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Klutu

Une fiction écrite par Brocco.

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Résumé de l’épisode précédent : Mmmmmpf…

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« - ‘Amè eud’lavi è’l’vou preution eu’ce bat’o !

- Mais ‘fin donc ! Soyez raisonnable m’sieur ! Puisqu’j’vous dit qu’la princesse est prête à vous payer grassement pour vot’ service !

- Èj n’è k’fair dé vot’rgent ! Èj sui eul seuhl mait’ eud’mon navir !

- Raaah ! Mais montrez-vous donc raisonnable ! Et si en plus j’vous offre d’bon cidre v’nu droit d’ma ferme ? »

Applejack commençait à se trouver à bout de nerfs, épuisée ces dialogues de sourd. Étant donné qu’elle était la seule du groupe capable d’un tant soit peu comprendre l’abominable accent de ces poneys de la mer, elle s’était retrouvée de fait attitrée du rôle peu gratifiant de traductrice/négociatrice.

Twilight Sparkle était quant à elle plongée dans un état de profonde lassitude depuis un moment déjà. C’était le cinquième marin qui refusait de leur louer son bateau ; visiblement, ces gens-là n’appréciaient pas de prêter leurs affaires.

L’alicorne appréciait aussi peu le fait de se retrouver obligée de courir les océans mais, suite à cet étrange accident avec Luna, Celestia avait été particulièrement claire. Les odieux écrits mentionnaient régulièrement une île perdue au milieu des eaux, située sur le point le plus éloigné des côtes et n’émergeant des profondeurs qu’en de rares occasions. C’était apparemment de ce lieu fantasmagorique qu’était originaire Klutu et la princesse du soleil avait abondamment souligné la nécessité de s’y rendre au plus tôt, Twilight ne savait pas vraiment pourquoi.

Sa tutrice avait été prise d’une violente crise d’angoisse après avoir vu Luna émerger de ses appartements, plongée dans le même état de béatitude baveuse que Rarity. C’était certes ennuyeux, surtout pour une figure royale, mais était-il vraiment nécessaire de s’inquiéter à ce point ? Et en quoi aller sur l’île d’origine de Klutu allait aider à réussir à résoudre ce mystère ?

A ces questions la monarque céleste n’avait pas daigné répondre. Elle les avait simplement pressé d’aller emprunter un bateau à Manehattan et de se rendre avec diligence sur une île à l’emplacement incertain pour y trouver elles ne savaient quoi.

Le seul moment de répit fut l’instant où Celestia prit à part son ancienne élève pour lui rappeler de se montrer diplomate et patiente avec les marins. La jeune alicorne s’était alors sentie particulièrement mal à l’aise, persuadée que par ces mots, la princesse du soleil lui faisait savoir qu’elle avait parfaitement conscience des violentes pulsions qui l’agitait ; et autant Twilight Sparkle appréciait de lire des livres, autant elle détestait être elle-même lue comme un livre ouvert.

Ses pensées se focalisèrent à nouveau sur le présent et elle observa d’un œil fatigué la puérile négociation qui continuait de se dérouler devant elle. Une violente décharge d’énergie magique histoire de rappeler qu’elle n’était pas princesse pour rien, peut-être deux-trois baffes pour bien finir de faire rentrer l’idée et les choses auraient été réglées. Cependant, l’alicorne pouvait presque sentir l’œil omniscient de Celestia braqué sur son dos et dorénavant, elle comprenait très bien cette mise en garde.

Elle n’avait d’autre choix que de se montrer patiente et de subir les jérémiades horripilantes de ces marins qui paraissaient tous interchangeables ; une grosse barbe, un ciré complet, une paire de bottes, tel semblait être leur costume traditionnel, et ce même si le temps était au beau fixe. A cela s’ajoutait une pipe, généralement éteinte quoique toujours fixée au coin des lèvres, histoire de rendre leur prononciation encore plus exécrable.

« Esqu’el vou di qu’ej n’voulion poin d’vot’ eurgen ! »

Au final, Twilight préférait presque entendre parler Klutu. On ne la comprenait pas mieux mais au moins, on était certain de ne pas se retrouver face à une version hideusement corrompue de sa propre langue, fruit de générations de marins asociaux vivant et se reproduisant seulement entre eux.

Un léger sourire se dessina sur la bouche de la princesse quand elle imagina ce que pourrait donner une conversation entre la squidpony et le loup de mer. Cela ne servirait sans aucun doute à rien mais au moins ce serait un minimum amusant.

Comme pour cristalliser ses pensées, elle tourna la tête vers l’équidé venu d’ailleurs qui était en ce moment en train de regarder pensivement le bateau jalousement gardé par l’obtus timberwolf de mer. Un léger frisson parcourut alors l’alicorne quand elle réalisa que Rarity était en train de lui caresser les tentacules d’un geste particulièrement affectueux, le tout en continuant de pousser ses légers soupirs.

Il fallait bien avouer que cela commençait à devenir très inquiétant. Certes, la licorne se retrouvait parfois prise de lubies étranges, ce que qu’elle appelait souvent « la dernière mode de Canterlot », mais même pour la fashionista, la situation actuelle était un peu exagérée. Se baigner dans le sang de jeunes griffonnes vierges pour avoir la jeunesse éternelle, à la rigueur pourquoi pas, mais devenir un légume vivant, non, l’alicorne ne pouvait concevoir pareille idiotie.

Par ailleurs, Luna semblait bel et bien avoir développé les mêmes symptômes que la styliste. De ces perpétuels gémissements étouffés jusqu’au cri déchirant qu’elle poussa lorsqu’elle se vit séparée de Klutu, il était absolument impossible de parler de coïncidence.

Qu’est-ce que la squidpony avait bien pu leur faire ? C’était là une interrogation qui pouvait se séparer sur plusieurs niveaux, en l’occurrence le résultat ainsi que le moyen pour y arriver, mais l’esprit de l’alicorne, sans doute bien trop chaste, ne se concentrait que sur le premier.

Même en prenant compte l’indice cité dans les odieux écrits, cet « omégasme », Twilight restait incapable de faire le moindre lien avec une quelconque pratique atteignant sans doute le summum de la dépravation. En un sens, c’était pour le mieux ; elle aurait eu beaucoup de mal à continuer de fréquenter Rarity en ayant connaissance de ses révoltants fantasmes. L’amitié est certes une chose magnifique mais il y a des limites à ce que vous voulez savoir sur vos proches. A plus forte raison quand cela concerne des tentacules et des lieux où la lumière ne pénètre jamais.

Il n’en restait pas moins que la princesse de l’amitié avait du mal à comprendre les inquiétudes, ou du moins la panique, de Celestia vis-à-vis de cette étrange maladie. Certes il était nécessaire de l’étudier –et de toute façon dans l’esprit de la jeune alicorne, absolument tout devait être analysé, catégorisé, étiqueté ou catalogué- mais cette urgence lui paraissait déplacée. D’accord, l’une des deux régentes d’Equestria allait se retrouver béate et baveuse durant un laps de temps indéterminé mais au moins n’essayait-elle pas de plonger le pays dans une nuit éternelle. D’une certaine façon, ce n’était pas si mal.

Et puis encore fallait-il trouver un bateau.

Cette idée ramena désagréablement la princesse à la réalité et en redirigeant les yeux vers Applejack, elle put voir qu’ils en étaient toujours au même point.

Profitant visiblement du fait que plus aucun poney ne faisait attention à elle, à l’exception de Rarity qui lâcha un léger gémissement en rien indissociable de ceux qu’elle avait pu pousser auparavant, Klutu se dirigea vers le bateau, avec visiblement l’intention de continuer à satisfaire son étrange –et envahissante- curiosité.

Cependant, il faut croire qu’un lien intime existe entre un capitaine et son navire car à l’instant où le premier pseudopode se posa sur le bastingage, le marin se retourna vivement, visiblement courroucé, et se dirigea vertement vers la squidpony.

« Allon euh’don ! Oust kratur del’diabl’ ! Touchions eul’pa a not’ bat’o ! » hurla-t-il à l’intention de l’outrecuidante. Twilight et Applejack lui emboitèrent le pas dans l’intention de la raisonner, craignant plus pour ce que Klutu pourrait faire subir à l’étalon plutôt que l’inverse.

Ce fut toutefois absolument inutile.

« Veul’tu don laiss… »

La dernière phrase du marin mourut dans sa gorge. La squidpony venait de relever la tête, surprise par ce dérangement imprévu, et ses yeux étaient rentrés directement en contact avec ceux du poney lancé à sa rencontre.

Ce dernier stoppa net et ne dit plus un mot, absorbé par le regard magnétique de la jument venue d’ailleurs. Cette dernière ne bougea pas non plus et, étrangement, ne tenta même pas d’en profiter pour réaliser une nouvelle séance de palpation. Peut-être n’aimait-elle pas les cirés jaunes. Après tout personne, si ce n’étaient les poneys de la mer, n’aimait les cirés jaunes.

Twilight et Applejack ne firent rien non plus, incapables de se décider sur la meilleure marche à suivre en pareille situation. Pinkie observait le la scène d’un air amusé, le même qu’elle arborait depuis le début des tractations avec les marins, rendue régulièrement hilare par cette succession de dialogues surréalistes. Rainbow Dash et Fluttershy restaient de leur côté toujours en retrait, l’esprit aussi orageux que depuis leur départ de Ponyville. Quant à Rarity, elle bavait sereinement sur le ponton.

Après un long silence où personne ne fit le moindre geste, le marin se détourna enfin de la squidpony, le regard étrangement absent.

« - Vous alllez bien m’sieur ? hasarda Applejack.

- Mui mui… répondit distraitement l’étalon avant de commencer à se diriger vers le quai.

- Heu m’sieur ? Vous allez où ? Pour l’bateau, on fait quoi ?

- Pr’nez le don’. Ayé-zi veu mèm sul’ossan. » lâcha-t-il avant de s’en aller sans porter plus d’attention aux juments autour de lui

« Il a dit quoi ? » demanda alors Twilight à la fermière, troublée par la situation.

« Et ben j’sais pas trop » répondit-elle en cherchant ses mots. La cowpony avait elle aussi du mal à bien comprendre ce qui venait de se passer mais en tant que porteuse de l’élément de l’honnêteté, elle se devait bien de répondre franchement : « Ben j’pense qu’il nous prête l’bateau, comme ça, pour rien. »

Twilight ne sut quoi dire, bien trop déconcertée par la situation. Elle finit néanmoins par tourner la tête vers Klutu qui, libérée de ce trouble-fête, s’était remise à palper le bateau avec passion. A l’évidence, la squidpony était l’unique responsable de ce revirement soudain.

D’un seul coup, l’alicorne se sentit beaucoup moins à l’aise à l’idée d’aller s’isoler en plein milieu de l’océan avec un être aux capacités aussi singulières.

#

Cela faisait maintenant trois jours qu’elles voguaient toutes voiles dehors et les choses ne se passaient pas si mal que ça. Twilight avait lu bien assez de livres sur la navigation pour à peu près savoir comment diriger un bateau dans la bonne direction. Applejack faisait quant à elle preuve d’une exceptionnelle maîtrise du navire, tenant la barre avec précision et fermeté, jouant avec les voiles comme si elle avait fait ça toute sa vie.

« Au final, c’est rien d’aut’ qu’une grosse charrue » avait coutume de dire la fermière et l’alicorne se contentait de cette réponse. Tant qu’elle maitrisait leur navire mieux que le subtil art de la métaphore, il était difficile de se montrer exigeant.

A contrario de la cowpony, Rainbow Dash et Rarity n’avaient jamais paru aussi loin de leurs éléments respectifs ; le ciel pour la première et les galas, certes aussi superficiels qu’hypocrites mais au moins dépourvus du moindre roulis, pour la seconde. Elles restaient ainsi la journée complète dans leurs cabines, incapables de se lever. La pégase cyan avait cependant suffisamment d’énergie pour se plaindre sans rémission, maudire sans cesse l’océan et, quand on la croyait enfin à bout de force, râler une dernière fois, pour la forme.

Heureusement que la licorne restait quant à elle plongée dans cet étrange état proche de la mort cérébrale, au moins ainsi n’ennuyait-elle personne. Twilight refusait d’ailleurs d’imaginer, ne serait-ce qu’un instant, ce qu’auraient pu donner les complaintes combinées de la fashionista et de l’apprentie wonderbolt. Sans aucun doute auraient-elles fini par passer « malencontreusement » par-dessus bord. L’océan était après tout un environnement terrible et dangereux, avec en plus une fâcheuse tendance à faire disparaître les corps sans laisser de traces.

L’alicorne se demandait d’ailleurs de plus en plus sérieusement si ce n’était pas le sort qu’elle devait réserver à Klutu. La squidpony n’avait rien tenté de particulier depuis leur départ, se contentant la plupart du temps de jouer avec Pinkie, les deux juments devenant visiblement de plus en plus proche, mais cette histoire avec le marin lui causait des inquiétudes toujours plus profondes à chaque fois qu’elle y repensait.

Seule son attitude relativement cordiale, bien que parfois envahissante avec ses congénères, la sauvait. Ça et le fait que Twilight n’avait aucune idée de quelles seraient les conséquences si jamais elle tentait de s’en débarrasser ; la ponette venue d’ailleurs semblait en effet bien trop dangereuse et bien trop résistante pour risquer de se la mettre à dos.

C’était sans doute pour cela que Celestia, pourtant terrorisée par la squidpony, n’avait pas émis l’idée d’une suppression en bonne et due forme ; chose assez étonnante quand on connaissait la fâcheuse tendance qu’avait la princesse du soleil à bannir, qui sur la lune, qui dans une autre dimension, qui dans une gangue de roche, tous ceux qui lui déplaisaient un tant soit peu.

La monarque céleste était comme ça ; généralement sage, juste, mais il ne fallait quand même pas trop lui baver sur les rouleaux.

Délaissant là ses sordides réflexions, l’alicorne mauve fit dériver son regard sur le pont où Pinkie et Klutu se battaient en duel à coup d’espadon. Comment les deux juments avaient-elles réussi à pêcher ces deux poissons, Twilight n’en savait rien, et considérait que mieux ne valait pas trop y réfléchir. Elle ne pouvait cependant s’empêcher d’admirer la bravoure de ces animaux qui, bien que placés dans une situation sans aucun doute inattendue, tentèrent de remplir leur rôle d’arme vivante jusqu’au bout, mus par une admirable fierté atavique.

L’asphyxie vint finalement les prendre et la squidpony, avec la complicité de Pinkie Pie, ajouta deux nouveaux meurtres animaliers à un actif déjà particulièrement lourd. La princesse de l’amitié n’eut pas besoin de tourner les yeux pour ressentir la sourde colère qui commença à envahir Fluttershy qui, à quelques pas de là, avait elle aussi observé la scène.

L’état de la pégase, reconnue en temps normal pour sa douceur et sa gentillesse, inquiétait aussi fortement l’alicorne. Aucun accès de rage n’était venu la prendre et, au contraire, elle se contentait de ne manifester rien d’autre qu’une haine sourde glaciale. D’une certaine manière, Twilight préférait quand son amie se transformait en « La Bête », en ce violent héraut de la mort et de la destruction ; au moins savait-on alors à quoi s’en tenir. Là, elle paraissait calculer quelque mauvais plan avec une patience vicieuse, attendant sans aucun doute le moment opportun pour frapper.

Non seulement la princesse n’appréciait pas ce genre d’attitude, ô combien pesante lorsque l’on se retrouvait sur un lieu confiné et éloigné de tout, mais elle était en plus certaine que cela jouait sur la santé mentale de la pégase.

Ainsi l’avait-elle vu la veille, dangereusement accrochée d’une patte au bastingage, la tête dans l’eau. Après que Twilight soit venue la ramener de force sur le pont, la pégase se contenta de sous-entendre qu’elle se faisait simplement de nouveaux amis avant de s’en aller dans sa cabine. Le lendemain, l’alicorne l’avait cette fois observée discuter d’un air comploteur avec les mouettes qui volaient autour du bateau. Au moins aujourd’hui semblait-elle décidée à rester plus calme, bien qu’un inquiétant sourire en coin commença à se dessiner sur son visage au moment où de gigantesques remous apparurent devant la proue du navire.

« J’sais pas trop c’que c’est mais ça m’a pas l’air normal… »

Cette phrase mâchonnée par Applejack était bien caractéristique du principal défaut de l’élément l’honnêteté, cette façon qu’elle avait de tout dire avec la plus grande franchise, même les choses les plus évidentes.

Fluttershy quant à elle, jubilait intérieurement. Les tractations avec les maquereaux s’étaient révélées particulièrement ardues, non seulement en raison des interruptions incessantes de ses amis mais aussi à cause de l’incapacité notoire qu’avaient ces poissons à se concentrer un tant soit peu, et jusqu’à maintenant, la pégase craignait que toutes ces palabres aient été vaines.

Fort heureusement, ils semblaient bel et bien avoir rempli leur part du contrat, avec d’ailleurs bien plus de diligence que les mouettes qui, il fallait l’admettre, n’étaient pas connues pour leur zèle.

Dans un tumulte écumeux qui ballota le navire dans tous les sens, trois gigantesques créatures semblables à des vers, d’une teinte maladivement olivâtre, émergèrent des profondeurs en se tortillant frénétiquement. Elles étaient massives, titanesques, bien plus larges que le bateau, particulièrement celle située au centre ; il était en fait difficile de dire si elles étaient trois individus distinct ou si elles n’étaient que les mêmes membres d’un Léviathan aux dimensions cyclopéennes.

Comme si elles avaient pu deviner ces interrogations quant à leur nature, le sommet du ver central s’ouvrit alors en un kaléidoscope d’une hideur insupportable, un mélange dément de tissus visqueux, de gaz nébuleux et d’autres éléments proprement inqualifiables ; impossible de dire si cet opercule était bien une bouche ou un organe dont la fonction ne pourrait jamais être ne serait-ce qu’un tant soit peu appréhendée sous peine d’y risquer sa santé mentale. Il n’y eut pas non plus de cri au sens littéral du terme, simplement un grondement colossal qui fut ressenti par les juments plus qu’entendu, et l’intensité de ces infrabasses fut telle que toutes les occupantes du navire, à l’exception de Fluttershy et de Klutu, ne purent retenir le contenu de leur estomac.

La pégase rose et jaune quant à elle jubilait. C’était magnifique, l’outil parfait de sa vengeance, une monstruosité chtonienne venue réduire à néant une autre monstruosité d’un gabarit certes plus modeste. Elle éprouvait même une pointe de nostalgie – ainsi qu’un autre sentiment dont je tairai la nature - à la vue de titan venu des profondeurs, ce dernier lui rappelant un peu les créations les plus folles et plus intimes de Discord.

La créature sembla alors tourner son attention, pour peu qu’elle en possédât, vers le navire, dirigeant ses gigantesques membres en direction de la fragile coque de noix. L’inaudible son continuait quant à lui de déferler sur les environs, plongeant les ponettes à la limite de la perte de conscience.

Fluttershy elle-même commença à se sentir mal et ce qui commença comme une inquiétude discrète se mua rapidement en une horreur indicible : cette chose issue des abysses les plus ténébreux qui soient ne semblait pas disposée à pratiquer une ablation chirurgicale. Elle paraissait au contraire prête à décharger son indicible rage de la manière la plus violente et la plus radicale qui soit, nonobstant tout notion de dommage collatéral.

La pégase jura alors intérieurement, la peste étaient ces maquereaux. Aveuglée par sa haine, elle ne s’était pas souvenue de leur vilénie pourtant notoire, y compris jusque dans la forêt Everfree, et en invoquant cette horreur, ils venaient de sceller leur destin à toutes. Angel Bunny/Herr Doktor Engel Von Hase lui-même l’avait prévenu à ce sujet : « à la rigueur, il peut être possible de traiter avec ces saloperies de chats mais jamais, ô grand jamais, il ne doit te prendre l’envie de pactiser avec les maquereaux. »

A plusieurs miles de là, au même moment, un banc de poisson jubilait autant que pouvait le faire un banc de poisson, c’est-à-dire de manière particulièrement calme discrète. Un nouveau sacrifice avait été offert à Yog-Sogoth ! Ïa !

Quant à Fluttershy, elle se sentait approcher de plus en plus près des limites de l’inconscience et, en dépit de son active lutte, elle se retrouva vite comme le reste de ses amies, avachie au sol et perdant petit à petit pied avec la réalité.

La dernière chose que la pégase vit fut Klutu, encore debout, perchée sur le sommet de la proue, faisant face à l’indicible horreur qui se dressait de toute sa taille face à elle. Puis les ténèbres envahirent son esprit.

#

Big Macintosh était un étalon aux exigences simples, et par conséquent un étalon heureux. Tant qu’il pouvait s’occuper de la ferme et de ses pommiers, et ce même si le monde autour de lui plongeait dans d’insondables abysses d’horreur et de démence, il se considérait satisfait.

Comme le démontrait sa cutie-mark, les pommes étaient sa passion, sa raison d’être et par conséquent il leur dédiait sa vie. S’il ne devait avoir qu’un seul regret, cela aurait été le fait que mademoiselle Cheerilee ne fut pas née pomme, pommier ou au moins trognon. Mais ainsi allait l’existence et l’on ne pouvait pas tout avoir.

L’étalon se dirigeait en ce moment de son habituel pas placide vers le verger ouest, prêt à prendre soin des arbres qu’il chérissait tant. Un élément discordant attira alors son attention, partiellement visible entre plusieurs troncs et il s’y dirigea.

Cette chose était une sorte de pilier de plusieurs mètres de haut, taillé grossièrement dans la roche et fermement planté dans le sol. Vu l’humidité de la terre retournée à sa base, il n’était pas là depuis bien longtemps. Sur sa surface, on pouvait voir de nombreux symboles absolument illisibles, des sortes de runes ésotériques écrites avec une encre étrange, d’un rouge inquiétant, et la roche en elle-même paraissait vibrer d’une sourde et morbide pulsation.

Big Macintosh ne savait pas trop quoi penser de cette étrange stèle mais au moins était-il sûr d’une chose : ce n’était pas un pommier.

#

Twilight émergea doucement de l’inconscience, réveillée par de délicates chatouilles qui couraient sur l’ensemble de son visage. Elle n’eut pas besoin d’ouvrir les yeux pour deviner l’origine de ses caresses, elle en avait déjà fait suffisamment l’expérience. Une squidpony était en ce moment perchée au-dessus d’elle, c’était certain. Puis les derniers souvenirs revinrent brutalement : l’apparition d’une créature indescriptible, un grondement venu d’outre-univers, la haine de cette chose à leur encontre puis le néant. Elle se releva d’un coup sec, surprenant ainsi Klutu qui s’éloigna de quelques pas.

Elle était toujours sur le bateau et il lui était possible de voir Fluttershy, Applejack et Pinkie Pie autour d’elles, encore évanouies. Il était à peu près certain que Rarity et Rainbow Dash étaient elles aussi toujours dans leurs cabines ; si l’on tendait l’oreille, l’on pouvait d’ailleurs discerner les gémissements de la licorne.

Passé cette première étape élémentaire -car comment pourrait-on se qualifier de princesse de l’amitié si le destin de nos proches n’était pas ce qui nous importait en premier lieu ?-, l’alicorne pris conscience de l’odeur méphitique qui régnait ici et ne put réprimer un violent haut-le-cœur.

Elle tourna alors son regard vers la proue et remarqua enfin que le bateau se trouvait désormais posée sur les récifs bordant une falaise aux proportions démentielles ; le roc s’élevait à pic, sans la moindre aspérité apparente, sur une centaine de mètres au minimum.

La paroi, tout comme les rochers aux alentours, était recouverte d’une épaisse couche grisâtre faite de vase et de varech, avec des nuances oscillant entre le vert et le bleu pâle. Ces éléments étaient sans aucun doute responsables de l’atroce odeur de pourriture qui se dégageait de l’île ; maintenant que ces antiques reliquats organiques se retrouvaient à l’air libre, à plus forte raison en plein soleil, le processus de décomposition reprenait avec hardiesse.

Cette horrible fragrance commençait à rendre l’air irrespirable et à chaque fois que l’une de ses amies reprenait conscience, par la grâce du travail passionné de Klutu, il pouvait s’entendre le même hoquet écœuré.

« Arg ! Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? Twilight, tu as encore essayé de faire la cuisine ? »

Cette sympathique tirade était le fait de Rainbow Dash alors qu’elle émergeait de sa cabine, manifestement plus en forme maintenant que le bateau avait cessé de tanguer. Rarity était à sa suite, toujours aussi ahurie et sans aucun doute uniquement guidée par un reliquat d’instinct grégaire.

« Twilight, s’quoi donc que s’caillou à ton avis ? » hasarda Applejack pendant qu’elle levait les yeux vers la cime de la falaise.

L’alicorne ne savait pas vraiment quoi répondre, elle n’avait pas encore eu l’occasion d’essayer d’estimer leur position. Une succession de petits bruits étranges la tira cependant rapidement de ses pensées.

Pour la première fois depuis leur rencontre, Klutu semblait faire preuve d’une véritable émotion : la squidpony sautillait, gloussait à l’avant du bateau, trépignant manifestement d’impatience à l’idée de poser le sabot sur l’île.

« Je pense que nous avons trouvé ce que nous cherchions » répondit par conséquent Twilight, faisant ainsi une nouvelle démonstration de ses exceptionnelles capacités logiques.

Ayant remarqué qu’elle avait désormais l’attention de l’ensemble des autres juments, Klutu s’envola alors prestement vers une anfractuosité visible au loin, ignorant totalement les injonctions autoritaires de la princesse de l’amitié.

La jeune alicorne s’envola donc à sa poursuite et la rejoignit au moment où la fuyarde se posait au milieu d’une gigantesque faille aux dimensions écrasantes. Ses bords, d’une rectitude parfaite, semblaient avoir été tracés avec une précision millimétrique et elle s’élevait, suivant une inclination constante, vers le sommet de l’île. Rien de tout cela n’était naturel, il n’y avait aucun doute là-dessus.

Twilight intima alors à la squidpony l’ordre de l’attendre, qui à sa grande surprise fut visiblement compris, avant de retourner au bateau pour chercher le reste de la troupe.

Une fois ce transfert réalisé, chose assez délicate quand plusieurs de vos amis n’ont pas la chance d’avoir des ailes, l’ensemble du groupe commença à grimper cette pente, un effort par ailleurs éprouvant quand réalisé au milieu de ces miasmes vomitifs.

Ce ne fut toutefois pas ces effluves pestilentielles qui leur coupèrent le souffle lorsqu’elles arrivèrent, après une très longue marche, au sommet. C’était la vue imprenable sur une cité aux proportions cyclopéennes dont les bâtiments, d’une carrure à ce point titanesque que même le plus petit d’entre eux écrasait de sa masse le château de Canterlot, étaient d’une architecture absolument inconnue.

L’ensemble était recouvert par une épaisse couche de vase, en partie séchée par le soleil caniculaire, comme si cette île avait émergé des profondeurs. Or, s’il y avait bien une chose dont Twilight était certaine, c’était que la moindre formation géologique nécessitait des siècles pour sortir de l’océan. Il y avait quelque chose de surnaturel ici.

L’élément le plus inquiétant de cette citée antédiluvienne était toutefois la colossale tour pyramidale qui trônait en son centre, noyant une part importante des environs sous son ombre menaçante. Deux massives portes, sans aucun doute plus grandes que le mont sur lequel était bâti Canterlot, trônaient sur l’une de ses faces, en partie affaissées par la pression infernale des profondeurs.

L’alicorne n’avait aucun moyen de l’expliquer mais un profond malaise la prenait à chaque fois qu’elle posait les yeux sur cette énigmatique entrée, l’impression viscérale qu’une force incoercible et d’une malignité insondable s’y terrait, attendant patiemment qu’on la délivre pour déchaîner sa malveillance sur ce monde.

Elle n’eut toutefois pas le temps d’essayer de se rappeler de ce qu’elle avait pu fugacement lire dans les écrits maudits de la bibliothèque de Canterlot, Klutu s’en allant d’un coup à grand galop en direction du centre de la cité.

L’ensemble des juments se mirent par conséquent à sa poursuite, s’enfonçant dans les ombres sinistres de ce tombeau immémoré. L’atmosphère y était à ce point inquiétante que Rainbow Dash se refusait à partir seule en avant pour essayer de stopper la squidpony, préférant courir dans cette vase turbide avec ses amies. Étrangement, Rarity galopait quant à elle avec une vigueur que nul n’aurait pu jamais imaginer, comme si elle refusait de se retrouver séparée de la ponette aux tentacules.

Après une course effrénée, elles virent Klutu, au loin, pénétrer dans la gueule béante d’un bâtiment à moitié-démoli. Une obscurité sépulcrale y régnait et Twilight n’eut d’autre choix que d’illuminer sa corne pour trouver leur chemin, qui se résumait aux traces de pas de la jument venue d’ailleurs, bien visibles dans la vase.

Au fur et à mesure qu’elles s’enfonçaient dans ces ténèbres oubliés de tous, pelotonnées les unes aux autres dans le vain espoir de se rassurer, elles virent avec effroi que de plus en plus d’empreintes de pas étaient visibles, émergeant des couloirs annexes pour suivre la même direction que celle de Klutu.

Elles n’étaient pas seules ici.

Lentement, silencieusement, elles continuèrent d’avancer dans l’inconnu et finirent par apercevoir une lueur spectrale au loin. En l’atteignant, elles virent qu’il s’agissait du produit d’étranges organismes bioluminescents fichés dans les parois, qui prenaient dans cette pièce la forme d’un dôme.

Au centre trônait Klutu, attendant patiemment les juments au pied d’un étrange anneau fait d’une matière à la nature indiscernable. Twilight remarqua que l’ensemble des traces de pas menaient à cette structure, puis y disparaissaient sans explication visible.

Lorsque les juments s’approchèrent de la squidpony, elle se retourna en direction de l’opercule et un bruit immonde, un déchirement aussi indéchiffrable qu’insoutenable, se fit entendre.

Au centre de l’anneau apparaissait dorénavant, dans un halo d’une couleur indescriptible, une forêt ainsi qu’une forme vaguement équine.

Sans prévenir, Pinkie se jeta alors dans le portail.

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Note de l'auteur

D'après mon relecteur, mes marins ont un accent breton. Soit.

O Breizh, ma bro, me 'gar ma bro. Tra ma vo mor 'vel mur 'n he zro...

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DaddyPhagocyt
DaddyPhagocyt : #23738
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn !
Il y a 3 ans · Répondre
Brocco
Brocco : #19104
@Derpyna et @Trone : encore un peu de patience.
Il y a 3 ans · Répondre
Trone
Trone : #19103
Derpyna08 mai 2015 - #19082
Ïa, ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn.
ouais c'est pas faux
Il y a 3 ans · Répondre
Derpyna
Derpyna : #19082
Ïa, ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn.
Il y a 3 ans · Répondre

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