- “Anna, tu es sûre de te sentir obligée de m’aider à faire ça ?”
- “Ne dit pas de bêtise Jack, la dernière fois que tu l’as tenté seul tu n’y es pas arrivé et tu as mis la pagaille. Et tu n’as pas à te sentir gêné, c’est normal que j’y mette du miens. Maintenant baisse la tête que je puisse te rincer.”
Voilà presque une semaine que Jack s’était retrouvé transformé en poney, une semaine où il avait appris, ou plutôt essayé de s'adapter à sa condition, il y parvenait petit à petit, mais il dut bien se rendre compte que certaines choses lui étaient désormais infaisables seul. Mais Anna, pleine de bonne volonté, l’aidait lorsqu’il en avait besoin, comme à cet instant, où Anna aidait Jack à se laver, chose qu’il ne pouvait de toute façon pas faire sans une paire de mains.
- “Si seulement je parvenais à utiliser ma magie, je n’aurais plus besoin de ton aide. Je suis un licorne quand même.” dit-il en sortant de la cabine de douche.
Anna prit le temps de lui mettre une serviette sur la tête et de commencer à le sécher avant de lui répondre :
- “Ne te sens pas aussi tracassé, rien ne dit que tu ne parviendras pas un jour à la maîtriser. Après tout, si tu t’es transformé en ça, il peut être possible que tu puisse l’utiliser un jour.”
- “Peut-être … mais je- aïe ! Attention avec la brosse !
- “Désolée, mais j’ai pas vraiment eu le temps d’aller à l’animalerie pour acheter une brosse à crin tu vois, heureusement que tu possède un bon stock d’équipement, ta crinière est presque aussi épaisse que celle que tu possédais avant, mais qu’est-ce qu’elle est douce …” dit-elle en passant sa main dedans.”
- “Anna ?”
- “Oui ?”
- “On en a déjà parlé, c’est non.”
- “Rhô, t’es pas drôle. Bon, maintenant que tu es sec, allons manger, le repas doit être cuit.”
En arrivant dans la cuisine, Anna et Jack ne prêtèrent même plus attention au nombreux objets traînant ça et là au sol. Il ne s’agissait pas non plus d’un désordre, mais plutôt d’un aménagement pratique pour Jack, ainsi de nombreux escabeaux et objets permettant de gagner de la hauteur étaient disposés devant de nombreux meubles, et presque chacun d’entre eux étaient pourvu de simples petites tiges, permettant à Jack d’appuyer sans gêne et parfois sans aide sur les nombreux interrupteur de la maison permettant de piloter le système domotique.
- “Jack, tu peux augmenter la lumière ?" Demanda Anna pendant qu’elle se dirigeait vers le four.
- “Bien sûr.” répondit-il.
Situation oblige évidement, les très nombreuses fenêtres perçant les murs de la résidence étaient maintenant à volets fermés en permanence, pour éviter tout regard indiscret pouvant mettre en danger le secret de Jack, qu’Anna protégeait avec ferveur.
- “Qu’est ce que l’on mange ?” demanda Jack en grimpant sur un tabouret.
- “Haricots vert et pommes de terre.” répondit cette dernière. “Pourquoi tu fais cette tête ?”
- “J’ai envie d’un steak …”
Anna soupira tout en posant le repas sur la table.
- “Je sais Jack, mais tu te souviens de ce qui s’est passé la dernière fois que tu as tenté de manger de la viande ?” Il hocha la tête. “Tu l’as trouvée délicieuse, mais tu l’as vomie l’instant d’après, il est clair que tu ne peux plus manger de viande, ton organisme ne le supporte plus.”
- “C’est pas pour autant que je vais manger des sandwichs aux fleurs ou brouter du foin quand même.”
- “Je sais, en attendant voilà ta part, et tiens que je t’aide à enfiler ta fourchette.”
Les aménagement de mobilité n’étaient pas les seuls remaniements de circonstance, Jack et Anna avaient aussi réfléchi aux petits objets répartis dans la maison. De ce fait, Jack se nourrissait d’une fourchette attachée à son sabot grâce à un élastique, par souci de propreté, et peut-être de dignité. Les poignées des portes de la maison étaient presque toutes équipés de ficelle facilitant leur ouverture, mais Anna avait pensé à en retirer les verrous pour qu’elles n’aient plus qu’à être poussée.
- “C’est demain que tes parents sont de retour, non ?”
Jack cessa de mastiquer un court instant, puis repris, lentement.
- “Je-je ne suis pas sûr d’être prêt pour ça …” hésita-t-il. “Et s’ils prenaient peur ?
- “Jack, ce sont tes parents, quoi qu’il arrive tu resteras leur fils. Si ça peut te rassurer, je leur parlerais en premier et leur expliquerais la situation, et alors seulement après tu pourras te montrer. Mais nous trouverons un moyen, je te le promets.
- “Oui, tu as raison je ne dois pas m’en faire autant, si j’ai confiance en moi tout se passera bien.”
- “Tant mieux” se réjouit-elle. “Maintenant, peux-tu m’aider à débarrasser la table ?”
- “D’accord.” dit-il en reposant ses sabots sur le sol.
Avec la force de l’habitude, Jack avait appris petit à petit comment se servir de ses sabots ou de sa mâchoire comme outil de manutention, même si de nombreuses choses lui étaient dorénavant difficiles voir même impossible, force était de considérer qu’il s’était adapté rapidement. Pourtant cela ne l’empêcha pas de briser une assiette sur le sol, rependant des éclats de porcelaine sur le sol.
- “Ah, merde. Excuse-moi Anna, je vais t’aider.”
- “Non ce n’est pas la peine, et puis même si tu le voulais tu ne pourrais pas.” Elle prit conscience de ses mots en voyant la mine de Jack. “Oh excuse-moi, bon écoute, va te coucher, moi je termine ça. Demain va sûrement être une rude journée et il faudrait que tu sois en forme pour l’affronter.”
Il opina à contrecœur et entreprit de gravir les escaliers en direction de sa chambre. Les sons provenant de l’étage inférieur ne cessèrent que lorsqu’il ferma sa porte.
La pénombre régnait dans sa chambre, mais au lieu d’allumer la lumière, Jack se dirigea plutôt vers sa fenêtre et trouva l'interrupteur commandant la levée du volet le séparant de la lumière extérieure. Bien évidement, il ne prendrait jamais ce risque s’il avait fait jour.
Là, elle se révéla entièrement une fois que le volet fut entièrement relevé. La lune, blanche, ronde et lumineuse ce soir là, illuminait au milieu d’un ciel exceptionnellement clair de tout nuage. Mais Jack n’était pas vraiment satisfait, alors il ouvrit pleinement sa fenêtre, laissant également entrer l’air froid de l’hiver. La lune était sans doute le seul astre qu’il pourrait encore regarder en toute liberté, sans avoir la peur d’être surpris par quiconque, alors il ne voulait plus polluer son astre en l’admirant à travers n’importe quelle fenêtre ou panneau de verre, quelque soit sa transparence.
Il s’assit donc sur son lit, et resta immobile, à contempler l’une de ses dernières libertés.
Quelques minutes plus tard, la porte de sa chambre s’ouvrit de nouveau. Anna, silencieusement, vint s’asseoir à côté de son ami sur le bord du lit.
- “Jack, pourquoi pleures-tu ?” demanda-t-elle après quelques instants de silence.
- “Je- Je crois bien que j’ai peur.” dit-il.
- “Peur de quoi ?”
Il sécha ses larmes d’un revers de sabot, puis répondit enfin :
- “De ce qui va m’arriver par la suite. Le sais-tu toi ?”
- “Eh bien …” esquissa-t-elle.
- “Je ne pourrais probablement plus sortir à l’air libre sans prendre mille précautions. Je ne pourrais pas faire les études dont j’ai toujours rêvé, ni faire le métier qui irait avec. Même quelque chose d’aussi simple que voir le soleil me sera difficile. Ma vie sera probablement pire que celle de n’importe quel prisonnier, si eux on ne les montre pas, la société les cache parce qu'ils sont des monstres, moi je me cache de la société parce que je serais probablement vu comme un monstre, je serai mon propre geôlier en fin de compte.
- “Ne dit pas ça, on est là nous, tu as une famille qui t’aimera quoi qu’il advienne.”
- “Et pour laquelle je serais un boulet, même pour toi.” rétorqua-t-il. “Tu me l’as prouvé tout au long de la semaine, et même encore ce soir... J’ai besoin d’aide pour attraper quelque chose, je ne peut me laver seul, on me coupe ma nourriture lorsqu’il le faut et je dois manger avec une fourchette accrochée à mon sabot. J’aurais toujours besoin de quelqu’un derrière moi pour faire quoique ce soit, je serais un poids pour vous, et là il ne s’agit que de simples choses. Comment allez-vous justifier ma disparition ?” Anna resta silencieuse face à cette question. “Il y aura forcément quelqu’un qui viendra vous mettre en situation délicate, les services sociaux seront alertés car on ne m’a vu nulle part, que ce soit l’école, les amis... Des inspecteurs viendront un jour où l’autre pour s'assurer que l’on ne me traite pas mal, alors que c’est totalement l’inverse, vous serez trop occupés à-”
Jack n’eut pas la possibilité de finir son allégation, car Anna le stoppa en plaquant sa main contre ses lèvres. Jack le compris, elle avait quelque chose à dire, alors il garda le silence. Et toujours en silence, Anna pris la couverture du lit, et la rabattit sur leur épaules pour se protéger du froid. Là seulement elle parla :
- “Cesse de t’en faire pour toutes ces idioties Jack. On trouvera forcément une solution pour que tu puisses mener une vie la plus normale possible. Tes parents déménageront sûrement dans un endroit relativement isolé où tu pourras sortir sans craintes, et je convaincrai mon père pour qu’on vous suive, ou qu’au moins je puisse venir le plus souvent possible, je suis ton amie alors je ne te laisserai pas filer. Et pour les officiels, on trouvera bien un moyen, peut-être pas obligatoirement légal, mais je suis certaine qu’il sera possible de t’éviter tous ces ennuis. Alors je te le répète.” Elle tourna son regard vers lui. “Cesse de t’en faire, tu ne seras pas prisonnier comme tu le dis, tu seras Jack, le fils de seize qu’on tes parents, et le meilleur ami que j’ai jamais eu depuis toute petite.”
Une étincelle de volonté brilla dans le regard d’Anna, qui acheva de convaincre Jack de s’en remettre à ceux qui l’ont toujours soutenu. Pour répondre, il prit d’abord le temps de détacher son regard d’elle, puis de l’amener jusqu’à la lune. Il sourit :
- “Merci. Encore une fois.”
Devant les résultats encourageants présentés devant elle, Anna se contenta de rire, ce qui intrigua Jack, elle riait de satisfaction mais aussi …
- “Non, c’est moi qui te remercie.”
- “Ah bon ?”
- “Oui, parce que depuis tout à l’heure je suis en train de profiter de ta fourrure.”
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