Vinyl ferma les yeux, calme et relaxée, prenant son temps avant le précieux moment. Elle prit une profonde inspiration et un sourire apparut instantanément sur son visage. Même avec les yeux fermés, elle reconnaissait le bar autour d'elle. Elle pouvait sentir le tintement des tasses et des verres, elle pouvait entendre les bavardages insouciants des poneys, elle pouvait deviner l’excitation qui grandissait lentement à l'intérieur des visiteurs. C'était le genre de moment pour lequel elle vivait. C'était son but ultime dans la vie. C'était sa destinée, venir ici, dans ce petit bar jazz sur la périphérie de la ville, pas seulement pour jouer du piano, mais aussi pour transmettre la sensation de liberté et de bonheur à tous les poneys qui pouvaient l'entendre.
Elle posa les sabots sur les touches du piano, sentant la plaisante sensation de chaleur grandir en elle au fur et à mesure que le bruit du public s'estompait, puis le son des accords se mit à flotter dans l'air. Elle laissa tranquillement son sabot droit jouer quelques notes, pour amener son public à la chose. Son sourire se changea en un large rictus de joie lorsqu'elle commença à jouer. Des accords étouffés succédèrent à des passages semi-toniques et de légères harmonies volèrent à travers toute la pièce.
Vinyl était heureuse. Elle était vraiment, sincèrement heureuse. Elle jouait pour elle-même, et elle jouait pour tout le monde. Elle jouait la plus magnifique, rebelle et moderne des musiques qui pouvait exister. Elle jouait du jazz. Sa vie semblait si parfaite. Tout était parfait : elle était là où elle voulait être, elle faisait ce qu'elle voulait faire, entourée par les poneys avec qui elle voulait être. Seulement... tressaillit-elle en pensée. Seulement, il n'y avait pas cette personne spéciale à ses côtés. Une jument vraiment unique...
Quelles lois stupides, pensa Vinyl. Bien sûr, elle était la première à les enfreindre, mais dans ce cas, elle devait cacher sa vraie identité. Elle devait cacher sa vraie nature. Elle devait se cacher.
Uniquement ici, dans ce bar, elle pouvait se sentir comme chez elle.
Elle ouvrit les yeux, la chanson arrivait à un point de crescendo. Pas parce que quelqu'un l'avait écrit sur une stupide feuille de papier, mais parce qu'elle le voulait.
Elle faisait toujours ce qu'elle voulait faire. Quand sa famille avait refusé son homosexualité, elle avait fait ce que bon lui semblait et elle avait plié bagages. Bien sûr, la vie était toujours difficile quand on avait peu d'argent et presque aucun ami, mais elle avait décidé de persister. Elle avait décidé de se faire des amis. Elle avait décidé de se trouver un logement. Quand personne ne l'avait acceptée pour la musique qu'elle jouait, disant qu'elle était trop faible, démoniaque et pathétique, elle avait trouvé un endroit où elle était appréciée, où elle allait être aimée.
« Excusez-moi ? »
Vinyl revint à la réalité, tournant sa tête vers la source de cet appel, qui, à sa surprise venait d'une belle jument grise avec une superbe crinière noire qui tombait sur de fines épaules. Une clef en guise de cutie mark sur le dessus de son flanc bombé et…
Eeeeeeet on va en rester là, Vinyl ! pensa la licorne blanche, se triturant intérieurement. Tu ne veux pas passer encore quelques temps derrière les barreaux pour une histoire de filly-fooling, n'est-ce pas ? Sans compter que si elle vient au club, ce n'est pas forcément une preuve qu'elle aime les juments... continua-t-elle non sans une once de déception.
« Salut toi ! » répondit Vinyl avec un sourire, agitant un sabot. « En quoi cette bonne vieille Vinyl Scratch peut-elle t'aider ? »
« Tu n'as pas l'air si vieille », rétorqua la jument. « En fait, tu as l'air plutôt... jeune », ajouta-t-elle en rougissant légèrement. Fais attention à ce que tu dis, Octavia. C'est un délit de faire apparaître ses préférences dans un club de jazz, tu ne veux pas des problèmes à cause de tes... préférences ? se dit-elle, tendant un sabot en signe de salutations.
Vinyl serra énergiquement son sabot, surprenant la violoncelliste.
« Merci, mmh... Comment t'appelles-tu ? »
« Octavia. » La jument souriait, faisant ressentir une douce chaleur à l'intérieur de Vinyl. Elle est mignonne quand elle sourit comme ça... pensa la pianiste, cachant son monologue intérieur derrière ses lunettes violettes.
« Je dois avouer que ta performance était vraiment passionnante, en plus d'être immensément belle », commença Octavia, essayant de choisir précautionneusement ses mots, sentant une attraction déraisonnable envers la pianiste qui montait en elle, une envie qui devait être assouvie le plus rapidement possible. « Je... Je n'avais jamais vu un concert de jazz avant... » balbutia-t-elle, rougissant, mais voyant le sourire encourageant de la licorne, elle gloussa. « Mais c'est vraiment mmh... cool ? » finit-elle peu sûre d'elle. « C'est comme ça qu'on dit, n'est-ce pas ? »
Vinyl rigola, insouciante, et c'était comme la plus douce des mélodies aux oreilles d’Octavia. « Tu parles comme un de ces poneys de la haute société. » Voyant l'embarras d’Octavia, elle lui tapota gentiment l'épaule, ce qui la fît encore plus rougir. « Mais t'as raison, c'est comme ça qu'on dit .»
« En fait, je... » Allez Octavia ! Dis toute la vérité ! Tu veux du changement hein ? Alors fais que ça change ! se dit-elle pour s'encourager, prenant une profonde inspiration. « Je suis un de ces... poneys de la haute société... mais je déteste ça. » Surprise par sa propre ouverture, la violoncelliste continua : « j’ai joué de la musique classique depuis aussi longtemps que je peux m'en souvenir... Mais je voudrais que ça change. » Laissant l'esquisse d'un sourire sur son visage. « Je veux faire du jazz, Vinyl Scratch. »
« Juste Vinyl. » Punaise, elle est tellement excitante... « Alors... » dit la licorne en grattant nerveusement sa nuque. « C'est bien Octavia. Tu es venue uniquement pour me dire ça ? » s'inquiéta-t-elle, espérant dans sa tête qu'il y avait autre chose derrière, d'autres raisons, ou juste une seule pour qu'elle veuille rester avec elle.
« Non . » Octavia réfléchissait, inspectant ses sabots, son cœur battant aussi vite que que les pensées qui la traversaient. Était-elle vraiment... ? « J'aimerais que tu m'apprennes... à jouer du jazz », dit-elle timidement. Avait-elle vraiment dit ça à haute voix ? Elle, Octavia Philarmonica, demandant à une pianiste de jazz de lui apprendre… les bases du jazz ? Si seulement quelqu'un savait... « Bien sûr je payerai ! » rajouta-t-elle précipitamment, sachant parfaitement que les poneys de Manehattan étaient froids, sans cœur. L'argent était tout pour eux.
« Oust, pouliche ! » Vinyl remua son sabot violemment. « Je n'ai pas besoin de ton argent. » Elle sourit. « Tout ce que je réclame aux poneys, c'est de l'amitié, parce que tu sais, l'argent ça va ça vient, l'amitié reste toujours. »
Octavia était hypnotisée par la façon dont cette jument exprimait ses idées, son phrasé n'était pas très raffiné, mais ce qu'elle disait n'était pas seulement vrai, c'était beau. Elle inclina la tête, toujours en attente d'une réponse.
« Évidemment que je vais t'aider, Octavia ! » s'exclama la pianiste, s'élançant sur elle pour la serrer dans ses pattes, la faisant complètement rougir, correspondant parfaitement à la couleur de son nœud papillon rose.
« Je... suis... très honorée », laissa échapper Octavia, essayant de se libérer de Vinyl, ou plutôt prétendant essayer de se libérer, si ça ne dépendait que d'elle, elle serait restée dans l'étreinte de la licorne pendant des heures.
« Alors on est amies ? » dit Vinyl en souriant, tendant un sabot.
Elle agit de manière si naturelle... Je pourrais en apprendre beaucoup d'elle, et pas seulement à propos de la musique... Octavia réfléchissait mais arrêta son flot de pensées avant qu'il n'aille plus loin… dans les choses privées qu'elle pourrait apprendre de cette charmante licorne.
« Amies. » Octavia sourit gentiment et serra le sabot de Vinyl. Sa première amie. Sa première vraie amie. Elle pensait qu'il était inutile de chercher de l'amitié à Manehattan. Mais, après tout, dans un bar underground de seconde zone, loin des yeux de la société, les relations simples et amicales existaient encore.
« Alors, Tavi, allons-y pour ta première leçon ! » Vinyl lança un sabot dans les airs, essayant d'avoir l'air cool, et, Octavia le remarqua, elle avait vraiment l'air cool.
« Tavi ? » La jument grise clignait des yeux, cherchant à comprendre.
« Eh bien, nous sommes amies maintenant, j'ai pensé qu'il serait bon que je te trouve un petit nom. » Vinyl rougit lors de son explication. Un travail de dingue, pensa Vinyl. Tu es le parfait exemple de franchise. Qu'est ce qui pourrait arriver si elle apprend que je suis une filly-fooler ? Ce que par ailleurs je suis bien sûr, mais...
« C'est très mignon. J'aime ce nom », dit Octavia avec un rougissement, interrompant la réflexion de la conscience de Vinyl. Super, Octavia. Ta subtilité ne cessera jamais de m'étonner. Qu'est-ce qu'elle pourrait bien penser si elle croit que j'aime ce surnom parce que je l'aime, elle ? Ce qui, je dois le reconnaître, est un peu le cas, mais...
« Parfait ! » jubila Vinyl, trottant en direction de la sortie, jetant un regard confus sur Octavia. « Tu viens ? »
« Qu'est ce que tu veux dire ? » s'inquiéta Octavia, ne sachant pas trop ce qui était en train de se passer. « Nous n'avons pas encore programmé les sessions d'entraînement et... »
« Oh allez pouliche ! » Vinyl rigola et secoua la tête. « La nuit en est encore à ses débuts, et quel est le meilleur moment pour faire du jazz à part la nuit ? » demanda-t-elle de manière rhétorique, presque poétiquement pensa Octavia. « Quel instrument tu joues ? J'ai un piano chez moi, et quelques guitares. »
« Je joue du violoncelle », dit Octavia en suivant la licorne à l'extérieur. « J'ai également un piano, donc... si tu veux... » Elle balbutiait, l'air frais lui donna un peu plus de courage. « On pourrait s'entraîner chez moi. » S'il te plaît dis oui, dis oui... La violoncelliste priait désespérément, toujours étonnée de voir à quel point cette licorne avait atteint ses sentiments si fort, si vite.
« Bien sûr, pourquoi pas ? » Vinyl essayait d'avoir l'air nonchalante, mais sa tentative fût un échec : son cœur papillonnait à l'idée d'être avec cette jument, surtout chez elle, cette nuit... Ça n'arrivera pas Vinyl. Ça. N'arrivera. Pas. Ce sera juste une leçon. Juste. Une. Leçon. Malgré ses pensées, elle souriait. « Allons-y. Passe devant. »
« Ah, j'adore diriger ! » s'exclama Octavia, qui commençait à trotter vers son appartement. Elle réalisa soudain les sous-entendus que pouvait avoir sa phrase. « Je veux dire, être soliste, dans un orchestre. » Elle rougit d'embarras, regardant la licorne qui commençait également à rougir.
« Oui... La musique... » Vinyl sourit nerveusement, remerciant ses lunettes qui masquaient ses yeux ébahis.
Les deux poneys trottaient côte à côte, et, malgré le temps hivernal, elles se sentaient bizarrement tièdes. Et la meilleure chose ? Pas une seule pensée noire ce soir, réfléchit Octavia. Le futur semblait étonnamment, inconcevablement brillant.
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