Site archivé par Silou. Le site officiel ayant disparu, toutes les fonctionnalités de recherche et de compte également. Ce site est une copie en lecture seule

Brasier Année Zéro

Une fiction écrite par BroNie.

Sixième partie : Incendie (2)

Le tonnerre gronda, semblable à un animal sauvage. Plantée devant l'entrée de la caverne, Luna observait la tempête qui faisait rage au dehors. Elle essayait de se rendre compte de la violence de l'orage, de réaliser qu'à chaque éclair qui zébrait le ciel, c'était peut-être un arbre ou un poney qui était fauché par sa puissance.

La pluie tombait dru au dehors. Un rideau d'eau dégoulinait devant l'entrée de la grotte, masquant en partie le spectacle de la lande foudroyée à son observatrice.

Pourtant, Luna était plus attentive que jamais. Elle y était forcée. On était en pleine nuit. C'était son tour de garde.

Bon, la nuit ne voulait plus vraiment rien dire de précis depuis dix ans. Elle pouvait cesser en un soupir et revenir l'instant d'après pendant des heures et des heures. Mais même un être chaotique comme Discord semblait vouloir respecter une certaine logique dans l'enchaînement astral.

Qu'il fasse nuit ou jour importait peu au final en fait. Les faits étaient là, c'était à Luna de veiller pendant que sa sœur aînée pouvait se reposer.

L'alicorne bleue laissa aller son regard quelques secondes sur sa grande sœur endormie. Celestia était couchée sur le flanc et se servait de son sac comme oreiller de fortune. Les pièces d'armures et les Éléments reposaient en sécurité à côté d'elle.

En y repensant, Luna était même surprise que sa sœur ne se soit pas écroulée au moment où elles avaient touché terre : leur échappée de l'Elysium avait été plus que délicate.

Elles ne s'étaient éloignées de la plate forme que depuis quelques secondes quand les premières vagues d'énergie avaient reflué vers elles. Les deux sœurs avaient senti une puissance gigantesque qui fonçait sur elles, comme une avalanche de magie.

Luna s'était laissée gagner par la peur pendant une seconde. Mais pas plus. Pas plus parce que sa sœur lui avait doucement touché le flanc de la patte pour attirer son attention et qu'elles avaient lancé un sort de protection sur elles-mêmes. Un charme en coin, comme lors des entraînements de Japet. Avec la différence que l'attaque était bien plus forte et que cette fois ci, si elles perdaient, elles mouraient pour de bon.

Luna se rappelait de cette vague d'énergie pure qui les avait submergées. Comment elle avait serré les dents et bandé ses muscles, comment elle avait déployé toute son énergie dans sa barrière.

Et comment d'un coup, la vague était passée. En un instant, toute cette puissance était derrière elles et continuait son chemin vers l'Elysium.

Elle se souvenait du spectacle terrible de la ville de cristal avalée par le reflux. Elle avait vu l'ombre de la Tour des Éléments choir puis...plus rien. Quand l'énergie magique s'était dissipée, il n'était rien resté de la république. Juste le flanc nu de la montagne et l'eau des aqueducs vaporisés, qui cascadait désormais librement sur les rochers.

Comme si la montagne voulait pleurer la cité disparue.

C'était un peu hagardes que les deux sœurs avaient rejoint le sol et s'étaient mises en quête d'un abri. Luna avait supplié sa sœur de marcher tout de suite contre Discord mais Celestia avait été inflexible : le draconequus tenait Equestria depuis dix ans et avait ses séides partout. C'était trop imprudent de se mettre en branle dès maintenant. Elles devaient glaner des informations sur l'ennemi, étudier ses failles, rassembler des alliés si possible. Et seulement ensuite, frapper l'esprit du chaos.

Luna pensait que c'était lâche d'agir ainsi. Elles avaient assez attendu au cours des années passées, Equestria avait besoin d'elles maintenant !

Mais tant que Celestia ne le déciderait pas, elle refuserait toute action contre Discord. Luna serait bien allée affronter le draconequus seule mais si elle préférait l'attaque à l'inaction, elle n'était pas insensée pour autant. Il faudrait les Éléments à leur maximum pour venir à bout du tyran. Cela voulait dire que les Gardiennes devraient l'être tout autant.

Donc pour l'instant, elle se pliait à l'ordre de Celestia.

Pour l'instant.

Un nouveau coup de tonnerre poussa Luna à se reconcentrer sur l'extérieur. Sans qu'elle ne puisse vraiment mettre le sabot sur le pourquoi, quelque chose lui disait de faire attention. C'était une alerte, une pointe dans son estomac, un frisson le long de son échine, comme à l'entraînement quand Japet tentait de la prendre par surprise. Luna avait appris à écouter son corps et ses signaux.

Elle plissa les yeux, cherchant à voir quelque chose au travers des trombes d'eau qui s’abattaient sur la lande. L'éclair qui suivit illumina cette dernière, révélant une forme qui s'approchait doucement de la grotte.

Luna se braqua. Quelqu'un venait vers elles ! Qu'est-ce qu'elle devait faire ? Réveiller Tia pour la prévenir du danger ? Mais elle ne savait même pas ce que c'était ! Ce pouvait être un voyageur, surpris par la tempête. Luna aurait l'air bien si pour la première fois qu'elle montait la garde, elle sonnait l'alerte pour rien.

D'un autre côté, si par laxisme elle laissait faire quelque chose de tragique...le dilemme déchirait littéralement la jeune alicorne. Elle décida de le résoudre de la seule façon qui lui sembla logique : foncer droit devant.

Elle bondit hors de la grotte, plongeant dans la tempête. L'eau la frappa avec violence, de tous côtés, comme si chaque goutte de pluie s'était donné pour mission de la charger. Luna se força à garder les yeux ouverts, se servant de ses ailes pour dévier l'eau de son visage. Le liquide alourdissait terriblement les plumes, les transformant en rigoles naturelles.

L’œil de l'alicorne accrocha quelques éclats blancs et se rendit compte que la grêle se mêlait à la pluie, maltraitant sa crinière gazeuse, la rendant plus compacte. La jeune jument se sentit percluse de frissons mais elle continua à avancer, cherchant dans sa volonté la force de mettre un sabot devant l'autre.

Au sol, les grêlons recouvraient peu à peu l'herbe de la lande. Luna sentait ses paturons se glacer à chaque pas qu'elle faisait.

Elle continua toutefois à marcher. L'ombre qu'elle avait aperçue s'éloignait à présent d'elle, se dirigeant vers un renflement du terrain. Luna pressa le pas. Elle se souvenait des instructions de Japet, qui lui avait enseigné que lorsque elle pourchassait un ennemi, elle devait tout faire pour le prendre de vitesse et l'empêcher de gagner une position sécurisée. Elle s'efforça de faire honneur à son enseignant.

Ses pas la portèrent jusqu'à l'entrée du renflement, tumulus recouvert de bruyère, dont l'herbe blanchissait sous l'action de la grêle. Luna plissa les yeux, cherchant à voir au plus profond de l'entrée de pierre. Ça ressemblait à un piège. Mais Luna n'avait pas peur de tomber dedans, précisément parce qu'elle savait à quoi s'attendre. Ôtez la surprise de ce schéma tactique, et ce n'était rien de plus qu'un avantage de terrain pour l'assaillant.

Elle mit un sabot devant l'autre et pénétra dans l'éminence. A l'abri de l'orage, elle replia ses ailes, ces dernières dégouttant lentement de pluie. Les gouttes s'écrasaient au sol, libérant un parfum d'humidité qui se mêlait à celle de la chaleur du tumulus.

Elle n'hésita pas longtemps à lancer un sort de lumière. Elle serait plus repérable, certes, mais si le dessein de l'ombre était de l'attirer ici de toute façon, cette dernière savait où elle était. Alors si elle pouvait s'octroyer un petit avantage...

Luna marchait dans un étroit corridor de pierre, amas de rochers taillés qui se soutenaient l'un l'autre. La construction était primitive mais dégageait quelque chose de rassurant. De solide.

L'alicorne bleue s'avança jusqu'à l'extrémité du couloir, découvrant le cœur du tumulus : une pièce circulaire de taille respectable, au centre de laquelle quelque chose avait été installé.

Luna s'approcha prudemment, découvrant des piliers, surmontés d'une dalle de couverture. Sous cette dernière, reposait un petit tas d'ossements blanchis par le temps, ainsi que des pièces d'armures rouillées, et quelques poteries cassées.

Elle était en présence d'un tombeau.

_CCCCCa fait quelque chose n'essssst-ccccce pas ? demanda t-on derrière elle.

Luna se retourna brusquement, chargeant un sort offensif dans sa corne. Elle tomba museau à museau avec un visage familier, à la robe très sombre, aux yeux jaunes et à la pupille verticale. Mais ce fut l'odeur qui raviva ses souvenirs. On n'oubliait jamais une puanteur comme ça, même quand on ne l'avait sentie qu'une fois voici dix ans.

_Charon ! s'exclama Luna.

Le Nocher sourit, révélant sa dentition incomplète à la jeune alicorne. Il fit quelques pas, se plaçant à côté d'elle et regarda les os.

_Epona, murmura Charon alors que de la salive noire dégoulinait des trous de ses dents cariées. Une des plus grandes chefs des pégases, bien avant que les trois raccccces ne décccccident de collaborer. La légende raconte qu'elle a tué un troupeau de manticores à sssssabots nus alors que les créatures attaquaient ssssson clan. On dit ausssssi que le jour où elle a regardé une cocatrixxxxxe dans les yeux, ccccc'est l'animal qui a été changé en pierre.

_Ce devait être une jument exceptionnelle, commenta Luna.

_SSSSSa fin ne manque pas de sssssel non plus, poursuivit le Nocher. Elle est tombée amoureuse d'un fermier terressssstre, à l'époque où les relatttttions de ccccce genre étaient mal vues. SSSSSon propre clan l'a bannie alors qu'elle a été la sssssalvatriccccce de ssssson peuple. Et le plus drôle, ccccc'est qu'elle n'a pas protesssssté. Elle a acccccepté ssssson sssssort et est devenue une sssssorte d'aventurière errante. On dit qu'elle est tombée contre une meute de timberwolves en maraude.

_C'est vrai tout ça ? questionna Luna.

_Qu'importe ? répondit Charon, souriant à pleines dents. L'important, petite princccccessssse, ccccc'est cccce que l'hissssstoire devient, pas ccccce qu'elle était vraiment. Qu'Epona fut une guerrière mythique ou une marchande de poissssson dans la réalité, ççççça ne compte pas beaucoup, du moment que tu sssssentes le poids de sssssa légende quand tu regardes ccccces os.

_Qu'est-ce que tu fais aussi loin du Tartare ? demanda Luna, se forçant à se concentrer sur le présent.

_SSSSSimplement venu m'asssssurer du recouvrement d'une dette. Tu te sssssouviens quand je t'ai faite entrer dans le Tartare, pour retrouver ta sssssoeur ?

Luna hocha la tête. Bien sûr qu'elle s'en rappelait. Charon l'avait guidée jusqu'à Tia dans les couloirs obscurs de la prison quand elle y avait posé le sabot. En échange, elle avait accepté d'aider le Nocher quand ce dernier en ferait la demande. Il semblerait que ce jour était arrivé.

_Qu'est-ce que tu veux que nous fassions pour toi ?

_Il ssssse trouve qu'après de longues années de bons et loyaux ssssserviccccces tartaresssssques, cccccertains de mes frères ont envie de voir le monde. Tu vas donc les prendre à ton ssssservice.

_Quoi ?

_Ils t'obéiront et ssssse plieront à tes ordres, poursuivit Charon sans se laisser interrompre par la jeune alicorne. Ils ssssseront dissssscrets, ne ssssse montreront que quand tu auras besoin d'eux. Mais ils ssssseront là.

Luna ferma la bouche, tentant d'ordonner ses pensées. Elle allait se retrouver avec des chauves-pégases qui lui colleraient aux fers. Savoir qu'une suite de gardiens du Tartare allait s'attacher à elle la chagrinait, mais l'esprit pragmatique de la tacticienne qu'elle était considérait la chose sous un autre angle.

_C'est notre garde personnelle en clair ? Si nous leur demandons de se battre pour nous, le feront-ils ?

_Encore une fois, ils t'obéiront et ssssse plieront à tes ordres.

_Ça nous a plus l'air d'être un cadeau qu'un recouvrement de dette, fit remarquer pensivement la jument.

_Je ne te demande pas de comprendre où nous y trouvons notre intérêt, petite princccccessssse. Jussssste de remplir ta part du contrat et de régler ainsssssi ta dette. Mes frères t'attendent dehors, glissa t-il dans un murmure qui tenait presque du soupir.

Charon se déplaça lentement en direction de la sortie de la chambre funéraire. Un instant avant qu'il ne s'engage dans le corridor, Luna l'interpella :

_Charon, demanda t-elle, toi qui te vantes toujours de tout savoir...est-ce que...est-ce que nous allons battre Discord ?

La question de l'alicorne rebondit un moment dans le silence du tombeau. Puis, après un temps qui lui sembla infini :

_ Comme je te l'ai dit, répondit le gardien d'une voix flûtée en se tournant vers son interlocutrice, l'important ccccc'est ccccce que l'hissssstoire devient, pas ccccce qu'elle était vraiment. Est-ce que ççççça compte vraiment qui gagnera entre vous et le draconequusssss ?

_Bien sûr que oui ! objecta Luna avec force. C'est le sort de tout Equestria qui est dans la balance !

Charon retroussa ses babines dans un de ses habituels sourires.

_Alors tu as ta réponssssse, petite princccccessssse.

Le Nocher maintint son sourire quelques secondes, la salive noirâtre dégoulinant le long de son menton, se prenant dans ses poils. Il tourna lentement les talons et s'en alla. Luna perçut le bruit de ses sabots sur le sol pendant encore quelques secondes, puis le son s'éloigna définitivement. Elle n'entendait plus que le bruit de la tempête au dehors.

L'alicorne resta quelques minutes dans la chambre funéraire, pensive après les mots de Charon. Elle laissa errer son regard sur la dépouille osseuse d'Epona, et inclina brièvement la tête :

_Pardonne nous d'avoir troublé ton repos, s'excusa Luna.

Charon émettait une réflexion intéressante quand il affirmait que le mythe importait plus que les faits. Mais Luna ne pouvait s'empêcher de considérer la chose de manière plus pragmatique : qu'Epona ait été une jument à hauteur de sa légende ou non, ça ne changeait rien au fait qu'elle avait été enterrée dans ce tertre. Et à ce titre, le tombeau méritait le respect des vivants. C'était quelque chose de naturel et de juste.

Luna releva la tête, une pointe de douleur vrillant son cœur quand elle pensa que ses parents avaient été privés de sépulture par la faute de Discord. Quand tout sera terminé, pensa t-elle, Tia et nous leur bâtirons une dernière demeure digne de ce nom.

Encore une fois, c'était ce qui lui semblait juste.

L'alicorne se décida à revenir à la grotte. Elle s'était assez éloignée comme cela, il était temps de reprendre son tour de garde et de veiller sur le sommeil de son aînée.

A l'extérieur du tumulus, le temps s'était quelque peu calmé : il pleuvait toujours mais la grêle avait cessé de tomber. Luna remarqua en un instant les dizaines et les dizaines de paires d'yeux jaunes à la pupille verticale qui la fixaient. Comme l'avait annoncé Charon, les chauve-pégases l'attendaient.

Luna ne put s'empêcher d'afficher un léger sourire et d'interpréter l'accalmie de la tempête comme un bon présage. Après tout, comme le disait souvent sa mère alors qu'elle regardait le ciel gronder avec inquiétude, « après la pluie, le beau temps ».

_Puisses-tu avoir raison, mère, souffla Luna en regardant le ciel noir, gorgé d'eau.

Luna rebroussa chemin vers la grotte. Elle prit son temps pour revenir. Au moins autant parce que la lande était détrempée que pour trouver une explication sensée à sa grande sœur concernant les dizaines de chauve-pégases qui la suivaient désormais.

Ce fut une longue marche de retour.

¤¤¤

L'atmosphère était lourde dans le bar. D'abord au sens propre puisque de nombreux clients tiraient sur leur cigarette ou leur pipe, maculant les lieux d'une fumée épaisse qui stagnait perpétuellement au dessus de tous. L'odeur du tabac, mélangée à celle de la bière bon marché était peu agréable.

Les sons des conversations se mêlaient, transformant tout en brouhaha inaudible. Il fallait vraiment tendre l'oreille pour comprendre les propos de la table la plus proche de soi.

En un mot, les Dés pipés n'était pas le meilleur bar de Manehattan où passer ses soirées si on cherchait un cadre sympathique. Mais si on cherchait autre chose...

Celestia souffla par réflexe en direction de son front. La capuche de son chaperon se souleva quelques secondes avant de retomber devant ses yeux, le tissu chatouillant désagréablement son museau.

C'était une gageure à porter cet habit. Et elle avait tellement l'impression de sortir d'un de ces romans d'aventures à cinq bits, avec l'héroïne enroulée dans son grand manteau, qui venait jusque dans les bas-fonds de la ville, trouver son contact. Même si dans son esprit, ce n'était pas entièrement péjoratif. Elle avait été une grande consommatrice de ces romans de gare quand elle était adolescente après tout.

Mais malgré tout, elle ne pouvait se sortir l'idée de la tête qu'ici et maintenant, elle était un cliché sur pattes, avec son grand chaperon brun.

Le plus étrange quand même, c'était de penser qu'elle pouvait circuler librement en Equestria. Discord ne la recherchait semblait-il pas, elle n'avait pas vu d'affiches d'elle ou de Luna. Sans doute se disait-il qu'elles se cachaient quelque part au nord, chez les ours.

Celestia n'était pas assez stupide pour se promener au grand jour à la vue de tous par contre : elle était alicorne, une particularité qui serait remarquée par le premier poney venu. Il serait trop facile à Discord de suivre cette piste pour mettre la patte sur elle, ensuite. Cela, la jument souhaitait l'éviter tant qu'elle le pouvait. Elle affronterait le draconequus bientôt, très bientôt même. Mais ce serait au moment où elle l'aurait choisi.

Ce serait elle qui mènerait le jeu et qui gagnerait.

Celestia pouvait comprendre l'impatience de Luna, qui ne cessait de trépigner à l'idée de voler jusqu'à Canterlot et de briser le règne du chaos. Mais elle savait que c'était une erreur de s'y jeter tête baissée.

Discord avait pris Equestria en otage et, par peur ou par calcul, certains poneys s'étaient donnés à lui. Il avait des gardes un peu partout, qui arrêtaient ses opposants et ceux que le draconequus estimait le mériter.

Elle et Luna pouvaient battre Discord , Celestia en était persuadée. Mais avant, il faudrait abattre son régime.

Et c'était justement à ça que s'adonnaient les alicornes depuis quelques mois, et leur départ de l'Elysium.

Celestia s'était attendue à une tâche des plus ardues, et la difficulté était bien présente.

Cela dit, elle avait eu la surprise de découvrir qu'elles ne luttaient pas seules : une résistance s'était organisée contre Discord et faisait tout son possible pour entraver son pouvoir. Les poneys ne pouvaient pas lutter au grand jour, bien entendu, et frappaient donc depuis l'ombre. Plusieurs cadres du régime et des collaborateurs avaient été assassinés, quand d'importants bâtiments de l’État n'avaient pas été piégés. Le plus impressionnant, c'était que malgré la cruelle répression qui s'abattait invariablement sur la population après chaque attentat, la résistance tenait bon.

Equestria pliait sans rompre et rendait les coups.

Le contact de Celestia de ce soir appartenait justement à la résistance manehattanienne. Sous le pseudonyme de Scarlett, emprunté à l'héroïne de son roman préféré, l'alicorne avait participé à quelques coups d'éclat de son côté, aidée par sa sœur et les étranges chauve-pégases qui lui servaient désormais de garde personnelle. Au fil du temps, elle s'était fait un petit nom dans les rangs de la résistance, elle était désormais considérée comme une interlocutrice respectable. C'était ainsi qu'elle avait décroché ce rendez-vous. A ce qu'on lui avait dit, le poney qu'elle avait en face d'elle savait où trouver les restes de l'armée pégase, décimée lors de la prise de pouvoir de l'esprit du chaos. Celestia était persuadée que si elle arrivait à rallier les vestiges de la Junte à sa cause, Equestria la suivrait comme un seul poney. Mais avant de faire cela, il lui fallait savoir où ils se cachaient.

_Tu dois bien comprendre que je ne peux pas donner cette information à n'importe qui, lui glissa le poney terrestre attablé devant elle.

_Je ne suis pas n'importe qui, répondit du tac au tac la jument. Je crois vous l'avoir assez prouvé le mois dernier quand nous avons attaqué le fourgon pénitentiaire et libéré vos camarades, non ?

_Je nie pas ce que tu as fait, Scarlett, dit l'étalon en finissant sa choppe, un peu de mousse se fixant sur sa moustache. C'est juste que certains camarades sont encore un peu méfiants. T'as débarqué dans la course un beau matin comme ça...avoue que ça fait un poil bizarre.

_Vous auriez préféré que je m'abstienne et que je laisse les gardes de Discord réprimer sans rien faire ?

_J'ai pas dit ça, objecta le résistant en faisant un signe de la patte à la serveuse du bar, réclamant une autre choppe. Mais imagine qu'en fait, tu bosses pour les troupes ducales, que tu sois un genre d'agent double, hein ? Ou que tu sois capturée et que sous la torture, tu craques et tu balances tout. On doit être prudents, et protéger le réseau.

_Discord et Sombra tiennent le pays par la peur et la délation. Si vous ne me faites pas confiance, vous jouez leur jeu.

Le poney grimaça. La serveuse approcha, portant au sabot la choppe de l'étalon. Celestia nota distraitement que la cutie mark de la jeune jument, une palette de peinture, ne correspondait en rien avec un travail dans un bar. Mais sous le régime de Discord, on ne faisait pas toujours ce qu'on voulait.

L'étalon prit la nouvelle choppe en sabot et la sirota doucement.

_J'ai envie de te faire confiance, finit-il par avouer. Mais ça ne dépend pas que de moi.

_Alors qu'est-ce que vous comptez faire ? demanda Celestia alors que la serveuse s'éloignait, emportant la choppe vide.

_Je vais soumettre ta proposition aux camarades, dit-il après s'être gratté le museau. Puis, on votera. Si on est plus de la moitié à valider, on te passera la localisation de la Junte.

Celestia leva un sourcil, provoquant l'hilarité du poney.

_Excuse, dit-il une fois son fou rire passé. J'imagine que dans les réseaux où y a que des licornes comme toi, ça doit faire bizarre de penser démocratie.

Licorne, pas alicorne. Celestia faisait très attention à dissimuler ses ailes quand elle incarnait Scarlett. Elle était déjà assez repérable avec sa crinière pastel, pas la peine d'en rajouter.

_La démocratie n'est pas dans nos habitudes, finit par concéder Celestia.

_Je me souviens de la dernière fois où on a voté pour de vrai, soupira nostalgiquement l'étalon. Pour le Chancelier Strawberry. C'était quelqu'un ce gars là. Et tu sais le meilleur ? Je le soutenais pas moi, à la base. J'avais choisi Summer Shrub, l'ancien secrétaire au commerce. J'ai fait la gueule quand Strawberry s'est pointé, en martelant qu'il faisait de l'honnêteté le fer de lance de sa campagne. Comme les autres que je me disais. Qu'il allait s'en mettre plein les poches pendant son mandat , qu'il allait placer ses copains, et qui tremperait dans des affaires louches. Je me souviens que j'avais parié une bouteille à chacun des collègues : dans les six premiers mois, on trouverait une affaire ou un truc pas net sur lui.

Un sourire gêné éclaira le visage du poney.

_Ça m'a coûte la moitié de mon salaire en apéro.

Il se remit à siroter sa bière.

_Ouais, Strawberry était vraiment extra. Je crois qu'au delà des meurtres, de l'oppression et tout ça, ce que je reproche le plus à Discord, c'est qu'il a tué le Chancelier. Des fois, je me dis que le vrai bordel, c'est pas quand la Junte a jarté, mais juste avant...

_Et les autres dirigeants ? se sentit obligée de demander Celestia. Vous en pensiez quoi ?

_On s'en moquait tous un peu, je t'avouerais, dit l'étalon en reposant sa choppe sur la table. On faisait gaffe à Strawberry parce que c'était notre chef, et qu'on l'avait élu. Le commandant des pégases et le roi des licornes, ça nous passait au dessus. Même si comme tout le monde, j'ai un peu suivi le sacre d'Hélios.

La jument se tut. Quelque part, elle aurait adoré que le poney se lance dans le même éloge pour son père, mais elle devait se faire une raison. Mis à part les licornes, personne n'avait jamais vraiment fait attention à Hélios. Alors qu'il avait été un des trois premiers poneys de la nation.

Ça faisait réfléchir.

_Dans combien de temps je peux espérer une réponse ? demanda Celestia.

_Dans moins d'une semaine. Et d'ici là si tu continues à prouver aux camarades que t'es du bon côté, c'est sûr qu'ils seront plus disposés à te donner l'information.

L'alicorne hocha doucement la tête. Elle comprenait.

Elle ne devait pas brusquer ses alliés, même si elle mourait d'envie d'en finir une fois pour toutes avec Discord. Et puis au moins l'avantage quand on participait à des actions clandestines, c'était que le temps semblait filer bien plus vite.

Celestia s'apprêtait à se lever de table quand un grand bruit de porte claquée la fit se retourner, imitée en cela par tous les clients des Dés pipés. A l'entrée du bar, à demi-masqués par la fumée, on pouvait distinguer les silhouettes de trois étalons en armure, armes d'hast au sabot. Le silence qui s'abattit à l'intérieur du bar confirma le premier sentiment de l'alicorne : les poneys qui venaient d'entrer n'étaient pas du genre à être venus boire un verre sans faire d'histoire.

La jument sentit le sabot de son contact se poser doucement sur sa patte avant pour attirer son attention. Très doucement, il formula la phrase « reste calme » sur ses lèvres. Celestia comprit rapidement. Ce n'était pas une descente de la garde ducale : ils n'étaient que trois et ne semblaient pas être spécialement venus pour eux deux. Les soldats passaient en ricanant près des tables, renversant les consommations et en effrayant les clients. Ils étaient juste venus tourmenter les poneys du bar. Pour se prouver à eux-mêmes qu'ils étaient forts sans doute.

En un sens, ils ne faisaient que reproduire à plus petite échelle ce que faisaient leurs maîtres sur tout Equestria.

_C'est bien silencieux ce soir, coassa un des soldats. Vous avez tous perdu votre langue ?

_On nous avait pourtant dit qu'il y avait une bonne ambiance ici, ajouta son collègue.

_Je l'ai toujours dit les gars, Manehattan c'est une ville de pisse-froids, annonça le dernier garde.

Celestia ne perdit rien de l'éclair de colère qui passa dans les yeux de ses voisins de table. Les manehattaniens était fiers de leur cité, ils l'avaient prouvé en se soulevant contre la Junte et en étant une des dernières villes d'Equestria à se soumettre au joug discordien. Le soldat attaquait les terrestres là où il n'aurait pas dû : leur honneur.

_File nous trois bières, ordonna le chef des soldats au barcolt. Et plus vite que ça.

Très digne, l'étalon remplit trois choppes de bière mousseuse, ne semblant attendre qu'un moment d’inattention de la part des militaires pour cracher dans leur boisson.

Les poneys vinrent s'affaler à la table voisine de celle de Celestia et du résistant. L'alicorne se força à baisser le regard. Les gardes, habitués à ce qu'on fasse le dos rond en leur présence, la regardèrent à peine une seconde, bien plus intéressés par la démarche de la serveuse qui venait jusqu'à eux, empêtrée dans leur commande. Ils gloussèrent de concert en lorgnant sur ses cuisses.

Un des étalons passa d'autorité son sabot sur la croupe de la jeune jument alors qu'elle se penchait pour leur servir à boire.

_Retirez votre patte monsieur, demanda t-elle d'une voix glacée.

_Monsieur ? répéta en s'esclaffant le poney. Je devrais venir plus souvent ici les gars, on me donne du « monsieur », hé ! Tu es sûre que tu veux que je retire mon sabot ma belle ?

_Oui, répondit la serveuse alors que le dégoût se lisait de plus en plus sur son visage.

_Ta bouche dit non, mais ton corps dit oui, objecta l'étalon en faisant lentement glisser la corne de son sabot de la croupe de la serveuse jusqu'à l'intérieur de ses cuisses.

Et soudainement, sans prévenir, la jument fut prise d'un haut le cœur et vomit sur le soldat. Un long jet bileux blanchâtre éclaboussa l'étalon qui poussa un juron et repoussa violemment la serveuse, qui alla valdinguer contre le mur. Sous les éclats de rire moqueurs de ses camarades, il s'essuyait tant bien que mal le poitrail, ne faisant qu'étaler les vomissures sur sa robe.

_Salope ! grogna t-il en saisissant sa lance et en la pointant contre la pauvre serveuse recroquevillée contre le mur. Je vais t'apprendre moi, à gerber sur un caporal de la garde ducale !

_Vous allez la laisser tranquille.

Le garde s'immobilisa et se retourna lentement. Il découvrit Celestia qui lui faisait face, solidement plantée sur ses quatre jambes, lui lançant un regard dur de sous son chaperon.

_Tu peux répéter ? demanda le soldat en s'essuyant dédaigneusement le museau. Je crois que j'ai mal compris.

_Vous allez laisser cette jument tranquille, répéta Celestia. Vous allez rejoindre vos amis à votre table. Vous allez boire vos bières et vous allez partir. Et tout se terminera bien pour tout le monde ce soir.

Le soldat jeta un court regard à ses compagnons de table et soupira.

_Les juments quand elles ont leurs règles, je vous jure.

Et il s'élança, arme en avant. Sans doute était-il habitué à ce que ses victimes attendent leur sort sans broncher, car il ne fit preuve d'aucune subtilité. La lance filait droit vers la gorge de Celestia, si bêtement qu'elle se demanda une seconde si ça ne cachait pas quelque chose.

Puis ses réflexes prirent le dessus : elle donna un coup de la patte sur l'arme qui dévia sur le côté, ouvrant la garde de l'étalon. Avant qu'il ne puisse comprendre son erreur, Celestia lui écrasait son sabot en plein visage, lui envoyant son fer entre les deux yeux.

L'alicorne ne cherchait pas la subtilité au combat. Le combat à sabots nus, ça n'avait jamais vraiment été son domaine, elle n'était pas Luna la guerrière. Celestia avait appris à frapper vite et fort, de manière à clore le combat avant même qu'il ne débute.

C'était la meilleure façon qu'elle avait de remporter un duel.

Le garde s'écroula comme une poupée de chiffon, sous le regard stupéfait de ses deux compagnons. Celestia ne perdit pas une seconde et envoya deux décharges d'énergie magique contre les étalons, qui les propulsèrent de leurs coussins. Le premier valsa contre le coin d'une table et ne bougea plus. Le second en revanche, réussit à bien tomber sur le dos, à rouler sur le côté et à galoper vers la sortie.

Celestia plissa les yeux, évaluant la distance. Elle devait le mettre à terre d'un seul coup, sinon c'était fichu. Il irait trouver des renforts, les Dés pipés seraient envahis. Et ça sentirait vraiment le roussi pour elle et la résistance.

Au moment où elle relâcha son énergie, quelque chose lui tira la patte.

Par réflexe, Celestia y porta son attention, pointant sa corne dans cette direction. Le premier soldat que Celestia avait cogné vit un tir magique le frapper en pleine gorge, lui écrasant la trachée.

La jument étouffa un juron en relevant la tête. Elle n'aurait jamais le temps de tirer une seconde fois sur le soldat qui s'en allait !

Mais un instant : le garde semblait s'être arrêté.

Et c'était bien ça. A moins d'un mètre du pas de la porte, l'étalon restait planté sur ses pattes, soudainement immobile. Au travers la fumée, on le voyait dodeliner d'avant en arrière. Celestia s'approcha doucement avant de remarquer la lance qui le transperçait de part en part.

Le garde grogna avant de s’affaisser sur le plancher.

_Il allait s'enfuir, murmura une petite voix que Celestia reconnut comme étant celle de la serveuse.

L'alicorne se tourna vers la jument, toujours à demi-prostrée contre le mur, tremblante de tout ses membres. A ses sabots, devant le corps inanimé du premier soldat, manquait la lance de l'étalon.

Le barcolt s'approcha doucement d'elle, s'agenouillant devant la jument.

_Ça va aller Painted, lui dit-il doucement. Tu as fait ce qu'il fallait, c'est fini maintenant. Tu es en sécurité. Il ne te fera plus de mal.

La serveuse ne répondit pas, les lèvres tremblantes. Très pâle, elle semblait sur le point de vomir à nouveau.

_Avant qu'elle ne bosse ici, elle a dû faire des trucs pas gais pour tenir dans la rue, se sentit obligé d'expliquer le barcolt à Celestia par dessus son épaule. Depuis, elle supporte plus trop qu'on la touche. Pauvre gamine...

Celestia ne put faire autrement qu’acquiescer. Pauvre gamine, oui. Par la faute de Discord, combien de jeunes juments s'étaient retrouvées dans cette situation ? Et encore, celle-là avait trouvé une planche de salut aux Dés pipés. Ce n'était pas le cas de toutes.

Elles méritaient un avenir meilleur.

_Tu ferais mieux de filer par la porte de derrière, lui glissa le contact de Celestia à l'oreille. On s'occupe des corps, t'en fais pas pour ça.

L'alicorne hocha la tête. Le résistant avait raison, elle devait s'en aller maintenant. Manehattan risquait de devenir un peu irrespirable dans les jours à venir. Autant se mettre au vert.

_Oh et Scarlett, l'interpella l'étalon moustachu alors qu'elle se dirigeait vers la réserve. T'en fais pas trop pour le vote. Avec ce que j'ai vu ce soir, tu peux être sûre que je vais tout faire pour convaincre les camarades.

Celestia osa un petit sourire en guise de réponse avant de suivre le barcolt jusque dans l'arrière salle et le laissa ouvrir l'entrée de service.

Elle gagna prestement la ruelle sur laquelle cette dernière donnait avant que l'étalon ne referme soigneusement derrière elle.

La soirée avait été moins fructueuse qu'espéré, mais elle avait au moins un gain inestimable, la satisfaction d'avoir sauvé la vie de cette petite serveuse.

En marchant dans les rues enfumées de Manehattan, sous le regard de la lune, Celestia se sentit plus grande que jamais.

¤¤¤

Dirigée de la patte par son guide, Luna avait mécaniquement levé son sabot libre devant elle, pour ne pas se prendre un mur ou un obstacle dans le museau. Le bandeau qu'on lui avait passé sur les yeux lui masquait totalement l’environnement.

Des souvenirs lui revenaient en tête. L'époque où elle jouait à colin maillard avec sa grande sœur et tous ces autres jeux où il fallait s'appuyer sur autre chose que la vue pour remporter la partie.

Mais Luna savait qu'aujourd'hui, l'enjeu était bien supérieur à une victoire d'enfant. Après des mois de travail et de lutte, elles allaient enfin rencontrer les restes de l'armée pégase.

Luna n'en revenait toujours pas de la maestria avec laquelle Tia avait réussi à organiser leur minuscule réseau. Quand elles étaient sorties de l'Elysium, elles n'avaient rien, tout juste leur volonté face au monstre que représentait l’État chaotique.

Ça et les chauves-pégases, Luna aurait été ingrate de ne pas les citer. Mais ils n'étaient qu'une poignée contre un régime qui étranglait Equestria depuis dix ans. Jamais le plus fou des parieurs n'aurait misé un bit sur leur réussite. Et pourtant.

Tia avait travaillé d’arrache-pied, sachant où frapper, qui soutenir. A Manehattan, elle avait personnellement sauvé la vie de membres de la résistance terrestre plus d'une fois. Luna elle, s'était consacrée à des actions plus violentes, qui visaient plus à déstabiliser les séides de Discord, qu'à cimenter les appuis de leurs ennemis.

Et petit à petit, la réputation des deux sœurs était allée grandissante. On avait vu les premières primes apparaître, placardées sur les murs, ou les journaux d’État qui appelaient à la traque des terroristes qu'elles étaient.

Celestia refusait cette appellation. De son point de vue, elles ne faisaient qu'aider le peuple contre un régime oppressif. La terreur venait du camp chaotique.

Luna, elle, était moins gênée par les termes avec lesquels on les foudroyait. Oui, elle était une terroriste. Oui, il fallait faire peur aux criminels qui brutalisaient Equestria. Et oui, la crainte était une arme de guerre efficace.

Luna n'était pas stratège pour rien.

Quelque part, à l'idée qu'elles allaient rencontrer de vraies troupes militaires, l'alicorne se sentait excitée comme une pouliche à la Veillée Chaleureuse. Si les vestiges de la Junte acceptaient de les suivre, Luna pourrait travailler avec des troupes aguerries, qui avaient l'expérience du combat. Les petites actions de guérilla qu'elle menait pour l'instant seraient reléguées au second plan, on pourrait passer au combat à grande échelle. Luna pourrait enfin tester ses tactiques sur le terrain, et les voir porter leurs fruits. Bien sûr, auparavant, il fallait que les pégases se rallient à elles. Mais elle avait une confiance illimitée en sa grande sœur. Tia savait parler.

Elles se partageaient plutôt bien la tâche, entre Tia la diplomate et Luna la guerrière. Les deux sœurs étaient une organisation bicéphale à l'efficacité redoutable.

Luna n'avait aucun doute que la leçon serait chèrement apprise par Discord et ses séides, une fois la Junte convaincue de rejoindre la lutte. Soit une simple question de temps désormais, avec son aînée aux commandes.

Un coup de vent la fit frissonner. Luna n'avait pas vraiment l'habitude d'évoluer en hauteur.

Du moins, pas dans une cité de nuages : l'Elysium avait peut-être été bâtie à haute altitude, mais c'était le verre et le cristal qui l'avaient composée, pas le gaz.

Ses sabots s'enfonçaient un peu à chaque pas, entravant sa marche. Dans un coin du cerveau de la jeune alicorne, elle analysait déjà les propriétés de ce terrain et comment se battre au mieux sur celui-ci.

On aurait pu la penser obsédée par le combat. Il y avait sans doute une part de vrai là dedans. Mais si Luna ne devait retenir qu'une seule leçon de Japet, c'était celle de toujours rester en alerte. A égalité avec celle qui disait de ne jamais faire de pause.

Au fond, Luna croyait plus à la ténacité qu'à n'importe quoi d'autre.

On lâcha sa patte et dans un bruissement d'étoffe, on lui arracha son bandeau. Luna regarda autour d'elle, repérant les lieux de quelques coups d’œil : elle se trouvait sur le promontoire d'une sorte d'arène circulaire, dont les murs intérieurs étaient criblés de loges. Dans ces dernières, elle percevait les silhouettes de pégases attentifs.

Tia était juste devant elle, encadrée par des poneys volants en armes. Luna remarqua en quelques secondes combien ils tenaient mal leurs lances, et comment leurs corps semblaient affaiblis. Elle s'attendait à rencontrer l'élite de l'armée pégase. Ce qu'elle avait sous le museau, c'était plutôt l'inverse. Le bas du panier, les fruits les plus gâtés.

Un pégase quitta une des loges pour venir jusqu'à elles. Le poney était aussi blanc que les nuages qui l'entouraient, de petite taille et d'aspect chétif. Luna se demanda si c'était un leurre mis en place par les pégases afin de dissimuler leurs véritables forces armées. Si c'était le cas, ça marchait plutôt bien.

_Scarlett et Sîn, déclara le nouveau venu en dévisageant successivement Celestia, puis Luna. Les deux juments dont on parle tant ces derniers mois. Et qui sont jugées assez dignes de confiance pour être reçues ici même, dans notre cloudasium.

_C'est plutôt petit pour un cloudasium, lâcha sans réfléchir Luna, contemplant le cirque aérien autour d'elle.

Tia jeta un regard de reproche à sa sœur. Luna comprit immédiatement qu'elle venait de faire une gaffe en insultant les poneys qui les recevaient. Entre les deux, ça prouvait bel et bien que pour la diplomatie, c'était sa grande sœur qui menait la danse.

_Excusez Sîn, dit Celestia en courbant l'échine devant le pégase blanc. Elle est encore jeune, elle ne sait pas qu'il vaut mieux tourner sa langue dans sa bouche avant de parler.

_Je peux bien l'excuser pour ça, murmura l'étalon en levant les yeux. Cloudsdale n'a pas vraiment les moyens d'avoir un cloudasium digne de ce nom. Celui de Stormpit était une merveille. Dommage qu'il ait été détruit par celui qui aujourd’hui, détruit notre nation.

_C'est justement à ce propos que nous avons sollicité cet entretien, lança Celestia. Vous et nous avons un ennemi commun. Discord.

Lorsque elle lâcha le nom du draconequus, des murmures traversèrent les loges de l’arène. L'esprit du chaos n'était visiblement pas des plus aimés ici.

_Discord est l'ennemi de tout ce qui respire, répondit le poney blanc. Je crains que cela n'aura échappé à personne.

_J'ai une offre à vous faire, dit Celestia.

Le poney leva un sourcil, visiblement intrigué. Il fit signe à son interlocutrice de poursuivre.

_L'ennemi de mon ennemi est mon ami, récita t-elle d'un ton un peu ampoulé. Si nous travaillons ensemble, nous pouvons l'abattre.

Un rictus barra le visage de l'étalon. Il le transforma en sourire navré, comme s'il devait expliquer la dure réalité à une pouliche trop rêveuse.

_Travailler ensemble à abattre Discord, nos frères l'ont tenté voici dix ans. Les cadavres de certains flottent encore sur la mer de Caspar. Regardez autour de vous, dit-il en désignant le décor de sa patte. Pourquoi croyez-vous que nous devons rester ici, à des kilomètres d'Equestria, loin de nos familles ?

Le sourire du pégase tomba alors qu'il répondait de lui même à sa question.

_Parce que Discord est trop puissant, voilà pourquoi. S'il a été capable de déchirer l'armée en une bataille, alors que le Commandant Haboob avait rassemblé ses meilleures troupes, expliquez nous comment vous comptez vous y prendre pour gagner, alors que nous n'avons même pas le dixième des forces qu'avait la Junte !

_Depuis quand est-ce que les pégases sont devenus des poulains apeurés ? gronda soudainement Luna, faisant un pas en avant.

_Lu ! s'exclama sa grande sœur.

_Répondez-nous, poursuivit-elle sans se laisser interrompre par son aînée. Lorsque nous étions plus jeune, nous avons rencontré le Commandant Tramonstane. Nous ne nous souvenons pas très bien de lui, sauf que notre mère plaquait ses sabots sur nos oreilles dès qu'il parlait. Mais il avait quelque chose en lui. Quelque chose qui brûlait comme la plus ardente des flammes, quelque chose qui faisait que le dernier de ses soldats aurait sauté dans le puits des tempêtes s'il l'avait ordonné. Et vous-allez nous faire croire que ce feu s'est éteint avec lui ? Qu'il ne brûle plus dans votre cœur ?

_Le Commandant est mort ! répondit l'étalon blanc dans un cri presque douloureux. Haboob est mort aussi ! Si même eux n'ont pas gagné, comment voulez-vous que nous nous en sortions ?

_Vous restez là à gémir et à gémir encore, alors qu'à la surface, des poneys se battent. Pas plus tard qu'il y a deux semaines, notre sœur a vu une serveuse, une pauvre serveuse de rien du tout, prendre la lance d'un des soldats de Discord et la planter dans son dos après qu'il ait tenté de la violer. La tribu des pégases aurait moins de cran qu'une serveuse de Manehattan ?

_Elle n'a pas eu à combattre un draconequus ! objecta t-on depuis les hauteurs du cloudasium.

_Notre sœur ici présente en a déjà combattu trois, et elle a gagné ! Elle a gagné ! répéta Luna, utilisant petit à petit la voix royale de Canterlot pour gagner en coffre. Cessez de dire que les esprits du chaos sont invincibles, parce que c'est faux !

L'alicorne bleue parut se calmer, seulement pour arracher son manteau et déployer ses ailes aux vues de tous.

_Nous sommes la princesse Luna, fille du roi Hélios et de la reine Aztarté. Nous allons nous dresser contre la tyrannie de Discord et y mettre fin, nous et notre sœur Celestia. La seule question qui importe, c'est de savoir si vous allez nous y aider, ou si vous resterez là en spectateurs.

Un blanc traversa le cirque volant. Il semblait que la révélation de Luna avait plus que choqué l'assemblée.

_La princesse Luna est morte, lança-t-on depuis une loge.

La visage de l’intéressée se figea quelques secondes, comme si on venait de l'insulter. Immédiatement après, la jeune sœur de Celestia donna quelques coups d'aile jusqu'à atteindre le box d'où s'était élevée la remarque. Elle se planta devant le pégase.

_Touche-nous, dit-elle simplement.

Le soldat observa à droite et à gauche, cherchant quoi faire dans le regard de ses frères d'armes. Il prit visiblement trop de temps aux yeux de Luna qui d'autorité, lui saisit le sabot et le plaqua sur sa poitrine.

_Sens les battements de notre cœur, annonça t-elle d'un ton sec, et ose dire que nous sommes morte.

Luna se détourna brièvement de son interlocuteur pour s'adresser au cloudasium tout entier.

_Nous sommes en vie. Et tant que nous respirons encore, nous ferons tout pour écraser Discord et ses chiens. Alors nous répétons notre question : allez-vous nous aider à battre le draconequus ? Ou bien allez-vous tous rester assis sur vos croupes sans rien faire ?

_Le passé nous a appris qu'on peut s'attaquer au régime de Discord, reprit Celestia, soucieuse d'arrondir les angles après la tirade de sa cadette. Nous ne sommes pas venues ici pour vous demander d'attaquer le draconequus de front : nous savons que ce serait suicidaire. Mais Sombra et son armée ? Les gardes qui terrorisent les poneys innocents, qui volent les récoltes des paysans, qui violent les juments sans défense ? Allez-vous ne rien faire et laisser ces bandits se servir en Equestria ? Est-ce qu'il n'est pas temps de les arrêter ?

_Mais quand même, renchérit le pégase blanc, Discord...

_...est mon problème, conclut abruptement Celestia. Je lève une armée contre la sienne. J'ai ma sœur. J'ai des chauve-pégases. J'ai la résistance de Manehattan et d'autres villes. Par mon nom, j'aurais les barons licornes. Alors je vous le demande : est-ce que j'ai aussi l'armée pégase avec moi ?

Le capitaine Austru se retourna, observant chacun des soldats qu'il avait sauvé lors de la débâcle de Caspar. Tous ces pégases, considérés comme le rebut de leurs frères d'armes, désormais seuls dépositaires de la légitimité militaire. Tout ceux qui avaient accepté de passer ces dix ans avec lui, de troquer la lance pour la binette et le bouclier pour le modelage de nuage.

La question de la princesse Celestia avait une autre signification pour eux. Elle leur demandait si la Junte voulait renouer avec sa grandeur et son honneur.

La réponse jaillit de centaines de gorges en même temps, porteuse d'une même clameur, d'une même force.

C'était oui.

Vous avez aimé ?

Coup de cœur
S'abonner à l'auteur

N’hésitez pas à donner une vraie critique au texte, tant sur le fond que sur la forme ! Cela ne peut qu’aider l’auteur à améliorer et à travailler son style.

Chapitre précédent Chapitre suivant

Pour donner votre avis, connectez-vous ou inscrivez-vous.

Aucun commentaire n'a été publié. Sois le premier à donner ton avis !

Nouveau message privé