Site archivé par Silou. Le site officiel ayant disparu, toutes les fonctionnalités de recherche et de compte également. Ce site est une copie en lecture seule

Le miroir de Spike

Une fiction écrite par Littera Inkwell.

Chapitre onze

Tic Tac
Tic Tac

La petite aiguille avançait tellement lentement chaque fois que Spike jetait un regard anxieux dessus. Pourtant, à peine la quittait-il des yeux qu'il se rendait compte que plusieurs minutes venaient de s'écouler. Alors il la fixait de nouveau, essayant de faire ralentir le temps par la force de sa pensée. Ou le figer au pire. Mais comme cela ne semblait pas marcher, il passa alors au plan B.

L'alcool.

D'habitude il ne buvait pas, pas vraiment. Il avait découvert à ses dépends que l'excès d'alcool pouvait être des plus agréables sur le coup mais les retombées faisaient mal, littéralement très mal. Avec le temps, il avait apprit à boire, à savourer ce plaisir particulier, sachant s'arrêter quand il le fallait, forçant juste assez pour se sentir bien sans pour autant tomber malade et passer de la douce euphorie à un sentiment glauque de mal être.

Et d'habitude il aurait regardé avec désapprobation et fait une ou deux remarques bien senties sur celui qui éclusait verre sur verre à la recherche de l'ivresse la plus rapide possible.

Mais ça c'était avant.

Parce que ce soir, bloqué dans cette maison, torturé par l'attente qui se prolongeait, assaillie par l'angoisse, les regards et les sous-entendus des filles...la forteresse de sa volonté n'était plus qu'un assemblage fragile de murailles fissurées et de tours en lambeaux.

Son corps était horriblement tendu et ses nerfs à vif. Il se savait sur le point de craquer, de s'effondrer un peu plus complètement à chaque minute qui passait. Mais au fond de lui, il ne voulait pas, une fois dans l'arène, imploser et n'être plus qu'une réplique de poney pleurant et gémissant sur le sol. S'il ne pouvait partir avec classe, il voulait partir debout. Et même chancelant et abruti par l'alcool c'était, de son point de vue, être (relativement) droit sur ses sabots donc de toute façon plus glorieux...ou moins pitoyable.

Hélas il n'y avait que du punch, assez léger même, sur la table. Les quelques bouteilles de vin disposées là étaient hors limites, prévues pour trinquer avec les princesses. Alors, discrètement, il avait réussit à se rendre là où le propriétaire lui avait avoué cacher ses réserves plus fortes. Plusieurs fois déjà celui-ci avait gracieusement mit cette maison, un peu à l'écart de Ponyville, à disposition des 6 juments. Souvent absent, il remboursait ainsi Twilight pour plusieurs coups de sabots magiques tout en récupérant souvent quelques produits de qualité, car on ne recevait pas des princesses ou un poney en vue avec des chips et des sodas...enfin si mais pas seulement.

Spike commençait à ressentir la seconde vague de la cuvée spéciale d'Applejack. Sa tête devenait lourde, ses sens semblaient engourdi. C'était comme si il regardait au travers des yeux d'un autre, comme si ce n'était pas lui qui souriait bêtement, racontait des blagues de plus en plus nulles. Ce n'était pas lui qui esquivait sans cesse Rarity et ses questions, pas lui qui détournait la tête chaque fois que son regard croisait celui de la jument.

Pas lui qui ignorait complètement l'expression perplexe de Twilight et les regards étonnés de Fluttershy.

A chaque seconde, un peu plus de malaise. La solution ? Mais se mettre à l'écart, rien de tel que de paraître encore plus bizarre pour désamorcer les questions des autres. Même l'arrivé du couple Rainbow Jack n'avait pas réussit à diluer suffisamment la gêne qui s'installait de plus en plus.

Alors il buvait. Pour oublier. Et sans doute avait-il oublié d'arrêter.

Tic Tac
Tic Tac

Ne plus rien ressentir, ne plus être, juste passer le temps. Petite planète qui allait prendre un bon gros météore directement là où ça fait mal.

Tic Tac
Tic Tac

Pas de musique. C''était dommage, rien de tel pour agrémenter une soirée.

Tic Tac
Tic Tac

Il s'était mit à hocher la tête, sur le rythme du son qu'il jouait dans son esprit. Dans le genre épique, des passages à faire frissonner de plaisir, à envoyer des flots d'adrénaline dans le corps, à rendre une partie de rami aussi excitante qu'un combat pour la survie de toute une civilisation. Rajouter de l'alcool par dessus. Rien de tel pour décrocher complètement.

Tic Tac
Tic Tac

Il s'était posté prêt d'une fenêtre. Même si ses yeux étaient très souvent fermé, perdu dans son univers musical, il jetait de temps en temps un coup d’œil dehors puisque l'horloge semblait vouloir lui jouer un mauvais tour. La nuit tombait progressivement, de plus en plus de lumières se faisaient voir dans les maisons de Ponyville...mais toujours aucune trace des princesses.

- Elles ont renoncées, jubila t-il, elles ne viendront pas, tout restera comme avant...

De joie, il saisit son verre et le vida d'une traite.

Tic Tac
Tic Tac

Dire que jusque là il avait fait tout son possible pour éviter une rencontre trop directe avec les princesses. Surtout Celestia en fait. Toujours une excuse pour se défiler lors de ses rares visites ici. Pour les rencontres plus officielles, juste rester dans les banalités et ne pas se faire remarquer. Et vu que Luna vivait essentiellement la nuit...

- On ne se méfie jamais de la nuit qui dort, pouffa t-il.

Tic Tac
Tic Tac

L'euphorie alcoolisée déferlait sur lui maintenant, le submergeant et noyant ses sens. La contribution d'Applejack accomplissait le travail de sape, les bouteilles de leur hôte assurant la première partie du spectacle. Mentalement, il se voyait comme sur un plongeoir, s'avançant, se retournant et adressant un geste de défi grossier à son esprit, à ses doutes et ses craintes, à ceux et celles qui semblaient tout faire pour gâcher son bonheur...et même à Rarity tient, elle n'avait qu'a pas être si parfaite, il ne serait pas tombé amoureux aussi intensément et il n'aurait pas dû vivre tout cela.

- Va te faire foutre la réalité, marmonna t-il avant de lâcher prise.







- Scale ?

- Scale ?

- Hey Scale.

Grognements. Les yeux qui papillonnent. Même la faible lumière de la maison suffit à lui détruire la vue. Sans être vraiment là, à la frontière entre le rêve et la réalité. Qu'est ce qui vient de le réveiller ? Qu'est ce qui se passe ? Mais où est-il, il le sait c'est sur, la réponse est juste là aux frontières de sa mémoire, à porté de sabot, juste à un centimètre...

- Scale ? Je pense que tu devrais vraiment te réveiller...

Cette voix. Tellement, tellement belle. Trop belle pour exister vraiment, sans doute issue de ses rêves. Oh sa tête, si lourde. Pas de migraine, juste comme....comme si pour réfléchir il devait pédaler dans de la mélasse épaisse, soulever une haltère de ciment avec sa langue. Chaque phrase finissait par un écran bleu, il était remplit de bugs.
Las, les membres comme du plomb. Irrésistible envie de refermer les yeux et de replonger dans son concert mental. Comme sortir d'un joli rêve en couleur pour tomber dans un film dégueulasse en noir et blanc. Comme quitter sa couette le matin pour bien sentir le brouillard glacé.

- Aller....HOP !

Soudain entouré d'une aura bleue, il se retrouva sur ses sabots à cligner des yeux comme un ahuri. Il secoua la tête, assemblant lentement ce qu'il distinguait autour de lui . Pourquoi ? Pourquoi tous le monde avec la tête baissée ? Pourquoi un marshmallow blanc le regardait avec un air bizarre ? Et c'était quoi ce machin multicolore au fond de la pièce ? C'était quoi ces bruits de sabots, ces soufflements, ces toux ? Pourquoi il semblait il y avoir tout un tas de meubles dorés dans la pièce ?

- Ouate the phoque ?

- Heu...

Dieu qu'il avait mal, le corps parcouru de courbatures atroces. Mais sa vue s'éclaircissait peu à peu et...

Problème
Problème
GROS PROBLEME

Dans son coma, il avait complètement loupé l'arrivé de Celestia qui était désormais là, de l'autre côté de la pièce, à le jauger d'un air neutre même s'il n'était vraiment pas en état de jouer au poker menteur pour en juger. Par réflexe il baissa la tête mais le mal était fait. De rapides coups d’œil aux alentours, oui plusieurs gardes étaient là, normal ou précaution pour cette soirée particulière ? Et était-ce lui ou plusieurs semblaient déterminés à ne pas le quitter du regard ?

Son esprit fonctionnait maintenant à la vitesse d'un Wonderbolt...qui volerait péniblement dans un nuage de colle.

- Ravie de voir certains déjà dans l'ambiance, déclara doucement Celestia.

Alors que tous le monde échangeait des salutations avec l'Alicorne Solaire, Spike restait tremblant dans son coin. Bon point pour l'alcool, il n'avait pas encore traversé la fenêtre en hurlant de peur. Mauvais point il était aussi vif qu'un ourson hivernant sous somnifères. Les minutes passaient et rien n'arrivait. C'était calme. Trop calme.

- Mais princesse ?

- Oui ma très chère élève ?

- Lu...je veux dire votre sœur ne devait pas venir aussi ? J'étais tellement contente de la voir !

- Oh ne t'inquiète dont pas, elle arrive, elle règle juste quelques petits...détails.

Où commençait le rêve et s'arrêtait la réalité ? Le visage de l'Alicorne était serein mais Spike aurait juré que, pendant une seconde, le regard de Celestia s'était posé sur lui. Un regard meurtrier.
Il recula et butta contre le verre de la fenêtre. Au delà, l'obscurité, tellement tentante et rassurante. Sauf que, comme dans un film d'horreur, ce voile sombre abritait un monstre déterminé et ses laquais, sous la forme du vol de deux pégases de la garde arborant les couleurs de Luna.

Le camp adverse était en ordre de bataille et sortait le grand jeu.

Spike avait envie de prendre une pose de cinéma et de sortir une phrase destinée à devenir culte, dans le genre d'un « Tout ça pour moi ? » prononcé d'un air blasé. Mais au cinéma les coups étaient factices, la douleur simulée et la peur artificielle. Et il n'était pas vraiment dans un état susceptible de lui permettre de sortir des phrases chocs.

Alors que la vision de ses amies entourant joyeusement la princesse blanche devenait insupportable, il bruissement se fit entendre, puis un trot rapide juste avant qu'une grande masse sombre ne pénètre dans son champ de vision.

- Princesse ! Firent les éléments à l'unisson, avant de s'incliner respectueusement. Spike se contenta d'un vague salut, conscient qu'aucune des filles ne le regardait. Peut-être que l'air détaché allait rendre plus cool. Ou juste il était trop saoul. Même s'il ne l'était pas assez pour ne pas noter que le visage de Luna était sévère, dur et déterminé. Ok pas de traitement de faveur au final.

Et plus beaucoup de temps.

- Luna, tu n'avais pas quelque chose d'important à dire à nos chers juments ici présentes ?

Niveau subtilité on repassera , décevant de la part d'une créature immortelle.

- Possible ma sœur. Je me demandais juste s'il y avait eu des nouvelles, des changements ces derniers temps ?

- Les potins habituels répondit Rarity.

- Oh, voyez-vous ça ?

Luna leva un sourcil avant de jeter un regard lourd de sous-entendus à Spike, qui déglutit difficilement. A croire qu'être un cliché avec du style était dur mais être une ridicule parodie ne demandait aucun effort.

- Et bien...

La princesse se racla la gorge et s'avança légèrement, Celestia prenant place un peu en retrait.
Juge, procureuse et jury, tous étaient là, avec un public blindé au premier sens du terme.

- Au terme de nombreuses recherches, j'ai finalement retrouvé ce très cher Spike.

Quelques secondes de silence puis la déferlante. Toutes sautaient de joie, Twilight au premier rang mitraillait de question Luna. Impossible de comprendre qui que ce soit. Aucune des filles ne remarqua que Spike, Luna et Celestia demeuraient muets et observaient avec attention la réaction de chacune d'entre elles.
Spike surtout était fasciné par une certaine couturière. Rêvait-il ou son enthousiasme n'était-il plus nuancé ?

- Dites-nous princesse, s'il vous plaît ! Comment va t-il ? Qu'a t-il fait tous ce temps ? Va t-il revenir ? Quand ? Où est-il ?

- Du calme mes amies. Spike va bien, je pense. Il n'est pas loin d'ailleurs.

- C'est formidable, hurla Pinkie, on pourra faire une super fête pour son retour !!

- Mais, princesse, s'il n'est pas loin, pourquoi n'est-il pas venu avec vous ? questionna Twilight, se retenant difficilement de sauter partout.

Spike tourna le dos et fixa la nuit au travers de,la fenêtre. Une grande inspiration. Une deuxième. Le temps qui suspend son vol juste pour prendre quelques photos de l'instant, destinées à son blog céleste.

- A ma grande surprise, Spike n'était pas vraiment parti en voyage. Il n'est même pas parti très loin en fait. Il a juste décider de changer.

- Changer ? Demanda Applejack, perplexe. Visiblement elle n'était pas la seule à être perdue. Et Luna qui faisait durer le suspense, comme pour savourer chaque coup de couteau qu'elle infligeait à Spike.

- Notre cher petit dragon s'est juste lassé de sa vie et a décidé qu'il était temps pour lui de passer à autre chose. Et comme un dragon n'est pas ce qu'il se fait de plus discret, il est devenu un gentil petit poney.

- QUOI?!!!!

Grand silence, visages figés.

- Princesse, que...comment peut...c'est juste...

- Twilight Sparkle, je vois que même maintenant tu cherches à tout analyser. Mais je ne détiens hélas pas la solution. Par contre, je connais un poney qui pourra te répondre.

- Princesse, comment...je veux dire vous êtes une Alicorne, vous et votre sœur avez vu tellement de chose, comment pouvez-vous ignorer quelque chose ?

- Il semblerai que moi et ma sœur de soyons pas omniscientes. Pas d'inquiétudes cependant, nous aurons des rexplications ce soir.

- Mais qui peut donc nous les donner ?

Un large sourire apparu sur le visage de Luna. Satisfait. Carnassier. Celui du prédateur qui sait avoir bloqué sa proie et qui se prépare à lui porter le coup de grâce.

- Oh, un certain étalon, tout nouveau tout beau, avec de troublantes similitudes avec Spike, apparut bizarrement à la même époque, connaissant étrangement bien toutes vos petites manies. Trop parfait pour être naturel. Mais je pense qu'il s'est reconnu, n'est-ce pas...

Luna leva alors la tête.

- Monsieur le gentlecolt irréprochable, rédacteur à succès, nouvelle icône de la mode d'Equestria.

Petite pause étudiée.

- N'est ce pas, Scale Miror, alias Spike le dragon ?

Tandis que le sourire de Luna se teintait de sadisme, tous les regards se tournèrent vers la forme de poney violet qui cherchait à se dissimuler derrière un des rideaux.

Voilà, on y était. Combien de fois s'était-il demandé comment elles allaient réagir ? Enthousiasme, joie, gigantesque câlin collectif ? Pleurs, injures, imprécations ? Et lui ? Il avait rêvé de tant de scénarios, de tant de façon de répondre à ce qui allait être dit, tant d'attitudes ou de bons mots à avoir. Mais il n'avait pas prévu d'être à moitié défoncé, pas prévu d'être malgré tout nerveux comme jamais, pas prévu...mais qui peut prévoir ce genre de choses ?

Il resta donc là, à ne rien dire, ne rien faire finalement. A attendre. Encore.

- Sp...spi...spike ? Scale serait Spike ? Mais c'est impossible voyons, voyons ?

La voix de Rarity résonnait dans le silence qui était tombé. Un mélange de joie, de crainte et d'un début d'hystérie. Sortez vos caméras pour le plus grand drama de tous les temps.

- Ce...ce n'est pas possible, pas vrai ? Hein ? Comment le gentil petit Spikey-Wikey pourrait-il être, pourrait-il être...être...

Spike entendait clairement Rarity bégayer. Chacun de ses mots, chacune de ses lettres lui arrachait un morceau de son cœur. Il se sentait triste comme jamais, le cocon de l'alcool disparaissant comme par magie.

- Ce n'est qu'un blague, pas vrai princesse ? Jamais Spike n’aurait pu...

- Pu quoi, ma chère Twilight? Mentir à tous le monde ? Laisser son ego prendre le dessus ? Préférer son petit bonheur passer avant ses amis ? Te laisser, toi, complémentent perdue et malheureuse pendant qu'il se glissait dans la vie d'une amie ? Qu'il a exploité tous ce qu'il savait sur vous pour se faire accepter et effacer le souvenir de ce qu'il était ?

On entendait clairement que Luna se faisait violence pour ne pas hurler. Elle fit quelques pas en direction de Spike.

- Pourtant c'est ce qu'il a fait et bien pire encore. Jamais, jamais je n'aurais cru ça possible venant de ta part, toi qui paraissait si gentil, si généreux, si dévoué. Comme quoi, tous les dragons sont pareils.

C'est tout juste si elle ne cracha pas ces derniers mots, un de ses sabots remuant nettement, comme impatient de frapper. Une expression de haine pure se diffusait peu à peu sur le visage de Luna.

- Scale ? C'est...c'est vrai ? demanda timidement Fluttershy.

Le silence retomba, plus lourd que jamais.

- Bof...oui.

Avait-il vraiment dit ça ? Aussi plat, aussi insignifiant ? Après tant de prises de têtes ?

- Bof...bof...BOF ? C'EST TOUT CE QUE TU AS A RÉPONDRE ? Cria Luna.

Sa corne s'illumina et Spike se retrouva à flotter dans les airs avant d'enfin s'écraser brutalement contre le mur derrière Luna, qui se retourna pour regarder le poney gémissant de douleur sur le sol.

- Comment oses-tu ? Après tous ce que tu as fait. Alors que je t'avais donné une chance de te racheter ? Tu pouvais tout dire, avouer et implorer leur pardon, demander de l'aide mais tu as voulu rester dans ton petit univers douillet jusqu'au bout pas vrai ? Tu as voulu les tromper, les exploiter jusqu’à la dernière goutte.

Spike sourit douloureusement. Bénissant ses sens toujours engourdi par l'alcool, il se redressa péniblement.

- Et tu veux que je réponde quoi, désolé ? De quoi ? D'avoir aimé ? Aimer, au point de tous tenter pour l'être en retour ? D'avoir supporté de la voir me traiter juste comme un ami, un assistant, n’importe quoi sauf un Coltfriend ? D'avoir craqué parce que j'ai appris qu'elle ne me verrais jamais autrement ?

Il planta alors son regard trouble dans celui remplit de haine de Luna.

- Qu'est ce que tu peux savoir de l'amour toi ? Tu es une princesse, tu es une Alicorne, éternellement jeune, belle et désirable. Tu sais ce que c'est de se dire que la seule chose qu'on désire plus que tout dans sa vie est inaccessible ? Que tu n'as et n'auras jamais la moindre chance ? Que si tu va la voir, tu lui dis que tu l'aimes, ça ne pourra que finir mal ? Tu es là, devant elle, à l'entendre parler avec envie de tel ou tel étalon alors que tu as juste envie de hurler, de crier que tu es là, que tu l'aimes à en crever et qu'elle te fait mal.

- Mais non, tu fermes ta bouche et tu encaisses, tu prends sur toi en espérant un miracle.

Il s'était coupé quelque part dans sa bouche, le goût métallique du sang agressant ses papilles. Avec un sourire déformé, il cracha par terre.

- Et tu finis par en avoir marre. Marre d'être dans cette putain de friend zone. Marre de tout faire pour rien. Marre de te jeter sur la plus petite bribe de reconnaissance, marre d'être toujours à guetter un petit signe comme quoi peut-être qu'elle t'aime, peut-être qu'au fond tu as ta chance, peut-être que...peut-être, toujours peut-être. Marre d'être aux petits soin pour elle, marre de la vouloir au point d'être prêt à n'importe quoi juste pour la serrer quelques secondes contre toi. Marre d'en être réduit à rêver d'amour alors que tu te réveilles chaque matin seul, marre de devoir s'imaginer ce que c'est la tendresse d'une relation. Marre de voir tous le monde se mettre en couple alors que tu restes célibataire. Encore et toujours. Marre de devoir se retenir d'étrangler ceux et celles qui affichent leur romance, à s'embrasser, se câliner, se dire des mots doux bien devant toi, condamné à te nourrir de restes..

Spike fixa intensément le sol.

- Marre d'entendre que telle jument a rompue, que tel étalon a trompé quand tu ne sais même pas ce que c'est de se faire embrasser amoureusement.

Il releva la tête et, de nouveau, ses yeux et ceux de Luna s'entrechoquèrent dans une joute silencieuse.

- L'amitié c'est magique ? C'est magique d'être éternellement l'ami de celle qui hante tes nuits, de celle qui peut transformer toute ta vie juste en disant « oui » ? C'est magique de devoir sans cesse être joyeux, sourire, serviable tout en sachant que tu ne seras jamais que le mignon petit assistant ? C'est magique de se dire que tu verras toutes tes amies disparaître et que toi tu resteras seul ? Et que tu n'auras même pas un souvenir d'amour pour te consoler ?

Prenant alors une grande inspiration, il embrassa du regard l'assemblé.

- Alors oui. Oui j'ai cherché un remède. Oui je l'ai trouvé. Oui je l'ai utilisé. Parce que je ne suis pas surnaturel, j'ai craqué, j'en ai eu assez, j'ai eu envie de tenter quelque chose plutôt que de rester à jamais à souffrir sans espoir. J'en ai eu assez d'espérer un miracle. J'ai fais ce que j'ai pu avec ce que j'avais.

Spike reprit son souffle. Il avait percé l’abcès, il avait déversé devant elles ce qu'il ressentait, il en avait assez. La digue était rompue, les gardes-fous n'étaient plus, les sécurités avaient disparues. Malgré tout ce qui se liguait contre lui, il regardait Luna avec défi, dans sa dernière joute orale.

Plus rien à perdre.

- Tu me dégoûtes. Tu parles de souffrances, de solitude ? MAIS J'AI ÉTÉ SEULE DURANT MILLE ANS ! J'ai été bannie par ma propre sœur ! J'ai vu tout un peuple que j'adorais me délaisser. Alors que toi on reconnaissait tes mérites, moi j'étais juste la sœur de Celestia. Et moi aussi j'ai craqué. Et j'ai fait du mal, énormément de mal. Sauf que maintenant moi j'en ai conscience. Je terrifie ceux que j'approche mais je continue d'essayer, de trouver ma place et d'être acceptée. Et quand je te vois...tu es pires que moi en fait, tellement impatient, n'acceptant pas de ne pas avoir ce que tu veux tout de suite. Prêt à tout tenter mais pas à l'assumer. Tu aurais pu avouer, à Rarity, à Twilight, tu aurais pu dire ce que tu ressentais et elles t'auraient tendu le sabot et aidé. Mais non, tu as préféré ton petit bonheur en méprisant les sentiments des autres. Et cela je ne le tolère PAS !!!

La colère, l'amour, l'alcool et l'indignation font faire des bêtises. A cet instant là, Spike avait réuni ce carré dangereux. Il explosa.

- Tu ne le tolères pas ? Tu ne le tolères PAS ? Et de quel droit, hein ? DE QUEL DROIT ? Tu étais à ma place ? Tu étais dans ma tête et dans mon cœur ? Comment peux-tu juger la peine d'un autre ? Mesurer sa souffrance ? Si c'était insupportable pour moi ? Tu ne tolères pas quoi, le désespoir ? Le fait d'être prêt à tout ? Venant de celle qui a tenté un coup d’État pour une question de reconnaissance ?

Il fit quelques pas en direction de la sombre princesse, ignorant les gardes prêt à fondre sur lui en cas de geste suspect.

- Et pourquoi tu ne juges pas les autres alors ? Pourquoi parce que je suis un dragon dans un monde de poney je n'aurais pas le droit aux mêmes faiblesses ? Tout Ponyville a exclu Zecora juste parce qu'elle semblait différente, maléfique. Pourtant elle était tellement proche des poney, infiniment plus que moi, un dragon. Tu vas punir tout Ponyville peut-être ? Tu as d'autres Alicornes avec toi mais je n'ai jamais croisé un autre dragon vivant comme moi ! Pour une fois ou j'ai décidé de tenter de mettre mon bonheur en avant, je devrais être punis ? Quelles étaient mes chances en dragon ? Et en poney ? C'est criminel de ne pas vouloir partir battu ? Et combien de poneys se font souffrir entre eux sans que tu ne fasses rien ? Tu sais très bien que j'aurais pu faire n'importe quoi, quelqu'un aurait souffert. Mais si c'est moi c'est tolérable ?

Spike n'arrivait plus à rester en place, il allait et venait sans quitter la princesse de la nuit du regard.

- Tu te rends compte que tu as préféré faire souffrir les autres plutôt que toi ? Au lieu de chercher comment ne faire souffrir personne?

- Mais arrête, arrête. Tu m'accuses de ne pas avoir fait ce que personne d'autre n’aurait fait? Parce quoi, je suis un dragon ? Dans ce cas, ne me juge pas comme tu jugerais un poney.

- Mais tu n'es pas un poney, juste un sale imposteur et un menteur !!

- Alors traite moi comme un dragon et ne me demande pas d'agir comme un étalon exemplaire.

- Tu ne pouvais pas être juste toi, pas vrai ? Pas assez glorieux ? Faire semblant plutôt que d'être vrai, hypocrite dégueulasse.

- Tellement facile de dire d'être soi. C'est toujours tellement facile à écouter les autres. Quasiment personne n'y arrive mais échouer c'est être un raté, un paria, un moins que rien. Va essayer d'être toi parmi un peuple de dragons et on en reparle.

Spike ne se rendait plus vraiment compte de ce qu'il disait. Son esprit était à la fois clair et perdu dans les brumes. Clair, parce qu'il arrivait à s'exprimer sans trébucher à chaque mot. Mais pourtant il parlait plus avec les recoins sombres de son cœur qu'avec sa raison. C'étaient ses émotions qui sortaient mais un beau discours ne fait pas tout. Répliquer à l'instinct n'était peut-être pas la plus sage des décisions face à une créature puissante et très en colère. Il était à son procès mais ne faisait preuve d'aucune prudence ou retenu désormais.

Plus rien à foutre.

- Qu'est ce que je perds mon temps de toute façon. Je suis déjà jugé et condamné. Parce que les apparences sont contre moi. Parce qu'aucun mot n'arriverait à décrire mes sentiments, à vous faire ressentir ce que j'ai ressenti. La peine que j'ai éprouvé, les regrets, les hésitations, vous vous en fichez parce que comme je ne les aient pas montrées chaque jour elles n'existent pas ? C'est mal de ne pas savoir quoi faire et de tenter des trucs, avant d'arrêter de peur d'aggraver les choses ?

Spike s'approcha de Rarity, hésitant.

- Rarity, je...

Mais la licorne fondit en larmes et, tout en pleurant, se rua dans une pièce voisine et claqua la porte si fort que plusieurs tableaux chutèrent alors qu'un vase se brisait.
Ce qu'il restait de Spike se désintégra alors. Jusqu'au bout, il avait espéré un autre dénouement , n'importe lequel, de ceux des séries et des histoires, où après une scène mémorable les deux âmes sœurs se réunissent et vivent à jamais ensemble.

Sauf que ce n'était pas une série, pas une fiction. Et ce qui pouvait tourner mal le faisait dès que possible. Il murmura alors, d'une voix cassée mais pourtant audible :

- Je puis regretter d'avoir menti, d’être la cause de ruines et de souffrances, mais fussé-je sur le point de mourir...Je ne pourrais me repentir d'avoir aimé.


Sans plus un mot, il se dirigea alors vers la sortie, le visage décomposé, se rendant à peine compte de son mal de tête, à peine compte qu'il était à deux doigts de trembler comme une feuille. Il clignait sans cesse des yeux pour ne pas pleurer, luttait de toutes ses forces pour ne pas entendre les réactions des autres juments. Pourtant, il ne pouvait pas ne pas les percevoir, ces sanglots étouffés et ces reniflements, ces murmures et petits bruits de colère.

Au seuil de la maison deux gardes lui barrèrent le chemin, muets comme des statues. Sur un regard de Celestia toujours silencieuse, ils s'écartèrent cependant. Alors que la princesse du Soleil murmurait quelque chose à l'un de ses gardes et que Luna lançait des regards moitié furieux moitié décontenancés à sa sœur, ce qui avait été un ami et un amant fuyait lentement dans la nuit.

Vous avez aimé ?

Coup de cœur
S'abonner à l'auteur

N’hésitez pas à donner une vraie critique au texte, tant sur le fond que sur la forme ! Cela ne peut qu’aider l’auteur à améliorer et à travailler son style.

Chapitre précédent Chapitre suivant

Pour donner votre avis, connectez-vous ou inscrivez-vous.

Aucun commentaire n'a été publié. Sois le premier à donner ton avis !

Nouveau message privé