Refaire sa vie

Heure locale : 18 h 45

Date estimée : 2nd jour du 2nd mois

Année (depuis arrivée) : 1ère

Mala restait auprès de Mystic Path, afin de se rétablir correctement de sa fracture, surtout prise en charge comme pouvait l'être. Bien que la licorne turquoise était régulièrement occupée à travailler des documents et lire pour le compte de la fameuse « Conseillère » du camp des licornes, elle consacrait un peu de son temps libre à s'occuper de sa « pensionnaire », que ce soit en médecine basique ou bien à essayer de lui apprendre la langue.

Cette dernière, bien qu'ayant subies de légères séquelles psychologiques et cognitives à cause de son trauma ainsi que de sa stase, continuait de posséder une intelligence assez forte, et gardait encore nombre de savoirs techniques issues de ce qu'elle désignait son « ancienne vie ». L’apprentissage certes un peu trop basique de la langue se faisait sans trop de heurts, au point qu'en 11 jours, Mala savait aligner quelques mots sans syntaxe grammaticale réellement correcte, mais surtout comprendre ce qu'on lui disait dans de nombreux cas. Ce qui ravissait son hôte, qui pouvait lui faire quelque maigre conversation pour se changer les idées de temps en temps.

Ce qui embêtait Mystic, encore, était l'absence de nom et de Cutie Mark sur sa pensionnaire, et le fait qu'elle semblait très évasive et silencieuse sur son passé. De même, elle la trouvait évidemment assez froide et un peu fermée... elle ne souriait jamais, ne riait pas, et ne la regardait pas souvent dans les yeux. Pas par timidité, elle le savait. Même si elle savait aussi que la jument grisée lui était quand même reconnaissante de prendre soin d'elle... sans vraiment le montrer non plus.

La neige tombait en quantité dehors avec la nuit proche, même s'il n'y avait pas de vent. Mystic déboula en trombe et referma le tissu d'entrée derrière elle, afin de ne pas recevoir davantage de flocons. Elle déposa un ensemble de parchemins enroulés sur le seul support en hauteur, une petite table, près d'une bougie sécurisée.

« Pfeh... je déteste l'hiver, vraiment. Ce froid... et vous alors ? Comment ça s'est passé, cet après-midi ? » demanda la jument turquoise à sa pensionnaire allongée sur un sommier et emmitouflée de couvertures miteuses.

« Froid... mais aller... » répondit Mala avec un horrible accent vitranien.

« Au moins vous êtes à l'abri, vous. Et vous apprenez vite la langue, quand même, c'est bien. Vous en avez dans le ciboulot. »

« Pas le choix... vous comprendre pas ma langue. »

« Et vous voulez toujours pas me dire comment vous vous appelez ? Je veux dire, ce serait plus facile pour vous parler... »

« Et... ben... arrive pas à dire... » finit-elle par avouer.

« Une petite amnésie ? C'est curieux, vous disiez vous souvenir de beaucoup de choses... »

« Oui... beaucoup de choses dans tête... mais pas choses essentielles comme nom. »

« C'est vraiment curieux, ça... vraiment, vraiment curieux. Pas de nom, ne parle pas de ses origines... vous ne seriez pas une réfugiée traumatisée, par hasard ? » demanda Mystic sans vraiment y aller avec tact.

« ...peut dire ça. »

« C'est embêtant... et vous ne savez rien d'ici, donc ? Vous êtes venue comme ça, de votre lointain chez-vous, totalement au hasard, et vous voilà ici... ? Vous avez dû en faire, de la marche... pourtant vos sabots m'ont l'air assez préservés. »

« Ne sais rien... et compliqué à expliquer. »

« Bon bon, je n'insiste pas, j'ai compris. Mais si vous voulez, je peux expliquer... brièvement comment ça se passe, ici. Surtout si vous n'avez nulle part où aller de plus... lointain que ce continent. Mais grossièrement, c'est simple : nous, les Licornes de Bullion, on ne s'entend pas avec les Pégases d'Hurricane et les Terrestres de Puddinghead... enfin, « Licornes de Bullion », c'est sous peu que sa fille, Platinum, prendra sa place. Mais je sens que ça ne changera rien à ce barouf tribal... c'est simple, aucune des trois tribus ne peut se supporter, constamment les uns contre les... »

Mystic fut interrompue par une Mala qui, visiblement, semblait mal à l'aise, un sabot contre la tempe... comme si c'était douloureux.

« Ca ne va pas ? »

« Mal... tête. Trois puissances... s'entendent pas... gnnniii... »

La jument grisée avait de brefs flashs de mémoire sur Ma'aant, Na'sber et Tunmus, trois nations qui ne s'entendaient pas.. et dont elle connaissait la funeste fin. Elle revoyait les tensions, elle revoyait les quatre juments artificielles qui étaient censées tout régler, contre son avis... et elle revoyait les ruines de Valdinki ainsi que son explosion. Mala semblait souffrir psychologiquement, et ça se voyait fortement sur son visage d'habitude fermé.

Mystic n'attendit pas et réagit, lui enfonçant dans la bouche une drôle de feuille verte, épaisse, et lui faisant mastiquer cela, sans l'avaler. C'était une plante dont l'une des vertus était de dissiper migraines et douleurs.

« Voilà... continuez de mâcher. J'ai dit quelque chose qui ne fallait pas... ? » demanda la jument turquoise, à la fois inquiète et curieuse.

« Trois... puissances... »

« ...d'aaaaaaccord, je pense... deviner. D'où vous venez... c'est aussi divisé en trois groupes qui s'opposent ? Et vous avez fui tout ça ? »

La jument grisée ne fit que hocher la tête, ce qui plongea la turquoise dans la réflexion, fixant le haut de sa tente.

« C'est bizarre qu'on en ait jamais eu vent... de trois autres groupes de terrestres, licornes et pégases qui se mettent sur les sabots... »

« Non... trois puissances... licornes... »

« Aaaaaah... d'accord, donc d'où vous venez... ça ne se supporte pas au sein d'une même espèce ? C'est vraiment fâcheux, ça... »

« Vraiment... un cauchemar... » se disait Mala, peu important d'être entendue. Elle avait fui l'apocalypse, dormi un temps indéterminé, en avait gardé des séquelles psychologiques et intellectuelles... et voilà qu'elle tombe sur un monde qui suit le même scénario, à un Âge bien plus précoce. Elle se croyait en plein Purgatoire, ou autre, et ses nerfs lâchèrent, laissant tomber sa tête sur son sommier, gémissant de douleur et de mélancolie.

« Hum... je vais vous laisser dormir... navrée. » finit Mystic, commençant à trouver le cas de la jument grisée assez sérieux, et ça l'intriguait de plus en plus.

La jument turquoise se remit donc à ses documents, soupirant sous le travail, malgré qu'elle aimait les lettres. La nuit était sombre, sous les lourdes chutes de neige qui recouvraient le camp licorne. Sans rien dire, Mala finit par s'endormir dans la même position qu'elle était restée, même si son sommeil n'était pas très calme... elle remuait, troublée, sans bouger son bras gauche en consolidation.

Cependant, Mystic ne pouvait malheureusement que la laisser dormir... elle ne se sentirait pas d'une grande aide actuellement. Quand la jument turquoise finit enfin par terminer ses parchemins, soufflant de soulagement, elle vit Mala qui s'était un peu redressée, éveillée, même si elle restait couchée.

« Vous allez mieux ? Il est tard... la Lune est haute... »

« ...pas sommeil, là... »

« Écoutez... je suis désolée pour tout à l'heure... »

« Pouviez pas savoir. »

« Enfin... au moins vous connaissez notre contexte... j'ai bon espoir qu'il s'améliore un jour, qui sait ? Quand on prendra enfin conscience qu'il ne faut pas s'affronter, mais s'allier... »

« Ça pas gagné... »

« Je ne souhaite pas revenir sur votre... situation à vous, mais en ce qui nous concerne... on est loin de la fuite et de l'exode. Par contre, dites-moi... qu'est-ce que vous étiez, chez vous ? »

« ...Ingénieure. » répondit Mala après un long silence, cherchant le mot juste.

« Pardon, ingé-quoi ? Qu'est-ce que c'est que ce terme... ? »

« Oh... hum... comment dire ? Ça être... comme sorte érudit, mais... qui savoir manier ses sabots en plus, pour construire choses avancées et compliquées avec savoir. »

« Oh là là, je suis désolée, mais vous avez un de ces accents monstrueux... hum... donc une sorte d'érudit très habile de ses sabots qui construit des choses complexes ? Et ben... heu... on n'a pas de ça, ici. »

« Ça m'en douter... ai remarqué techniques basses, mauvaises. »

« Des techniques... mauvaises ? Dans quoi ? »

« Beaucoup : construire, astronomie, ressource. Vous être... mauvais par rapport à chez-moi. »

« Hmph, vous manquez pas trop de culot de dire ça, quand même. Tout le monde ne se développe pas à la même vitesse, je présume. »

Mala évita d'enfoncer le clou, soupirant. Comment dire clairement que Vitranis était infiniment plus avancée technologiquement que ces licornes paumées au milieu du froid ? Et il n'était pas sûr que la moindre d'entre elles comprenne vraiment les concepts si jamais elle devait expliquer ça. Cependant, Mystic reprit la parole, essayant un peu d'être empathique.

« Écoutez... peu importe ce que vous avez vécu et connaissez, je pense que vous ne retournerez pas chez vous... quelque chose le dit dans votre regard fuyant et votre air fermé. Alors... si je n'avais qu'une seule chose à vous dire, et que vous devriez vous y tenir, c'est cela : refaire votre vie. En restant auprès de nous ou en continuant votre route une fois rétablie, le choix vous incombe... mais votre passé vous détruira si vous continuez de vous y accrocher, je peux vous le promettre. »

Elle marqua une longue pause, laissant Mala dans ses pensées. Cette dernière semblait perdue, ça se voyait... renoncer à sa vie, renoncer à Vitranis... laisser ses angoisses, ses traumatismes au placard, accepter une nouvelle existence... renaître, en quelque sorte. Mala le comprenait bien, ce dernier terme, qui résonna dans sa tête... renaître, un bien joli mot qui pouvait signifier tant de choses.

« Donc, si jamais vous choisiriez de commencer votre nouvelle vie auprès de nous... je vous emmènerai moi-même devant notre Roi, Bullion, ainsi que sa fille Platinum. Si votre savoir est aussi important que vous le prétendez... alors vous serez la bienvenue parmi nous. Les savants ont grande valeur chez nous, ils apportent la sagesse et l'évolution. »

« Mystic... vous pensez moi peut... renaître ? » finit par demander Mala, la voix emplie d'appréhension.