Les sabots du garde résonnaient froidement dans le couloir des cellules. Le poney, lance au flanc, patrouillait avec application de long en large, à la lueur des cristaux lumineux incrustés dans les murs. En passant une nouvelle fois devant la grille de la cellule du fond, il releva la tête et fit de son mieux pour paraître le plus intimidant possible. Pour une fois que la petite prison de l’Empire accueillait un locataire, c’était l’occasion. Le prisonnier, cependant, ne lui adressa même pas un regard. Une paire de pieds dépassait de la couchette sur laquelle le détenu, silencieux, fixait sans le voir le plafond au dessus de lui.
Maxime n’avait pas dit un seul mot depuis qu’on l’avait enfermé. Après son atterrissage catastrophe, il s’était laissé emmener sans protester jusqu’au château, où on l’avait descendu là, sans doute le temps de décider quoi faire de lui. En réalité, cela lui importait peu. Si les poneys l’avaient enfermé par crainte qu’il essaie de s’échapper, ils s’étaient démenés pour rien. Au point où il en était, il n’avait plus la moindre envie d’essayer quoi que ce soit. Couché sur le dos, il se contentait de fixer d’un regard vague le cristal du plafond, immobile et silencieux, sans penser à rien. De nouveaux pas et le bruit d’une clé que l’on tourne dans une serrure le firent cependant jeter un œil vers la grille. De l’autre côté, Célestia et Twilight attendaient, silencieuses, que le garde leur ouvre.
- On rentre, fit la ponette mauve d’un ton neutre.
Maxime se contenta de lui lancer un regard mou, puis, avec un long soupir, se leva et quitta son cachot. Twilight, sans l’attendre, était déjà repartie le long du couloir, mais Célestia n’avait pas bougé. Quand l’humain passa devant elle, il ne put s’empêcher de croiser son regard. À son étonnement, l’expression de l’alicorne blanche était dénuée de tout reproche. Au contraire, elle lui adressa un sourire bienveillant, relevé même d’une pointe de fierté. Maxime, au comble de l’agacement, lui répondit par un froncement de sourcils haineux, chargé d’autant de mépris qu’il était possible d’en exprimer. La grande alicorne, loin de s’en fâcher, battit doucement des paupières, telle une mère pardonnant les bêtises de son enfant.
Une fois sortis, Twilight conduisit Max jusqu’à la gare, où un train les attendait. Ils embarquèrent seuls, sans que personne ne les accompagne sur le quai ou n’entre s’asseoir avec eux. Maxime ne demanda même pas où étaient les amies de la jeune princesse, ou encore Spike ou Cadence. Il s’en moquait bien. Dès qu’ils furent installés, la locomotive se mit en branle et le convoi s’éloigna dans la nuit en direction de Poneyville.
Il faisait toujours nuit noire quand Twilight et son compagnon bipède arrivèrent au château. L’édifice, toute lumière éteinte, ressemblait à un énorme arbre mort. Une fois à l’intérieur, la jeune princesse rejoignit aussitôt sa chambre, sans une parole. Maxime resta un moment seul dans le hall puis monta à son tour vers l’étage, en veillant bien à ne pas croiser la ponette mauve sur son chemin.
Une fois dans sa chambre, il ouvrit grand la fenêtre et se pencha au dehors. Les planètes, leur alignement désormais rompu pour quatre autres millénaires, n’étaient plus que des étoiles perdues parmi les autres dans le firmament. Dans un autre coin du ciel, la lune à moitié pleine éclairait de sa faible lueur argentée le pays endormi. Maxime soupira, puis referma les volets et tira les tentures. Couché sur son lit, il fixa en silence le plafond pendant encore de longues minutes avant de s’endormir.
Une vague lueur éclairait l’horizon, nimbée de nuées couleur de nuit. Un bruit éthéré résonnait doucement dans le vide, telle une mélodie lointaine et solitaire. Debout dans l’étendue déserte, une silhouette se dressait dans la pénombre, seule et silencieuse. Elle leva le regard vers les cieux, où apparaissaient ici et là quelques tristes étoiles à l’éclat fantomatique. Au zénith, cependant, quelques unes, plus grosses et plus lumineuses, convergeaient lentement les unes vers les autres, jusqu’à se rejoindre en un unique disque blanc. La mélodie se renforça, alors qu’apparaissait dans le lointain la silhouette mince et brillante d’un arbre sans feuilles à l’écorce étincelante. Une voix indistincte murmurait à ses oreilles, comme pour l’appeler à la suivre. Un frisson se répandit dans son corps et descendit le long de son dos pour venir se loger dans sa cuisse, où il se transforma en un picotement insistant. Alors que la lumière envahissait peu à peu l’espace désolé, Maxime ouvrit les yeux.
Il faisait toujours nuit sur Poneyville, cependant la lourde quiétude qui régnait sur la bourgade indiquait que l’aube n’était plus très loin. L’humain, étendu sur son lit, pouvait presque sentir la respiration assoupie des habitants. La mélodie lointaine qu’il avait entendue en rêve résonnait toujours à ses oreilles. Il attendit un moment qu’elle s’éteigne, cependant elle continuait, tel un murmure insistant. Le picotement qui l’avait assailli n’avait lui non plus pas disparu. Sans même devoir la toucher, il sentait la marque à sa cuisse le démanger, insistante mais cependant étrangement apaisante. L’impression d’une voix qui l’appelait, d’un souffle qui voulait le guider se faisait de plus en plus nette et forte. Comme pris par la main, il se leva, s’habilla en silence et quitta la chambre.
Le château endormi respirait le silence et le sommeil, cependant, au bas de l’escalier, le regard de Max fut attiré par une vague lueur au bout du grand couloir. Les portes de la salle aux trônes étaient entrouvertes, laissant filtrer la lumière. Comme toujours plongé en plein rêve, il la suivit avec docilité, ses pas ne produisant qu’un faible bruit amorti sur le sol de cristal.
A l’intérieur, la carte était activée, l’hologramme émettant sa lumière bleutée dans le noir de la nuit. Au dessus flottait une unique marque, quelque part dans la forêt, non loin de Poneyville. La silhouette de l’Arbre d’Harmonie se dessinait en dessous, à l’endroit où s’ouvrait la grotte, sous les ruines de l’ancien château. Quand Maxime posa la main sur la surface de cristal, la lumière se renforça. Le chuchotement à son oreille se fit plus clair et plus insistant. Un chuchotement qui l’appelait, et auquel il devait obéir.
Quelques minutes plus tard, Twilight fut elle aussi tirée de ses songes. Poussée par une inexplicable intuition, elle se leva aussitôt et descendit en silence, également guidée par la lumière provenant de la salle aux trônes. La carte brillait toujours, la marque solitaire au même emplacement. Un frisson parcourut l’échine de la ponette.
Maxime n’aurait su dire combien de temps il avait mis pour traverser la forêt, ni même quel chemin il avait emprunté. Il avait simplement marché devant lui, comme en songe, toujours guidé par ce même murmure lointain, jusqu’à se retrouver face à l’entrée de la caverne. À l’intérieur, au centre de la salle, l’Arbre se dressait, majestueux, tel que la dernière fois qu’il l’avait vu. Un instant plus tard, il lui faisait face. Il leva une main frémissante, puis, après de longues secondes d’hésitation, posa sa paume sur le tronc.
« ... L’Harmonie... »
« ... L’Équilibre... »
« ... Vivent en chacun dans ce monde... »
« ... Dans tous les mondes... »
« ... Ils viennent en aide à ceux qui les appellent... »
« ... Ils apportent la lumière à ceux qui sont perdus dans les ombres... »
« ... Ils reconnaissent ceux qui s’en montrent dignes... »
Dans un flash de souvenirs, Maxime revit l’Empire, les étoiles alignées, la brèche qui avait déchiré les cieux et le dirigeable, avec lui à son bord, qui volait vers cet autre monde, le sien, celui qu’il voulait tant rejoindre. Mais le regard de terreur d’un petit poney gris s’imposa ensuite, énorme, emplissant tout son champ de vision. Ce malheureux petit poney, sur le point d’être arraché à son monde pour se retrouver prisonnier dans un autre et qui le regardait, ses grands yeux remplis de peur et d'incompréhension. Alors, le dirigeable avait viré de bord, manquant l’ouverture, tournant le dos à cette miroitante promesse de retour, avant de s’écraser dans les ombres.
« ... Ils reconnaissent ceux qui s’en montrent dignes... »
« ... Ceux qui font preuve de compassion... »
« ... Ceux qui, à la fin, parviennent à faire le bon choix... »
Quand Maxime ouvrit les yeux, il était toujours dans la grotte, face à l’Arbre. Cependant, depuis le tronc étincelant se détachait désormais un grand rectangle lumineux, dont les bords ondulaient et dansaient comme de la fumée dans l’air. De l’autre côté, là où aurait dû apparaître le fond de la caverne, une route asphaltée se déroulait dans la nuit, vers les lumières d’une ville. Une ville aux bâtiments gris et carrés, aux rues goudronnées, au bord desquelles étaient garées de longues files de voitures. Une ville du monde humain. Sa ville.
Alors que Maxime avançait sa main à travers l’ouverture, un bruit de pas attira son attention. Derrière lui, à l’entrée de la caverne, Twilight avançait, une expression indéchiffrable sur le visage. Elle observa longuement l’Arbre et le portail qui avait surgi du tronc, avant de fixer Max dans les yeux.
- C’est la carte qui t’a appelé. Elle t’a guidé jusqu’ici.
Ce n’était pas une question, simplement une constatation. Maxime soutint le regard de la ponette encore un moment avant de se tourner à nouveau vers le portail.
- Et maintenant, qu’est-ce que je fais ? soupira-t-il avec résignation. Est-ce que ça vaut seulement la peine d’essayer ? Avant que je puisse mettre un pied de l’autre côté, ça va se refermer, ou alors je ne sais quel truc débile s’abattra tout d’un coup pour m’en empêcher, comme à chaque fois.
- Non, je ne pense pas. Pas cette fois. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’ils ont décidé que tu le méritais.
- Qui ça, ils ?
- Les Éléments, l’Harmonie, l’Équilibre, tout ça, fit la ponette en désignant la salle de la patte.
- Et pourquoi ils ne l’ont pas fait plus tôt ? fit l’humain en jetant un regard mauvais aux joyaux enchâssés dans l’Arbre.
- Peut-être parce que tu ne t’en montrais pas digne, répondit la ponette avec un petit sourire.
Max soupira, puis se tourna à nouveau vers le portail.
- Je suppose qu’il vaut mieux que j’y aille avant qu’ils ne changent d’avis, alors.
- À toi de décider. Ils te laissent le choix.
Mais ce choix, Max savait qu’il l’avait déjà fait. Cependant, alors qu’il s’avançait vers le rectangle ondoyant, il s’arrêta, hésitant.
- Qu’est-ce qu’il y a ? se moqua gentiment Twilight. Des regrets ?
- Non, mais, maintenant que j’y suis, je me dis que ce serait peut-être sympa de… de dire au revoir aux autres avant d’y aller, tu vois ?
Twilight sourit, avant de tourner la tête vers l’entrée de la caverne, où plusieurs bruits de sabots retentissaient justement.
- Tu vas en avoir l’occasion, grand dadais ! fit Applejack. Les voilà, les autres !
Maxime ne put s’empêcher de froncer les sourcils, à la fois content de les voir et fâché qu’elles l’aient entendu dire ça. Les cinq amies de Twilight ainsi que Spike, sur le dos de Rainbow Dash, trottèrent jusqu’au pied de l’Arbre pour rejoindre Twilight, face à l’humain.
- Tu ne croyais quand même pas que tu allais être dispensé de dire au revoir, si ? reprit la fermière.
- Mouais, j’imagine que ça aurait été trop facile. Je suppose que c’est le moment où je dois dire que je suis désolé, tout ça ?
- Pas besoin, on le sait déjà, sourit la jument orange, imitée par les autres. Dis plutôt qu’on va te manquer, et on sera quittes.
Maxime fronça les sourcils. Ça, il n’était pas sûr de pouvoir le garantir. Devant lui, Rarity s’avança, un paquet lévitant devant elle.
- Je me suis permis de passer prendre ceci au château avant de venir. J’aimerais que vous les preniez avec vous. Ils sont à vous, après tout.
Maxime leva un coin de l’emballage. À l’intérieur se trouvaient, soigneusement pliés, les vêtements que lui avait confectionnés la licorne. En les découvrant, il ne put retenir un sourire.
- Ça garnira ma garde-robe, fit-il en glissant le paquet sous son bras.
Les autres ponettes se tenaient en arc de cercle en face de lui, le visage levé vers le sien.
- Un câlin ? proposa Pinkie Pie, pleine d’espoir.
- On va plutôt essayer de rester raisonnables, répondit Maxime en lui tapotant la tête.
- Oh, allez !
- Tu veux une pichenette sur le nez à la place ?
La ponette rose cessa d’insister, sans pour autant perdre son sourire. À côté d’elle, Fluttershy s’éclaircit discrètement la gorge.
- Hem… et bien… bon retour chez toi, alors.
Maxime croisa son regard, embarrassé, les mains nouées dans le dos.
- Désolé d’avoir dit que j’allais faire cuire ton lapin, l’autre jour. Je ne le pensais pas vraiment.
- Oh, ce… ce n’est pas grave, sourit timidement la pégase jaune. Il s’en est remis.
À côté, Rainbow Dash, impatiente, avait déployé ses ailes et s’était mise à voler sur place. Maxime pinça les lèvres.
- Toi, par contre, je ne regrette rien de ce que je t’ai dit.
- Pas grave, c’est pareil pour moi, le taquina la pégase. On a qu’à dire que c’est match nul, comme ça.
- Ça me va, répondit l’humain.
Ce fut au tour de Spike de s’avancer, la main dans le dos.
- Tiens, un cadeau d’au revoir, déclara-t-il en dévoilant ce qu’il cachait. C’est pour toi.
Maxime fronça les sourcils en découvrant l’objet. C’était un décapsuleur dont le manche avait été remplacé par une figurine que Max identifia comme un des super-héros poneys dont le petit dragon était fan. Dans le genre kitsch, il avait rarement vu aussi fort.
- Euh… merci.
- Prends-en soin, c’est une édition limitée, l’informa le jeune reptile. Ils en avaient aussi fait une avec Matter Horn, mais je trouve que Mare Velous te va mieux.
- Ouais, c’est sûr, fit Max en fourrant l’objet dans sa poche, sous le regard amusé des autres.
Spike, visiblement satisfait, partit se remettre entre Twilight et Applejack, juste à côté du portail. Une pointe de tristesse perlait dans le regard de la licorne mauve.
- Tu ne vas quand te mettre à pleurer ? fit Max, les poings sur les hanches.
- Mais non, protesta la ponette en se passant le sabot sur les paupières. C’est juste que… et bien, le château va sembler un peu vide, maintenant. Et j’avais encore prévu de nouvelles expériences pour cette semaine.
- T’inquiète pas, Twilight, fit joyeusement Applejack. À mon avis, c’est pas demain la veille qu’on sera à court de créatures bizarres à Equestria.
- C’est vous les créatures bizarres, rétorqua Max.
- Tu essaieras quand même de ne pas trop vite nous oublier ? fit la fermière, un sourire complice aux lèvres.
- T’en fais pas pour ça, répondit l’humain en lui relevant le chapeau. Des poneys bleus et roses qui parlent et qui volent, ça risque de rester gravé pendant encore longtemps.
Il embrassa du regard les six équidés et le petit dragon en face de lui, puis le portail rectangulaire qui flottait toujours à côte de l’Arbre. Il était temps d’y aller. Un frisson lui parcourut l’échine, mais il se força à avancer. Quelque chose lui disait que ce passage là était à sens unique et que, s’il reculait maintenant, ce monde ne lui donnerait pas d’autre chance. Il inspira un grand coup, cala son paquet de vêtements sous son bras, puis avança la jambe. Avant de s’engager tout entier, il jeta un dernier regard derrière lui. La petite troupe, toujours réunie en face de l’Arbre, lui adressa toute entière un dernier sourire. Maxime sourit à son tour, puis se retourna et disparut à travers le portail.
C’était comme s’il avait été en même temps passé au sèche-linge et enseveli sous une avalanche. Chaque partie de son corps semblait avoir été martelée avec application par un forgeron fou. Il y avait du mouvement et du bruit autour de lui. Une lumière blanche et froide venue d’au dessus pulsait à intervalle régulier. Un bruit qu’il identifia comme celui de deux pieds sur un sol carrelé retentissait juste à côté de lui, ainsi que le grincement bringuebalant de quatre roulettes de métal. Du bout des doigts, il essaya de tâter ce qui l’entourait. Il était étendu sur le dos, tête en avant, sur quelque chose qui ressemblait à un brancard. Une odeur piquante de désinfectant le prenait au nez et lui donnait envie d’éternuer. Au bout de plusieurs longues secondes d’agonie silencieuse, il ouvrit les yeux.
Un visage allongé, encore ponctué de quelques boutons d’acné. Des yeux marrons, de taille à peu près normale. Un nez légèrement crochu, au milieu d’un visage rosâtre. Des oreilles collées sur les côtés, glabres et immobiles. Oui, c’était bien un visage qui le regardait ; celui de l’infirmier qui poussait son lit le long du corridor. Le visage d’un de ses semblables, pareil au sien, pareil à celui de milliards de personnes sur Terre. Un visage humain.
Quelques secondes plus tard, Maxime avait déjà replongé dans les méandres de son inconscience éthylique, un grand sourire aux lèvres.
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