En ce moment, Uishcias, grand partageur du secret royal, profita de ce que la déclaration de Nuada stupéfia autant la foule des nobles qu’elle exalta la plèbe pour amener Lugh à l’écart de l’espace désigné pour recevoir les candidats. Là, un peu éloigné du centre général de l’attention, le nouveau duo de l’élève et du maître pouvaient à loisir voir ce qui se passerai tout en gardant la liberté de parole nécessaire qu’il faudrait pour entamer l’éducation décalée du nouveau pupille de l’ancien tuteur de Nuada. Toutefois, le vieux druide savait que parler haut serait assez mal vu dans une telle circonstance. Approchant sa tête fripée du jeune cerf à la nervosité candide, c’est ainsi qu’il lui chuchota : « Vois-tu, jeune Lugh, ce que tu vois ici est une singularité de l’histoire, et tu ferais bien d’y être attentif...
-Pourquoi cela ? répondit Lugh avec la même hauteur de voix.
-Car c’est la première fois que l’on va voir s’affronter ainsi des seigneurs dans un tel contexte.
-Les nobles ne se battent jamais entre eux, chez vous ?
-Rarement de cette façon, et dans de tels temps...
-Mais qu’est-ce que vous faîtes, au fait ? Tous ces tissus, ces couleurs... jamais je n’en avais vu réunies ainsi, ni même soupçonné qu’il y en eu autant !
-C’est la grande célébration de l’été. Les druides ont compté les jours depuis la dernière grande fête et ont déterminé que le solstice d’été est aujourd’hui. Nous célébrons le passage à chaque saison.
-Et... cela, vous le faites toujours de cette façon ?
-Non... » dit Uishcias, dont le regard se perdit dans le vide. « A la grande assemblée du printemps, nous allumons des feux de joie et nous dansons autour. C’est pour cela que nous, druides, la nommons la fête des feux du printemps. Mais... Silence, et observes attentivement tout ce qui va se dérouler ici. »
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Le haut-roi, calme et sûr de l’effet qu’avait produit sa proposition, observait par des coups d’œil rapides quels pourraient bien être les audacieux de l’occasion.
Finn le premier s’avança devant le roi. Aussitôt Nuada lui fit savoir, par un large signe du sabot, qu’il n’était guère souhaitable qu’il s’y joigne : « Vous vous êtes fait attribuer suffisamment de gloire aujourd’hui et tous connaissent votre valeur, à tel point que peu osent s’y opposer. Votre ambition est un modèle pour nous tous, mais en tant que roi, mon devoir est de privilégier le partage. »
Il y avait bien sur une certaine ironie inconsciente cachée derrière les mots du haut-roi, quand on tenait compte du peu de difficulté qu’avait mis le meneur à remporter la soi-disant gloire du jour.
Cet argument n’était bien sûr qu’une excuse pour éloigner un candidat qui serait non seulement inutile de par son appartenance à un ordre indépendant mais encore il pouvait provoquer l’éloignement de certains participants à cause de son habilité.
Finn, assuré par un ordre royal autant que par le rappel de son triomphe de la journée, s’éloigna de bonne grâce. Concobar, confiant et joyeux, se plaça avec pompe devant le roi, qui n’était pas mécontent de la candidature d’un tel cerf. « Ne serais que pour vous faire honneur, seigneur Finn, déclara-t’il au meneur alors qu’il s’était placé, j’aurais volontiers bu jusqu’à devenir aussi rouge que les bannières des vôtres. Mais ce serait offense que de vous voler vos couleurs là où vous ne courez pas ».
Tous les amis du seigneur rirent alors de bon cœur de la provocation qui n’avait en elle-même d’autre but que de profiter de l’absence du seul cerf que tous craignaient, mais que beaucoup trouvaient arrogant et bavard. Sans sa capacité à mimer la bienséance, Nuada savait qu’il aurait risqué un sourire vexant ; ce n’était toujours pas l’envie qui lui manquait. Dagda, quant à lui, aurait surement couvert tous les autres rires du sien s’il n’avait pas rejoint sa place, irrité par les évènements récents.
Mais Finn, toujours aux côtés du roi, et quelque peu touché dans son amour propre d’être éconduit d’une telle compétition, accueilli la saillie avec un sourire railleur : « Mais, digne Concobar, n’hésitez pas à boire tout votre saoul, car enfin, j’aurais toujours la meilleur part devant ma bouche. ». La réaction fut à peu près la même que lors de la précédente pique, si ce n’est que c’était les partisans de Finn qui riaient, tandis que ceux de Concobar profitaient de l’air dépité du seigneur qualifié ironiquement de digne par son adversaire verbal. Durant le court temps que dura l’échange, d’autres personnes parmi les nobles s’étaient faufilées devant le roi.
Vinrent vers Nuada deux autres nobles : le premier d’entre eux se nommait Faol. Gris de pelage et dans son âge mûr, il avait failli rejoindre les héros de la Ramure Rouge pour satisfaire le désir d’action de sa jeunesse. Son père mourut alors, ce qui lui laissa l’obligation de s’occuper de l’héritage et coupa court son projet.
Il avait vécu d’une gloire relative qu’il avait acquise par des faits d’armes médiocres, uniquement due au fait que l’ancienne forteresse de ses pères avait été en son temps bien protégée par le terrain et la pauvreté de son fief. Aussi, tout groupe d’éclaireurs de plus de trois griffons tué devenait un raid repoussé et chaque brigandage stoppé se transfigurait en coup d’éclat pour la défense du peuple.
Son ambition, consciente de cette réalité si peu reluisante, était prête à se donner au moindre petit exploit. C’était là la raison de sa participation.
Le second avait pour nom Cronan, et son pelage était noir comme la suie. Au contraire de Faol, il était encore jeune, et muni de toutes les illusions que procure cet âge où le bon sens absent se transforme en force du corps. Il était héritier mais pas encore orphelin. Désireux d’une réputation rapide, l’occasion était devant lui.
Nuada approuva tour à tour ces deux choix, mais regretta intérieurement qu’il ne se présenta personne d’autre. Avec ces candidats, Concobar était tout désigné pour être vainqueur. Comme il estimait en son for intérieur qu’il constituerait un roi tout à fait capable, malgré les mœurs légères qu’on lui connaissait, il n’était pas gêné par cela. Mais si tous les cerfs constataient que leur roi prenait de l’intérêt dans une compétition qui réunissait si peu de personnes, la chose serait suspecte. Il fallait définitivement plus de monde.
Réitérer l’appel serait inutile car on sentait sur les expressions hésitantes de beaucoup les envies de se distinguer. Nuada comptait presque sur le rappel de Finn pour équilibrer le défi quand une voix féminine se fit entendre à sa droite : « Moi aussi, haut-roi ».
D’un mouvement commun, et comme les branches d’un arbrisseau dansant sous l’action du vent, quand celui-ci change de direction, toutes les têtes et les ramures qui les couronnaient se tournèrent vers celle qui venait de se présenter. Une biche, au pelage d’une vive couleur d’automne et vêtue d’une robe d’un vert profond qui semblait s’accorder à ses yeux. Ceux-ci brillaient d’une lueur vindicative et un sourire d’assurance dévoilait leur intention au plus innocents des spectateurs.
Dans ces temps anciens, où la défense de son foyer était l’affaire de chaque jour, il était fréquent que les deux sexes s’arment de façon égale contre toutes les menaces qui pouvaient survenir du jour au lendemain. L’ère où les cerfs avaient habité leurs quatre îles avait vu fleurir nombre de générations de biches guerrières, qui furent toujours prêtes à dédier leurs jeunes ans à combattre le griffon. Leur férocité était d’autant plus redoutée qu’une sympathie de genre les avait intimement liées avec les écoles de druidesses. Ces dernières avaient maints secrets concernant des rites guerriers sanglants ou des mixtures tantôt magiques tantôt remplies de toutes sortent de drogues qui portaient leur métabolisme à un état de tension inimaginable et rares étaient les mâles à partager ces dons, les heureux élus s’étaient toujours quant à eux gardés d’offenser d’aucune façon leurs consœurs.
Paysannes comme nobles, filles de pêcheurs ou filles de rois, elles portaient armes et protections tout comme leurs homologues masculins. Certains, par misogynie et jalousie, les conspuaient. Le plus grand nombre les admirait. Parfois, l’appel de la famille, le résultat imprévu d’une nuit d’oubli, ou encore les rares périodes de paix retrouvées signaient pour la grande partie d’entre elle le début d’une vie plus calme. Les autres restaient à se battre comme au premier jour. Parmi ces héroïnes, il en émergeait quelquefois une que les druides considéraient comme possédée par l’esprit de la guerre. C’était que l’excès de férocité et l’abus des cataplasmes ésotériques en avaient rendues certaines si enragées qu’un seul coup de leur sabot suffisait à écraser le crâne de leurs ennemis. Ce mode de vie les faisaient fatalement mourir plus que du combat lui-même, et ce même sur le champ de bataille.
Ce n’était pas de cette dernière catégorie qu’était Morvenn, car tel était le nom de la jeune biche qui venait de se présenter aux jeux du roi. Jeune certes, mais bien rompue à la plupart des exercices guerriers de sa caste, celle des nobles. Sa réputation la présentait comme une personne aux tendances généreuses, d’où sa vocation à prendre les armes pour défendre son peuple, mais surtout comme un réservoir de fierté intarissable. Il faut préciser que l’on voyait souvent en elle son ancêtre, la reine Boidissée, qui gagna en son temps une bataille désespérée contre les ennemis ailés des cerfs.
Consciente de l’honneur du lignage qu’elle devait honorer, et se considérant comme le fer de lance des guerrières de la jeune Cervidas, il lui sembla naturel d’aller relever la compétition pour l’honneur de celles qu’elle représentait.
Cette apparition fit trembler le vieux Faol autant qu’elle déclencha le dédain du juvénile Cronan. Concobar avait lui déjà reporté un regard provocant vers Finn. « Nul ne saurait vous refuser cet honneur, demoiselle Morvenn. » répondit Nuada d’un ton bienveillant. La jeune biche le salua tandis qu’elle se plaçait face au roi à droite de Cronan. Ce dernier détacha à Morvenn un regard aussi noir que son pelage. Menace muette que la guerrière en robe verte relevait, mais trop d’orgueil personnel l’empêcha de répondre directement. Celui-ci finira brisé, pensa Nuada en prenant note du même regard, car le roi était parmi les premiers à admirer et saluer –beaucoup par intérêt- les talents des combattantes du peuple des cerfs.
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« Donc, chez vous, les mâles ont prétention à se battre contre les femelles ? demanda discrètement Lugh à Uishcias.
-Ce sont nos coutumes » lui confirma le druide qui regardait d’un œil inquiet l’arrivée de Morvenn. Non pas que le vieil ovate -qui connaissait l’intention du roi- s’inquiétait de ce qu’une femelle eut emporté la royauté, mais il était lié de sympathie et d’amitié à Concobar, et craignait qu’il ne lui arrive malheur. Il poursuivit sa conversation pour détourner ne serait-ce qu’un peu son attention d’une scène sans doute peu supportable à cette conscience vénérable : « Et quels sont donc les rapports des gentes chez les fomoires pour qu’une telle coutume t’étonne ?
-Je n’ai vu que peu de femelles parmi les leurs, répondit Lugh d’un air songeur en regardant Morvenn. Mais elles étaient toutes craintes...
-Pour quelle raison ? s’inquiéta Uishcias.
-Elles sont toutes réputées comme des magiciennes redoutables. Les bavardages et rumeurs faisaient états d’évènements, qui, fables ou réalités, effraieraient n’importe qui. Les plus terribles racontent que des changelins ont vu leur tête exploser sans raison alors qu’ils avaient offensés une des leurs auparavant, sans même que celle-ci ne fut là pour constater l’injure...
-Que les esprits nous gardent, susurra le vieux druide qui cédait d’une panique à une autre, as-tu déjà eu vent d’une de ces sorcières du nom de Sharpedwings ? » Lugh fit non de la tête.
On se pressait en contrebas. Des cognements contre la paroi de bois se firent entendre. Tous ceux qui étaient à proximité regardèrent, et les nobles risquèrent un regard vers le bas. Et le spectacle valait la peine de ce détournement oculaire. Des gardes, prévenus par un ordre discret convenu sans doute en secret dans la mise en scène que déployait Nuada, dégageaient un espace devant la plate-forme et éloignant les cerfs qui en étaient trop proches, parfois, non pas sans engendrer quelque chaos vite maîtrisé. La résultante de cette action poussa une partie de la presse finir la fête dans la plaine.
Une surface, une sorte d’arc de cercle ovale fut dégagé par les cerfs d’armes, alors que la rumeur qui affectait la plate-forme s’amplifiait. Les spectateurs virent alors tout ce que le génie de Luchta, le légendaire architecte avait déployé. En effet, les panneaux de bois séparant les colonnes de la structure avaient été conçus dans le but de pouvoir s’ouvrir dans un mouvement provoqué par une poulie qui faisait se lever la paroi, révélant l’existence d’un intérieur à la plateforme.
De cette partie jusque-là cachée, sortirent plusieurs serviteurs qui étaient entré par un moyen dérobé quelques instants après que Nuada eu fait son annonce. Ceux-ci sortirent en trainant avec eux sur l’espace duquel la foule s’était retirée une lourde structure qui paraissait familière à tous les yeux rassemblés dans la fête. Mais pas à ceux de Lugh. Celui-ci, surpris, ne put s’empêcher d’interroger Uishcias sur cette vision : « Quelles est donc cette machine qui parait à mes yeux ? Elle semble plus étrange que tout ce qui m’a été donné de voir ici.
-C’est, répondit l’ovate, un outil de jeux guerriers sur lequel notre peuple s’exerçait quand son ancien foyer était encore debout. Cet assemblage que tu vois là-bas, » dit Uishcias en désignant cette structure en bois d’où pendaient des cercles de fer tenus par des cordes, « sert à ce que nous appelons le jeu des anneaux.
-Et en quoi consiste-t-il ?
-Et bien comme tu peux le voir, dis Uishcias en désignant d’un mouvement du museau la structure même, sept anneaux pendent de l’assemblage de bois. Le cerf doit lancer un javelot au travers de ces anneaux, et l’on considère que celui qui a fait passer sa pointe dans le plus grand nombre d’entre eux est déclaré vainqueur. ».
Lugh écoutait vaguement le cerf à la crinière blanchie lui décrire le jeu. Ecoutant vaguement, il contemplait les buts que les lutteurs de ces jeux allaient tenter de toucher. Le fer encore propre des anneaux, et la fraîcheur de l’aspect du bois qui composait ce curieux appareil fixe témoignait de sa jeunesse. Il avait en effet été conçu en même temps que la large plate-forme, et commandé par Nuada sur un ton qui avait tenu plus du caprice que de l’impératif.
Ces anneaux fins, le rayon concentré du soleil qu’ils renvoyaient sous un certain angle de vue et leur doux balancement provoqué par le transport de la structure semblait hypnotiser le jeune guerrier, qui, dans les recoins sombres de son esprit entraîné aux affaires martiales, visualisait sans doute le coup parfait appliqué en réponse à un tel défi. Cette concentration avait été telle qu’il lui sembla, pendant un instant, qu’Ushcias s’était évanoui dans l’air et que ce sont ses anneaux, par leur bouche de fer figée, qui lui avaient expliqué les conditions par lesquelles on se rendait maître d’eux.
Perdu dans cette sourde pensée, il dit machinalement, presque sans s’en rendre compte : « Je le ferais aussi bien que n’importe lequel d’entre eux. ». Son mentor, qui certes ne s’attendait pas à une réponse aussi irréaliste qu’inconvenante, redressa vivement la tête, et, prenant un air choqué, il ouvrit la bouche mais attendit une seconde pour réfléchir à sa réponse. Même la sagesse a ses réflexes et ses blocages qui lui empêchent de trébucher.
« Tu n’y penses pas, répondit-il finalement avec calme. Etre accepté au rang de courtisan du haut-roi est un honneur qui suffit à toute une journée. De plus, ceux qui sont là te considèrent comme étranger. Au mieux ils n’accepteraient pas de se mesurer à toi par méfiance ; au pire, ils considéreraient toute victoire de ta part comme une insulte plus grande qu’à l’ordinaire et toute défaite comme une preuve de faiblesse d’autant plus grande que l’orgueil mis dans un tel défi est important. ».
Le jeune cerf blanc eu son inspiration coupée par la réplique de Uishcias. Quand celle-ci eu fini, il rougit, vaguement honteux de la légèreté de pensée qui l’avait poussé à extérioriser sa rêverie de jeune cerf plus poussé par sa fougue que par son ambition. Comme Lleu auprès de son oncle... pensa le druide en se rappelant ce conseil sous la tente du roi, quelques mois plus tôt...
Cependant, les serviteurs avaient continué leur ouvrage et avait assemblé un large cercle fait de planches qui avaient été travaillées de manière à s’emboiter les unes dans les autres. Les cerfs, bons marins, avaient pris l’habitude de la confection de pièces de ce genre pour stabiliser leurs navires restés au port durant les temps de tempête. Tout ce que stabilisait ici ce large cercle de planche, c’était une limite.
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Les quatre candidats -qui ignoraient bien le réel enjeu du dispositif politique de Nuada- s’étaient absentés, escortés par des gardes, des serviteurs et le roi qui leur expliqua les règles d’épreuves rituelles qu’ils connaissaient tous bien pour les avoir admirées de loin ou même pratiquées. Ils passèrent sous la plateforme par un passage dérobé d’où ils purent suivre la fin des préparatifs.
Sous les planches, on offrit aux participants de se débarrasser de leurs vêtements de fête, légers mais tout de même gênants dans le cas de telles pratiques. On leur proposa d’en porter d’autres plus adaptés. Tous refusèrent, la pruderie n’ayant en aucune époque été le caractère de ce peuple, qui affectionnait les jeux de la noblesse de cette façon. Cependant, des mesures de bienséances exceptionnelles – le roi ayant voulu limiter le risque de perdre des vassaux précieux avant la bataille – obligèrent les trois cerfs du groupe à porter sur les pointes de leurs bois des petites boules de bois percées pour limiter au mieux l’impact des coups. L’usage de ces sphères révéla d’emblée à tous la nature d’une des épreuves. Considérant ceci, il serait légitime de penser que la participation de Morvenn aux épreuves était faussée. Il n’en était rien.
Il lui fut confié un singulier objet qui se révéla toutefois crucial dans sa participation : c’était un bout de cuir tanné, munis de renforts en fers à l’intérieur qui servaient à le stabiliser correctement sur une tête cervidée. Pourquoi fallait-il qu’un tel objet soit stable ? Car il supportait deux semblants de bois faits en fer par son armature, pareils à des arbres gris sans feuilles. En effet, le vide que la nature avait injustement accordé au crâne des biches (cause à laquelle les guerriers les plus misogynes attribuaient le caractère violent des semblables de Morvenn), s’il se comblait lors des batailles par les armes que celles-ci portaient, se contrebalançait lors des combats de bois par ce moyen artificiel.
L’utiliser n’était pas sans risques. Ce procédé, assez ancien déjà en ce temps, n’avait jamais su trouver son équilibre idéal dans sa conception. Tantôt trop léger, il tombait au moindre mouvement, ce qui n’était pas grand-chose ; tantôt trop lourd, un choc trop fort sur lui entrainait la tête et forçait le cou aux mouvements les plus inexorables, ce qui était terrible. Morvenn lia elle-mêbroncher cet objet que l’on appelait alors « bois de vierge ». La participation féminine aux combats de bois, étant, comme il est visible, autorisé, ces objets n’étaient pas rares dans les tournois.
Elle lia les sangles de cuir à la boucle de fer qui serraient les bois de vierge autour de sa tête, tandis que des serviteurs plaçaient d’autres boules percées sur ces prolongations de fer. Cronan et Faol, prêts depuis plus longtemps, observaient cette curiosité qu’ils voyaient d’aussi près pour la première fois. Concobar, également paré, se tenait près de la sortie de la plate-forme, un peu derrière le roi qui attendait. S’il est vrai qu’il y avait quelque chose de singulièrement ridicule dans l’apparence que donnaient ces sécurités relatives, l’orgueil joyeux du noble ventru n’avait en rien diminué, et, le torse bombé, souriant, il salua fièrement et chaleureusement la foule d’un geste du sabot.
Morvenn, sentant les regards du jeune et du vieux posés sur elle, avait aussi sa fierté : celle du handicap. Elle avait conscience du désavantage et des nombreux risques qu’offrait un tel procédé. Sa force ne serais sans doute jamais aussi exaltée que celle d’un authentique guerrier, aucun bois ne lui pousserait du front, et plus d’une de ses sœurs s’étaient ridiculisées ou tuées dans l’entreprise qui était présentement la sienne.
Et pourtant, elle était là. Souriant doucement en songeant à cet inconvénient qui était une gloire d’office. Mais même si sa défaite eu été plus largement excusée que ses prétendants étaient nombreux et que les conditions de l’existence ne jouaient pas en sa faveur, elle tenait au défi en lui-même plus qu’à la renommée qu’il apportait. Ridiculiser le sec Faol ou le novice Cronan, c’était pour elle casser une vielle brindille et écraser une pousse trop verte. C’est bien la participation de Concobar à la renommée paillarde qui l’avait incitée à dire « Moi aussi, haut roi. ».
C’était ainsi, que, chacun à leur façon, les quatre recherchaient tous la même chose dans cette compétition : la reconnaissance.
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