Ma preuve

Je filai jusqu’au nuage le plus élevé de Ponyville, contemplant l’ensemble des spectateurs. Même à cette hauteur, j’entendais les encouragements de Scootaloo, plus bruyants que les autres. Sans hésiter un instant, je plongeai en piquet.

Le cône supersonique se forma rapidement alors que j’approchais du sol. Je transperçai un nuage noir au moment où le rainboom détona dans mon sillage.

Je m’attendais à ressortir du nuage et à me cabrer, détourée par un éclair striant le ciel en fond. Mais, au lieu de ça, mon corps se raidit, et la seule chose dont je me souvins ensuite fut le goût du cuivre. Des poneys crièrent, je luttai pour retrouver mon souffle ; je m’évanouis.

Il me semblait que les semaines défilaient à toute vitesse sous mes yeux. Des bribes de souvenirs se baladaient, et je fis mon possible pour les réunir. Des docteurs se succédaient et parlaient de mon cas tout en me soignant, comme si je n’étais pas là. Mes amis étaient venus me voir, et avaient débattu l’idée de me débrancher.

Peu importaient mes pleurs et mes hurlements, ils ne m’entendaient pas. Entre mes souvenirs incomplets et mes rêves, je n’avais la preuve que j’étais en vie que lorsqu’on me prenait le sabot. Fluttershy était celle qui venait le plus, me lisant mes histoires préférées. Elle sanglotait dans ma crinière lorsque personne n’était dans les parages.

Les bribes se firent plus troubles, glissant hors de portée. Chaque jour, je perdais un peu plus de moi-même, jusqu’à ce que mon dernier point d’attache soit la douce voix de cette jument effondrée.

Ce fut à cette période que les cauchemars commencèrent. Je me souviens de la douleur et de la peur, des nouveaux souvenirs. Pièce par pièce, j’étais reconstruite à partir de rien, ou bien restaurée. Mon identité me fut peu à peu rendue par ce fichu vide, qui me murmurait des choses inimaginables à l’oreille.

Je me cramponnais à la voix de cette jument éplorée. C’était le seul souvenir dont je ne doutais pas. Finalement, toutes les pièces s’assemblèrent, et je me réveillai.

***

Le soleil commençait à illuminer la chambre, m’obligeant à me retourner. Je n’avais pas beaucoup dormi la nuit précédente, à cause de mes rêves persistants. Pour pallier les cauchemars, j’avais l’impression qu’une boîte de puzzle avait été vidée dans ma tête, puis mélangée. Mes méninges faisaient des heures supplémentaires pour tout trier tandis que j’essayais, en vain, de dormir.

Pour le moment, mon cerveau avait l’air de buter sur les pièces du bord. Celles qui m’intéressaient le plus étaient disséminées quelque part dans le tas.

Je commençai par me redresser, en bâillant, avant de sauter sur mes quatre sabots. Je tendis une patte pour attraper un verre d’eau sur la table de chevet, mais je le renversai par inadvertance. J’ouvris le tiroir pour chercher une serviette tandis que le liquide s’écoulait le long du meuble.

À l’intérieur se trouvait le carnet que Twilight m’avait confié pour raconter mes rêves. Même si ceux de la veille n’avaient aucun sens, ça ne pouvait pas me faire de mal de les écrire. Je sortis le petit livre et l’ouvris.

Il n’avait servi qu’une fois, et un passage attira mon attention.

Twilight ment.

Pinkie a promis de me protéger, mais ça ne pouvait pas durer éternellement. Je l’avais prévenue que je m’infiltrerais dans le laboratoire pour découvrir la vérité. Tout le monde à part elle semble mijoter quelque chose. Enfin, je me souviens d’autre chose que mes rêves, et notamment de ce qui s’est dit lorsqu’on m’a opérée. Je me souviens aussi de ma rencontre avec moi-même dans le vide, où une autre Dash a essayé de me tuer.

J’espère ne pas me faire prendre, mais si ça devait arriver… au moins, j’ai ce carnet. Si elle essaye d’effacer ma mémoire, je ne me rappellerai pas avoir écrit tout ça. Et si je ne m’en souviens pas, c’est qu’il est temps de fuir !

Elle sait que nous savons.

« C’est quoi, ce truc ? » dis-je à voix haute. Je jetai un regard à travers la pièce tout en reposant le journal sur ma table de chevet. Tank s’étirait au bout du lit et m’adressait un de ces sourires étranges dont il avait le secret.

« Moi qui croyais que mes rêves étaient bizarres, Tank. Quelqu’un d’autre a écrit dans ce carnet ? »

En observant de nouveau le texte, je reconnus pourtant mon écriture. « Non, je suis sûre que c’est juste un rêve que j’ai décrit. Je ferais bien d’aller rendre visite à l’équipe météo. »

Je repoussai mes pensées dans un coin et me dépêchai de sortir pour m’assurer que le ciel restait propre. Je passai par la fenêtre et me dirigeai vers notre lieu de rencontre habituel.

La patrouille m’attendait au-dessus de l’hôtel de ville ; je vérifiai alentour que personne d’autre n’était dans le coin.

« Eh, Flitter, tu as vu Thunderlane ? demandai-je.

— Il a dit qu’il était malade et qu’il resterait chez lui, répondit-elle.

— Ah, ça m’étonnerait bien. C’est quoi, le problème ? »

Flitter haussa les épaules. « Je ne sais pas, il avait vraiment l’air contrarié. »

Je levai les yeux au ciel en soupirant. « Très bien. Vous savez ce que vous avez à faire. Je vais voir ce qu’il a. »

Tandis que tout le monde se mettait au travail, je pris le chemin de la maison de Thunderlane. Il n’était pas du genre à simuler, et il n’avait jamais été malade une seule fois depuis que je le connaissais.

La petite brise matinale me rafraîchit, et mes ailes raidies se relâchèrent. Après avoir passé la place du marché, j’arrivai à destination et atterris sous son porche.

Mon sabot heurta lourdement la porte à trois reprises. « Thunderlane ? »

Je restai sur place et observai mon sabot le temps que l’on vienne m’ouvrir. Il était de nouveau fendu, ce qui semblait assez fréquent ces temps-ci. Pour quelqu’un qui ne marchait presque pas, j’avais bien trop souvent abîmé ma paroi.

Irritée par l’absence de réponse, je donnai un grand coup à la porte de mon membre le plus puissant. « Thunderlane, je sais que tu es là !

— Va-t’en, je suis malade ! cria-t-il depuis l’intérieur.

— Mes flancs que tu l’es, qu’est-ce qu’il se passe ? Tu n’as jamais manqué le travail avant, est-ce que Rumble n’est pas bien ou un truc du genre ? »

Il y eut un long silence avant qu’il ne réponde. « Eh bah, je suis malade cette fois, alors dégage ! »

Je fronçai les sourcils de colère. « Écoute, je vais défoncer cette porte et te traîner jusqu’aux nuages si tu ne me dis pas pourquoi tu n’es pas venu travailler ! »

Des sabots foulèrent le plancher et la porte s’ouvrit enfin. « Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? Tu m’as posé un lapin ! J’attendais ce moment depuis si longtemps, et… rah, c’est bon, oublie ça ! »

Je ris et lui donnai de petites tapes sur l’épaule. « Très drôle. Non, allez, qu’est-ce qu’il y a ?

— Je ne plaisante pas ! Tu ne peux pas juste m’ignorer et faire comme s’il n’y avait jamais rien eu.

— Dash !

— Sérieusement, répondis-je. Je ne m’en souviens pas. Écoute, je suis désolée si j’ai oublié, mais je ne m’en souviens vraiment pas !

— Dash ! cria Pinkie, au loin.

— Eh bien, tu as oublié, et je sais que tu as souffert et tout, mais tu avais enfin de nouveau l’air normale. C’est juste que… je ne sais pas. »

Pinkie se mit à mon niveau. « Eh, Dash, tu ne m’as pas entendue ? »

Je regardai entre les deux poneys. « Peu importe, tu ferais mieux de venir travailler demain, Thunderlane. » Je me tournai et acquiesçai à Pinkie. « Qu’est-ce que tu veux ? »

Pinkie sourit et posa un sabot sur mon dos. « Allons faire un tour, pour parler en privé. » Elle fit un geste en direction de Thunderlane, qui me claqua la porte au museau.

« Ouais, dis-je. Bien sûr. »

Nous nous marchâmes en direction de la place. « En fait, je voulais m’excuser pour hier et m’assurer que tu n’avais pas eu de problèmes. »

Je grognai de frustration et levai les yeux au ciel. « Laisse-moi deviner, j’étais censée sortir avec toi aussi ?

— Non, petite bécasse. Pinkie aime les étalons ! » Elle gloussa, avant de reprendre un air un peu plus sérieux. « J’ai essayé de retenir Twilight à la fête d’anniversaire surprise de Spike, mais elle a dû s’enfuir par-derrière ! Le temps que je sorte vérifier, elle était déjà partie ! Et je savais que tu fouillais le labo, puis j’ai senti un pincement dans mon genou et j’ai su que quelque chose d’effrayant était en train de se passer ! Donc, j’ai laissé Spike et j’ai rejoint la bibliothèque, mais il n’y avait personne et la porte était grande ouverte. »

Je m’arrêtai et me tournai vers Pinkie. « Attends, comment tu sais que j’ai rêvé que je m’infiltrais dans le labo ?

— Tu en as aussi rêvé ? Eh bien, ça a dû arriver après que tu as fouillé le laboratoire en vrai, parce que tu avais l’air terrifiée, et tu t’es cachée chez moi. J’ai encore ta brosse à dents pour le prouver ! » Pinkie sortit de sa crinière une brosse fantaisie orange à l’effigie de Daring Do.

« File-moi ça ! » aboyai-je. J’attrapai l’objet et le cachai rapidement dans ma propre crinière. « Tu ne devais dire à personne que j’avais des produits dérivés de Daring Do dans ma salle de bain !

— Tu l’as oubliée dans ma salle de bain, après la fête ; demande à Fluttershy ! »

Je sentais ma gorge se nouer. J’étais toujours partante pour une bonne blague, mais tout le monde savait que mon accident n’était pas le sujet adéquat. J’avais mis du temps à m’en remettre, et je ne savais pas ce que j’aurais fait si Twilight ne m’avait pas constamment apporté son aide.

« Bon, il n’y a jamais eu de fête, il n’y a jamais eu de soirée entre juments, et laisse Fluttershy en dehors de ta blague vaseuse ! m’exclamai-je.

— Ah, bon… Je repasserai plus tard, geignit Fluttershy.

— Non ! criai-je en même temps que Pinkie.

— Dis à Dash qu’il a bien eu une fête et qu’elle est restée dormir.

— Dis à Pinkie qu’il n’y a pas eu de fête et qu’elle arrête de me prendre la tête ! » râlai-je.

Je remarquai que Lyra nous regardait de l’autre côté de la rue, puis je me rendis compte que nous étions en train de nous disputer en plein centre-ville. Applejack était à son étal et nous regardait aussi. D’autres commerçants et poneys se murmuraient à l’oreille.

« Eh bien, Dashie, je suis désolée pour hier soir. Je suis venue m’excuser parce que j’ai trouvé ta sacoche et je voulais te la rendre », expliqua Fluttershy.

Elle la posa et la poussa dans ma direction, avant de l’ouvrir. « Tu vois, Dash ? Tu disais la vérité lorsque tu es venue chez moi hier soir. Les fiches manquantes de ton dossier et la corne de changelin étaient bien là après que tu as été frappée par la foudre… »

Je grimaçai à l’idée d’avoir été frappée par un éclair. Ça n’avait rien de plaisant. « Arrête ! Je n’étais pas chez toi non plus !

— Pourtant, le sac est tombé à côté du ruisseau pendant l’orage. »

Je grinçai des dents et comptai intérieurement jusqu’à dix. Rien ne tenait debout, et cette blague était devenue énervante depuis un moment. « Il… n’y… avait… pas… d’orage… Les… prévisions… annonçaient… du… soleil ! »

Pinkie ramassa la sacoche et montra une grosse marque de brûlure. « Il y a bien eu un orage hier soir ! »

Contrariée, je posai mon regard sur Applejack, qui détourna rapidement le sien. « Oh, même pas en rêve ! » m’écriai-je. Je volai dans sa direction tandis qu’elle faisait mine de regarder ailleurs. « Alors, en toute honnêteté, est-ce que tu es aussi dans le coup ? »

Applejack plongea ses yeux dans les miens et sourit. « C’est pas une blague, sucre d’orge, t’étais à la fête y a deux jours et j’étais à la fête de Spike hier soir ! Vous m’mettez bien mal à l’aise avec votre histoire d’blague, vous autres.

— Mais, Applejack, on ne rigole pas ! Tu te rappelles à quel point Dash était terrifiée ? demanda Pinkie.

— Et tu te rappelles quand je suis venue hier soir après que Dash m’a fait peur et que j’ai dû utiliser le regard ? Puis quand Twilight a dû la raccompagner chez elle ? ajouta Fluttershy.

— Donc Twilight est aussi dans le coup ! » Je lâchai un soupir de soulagement. « Ça doit être pour ça que mes notes dans le carnet parlent de Twilight m’effaçant la mémoire, et de ma visite d’hier dans son laboratoire pour voler des preuves.

— Des preuves ? » s’enquit Applejack. Pinkie lui tendit la sacoche et elle en sortit un bocal contenant une corne de changelin. Puis elle attrapa quelques fiches médicales et les observa.

« Ouf, pendant un moment, vous m’avez presque fait croire que j’étais devenue dingue ! » J’évacuai un peu de ma nervosité en riant.

« Dash, ces fiches sont vraies, et tout c’que t’as dit commence à avoir du sens », avoua Applejack.

Je soupirai et la regardai dans les yeux. « Bon, je veux l’entendre de ta bouche. Qu’est-ce qu’il se passe, Applejack ? »

Elle inclina son chapeau et prit une grande inspiration. « Eh bien, t’as plutôt la tête en l’air en c’moment, mais jamais au point d’oublier toute une journée. T’es toujours allée chez Twilight pour tes migraines et d’autres trucs depuis l’accident. Elle m’a dit qu’elle t’a sauvée avec son sort.

— OK, j’oublie des trucs, la belle affaire. Et alors, tu crois que je suis un changelin ? demandai-je.

— Non, mais les fiches disent qu’elle était dans l’bloc avec trois poneys. Y a qu’deux noms en plus du sien : Doctor Stable et Nurse Redheart. »

Je levai un sourcil tandis que mon esprit commençait à se faire à l’idée que ce n’était pas une blague. Il y avait vraiment quelque chose de louche, et, le plus effrayant, c’était que je ne m’en souvenais pas du tout.

« Et tu étais chez moi pour la fête ! Promesse Pinkie ! » ajouta l’intéressée.

En me tournant vers elle, je vis un éclair orange passer dans le reflet d’une fenêtre. « Punaise, Scoots, ce n’est pas le moment de me suivre ! » Je frappai le sol en direction de la vitre et regardai l’endroit d’où venait le reflet. Je ne vis que moi.

« Dash, commença Applejack d’une voix sombre. Scootaloo a déménagé à Manehattan il y a un mois. »

Mon regard alternait entre leurs visages inquiets et le tas d’objets volés chez Twilight. Je sentais le mal de tête me revenir, et je n’avais vraiment pas envie d’avoir à supporter ça à cet instant.

« D’accord ! Donc, ce n’est pas une blague. Allons voir Twilight ensemble et démêlons le vrai du faux. » Je me dirigeai vers ma sacoche et y remis les papiers et le bocal, puis je pris le chemin de la bibliothèque.

« Et Rarity ? Est-ce que nous devrions aller la chercher ? glissa Fluttershy.

— J’vais passer la récupérer, dit Applejack.

— Oh, je me demande bien ce que Twilight a fait cette fois. Est-ce que vous pensez que ce sera comme avec les parasprites ? » demanda Pinkie.

Je laissai les deux remarques dans mon sillage et réfléchis du mieux que je pus pour trouver un sens aux événements récents. Ce n’était pas une blague, mais ça pouvait aussi très bien être moi qui oubliais des choses. Cela dit, Twilight avait certaines de mes fiches médicales, et c’était illégal. Et puis, qui garderait une corne de changelin chez soi ?

Et comment ça se faisait que personne ne m’ait prévenue que Scootaloo était partie ? Elle me suivait comme mon ombre avant l’accident. Je l’avais même prise à fouiller dans mes vêtements après que je lui ai appris à voler. Elle avait essayé mon vieux costume de Shadowbolt de la Nightmare Night et m’avait bassinée jusqu’à ce que je le lui offre.

Le temps que nous arrivions à la bibliothèque, Rarity et A.J. nous avaient rattrapées. Nous nous approchâmes de la porte ensemble et frappâmes.

« Entrez, dit Twilight. Ces derniers jours ont été plutôt mouvementés. »

Nous entrâmes et vîmes Twilight assise autour de la table en compagnie de six chaises et de thé en quantité suffisante. On aurait dit qu’elle nous attendait. Si le service à thé était impeccable, on ne pouvait pas en dire autant de sa propriétaire. Les crins de Twilight étaient dans un état déplorable, et ses yeux rouges étaient complètement cernés. Il semblait qu’elle avait passé quelques nuits blanches.

Elle soupira et se leva. « Je me doutais que cela arriverait. Je suis désolée, Dash, mais l’usage répété de sorts mémoriels…

— Attends, t’as bien trafiqué ma mémoire ? m’enquis-je.

— Oui, mais je peux t’expl… »

Avant qu’elle n’en ait l’occasion, je sautai par-dessus la table et la clouai au sol.

« Tout ce bordel est de ta faute ? Tu crois que t’as le droit d’effacer tout ce qui te gêne dans mon cerveau ?

— Vas-y mollo, Dash », dit Applejack. Je la sentis qui me dégageait de Twilight en me tirant par la queue. C’était suffisamment douloureux pour que je n’ose pas opposer trop de résistance, jusqu’à ce que Twilight puisse à nouveau se lever.

« S’il te plaît, Dash, je peux vraiment tout expliquer. » Twilight sourit et désigna la table.

Rarity s’était déjà installée. « Oui, laissons-lui une chance. Je suis sûre qu’il y a une explication parfaitement rationnelle à tout cela. »

Tout le monde s’assit, moi exceptée. Je me déplaçai autour de la table à l’exact opposé de Twilight et restai là, la dévisageant.

« Du thé ? » proposa Twilight. Elle commença à servir tout le monde.

« Non, merci. Combien de fois tu as fait joujou avec ma tête ? » demandai-je.

Twilight prit une gorgée de son thé et pencha la tête, pensive. « Eh bien, pour m’assurer que ton état n’empirait pas, je dirais quatorze fois. »

Je me hissai sur la table et m’apprêtais à crier lorsqu’Applejack m’arrêta d’un sabot.

« Twilight, effacer la mémoire d’un poney ne serait-ce qu’une fois est contraire aux lois, affirma Rarity. Pourquoi les enfreindre et risquer de perdre ton titre, sans parler de la confiance de Celestia ?

— Parce que je ne pouvais pas perdre Dash une autre fois. Je ne veux pas vous perdre, mais je ne pensais pas qu’une de vous mourrait si rapidement. » Twilight sourcilla et but un peu de son thé.

Je croisai les pattes avant et m’installai à mon tour. « Commence par le début, et ne tourne pas autour du pot. »

Twilight parvint à esquisser un maigre sourire. « Après l’accident, tu es tombée dans le coma et tu as été déclarée en état de mort cérébrale. J’ai pu sauver quelques parties de toi avec ma magie, Dash, mais pas tout. J’ai exigé la… transplantation… d’un autre poney.

— On ne peut pas transplanter les souvenirs, à moins de prendre tout le cerveau », fit remarquer Pinkie.

Nous la regardâmes toutes, et j’étais convaincue que tout le monde était sur le point de lui dire de se taire, avant que Twilight n’approuve.

« Pinkie a raison. On ne peut pas simplement transplanter un cerveau non plus ; j’ai dû composer ma propre magie pour rendre cela possible. Pour m’assurer que mon sort ne se dissiperait pas, j’ai dû effacer tous les souvenirs qui n’étaient pas les tiens, Dash, expliqua Twilight.

— Alors, c’étaient les souvenirs de qui ? » lançai-je.

Elle prit une profonde inspiration et essaya de cacher son sourcillement. « Ce… ça n’a pas d’importance.

— Twilight, j’dois admettre que si. Comment t’as eu la corne de changelin ? Pourquoi t’as caché des fiches ? » demanda Applejack.

J’observai la sacoche, qu’A.J. était en train de vider sur la table. Lorsque je vis le bocal en sortir, une vague de frayeur me traversa. « Je ne suis même pas la vraie Dash, je suis un changelin !

— Non ! s’exclama Twilight. Crois-moi, cette expérience a échoué, je le jure ! »

Je respirais rapidement et mes yeux ne voulaient plus se décrocher de la corne. « Tout ça n’est qu’un autre cauchemar, voilà ce que c’est, je suis malade…

— Vous voyez, c’est pour cette raison que je ne lui ai rien dit. Elle va encore rechuter et je vais devoir reconstruire sa mémoire en partant de zéro ! » Elle leva les sabots au ciel en grognant.

Fluttershy s’approcha et m’enveloppa dans son aile, avant de me regarder dans les yeux. « Détends-toi. »

Je pris quelques inspirations et commençai à me sentir mieux. Sa présence avait un effet lénifiant sur moi.

« Dash, tu n’es pas un changelin. J’ai dû utiliser un autre poney pour l’opération, expliqua Twilight. Je devais faire en sorte que tu restes en vie pour ne pas perdre l’Élément de la Loyauté, et, surtout, mon amie.

— Alors, quel poney tu as utilisé ? demandai-je.

— Ça n’a pas d’importance, répondit Twilight.

— Et j’dis qu’ça en a », renchérit Applejack. Elle dévisageait Twilight, qui refusait de croiser son regard. « T’as rien dit de tout ça à Celestia, j’me trompe ? »

Twilight affronta son regard. « Bien sûr que non ! Elle aurait laissé Dash mourir, tout comme elle laisse le monde entier mourir quand elle a le pouvoir de les sauver !

— Qu’en est-il de l’autre poney, très chère, pourquoi as-tu décidé de le tuer ? s’enquit Rarity. Comment peux-tu justifier ça ? »

Twilight frappa du sabot sur la table. « Je ne l’ai pas tué ! Il va bien. J’ai juste pris sa mémoire et réécrit le reste pour reconstruire Dash ! »

Toujours sous l’emprise de l’aura apaisante de Fluttershy, je pus soutenir le regard de Twilight et voir plus loin que mon incompréhension et ma colère ne me le permettaient, tout du moins un instant.

« Qui c’était ? » répétai-je.

Twilight m’adressa un regard avant de baisser ses yeux larmoyants. « S… s’il te plaît, demande-moi ce que tu veux, mais… »

Je projetai la chaise derrière moi en me relevant. « Qui… c’était ? À qui était le cerveau que tu as grillé pour me sauver ? »

Elle regarda autour d’elle, cherchant de l’aide auprès des autres poneys. Fluttershy et Pinkie avaient l’air consternées. Rarity semblait dégoûtée, plus au fait des lois qui régissaient la magie que nous toutes. Seule Applejack semblait neutre, évaluant l’honnêteté de chacun tandis que nous nous exprimions tour à tour.

« C’était… Le poney que… » Twilight bredouillait. Les joues couvertes de larmes, elle essayait de retrouver son calme.

« Parle ! m’écriai-je.

— S… Scootaloo. »

Une fois encore, je mis ma vitesse à profit, m’élançant avant que les dents d’Applejack ne se referment là où ma queue se trouvait. Consciente de l’échec de sa manœuvre, elle ne put que me regarder bondir, un large rictus aux lèvres et les yeux possédés par des flammes, sur Twilight.

J’entendis les autres poneys crier, mais pas ce qu’ils disaient. Mon sabot s’abattit avec fracas sur la mâchoire de Twilight, que je vis cracher du sang.

« Bordel, qu’est-ce que t’as fait à Scootaloo ?! »