ! » implora Twilight.

J’entendais encore les cris des autres, et Applejack essayait de me séparer de Twilight avec l’aide de Rarity. Je l’avais clouée au sol par la crinière, de part et d’autre de son cou. Mon poids la maintenait en place, et, même si elle pouvait faire usage de sa magie, elle ne le faisait pas.

« Tu dirais n’importe quoi pour te sortir de là après tous les mensonges que tu m’as dits ! Si j’étais Scootaloo, je m’en souviendrais forcément ! lui hurlai-je au visage.

— S’il te plaît, sucre d’orge, laisse-la ! » lança Applejack. Elle changea de tactique et me tordit une aile au lieu de me tirer sur la queue.

« Arrête ! criai-je, tapant sa patte pour la repousser. Elle n’avait pas le droit de faire ça ! » Je projetai un sabot, manquant son visage de peu.

« Je… je t’en prie, Dash. Je pensais que cela marcherait ! »

Je regardai à nouveau Twilight ; je ne vis plus la jument prétentieuse que j’accusais d’avoir ruiné ma vie. Elle avait du sang coagulé sur les joues, et elle s’était mise à pleurer en donnant son explication. Ses pattes avant tremblaient contre moi tandis que je la menaçais, le visage déformé par la colère.

Je battis des ailes pour me soulever au-dessus des autres. Fluttershy parvint à atteindre Twilight la première, enveloppant la jument éplorée de ses ailes. Pinkie et Rarity s’approchèrent pour la réconforter, et j’atterris près de la cuisine.

J’y entrai, à la recherche de quelque chose de solide. Le mur voisin semblait approprié, et j’évacuai ma colère en le frappant à plusieurs reprises.

« Tout va bien, sucre d’orge ? s’enquit Applejack.

— Comment je suis censée le savoir ? rétorquai-je. Je ne suis même pas moi-même puisqu’elle a enfermé Scoot dans mon corps ; je ne l’aurais jamais laissée faire si j’avais su ! »

Applejack entra en souriant. « Allez, viens t’asseoir. » Elle attendit que je vienne m’installer près du mur, puis s’assit à son tour. « Bon, qu’est-c’tu veux dire par “si j’avais su” ? Elle a dit qu’tu t’es portée volontaire.

— Scootaloo s’est proposée, mais je ne suis pas elle. Je me rappelle juste que je suis Dash, à part ces dernières semaines, vu que tout part en vrille. Et je… Dash n’aurait jamais demandé une chose pareille à Scootaloo ! »

Je me crispai lorsqu’Applejack se mit à me caresser entre les ailes. J’étais apaisée par la façon qu’elle avait d’évacuer ma tension ; elle m’aidait à y voir plus clair en dépit du geste impulsif que j’avais eu à son encontre.

« C’qu’elle a fait est mal, une pouliche devrait pas être confrontée à ce genre de décision. C’est presque d’la manipulation, mais qu’est-c’qu’on peut bien y faire maintenant ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas. Qu’est-ce que Dash ferait ? » Je soufflai, avant de pousser un petit soupir d’aise lorsqu’elle atteignit une zone particulièrement froissée.

« Dash était loyale, et même si j’sais qu’on s’est pas mal disputées, c’était ma meilleure amie. »

Nous restâmes là un moment tandis que je réfléchissais à mes possibilités. J’en vins à la conclusion que la seule chose que Dash aurait faite, c’était de protéger Scootaloo. Puisque j’étais Scootaloo, je devais donc me protéger moi-même et obliger Twilight à me remettre dans mon vrai corps. Mais, en faisant ça, je choisissais de délibérément tuer Dash.

« Je pense qu’elle voudrait revenir sur ce que Twilight a fait.

— J’dois admettre que c’est c’que Dash aurait voulu. Elle aurait pas d’mandé à Scootaloo d’mourir pour elle, dit Applejack.

— Elle a dit qu’il était possible que le corps soit encore en vie ; je pense que c’est le moment de vérifier. »

Je me levai et retournai dans la pièce principale. Twilight avait l’air un peu remise, et Rarity passait une brosse dans ses crins. Fluttershy s’amusait discrètement d’une blague qu’elles venaient de partager.

« Twilight », commençai-je. Tout le monde s’arrêta de glousser et me regarda d’un air sinistre. « Qu’est-ce qui est arrivé à Scootaloo après l’opération ? »

Twilight prit quelques inspirations, puis expira un grand coup. « Elle a survécu, mais elle est en état de mort cérébrale. Je l’ai transférée à l’hôpital pour qu’elle y soit admise, mais elle ne se réveillera jamais.

— Elle est en moi, mais je veux que tu la remettes à sa place. »

Twilight se leva en secouant la tête. « Non, c’est impossible ! Non seulement cela pourrait te tuer, mais que se passerait-il si Chrysalis revenait ? Tu crois que Discord resterait tranquille si ton élément devenait inactif ? »

Fluttershy laissa échapper un bruit d’indignation. Je la vis ouvrir la bouche pour reprendre Twilight, mais elle renonça, prenant le parti judicieux de rester hors de la dispute.

« Ce n’est pas à toi de décider, c’est à moi. Tu as fait du bon boulot en me transformant en Dash, à tel point que je sais qu’elle ne t’aurait jamais laissée sacrifier Scootaloo pour se sauver.

— Je refuse, Dash ! Je ne peux pas encore te perdre. C’était si compliqué et épuisant de te rendre heureuse ! Tu méritais d’entrer chez les Wonderbolts, d’avoir une famille, et une belle vie. Personne ne devrait mourir si jeune !

— Scootaloo ne méritait pas tout ça ? répondis-je.

— Bien sûr, comme si tu en avais jamais eu quelque chose à faire ! Tu la laissais chercher son talent dans son coin et rentrer chez sa tante invalide tous les jours ! J’ai voulu rendre sa vie meilleure, et tu as pu être sauvée par la même occasion ! » Twilight me regardait droit dans les yeux, les sourcils froncés. « Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai fait !

— Bordel ! » Je martelai le sol avec force. « Tu as peut-être sauvé Dash, mais tu as détruit notre amitié ! Je m’en vais. »

Je me tournai et ouvris la porte de la bibliothèque d’un coup sec, avant de m’envoler. Des larmes commençaient à troubler ma vue ; je ne voulais pas que les autres me voient comme ça. Une fois en vol, je scrutai le ciel à la recherche de ma maison pour y retourner. Je l’atteignis rapidement et y entrai, m’écroulant sur le canapé.

Je n’avais pas perdu confiance en moi comme ça depuis le concours du Best Young Flier. Je me souvenais de tous les dossards que j’avais échangés, et de la manière dont j’avais sauvé Rarity et les Wonderbolts. Les sensations et les souvenirs semblaient très réels, mais, à présent que je savais qu’ils ne l’étaient pas, ils n’avaient aucun sens.

Le soleil était en train de se coucher lorsque j’entendis des sabots s’aventurer sur mon plancher. Je levai les yeux et vis Fluttershy et Thunderlane, qui s’approchaient pour m’examiner. « Allez-vous-en, dis-je.

— On s’inquiète pour toi. J’ai dit aux autres que ce n’était peut-être pas le bon moment pour qu’elles viennent avec la montgolfière, expliqua Fluttershy.

— Elle est tombée sur moi en cherchant la patrouille météo sur le chemin de ta maison, et elle nous a tout raconté, ajouta Thunderlane. Je suis désolé de m’être énervé contre toi, et je veux que tu saches que tu peux prendre autant de congés que tu as besoin.

— Merci, mais je vais bien. Partez. » Je me roulai en boule et fermai les yeux, dans l’espoir de leur cacher la vision pitoyable que je devais offrir.

Je sentis le contact familier des ailes de Fluttershy tandis qu’elle s’installait sur le canapé à mes côtés. D’habitude, c’était moi qui devais la rassurer, mais, de temps en temps, je m’autorisais à m’effondrer devant elle.

Elle posa ma tête sur ses pattes et la drapa d’une aile, puis elle se mit à me caresser le dos. Je restai là, la laissant me rassurer, jusqu’à ce que je trouve la force de leur poser la question que je redoutais le plus. « Pourquoi vous êtes mes amis ? Je ne suis pas Dash, je suis un imposteur. »

Fluttershy s’arrêta dans ma crinière. « Je t’apprécie pour qui tu es maintenant. Peu importe qui tu étais ou qui tu es devenue, tu es une pégase formidable, Dash. C’était très dur de te perdre. La seule qui était plus souvent à ton chevet que moi, c’était Twilight. Tu n’imagines pas à quel point nous étions heureuses quand nous avons appris ton rétablissement. Nous étions plus qu’heureuses, mais, au fond de ton être : toi, es-tu heureuse ? »

Je tournai et retournai la question. En dehors des craintes permanentes que j’avais d’être un changelin ou une copie, ou même un zombie, oui, je l’étais. Mes amis m’appréciaient tous, et je les appréciais aussi. Tout le monde me faisait confiance, et j’avais tout ce qu’une jument pouvait souhaiter. Une part de mon esprit me disait qu’il y avait autre chose que j’ignorais.

Comment était Scootaloo ? Était-elle heureuse ? Comment était sa tante ?

« Je suis heureuse, mais je ne me souviens pas si Scootaloo l’était. Et si je lui avais enlevé son bonheur ?

— Peut-être que Twilight pourrait te rendre quelques souvenirs de Scootaloo ? Elle prouverait qu’elle dit la vérité, et tu pourrais ensuite décider si tu veux toujours faire marche arrière », proposa Fluttershy.

Je relevai la tête et vis Thunderlane, qui m’observait comme tout bon étalon. Il n’était pas trop à l’aise, mais son désir de me réconforter l’empêchait de partir.

« Et toi, Thunderlane ? Tu voulais m’inviter au restaurant, mais tu viens d’apprendre que je ne suis qu’un mensonge », lançai-je.

Il se balançait sur ses sabots, jetant des regards inquiets alentour. « Eh bien… » Thunderlane prit une profonde inspiration. « J’ai toujours eu des sentiments pour toi, mais j’ai remarqué que tu étais différente depuis l’accident. Tu étais plus optimiste, moins casse-cou. Tu as perdu un peu de ton attitude virile et tu passais plus de temps avec les collègues de la patrouille. Avant, tu partais toujours faire quelque chose avec tes amies, jamais avec nous. »

Thunderlane s’approcha doucement du canapé et s’assit. « Je t’apprécie pour qui tu es devenue, et, même si tu me manquerais énormément, toute l’équipe respectera ton choix. »

Je bâillai et collai mon museau contre Fluttershy. « Merci, tous les deux, mais je suis fatiguée. Fluttershy, tu veux bien rester jusqu’à ce que je m’endorme ?

— Bien sûr, répondit-elle.

— Je vais m’en aller. Si jamais tu veux que je te prépare ton repas, tu sais où me trouver. Promets-moi juste de vite te requinquer. Tu vas nous manquer », dit Thunderlane.

Je l’entendis déployer ses ailes et disparaître du porche.

Alors que j’étais toujours couchée, la tête entre les pattes de Fluttershy, une étrange sensation me vint. Une part de mon être avait comme une impression de déjà-vu d’être bordée par Fluttershy, réconciliée avec mes amies.

« Tu veux bien me chanter ta berceuse ? » demandai-je.

Elle baissa les yeux pour me regarder et sourit. « Avec plaisir. »

Je fermai les paupières et m’endormis avant qu’elle ait fini de chanter le premier couplet.