La Vie Ennuyeuse de Dreary Sky
PARTIE I : La dépression de Dreary Sky
Chapitre 4 : Gouffre
Dreary contempla la feuille devant lui, une expression d'horreur sur le visage. Cela faisait plus de deux heures qu'il fixait ainsi le blanc du papier sur le bureau, le cerveau complètement bloqué. Il essayait désespérément de comprendre ce qui se passait, et quel était son problème. Il n'avait jamais été aussi perdu de sa vie.
Pendant de longues minutes, il s'était creusé la tête, cherchant une idée de bâtiment, de design original, quelque chose de grand, d'impressionnant, comme le chef-d'œuvre qu'était le château royal, quelque chose qui ferait battre son cœur comme avant... Et il ne trouva rien.
Il avait continué à se battre avec la feuille blanche quelque temps, tirant des traits hésitants, griffonnant quelques notes dans un coin, mais rien à faire. Au bout d'un moment, il avait simplement arrêté de bouger, et son cerveau s'était simplement bloqué, incapable de gérer l'information. Il n'arrivait plus à penser. Il n'arrivait plus à bouger le moindre muscle. S'il ne se déplaçait ne serait-ce que d'un centimètre, il sentait que le monde allait s'écrouler sous ses sabots, et qu'il ne serait plus jamais possible de retourner en arrière.
Dreary serait resté encore immobile ainsi bien plus longtemps, mais le bruit de son crayon tombant sur le sol finit par le sortir de sa transe. Il regarda autour de lui, perdu. Ses yeux se dirigèrent vers le crayon au sol, qu'il prit entre ses dents et ramena sur le bureau. Puis il vit de nouveau la feuille blanche. Et encore une fois, toute activité cérébrale cohérente s'arrêta. Sa respiration s'accéléra, et il entendit son cœur battre de plus en plus vite dans sa poitrine, qui recommençait à lui faire mal. Il avait du mal à respirer, et levant ses sabots devant ses yeux, il vit qu'il s'était mis à trembler. Haletant, des sueurs froides lui traversant le dos, Dreary reconnut les symptômes, et se leva brutalement. Il vacilla légèrement sur ses jambes, mais se reprit vite, et sortit de la pièce en courant.
Il traversa la maison, le souffle court, le poids sur sa poitrine l'étouffant un peu plus de seconde en seconde. Il ne savait pas s'il allait tenir ainsi longtemps avant de s'effondrer sur le sol et céder à la crise d'angoisse.
Il arriva enfin devant la fenêtre de son balcon, et l'ouvrit rapidement, laissant l'air glacial de la nuit entrer dans la maison. Il pensait que l'air frais lui ferait du bien et l'aiderait à le calmer, mais il se trompait. Le vent le heurta comme un bloc de béton en plein visage. Le souffle coupé, son pouls lui martelant le crâne, la douleur dans sa poitrine s'intensifiant, il s'écroula sur son balcon, priant pour que tout s'arrête.
Il resta prostré en position fœtale sur le sol pendant encore une poignée de minutes, puis finalement, son cœur se calma. La douleur finit par disparaître lentement, et l'étau qui lui enserrait la poitrine commença à se relâcher. Il pouvait de nouveau respirer normalement.
Il mit encore quelques minutes avant de tenter de bouger à nouveau. Le poney essaya de mettre en mouvement ses membres encore faibles, et réussit à porter un sabot à son visage trempé d'un mélange de larmes et de sueur.
À présent que la crise était passée, son cerveau se remettait à fonctionner. Pour éviter de penser, Dreary se focalisa sur une tâche qui lui paraissait à l'instant insurmontable : se remettre debout. La première tentative le découragea, retombant lourdement sur le sol après s'être soulevé de quelques centimètres seulement. Mais il savait qu'il devait au moins tenter d'aller jusqu'à son lit et rattraper un peu de sommeil. Tout pour éviter de penser à l'horrible vérité. Plonger dans le sommeil, et reporter tous ses problèmes au lendemain : voilà qui sonnait très prometteur aux oreilles de l'étalon fatigué.
Réessayant encore une fois, il réussit à s'appuyer sur la rambarde du balcon, ses jambes arrières encore trop faibles pour le porter. Soupirant, il attendit de regagner un peu de forces.
Il ferma les yeux, sentant le vent gelé sur son front brûlant, respirant les odeurs de la nuit. En dessous de lui, les rues désertes. Au-dessus, le ciel étoilé. Qu'est-ce qui n'allait pas chez lui ?
« J'ai perdu l'inspiration. » se dit-il.
Rien que cette pensée faillit le faire repartir dans une autre crise. Il réussit à se calmer, et réfléchit aux causes et aux conséquences de cette énième révélation.
Pas grand chose en somme. Ce n'est pas comme si c'était grave de bloquer devant une feuille blanche alors que cela ne lui était jamais arrivé jusqu'à présent. Ce n'est pas comme s'il avait d'un coup perdu la seule chose qui lui restait d'unique, qui était à la fois sa passion, son travail et sa destinée, après tout. Ce n'est pas comme si la fondation même de sa vie entière venait de s'effondrer, et que la seule chose qui l'intéressait encore en ce monde venait de le quitter.
Les larmes coulèrent de nouveau sur ses joues. En quelques jours à peine, la vie de Dreary était devenue un gouffre dans lequel tombait tout ce en quoi il avait un jour cru, tout ce qui l'avait toujours soutenu, tout ce qui constituait son être. Et le pire, c'est qu'il ne pouvait blâmer personne pour ses malheurs. Sa vie n'était pas devenue vide du jour au lendemain. La seule chose qui avait changé, c'était qu'il avait commencé à s'en rendre compte, et que petit à petit, une révélation en entraînant une autre, il avait fini par comprendre l'atroce vérité.
Dreary Sky était une coquille vide.
Au fond, pensa-t-il, que lui restait-il ? Son travail ne l'intéressait plus autant qu'avant, et la seule facette de celui-ci qui pouvait encore le faire rêver venait de disparaître cette nuit. Il ne prenait plus plaisir à rien, plus aucun plat n'avait de goût. Son existence était vide de but depuis longtemps. Et tous ses actes étaient dictés par des habitudes qu'il avait prises il y a un long moment déjà. Un automate, voilà ce qu'il était devenu. Corps de métal, mouvements calculés, aucun but, aucune raison d'exister.
Que lui restait-il réellement ? Alors qu'il réfléchissait à cette question, il s'était levé, ses jambes ayant de nouveau la force de le soutenir. Il se pencha par-dessus la rambarde, voyant le sol trois étages plus bas. Une pensée commença s'introduire en lui, plantant des graines malsaines dans son esprit déjà torturé.
Ses parents étaient morts. Ses amis étaient tous partis, et il n'avait plus de contact avec eux. Même Bon Bon, qui avait été très proche de lui à une époque, était partie depuis cinq ans avant qu'il n'ait de ses nouvelles.
Quant à sa femme...
Cette seule pensée fit verser encore plus de larmes au poney brisé. Aveuglé par le liquide salé, sa vision du sol se brouilla. La pensée prenait forme dans son esprit, et la seule mention de sa femme suffit à le convaincre qu'il s'agissait là de la seule chose à faire.
Alors, Dreary Sky le poney terrestre se mit à monter sur la rambarde, se mettant debout sur ses jambes arrières, et pendant quelques secondes, vacilla au-dessus du vide. Ses larmes coulaient à flots sur ses joues, son esprit ressassant encore et encore les mêmes pensées sombres, le fil le reliant à la vie prêt à lâcher au moment où lui lâcherait prise.
Pendant quelques secondes d'éternité, il se balança littéralement entre la vie et la mort.
Et c'est à ce moment précis que l'univers décida de forcer un peu les choses, et de donner lieu à un petit miracle. Une bourrasque de vent, qui souffla alors que le poney commençait à basculer en avant, le repoussa vers l'intérieur de la maison. Le souffle le déséquilibra, et il ne réussit pas à se rattraper à temps pour éviter la chute. Sa tête heurta le sol brutalement, le faisant gémir de douleur par terre pendant quelques secondes. Et alors que la douleur se calmait, la pleine réalisation de ce qu'il avait été sur le point de faire frappa l'étalon de plein fouet.
Il se revit, se balançant au bord du vide, prêt à se donner la mort, et trembla de peur à la pensée qu'il avait pu avoir une telle pensée, même dans un moment de faiblesse. Horrifié, il s'éloigna le plus vite possible du balcon, referma la fenêtre, et se précipita dans son lit, où il se mit à trembler de froid et de terreur sous les couvertures.
C'est alors que lui vint une pensée. Une chose était sûre : malgré tout ce qui lui arrivait récemment, il ne voulait pas mourir. Sa réaction paniquée après la prise de conscience de son acte en était la preuve. Une seule chose pouvait donc l'empêcher de recommencer une telle folie, et même s'il y rechignait, n'importe quoi valait mieux que l'idée qu'il puisse à nouveau céder à ce genre de faiblesse.
Il avait besoin d'aide.
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Le lendemain vint en un clin d’œil. Dreary ne se souvenait pas à quel moment il s'était endormi. Il se réveilla au milieu de la journée, le soleil étant déjà bien haut dans le ciel. Il regarda son réveil, et vit qu'il était l'heure de s'inquiéter de ce qu'il allait manger, et son estomac lui donnait raison. Le vendredi, les princesses se reposaient de leurs devoirs, et le palais devait être vide à ce moment de la semaine. Elles recevaient toujours les représentants les plus importants, mais le reste des poneys étaient prié d'attendre le lendemain. Et repos signifiait aussi suspension des travaux pour la journée.
Il se leva péniblement de son lit, la tête encore douloureuse de sa chute de la rambarde. La pensée d'une douche et d'un bon repas lui traversa l'esprit brièvement, mais il les balaya, se rappelant son état durant la nuit. Il avait besoin d'en parler. Il avait besoin qu'on l'aide. Et il ne connaissait qu'une seule personne à qui il pouvait se confier.
Il sortit de chez lui le plus rapidement possible, et se mit à galoper au-dehors.
La capitale d'Equestria restait fidèle à elle-même, la plupart des poneys y vivant une journée comme les autres. Il y a quelque temps, Dreary aurait pu prétendre être comme n'importe lequel d'entre eux. Mais plus maintenant. Il se sentait différent, exclu. Comme s'il ne pouvait – et n'avait jamais pu – vivre comme eux une existence tranquille et heureuse. Comme un personnage en noir et blanc dans un monde en couleur. Il n'était pas à sa place, ici. Et il ne l'avait peut-être jamais été.
Les passants lui jetaient des regards furieux alors qu'il courait comme si sa vie en dépendait, bousculant au passage les poneys sur sa route. Il n'en avait rien à faire. Tout ce qui comptait à présent pour lui était de retrouver la seule et unique chose qui faisait encore un peu de sens dans sa vie.
Lorsqu'il arriva à sa destination, il s'assit cinq minutes pour reprendre son souffle. Il regarda la maison devant laquelle il s'était arrêté et déglutit. Il ne voulait pas faire cela. Dreary détestait s'imposer aux autres, et se confier. Mais il voulait encore moins repasser par une scène comme celle de cette nuit. Alors il se leva, marcha jusqu'à la porte, et sonna.
Quand Sunflower ouvrit la porte, elle ne s'attendait certainement pas à trouver Dreary derrière, et encore moins dans cet état. Figée, elle contempla pendant quelques secondes ce qui autrefois avait été un poney soigneux et entretenu. Elle considéra pendant un temps de refermer et lui dire de repasser lorsqu'il aurait un peu pris soin de lui-même, mais la première phrase qu'il prononça l'en dissuada.
« Sunflower, j'ai... J'ai besoin de toi. »
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La première fois que Sunflower avait rencontré Dreary Sky, elle l'avait trouvé ennuyeux. Rien qu'à le regarder, elle s'imaginait qu'il n'était qu'un type austère et inintéressant, mais fit bonne figure. Pour que son rêve se réalise, elle devait réussir à collaborer avec cet étalon, et elle était prête à tout pour cela.
Bon, peut-être pas à tout. Elle voulait tout de même rester digne. Mais elle était allée trop loin pour renoncer à cause d'un poney peu sympathique.
Mais contrairement à ce qu'elle avait pensé, Dreary s'était révélé plutôt aimable, et même s'il avait parfois un caractère de cochon, elle avait fini par s'attacher à lui, au point de le considérer non plus comme un simple associé, mais comme un véritable ami. Il y avait plus sous cette fourrure monochrome qu'il n'y paraissait, beaucoup plus. Il suffisait de prendre le temps de le connaître.
Mais justement, cette barrière n'était pas facile à passer. Dreary Sky, bien que sympathique, ne laissait jamais ses émotions s'extérioriser. Il avait toujours été calme et composé, et même s'il se laissait aller à la plaisanterie de temps en temps, elle avait rarement vu un poney avec autant de self-contrôle que lui. Et cette obstination à ne rien laisser paraître lui avait parfois donné l'impression d'être face à un étranger, même après l'avoir connu plusieurs années. C'est pourquoi, là, alors qu'il lui demandait de l'aide dans un état déplorable, et vraisemblablement au bord de la panique, Sunflower ne put s'empêcher d'être heureuse. Car si quelque chose gênait suffisamment Dreary pour qu'il en parle à quelqu'un, il fallait à la fois un problème extrêmement grave, et un poney digne de confiance. Et il avait choisi Sunflower dans ce rôle. À l'instant, alors qu'elle aurait dû se sentir concernée, inquiète pour son ami, elle se sentait heureuse, et se giflait mentalement pour cela.
Cependant, elle se reprit vite, et invita le poney terrestre à rentrer chez elle.
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Les deux poneys étaient assis à une petite table, l'un en face de l'autre, chacun avec une tasse de café devant soi. Ils restèrent silencieux un temps, Dreary cherchant les mots pour exprimer ce qu'il avait sur le cœur. Il ouvrait la bouche de temps à autre, visiblement sur le point de dire quelque chose, puis se ravisait. Il répéta la même chose plusieurs fois, jusqu'à ce que la licorne se décide à le lancer :
« Alors dis-moi. Qu'est-ce qui t'amène ici ? Notre rendez-vous n'est pas avant ce soir. »
Il la regarda d'un air confus. « Rendez-vous ? » demanda-t-il.
« On est vendredi » lui rappela-t-elle.
Elle soupira intérieurement. Elle avait attendu depuis longtemps l'occasion pour l'inviter à dîner, et au moment où elle y arrivait enfin, il fallait qu'il choisisse ce moment-là pour faire un craquage nerveux. Même si cela lui permettait de discuter avec lui de toute façon, elle aurait aimé le faire dans de meilleures conditions. Comme, disons, dans un restaurant, avec des bougies, une lumière tamisée, une conversation plaisante...
Elle se secoua mentalement. Pas le moment de penser à ce genre de choses.
« Désolé. J'ai eu quelques... problèmes, récemment. » s'excusa-t-il.
« Je peux le dire. » dit-elle d'un ton moqueur. « La crise d'angoisse d'hier m'a mise sur la voie. »
« Je... » commença-t-il, avant de se raviser encore une fois. Sunflower voyait bien qu'il lui était difficile de se lancer. Elle tenta une autre approche.
« Commence par me dire ce qui t'a décidé à venir me parler. Qu'est-ce qui a eu raison de ton obstination à garder tes problèmes pour toi ? »
Il stoppa net. Dreary dévisagea son amie, et son sourire encourageant l'aida à franchir le pas.
« Cette nuit, je... Je crois que j'ai essayé... Je veux dire, ce n'était pas... » Il s'embrouillait dans ses pensées, voulant dire trois choses à la fois. Il se tut, réorganisant son esprit, et décida d'aller droit au but.
« Sunflower... Cette nuit, j'ai tenté de me suicider. »
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Déjà merci beaucoup pour le commentaire :D
Ça fait plaisir de voir que j'ai réussi à rendre Dreary attachant, c'est un peu le but de toute la première partie de l'histoire.
Il reste encore deux chapitres dans cette première partie, qui n'ont rien à envier aux autres en termes de puissance émotionnelle, comme tu dis, mais pour l'écriture, je ne pense pas changer les dialogues pour l'instant histoire de garder un semblant de cohérence entre les chapitres.
La partie II est encore en rédaction, j'essaierai d'y améliorer les dialogues et les tournures de phrases redondantes.
Cependant, c’est sans doute maintenant que va arriver la partie la plus délicate du récit : réussir à garder une puissance émotionnelle similaire alors que nous avançons, apparemment, vers la salvation. En tout cas, je pense que tu peux y arriver haut la main.
Niveau écriture, j’aurais quelques petites remarques qui, si elles ne pointent pas des défauts capitales, pourraient améliorer ta narration :
- les "mais" sont trop abondants. Bon, c’est un défaut que nous sommes nombreux à avoir, moi le premier, mais (tiens, tu vois) qui à mon sens induit un discret sentiment de redondance.
- dans le cas des dialogues, même s’ils sont loin d’être illisibles, je ne pourrais que te conseiller l’article de LittleParrot pour suivre la bonne mise en forme : [lien]
- enfin, et pour dynamiser ton récit, je ne pourrais que te conseiller de trouver des substituts aux "il". Inclure de temps à autre un "l’étalon gris", "l’architecte" ou que sais-je encore serait sans doute un plus.
Bref, ta fiction tiens pour le moment les promesses que laissait entr’apercevoir le premier chapitre, et j’attends la suite avec une vive curiosité.
Bah toute la partie I est centrée sur la dépression de Dreary, depuis ses premiers doutes jusqu'au debut de sa guérison. Et ce chapitre est le moment où il est au plus bas, au fond du gouffre (d'où le nom du chapitre). C'est le point culminant de cette partie, et j'ai pris beaucoup de plaisir a l'écrire, donc oui, c'est mon chapitre préféré.
Non sérieux cette fic est très agréable à lire et on ne peut que vouloir une fin heureuse pour ton personnage surtout maintenant qu'il a fait le premier pas