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Allegrezza

Une fiction traduite par Littera Inkwell.

Concerto Undici

Le court trajet vers la répétition d’Octavia se passa dans un silence gêné et tendu. Octavia avait vocalement fait savoir à Vinyl combien il lui avait été difficile de remodifier son lecteur pour lui rendre son calibre sonore normal. Quand Vinyl avait laissé entendre que ses modifications avaient amélioré la qualité du son, Octavia avait failli lui jeter un haut-parleur Ponysonic à la figure.

Vinyl avait mangé ses pancakes, inventé une histoire à propos d’un concert où elle état attendue, et quitté le navire aussi vite que possible, laissant toute seule une Octavia d’une humeur massacrante. Alors qu’elles descendaient la rue, la tension entre elles persistait toujours, et bientôt Vinyl voulut briser ce silence incandescent.

« Alors… tu l’as réparé ? »

« Enfin, bien sûr que l’ai réparé au final. Ce que tu n’as pas saisi c’est qu’il m’a fallu une heure et demie pour y arriver. J’ai dû écouter la septième symphonie de Beethoofven cinq fois pour empêcher les contrebasses d’empiéter sur les violons ! »

Vinyl se gratta la tête, et manqua de peu de rentrer dans Octavia comme elle se retrouvait obligée de maintenir l’allure sur trois pattes.

« Ah bon. Au moins c’est réglé maintenant. Je n’y toucherai plus. »

« C’est vrai, tu n’y toucheras plus si tu sais ce qui est bon pour toi. »

« Oh, en voilà des méchancetés. »

« Je préfère, ‘mesures de prévention d’éventuels dommages corporels’. »

« En voilà des… mots compliqués. »

Octavia se mit à trotter plus vite, pratiquement au galop, comme si elle tirait de la puissance cinétique de son indignation.

« Comment peux-tu entrer chez les gens comme ça et jouer avec leurs affaires comme si elles t’appartenaient ? »

« Je te préférais la nuit dernière, tu… parlais moins. »

« De même. »

Heureusement, l’attitude vexée d’Octavia ne put durer qu’un moment de plus, comme elles arrivaient finalement à leur destination à une allure folle. Contrairement au grand hall de l’audition, ce lieu-ci était bien plus sobre pour une répétition. En place de l’architecture gothique et des pégouilles qui surgissaient de la bâtisse précédente, il avait une devanture de verre scintillante et légèrement givrée, avec un délicat réseau de fines poutres d’aciers qui se répandaient sur sa surface comme les fils d’un tissu.

Vinyl décida de commencer à se faire pardonner en ouvrant la porte à Octavia, qui la gratifia d’un grognement passif-agressif en pénétrant l’atrium. La pièce était claire et spacieuse, presque comme le Présidium de Cloudsdale lui-même. La lumière du Soleil filtrait à travers la devanture de verre dans toute sa puissance diurne, dispersée par l’aciérie et projetée à l’intérieur en un miroir flou des poutres de métal. La salle était chiquement moquettée, et assortie d’un bureau poli et lustré tenu par une réceptionniste polie et lustrée.

Octavia s’éclaircit la gorge, et ouvrit la bouche pour prier qu’on lui indique la direction. Hoofz Zimmer lui avait simplement donné l’adresse, sans plus d’indication quant à quelle pièce du bâtiment considérablement grand était réservée pour les répétitions.

La réceptionniste parla avant même que les lèvres d’Octavia aient commencé à bouger, sans même lever les yeux et tout en se limant un sabot déjà immaculé grâce à sa magie. Octavia prit soudain conscience de combien négligée elle devait paraître en comparaison. Vinyl, comme toujours, restait aussi calme et placide que l’une de ces vieilles poupées de chiffon qu’Octavia avait étant pouliche. Elle sourit pendant la plus brève des secondes en se remémorant sa joie quand elle avait reçu le kit violoncelle Démodé un jour. C’était ça qui avait fait naître en elle l’envie d’en jouer elle-même.

La réceptionniste pointa simplement une allée d’un sabot actuellement non limé, et débita des directions d’escaliers, couloirs, tournants à gauche, tournants à droite, faites demi-tour, et failles magiques dans l’espace-temps. Octavia hocha la tête, perplexe, et ne retint que le numéro de la salle. Elle pourrait se contenter de suivre les indications sur les murs.

Octavia et Vinyl continuèrent le long d’un couloir, reprenant confiance comme les indications guidaient leurs pas. Une pensée traversa soudainement l’esprit d’Octavia alors qu’elle remarquait le sourire dérouté sur les lèvres de Vinyl. Celle-ci se baladait toujours dans un état de bonheur abject et avec ce même rictus engageant et agaçant. Octavia s’arrêta net, et Vinyl ralentit derrière elle. Elles étaient à la porte de leur destination, mais Octavia pensa qu’une petite mise au point s’imposait. Du moins, jusqu’à ce qu’elle soit prête avec tout ça.

« Vinyl… »

Vinyl perçut le soupçon de trépidation dans les mots d’Octavia. Elle hésita un moment, jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’Octavia avait besoin d’être incitée à continuer.

« Ouais, Octy ? »

« À propos… de nous. Je… Je ne veux pas vraiment que ça se sache, pour le moment. Gardons ça pour nous… d’accord ? »

« Si c’est bon pour toi, c’est bon pour moi. De quoi tu as peur à ce point ? »

Octavia hésita cette fois-ci. Ses yeux frémirent de doute en se baissant sur le carrelage couleur crème, comme pour y chercher des réponses.

« Je n’en suis pas sûre. Mais je sais que je ne suis pas prête. Désolée. »

« Eh, du nerf. T’as pas à être désolée. »

Vinyl enroula ses pattes autour d’Octavia. Maladroit, étant donné la corpulence de l’étui à violoncelle sur son dos, mais cela eut l’effet désiré sur Octavia.

« Motus bouche cousue, tant que t’es pas prête, ok ? Notre secret. »

Octavia hocha la tête et se détacha de Vinyl. Elle fit une halte, prit une grande inspiration avant de sourire, et de pousser la porte de la salle de répétition. Vinyl n’avait pas vraiment admis que la vraie raison pour laquelle elle était heureuse de se taire sur leur… relation – si tant est qu’on puisse déjà appeler ça une relation – était qu’elle était aussi effrayée par les réactions qu’Octavia. Bien sûr, tout le monde faisait des expériences au lycée, mais continuer de fréquenter des ponettes ensuite n’était pas très bien vu par le commun des poneys. Se montrer dans une salle pleine de musiciens classiques vieux jeux risquait de faire beaucoup de foin.

La salle de répétition était bien différente de celle d’audition, de la même façon que le bâtiment entier différait du précédent ; le modernisme s’infiltrait dans les vieilles esthétiques de la musique classique. Elle ressemblait fort aux salles de cinéma que Vinyl fréquentait dans ses années lycée. Des sièges pliants de velours descendaient en rangs le long d’une allée jusqu’à la scène proprement dite. Le plafond était curieusement haut, les poutres de l’ossature métallique s’enfonçant dedans en certains points.

Hoofz attendait sur scène avec le reste du quatuor, tous accordant leurs instruments respectifs. Octavia se tourna vers Vinyl, commença à l’enlacer avant de se souvenir de la situation dans laquelle elles étaient. Elle sourit, les joues rouges d’embarras, puis trotta rapidement vers la scène. Vinyl se dirigea lentement vers la rangée de sièges la plus proche de la scène. Ce à quoi elle ne s’était pas attendue, c’était de trouver Bonbon installée à quelques chaises sur sa droite, qui s’étonna de la coïncidence avec force appels.

« Bonjour, Vinyl. Ça faisait un moment ! Comment ça va avec Octavia ? »

« Oh… ça va. On va bien séparément, tu sais. Pas ensemble. »

Bonbon hocha la tête, lui fit un clin d’œil et se donna une tape sur le museau.

« Ok, t’inquiète pas. J’ai pigé. Alors… euh, si ça ne t’embête pas d’en parler. Comment vous avez fêté sa nouvelle position ? »

« Sa position dans l’orchestre ? Pas la position se… hum. On est juste rentrées chez elle. Pour parler, hein. Du thé et des biscuits. Elle m’a fait un show en privé aussi. »

Les yeux de Bonbon s’écarquillèrent, et elle partit dans un rire qui évolua en un gloussement de sorcière. Vinyl sentit ses joues s’embraser lorsqu’elle comprit ce qui dans ses paroles avait pu déclencher une réaction aussi joviale.

« Non, non, non, non. J’veux dire… un show au violoncelle… en privé ! »

Bonbon hocha la tête en chassant une larme au coin de son œil du bout du sabot.

« Mais bien sûr, Vinyl. C’est bien que vous vous… amusiez toutes les deux. D’une manière platonique et absolument pas romantique. »

« Ouais, comme tu dis. Ils commencent la répet’, laisse-moi regarder. »

Vinyl se pencha en avant, et fit de son mieux pour se concentrer sur le quatuor et le vieux poney qui les dirigeait. Comme toujours ses yeux furent attirés par l’expression quasiment irradiante de la ponette à côté d’elle.

« Pour l’amour de Célestia, tu vas arrêter de me sourire comme ça !? »

* * * * * *

Octavia posa son étui sur la scène et défit adroitement les loquets pour révéler l’instrument à l’intérieur. L’atmosphère était bien plus calme, surtout comparé à ses tourments de la nuit dernière. Zimmer connaissait ses talents, elle n’avait rien à prouver cette fois. Au lieu de ça, elle n’avait qu’à apprendre les notes qu’on lui présentait.

C’était quelque chose qui venait naturellement à Octavia. En fait, n’importe quel musicien de leur acabit apprenait très vite à décoder les notes, les rythmes, les timbres, et ce à une vitesse que d’autres poneys auraient du mal à égaler. La spécialité d’Octavia était plus d’apprendre à comprendre un morceau. Lire entre les notes et mesurer l’émotion derrière, mimer les sentiments et les intentions du compositeur avec les mouvements de son archet. Si elle prenait la peine d’essayer, elle pourrait très certainement apprendre à jouer de n’importe quel instrument. C’était simplement par préférence et habitude qu’elle restait loyale à son violoncelle.

C’était un cadeau de son père, rien de moins. Après avoir découvert sa fascination pour la musique, ses parents lui avaient fait essayer toutes sortes d’instruments dans l’espoir de révéler sa marque de beauté. Le xylophone était impossible à jouer aussi délicatement que nécessaire aux sabots. Le piano, trop rapide, le vaste spectre de touches était bien trop grand pour ses petites pattes de pouliche.

Non, c'est le violoncelle qu’elle avait finalement adopté. C’était difficile au début, comme tout instrument, mais celui-ci était de la plus grande précision. Un léger mouvement de l’archet pouvait changer entièrement le ton et le caractère d’une note, et elle pouvait le contrôler à volonté, avec si peu d’effort que ses parents en avaient pleuré des larmes de fierté en l’écoutant la première fois. Elle était si fière à l’époque, elle avait à peine senti la chaleur sur ses flancs quand sa clef de sol était apparue.

C’était devenu une routine. Pas une routine maussade comme celle d’un poney travaillant dans un bureau, remplissant des rapports, ou réalisant des tableurs. Plus comme l’accueil d’un parent proche après une rude journée de travail. Le fidèle violoncelle qui comptait sur sa stabilité tout comme elle comptait sur lui. Ainsi, elle reposait dessus tout en observant Lyra et les autres accorder leurs propres instruments. Elle tripota distraitement les chevilles d’accordage, le violoncelle était déjà accordé avant même qu’elle ne fût sortie de chez elle. Ça l’avait aidée à se changer les idées après le chaos que Vinyl avait semé dans son système audio.

Hoofz distribua les partitions, et chaque poney les plaça sur son pupitre. Octavia examina les notes. Du smooth jazz, très suave. Pas un style qui lui était familier, mais on pouvait difficilement trouver ce genre exigeant. Le simple but était de bercer et d’apaiser le public, parfait pour les aristocrates qui participaient au Gala. Pas besoin de les faire danser, pas même une valse timide. Juste la musique qu’il fallait pour accompagner les poneys dans leurs conversations.

Le quatuor était diversifié. Octavia et Lyra représentaient les cordes. Un étalon au pelage bleu avec un trio de notes sur son flanc tenait son saxophone dans une posture nonchalante, tout en étudiant sa partition. L’autre poney était d’un noir presque de jais, tandis que sa crinière était d’un pur blanc de perle. Son flanc était orné d’un segment de piano, les touches blanches ressortaient de son pelage alors que les noires s’y fondaient parfaitement. Il serait facile de la confondre avec un dentier si la lumière n’éclairait pas si justement.

Détachant son attention du potentiel poney dentiste, Octavia se mit à jouer des petits segments de la mélodie. C’était elle qui avait le rôle central, avec Lyra. Le piano s’en tenait à une mélodie qu’on pourrait presque trouver froide, tandis que le saxophone restait dans les mêmes tons jazz lents qui collaient si bien au caractère de l’instrument. C’était le boulot de Lyra et d’Octavia d’être la garniture du quatuor, d’assaisonner le morceau qui serait autrement doux et calme.

Elle jeta un œil à Lyra, qui semblait avoir tiré les mêmes conclusions. En dépit des railleries qu’elle lui lançait, Octavia savait que Lyra était une musicienne compétente. En fait, on pourrait arguer que c’était la raison principale pour laquelle elle l’insultait en permanence. Aucun musicien classique ne se faisait d’amis au boulot, que des rivaux et des souffre-douleur. Les deux hochèrent la tête au même moment précis, à quelques mètres l’une de l’autre, une distance trop grande pour autoriser la discussion entre elles.

Plus ou moins heureusement, Hoofz remarqua la tension glaciale entre elles, et la scinda d’une déclaration posée.

« Mlle Heartstrings et Mlle Philharmonica, je vous recommande de communiquer si vous voulez aligner les tempos de vos deux morceaux, cela profiterait grandement à l’ensemble. »

Lyra acquiesça en premier, avec vigueur et nervosité, puis s’adressa à Octavia à voix basse, la lyre nimbée d’un halo violet magique.

« Eh bien Octavia, il semble que Zimmer veuille que nous jouions de concert. Je suppose qu’il nous faudra coopérer si nous voulons voir nos payes quand tout ceci sera terminé. »

« Je le pense aussi. Mais s’il te plaît, baisse le ton de ta lyre cette fois-ci. C’est bien trop… clair pour ce morceau. »

« Dixit le poney qui joue d’un instrument plus monotone que son propre caractère ! »

« C’était une simple requête ! À croire que rien ne sera jamais assez simple pour te faire comprendre ! »

Vinyl regarda l’altercation verbale jusqu’à ce que Zimmer s’interpose pour demander aux deux poneys de coopérer. Même à distance elle pouvait reconnaître l’expression agacée d’Octavia, le museau froncé et les yeux plissés qu’elle arborait quand elle avait été vaincue. Vinyl adorait essayer de lui faire tirer cette expression, c’était son plus joli visage.

Bonbon se pencha par-dessus la rangée de sièges devant pour voir la scène de plus près. Octavia et Lyra y pratiquaient à contrecœur des exercices de timing qu’elles n’avaient probablement pas faits depuis la maternelle. À chaque fois l’une des deux jouait plus vite, plus fort ou plus haut que l’autre, et Hoofz leur demandait de recommencer en secouant la tête.

Bonbon rit et se tourna vers Vinyl.

« Ma femme et ta petite copine s’entendent à merveille. »

Les joues de Vinyl s’empourprèrent. Elle parvint à peine à bredouiller des mots cohérents. « M-Mais, c’est pas ma p’tite copine, ok !? »

« Oh, ouais. J’avais oublié… Héhé, sourire, clin d’œil, n’en dis pas plus. »

« Sérieux… t’es la pire espèce de poney. »

Bonbon s’avachit sur son siège, et lança le plus bref des regards de défi à Vinyl avant de parler.

« Admets-le, elle aurait l’air craquante en chaussettes. »

« Qui, Octy ? »

« Nan. Je parlais de Lyra. »

Le rictus de Bonbon devint stratosphérique. Elle lança un clin d’œil à Vinyl tout en maintenant étirées ses joues pour former un sourire, aussi impossible que soit sa largeur.

« Je t’ai eue ! »

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