- “Allô Anna ?” fit une voix au téléphone.
- “Papa ? Oh, j’suis contente d’entendre ta voix.” sourit-elle. “Tu appelles pour dire que tu rentres bientôt c’est ça ?”
Silence au bout de la ligne
- “Papa, tu es toujours là ?”
- “Eh bien … je t’appelais justement à ce propos” hésita-t-il. “Je - ne vais pas pouvoir rentrer finalement, l’un des gars ici a eu un accident avant de venir me remplacer et ils ont besoin de quelqu’un pour assurer sa période, alors je serai obligé de rester plus longtemps.” avoua-t-il, désolé.
- “Oh non. Tu seras au moins là pour Noël rassure moi ?”
Nouveau silence
- “J’en déduis que non … Ça durera encore combien de temps ?” demanda-t-elle.
- “Encore une rotation d’équipe complète, je ne serai de retour que dans trois mois ma chérie, désolé de devoir te laisser seule comme ça, mais je te promets que lorsque je rentrerais on ferras ce que tu voudras.” se rattrapa son père. “Mais je t’appelle aussi pour prendre des nouvelles, qu’est-ce que tu fais depuis le début des vacances ?”
- “Ah, eh bien je l’ai passé chez Jack.”
- “Vous n’avez pas fait ce que je pense ?”
- “Papa !” s’indigna Anna. “On a rien fait de tout ça, cesse d'imaginer ce genre de chose ! J’aide juste Jack à passer une … période difficile, je le soutiens car c’est mon rôle en tant qu’amie.” esquiva-t-elle habilement.
- “Oh, je vois, s’il n’y a que ça alors je te fais confiance. Mais dis-moi alors, comment va-t-il, quel est son souci ?”
Anna se mordit la lèvre, il allait lui falloir trouver une excuse valable et assez rapidement, son père n’aimait pas rester dans le vague et il la questionnerait encore plus sinon.
- “Je n’en sais pas grand chose” hasarda-t-elle. “Je ne suis pas psychologue, mais il se pose des questions sur son identité et son avenir, en plus ses parents reviennent cet après midi et j’essaie de le remettre d'aplomb du mieux que je peux d’ici là. D’ailleurs je me suis levée assez tôt et j’ai pris la voiture pour allez lui chercher quelque chose qui lui ferra sûrement retrouver le sourire … Mais j’ai … Un peu pris dans l’argent que tu me laisse, ça ne te gêne pas ?
- “Non, non, je suis même content de voir que tu t’investis autant pour lui. Et ça sera comme lui rendre la pareil, tu te souviens de ce vélo qu’il t’a offert après la mort de ta mère ? Eh bien ses parents m’ont dit qu’il a mis tout son argent de poche dedans et à fait pas mal de petits boulot pour combler le manque.”
- “Quoi ? Mais ce vélo valait une fortune !” s’exclama-t-elle.
- “Et j’espère bien que tu lui ferras un cadeau qui lui ferra autant plaisir que le sien ne l’a fait à toi. Oh zut, je dois te laisser, écoute chérie je t’embrasse, et donne une tape sur l’épaule du champion pour moi, veux-tu ?”
- “Au revoir papa !” dit-elle avant de raccrocher.
Entendre que son père allait être absent plus que prévu, et que cela allait s’étendre jusqu’à Noël prochain était de loin l’une des pires nouvelles qu’Anna ait pu souhaiter, elle ne voyait son père que le tiers de l’année et il avait déjà raté sa fête d’anniversaire en début d’année. Elle l’avait fêté en compagnie de quelques amis mais aussi grâce à Jack, qui n’en avait pas loupé un seul. Néanmoins, l’absence de son père allait lui permettre d’être plus souvent présente aux côtés de Jack, et lui donnerait peut-être un peu plus de temps pour trouver une parade contre son père, si jamais il lui réclamait les “vraies explications”.
Anna ralentit immédiatement sa voiture à l’approche de la maison de Jack, et la gara à proximité, puis prit avec précaution le paquet sur la place passager juste avant de sortir du véhicule.
Anna s’était levée bien avant le soleil, et surtout Jack, pour grimper dans sa voiture et partir au plein coeur de la ville, à la recherche d’une boutique ayant ce qu’elle souhaitait trouver pour son ami, il lui avait fallu de nombreuses fois traverser la ville sous les indications assez hasardeuses des vendeurs acceptant de laisser une cliente filer chez la concurrence, mais Anna était finalement parvenue au bout de ses peines. Heureusement qu’elle avait laissé un mot pour prévenir qu’elle rentrerait bientôt, sinon Jack se serait inquiété pour rien. D’ailleurs il devait sûrement s’inquiéter pour rien tel qu’elle le connaissait, mais il lui pardonnerait sûrement en voyant Anna arriver avec un gâteau à l’ananas confectionné par l’un des meilleurs traiteurs de la ville.
A l’approche de la porte, Anna s’arrêta pour tenir d’une main la boite en carton et tenter de sortir son jeu de clef de sa poche. Quand elle y parvint et approcha celle-ci de la serrure, elle se rendit compte que quelque chose clochait : la porte était ouverte, et Anna en était certaine, elle avait verrouillé la porte en partant ce matin. Anna se demanda si ce n’était pas les parents de son ami qui étaient rentrés plus tôt que prévu, mais il était presque midi et leur retour n’était pas prévu avant le soir. En examinant la serrure de plus près, Anna fut prise d’une soudaine panique : Elle n’avait pas été ouverte avec une clef, mais forcée !
Elle lâcha immédiatement son paquet dont le contenu se répandit sur le paillasson et fonça immédiatement à l’intérieur, là l’étendue des dégâts la laissa sans voix : De nombreux meubles gisaient, renversés au le rez-de-chaussée, dans la cuisine et le salon. Anna appela immédiatement son ami dans toute la maison :
- “Jack ? Pitié dis-moi que tu vas bien. “
Elle entra dans la salle de bain, regarda derrière les rideaux de douche mais ne trouva personne. Elle sortit immédiatement et fouilla dans tous les placards qu’elle trouva, sous toutes les tables, tout en continuant de crier le nom de son ami :
- “Jack ! Répond bon sang ! ”
Elle ne trouva rien au rez-de-chaussée, même après avoir retourné plus de meubles qu’initialement. Alors elle fonça séance tenante en direction de l’escalier et en gravit les marches quatre par quatre. Elle enfonça presque toutes les portes et mit sens dessus dessous les chambres qui étaient restées encore intactes, la dernière, celle de Jack, était désespérément vide. Là elle se laissa tomber, en larmes, dos à la porte.
- “Jack … Non pas ça. Dis-moi que tu m’as fait une blague...” Elle renifla, puis continua presque inaudiblement. “Sors de ta cachette … pitié …” Finalement elle poussa un long râle de désespoir devant la réalité.
Quelqu’un était venu ici, avait forcé la porte et enlevé son ami. Elle avait conservé de minces espoirs en voyant le désordre ambiant, qu’il ne s’agisse que d’un cambriolage et que Jack soit parti se cacher en vitesse, mais ceux-ci s’étaient désormais effondrés. Elle se traita d’idiote. Les cambrioleurs ne renversaient pas les meubles et ne partaient pas sans emporter les objets de valeur. Il était désormais clair que quelqu’un s’était introduit ici pour enlever Jack, et que son ami ne s’était pas laissé faire si facilement.
Anna se traita encore une fois d’idiote, puis encore de nombreux autres adjectifs pendant que ses larmes coulaient et trempaient ses manches dans lesquelles elle gardait sa tête plongée. Si elle n’était pas partie durant ces quelques heures, peut-être que rien de tout cela ne serait arrivé, mais il avait fallu qu’elle se relâche juste un instant et qu’elle quitte la maison pour que le pire se soit produit.
Au bout d’une bonne heure de lamentation, et toujours prostrée contre la porte. Anna entendit des bruits venir de l’étage inférieur. Elle crut d’abord que c’était les ravisseurs venus la chercher elle, avant de reconnaître les porteurs des voix.
- “Par ma grand mère, mais qu’est-ce qui s’est passé ici ?!” prononça une voix féminine.
- “Il a fallu qu’on lui laisse la maison rien qu’une semaine et voilà comment on la retrouve, oh il va m’entendre lui, je parie qu’il a organisé une fête !” gronda une autre voix, cette fois-ci masculine.
Aucun doute permis, c’étaient bien eux. Anna se leva immédiatement et dévala prestement les escaliers à leur rencontre. Juste dans le salon, droit devant le bas des escaliers, elle reconnu une femme, qui elle aussi aperçu une jeune fille aux joues et aux yeux rougis par les larmes. Elle se pressa immédiatement pour la cueillir dans ses bras.
- “Anna, c’est toi ? Oh ma pauvre, dis-moi ce qu’il c’est passé.” dit-elle tout en serrant fort la jeune fille contre elle.
- “Hellen, c’est horrible.” dit-elle à bout de souffle.
- “Niells, ne reste donc pas planté là, va chercher du thé pour calmer cette gamine.” invectiva la femme en direction de son mari. ”Chut, tout va bien maintenant ma chérie. Tu peux nous dire ce qu’il c’est passé ici ?” Elle aida Anna à s’asseoir sur le divan et s’installa juste à côté d’elle prête à recueillir ce qu’elle avait à dire.
Hellen, la mère de Jack, était une femme d’une quarantaine relativement entamée, pourtant elle conservait encore tous ses charmes, et ses quelques légères rides ne faisaient que mettre en valeur ses magnifiques yeux bleus encadrés d’une chevelure brune bouclée. Cette mère de famille, au fils unique, considérait pourtant presque comme sa propre fille Anna, tant celle-ci passait de temps avec son fils, elle avait même presque accueilli cette dernière comme telle, lorsque sa mère était décédée dans ce tragique accident d’avion, survenu quelques années plus tôt. Voir ainsi cette pauvre enfant pareillement chagrinée, ne faisait qu’attiser son instinct de mère.
- “C’est- c’est Jack, j’étais partie ce matin très tôt pour aller lui chercher une surprise, et quand je suis rentrée, j’ai trouvé la maison dans cet état, et je ne trouve Jack nulle part.”
A cet instant, le père de Jack revint de la cuisine, les mains chargées d’un plateau contenant trois tasses de thé fumantes. Il les déposa sur la table basse puis pris place sur le canapé opposé avant de poser une question :
- “Mais dis-moi Anna, que faisais tu chez nous si tôt ce matin ? Tu n’as pas dormi ici tout de même ?”
Niells, mari d’Hellen et père de Jack. D’un âge un peu plus avancé que celui de sa femme, soit une petite cinquantaine, celui-ci ne laissait pourtant pas facilement la vieillesse s'emparer de son corps, il maintenait que l’activité physique et la joie de vivre pouvait garder la mort éloignée de la fête assez longtemps, cela n’empêchait néanmoins pas les cheveux gris d'orner son crâne, et une légère bedaine de remplacer les pectoraux qu’il avait sculpté en même temps que ses épais muscle, à force de travail manuel sur les chantiers lors de sa jeunesse. Lui aussi appréciait énormément l’amie de son fils, mais son côté un tantinet pragmatique l’empêchait de faire autant que sa femme.
Anna saisit une tasse de ses mains frêles et but un peu de thé avant de répondre. L’effet relaxant des plantes et la chaleur de l’eau coulant dans la gorge l’aida énormément à se détendre et elle sentait son stress diminuer à chaque gorgées.
- “Oui … En fait je dors ici depuis le tout début de la semaine, juste après votre départ en fait. Je n’en avais pas l’intention pour être honnête, mais en voyant … les soucis que Jack avait, je me suis dit que je devais rester au plus proche de lui pour l’aider. Mais là …” Anna recommença à trembler, mais après une autre gorgée de thé et quelque mots de la part d’Hellen, elle put à nouveau se ressaisir et continuer. “C’est pire que tout … je crois que Jack a été enlevé.”
- “Jack ? Enlevé ? Mais comment cela peut-il être possible ? Le quartier est sous jurisprudence privée, il faut montrer patte blanche pour pouvoir passer le portail de la porte, et seuls les résidents et quelques personnes exceptées possèdent une carte d’accès ! D’ailleurs obtenir la tienne a été extrêmement difficile Anna.”
- “Du calme Niells.” tempéra sa femme. “Même si le quartier est bien surveillé, ce n’est pas impossible que l’on puisse entrer ici sans carte. Mais pour l’instant la priorité c’est de retrouver Jack.”
- “Eh bien appelons la police !” fit Niells tout en sortant son téléphone.
Anna l'interrompit durant son geste. Réalisant quelque chose d’autre.
- “Je ne crois pas qu’elle puisse nous aider” dit-elle fatalement.
- “Pourquoi ?” s‘enquit-il.
Anna venait de réaliser quelque chose d’autre, de bien plus horrible que l'enlèvement de Jack, et ce, maintenant qu’elle avait les idées un peu plus claires. Et elle devait faire de gros efforts pour se contenir quand elle le réalisa : Il était impossible de secourir Jack.
Que dirait la police quand on leur annoncerait que la victime était un garçon de seize ans, transformé en poney blanc et à la crinière bleue, tout droit sorti d’un dessin animé pour enfant ? Ils riraient au nez d’Anna et les parents de Jack aussi ne la croiraient sûrement pas non plus, un psychologue dirait sûrement qu’elle avait subi un important choc émotionnel - ce qui n’était pas faux - et qu’elle divaguait. Alors la police se concentrerait sur une fausse piste, peut-être activement pendant les première semaines, puis elle passerait à autre chose, et le dossier resterait irrésolu, tout ça parce que l’on ne la croirait pas. Et pendant ce temps, Jack serait peut-être vendu comme animal à un riche collectionneur, ou envoyé dans un laboratoire pour y subir des expériences abominables. Finalement Anna se remit à pleurer.
- “C’est justement la raison pour laquelle je restais avec Jack, et je crois que parce qu’il n’est pas là vous ne me croirez pas … ni personne d’autre.”
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