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Souillure

Une fiction écrite par Brocco.

Désagrégation

Cette dernière information me fit paniquer. La situation s’était graduellement aggravée au cours des derniers mois, on ne pouvait le nier. Comme si nous nous approchions doucement du climax final, sans aucun doute un paroxysme dans l’horreur et la démence qu’aucun des évènements antérieurs ne saurait égaler. Et Luna avait probablement raison. Sans son intervention, j’aurais très certainement abandonnée l’ensemble de mes amis sans même regarder en arrière suite à ma dernière visite chez les Apple quelques heures plus tôt. Pour que l’entité tapie dans les tréfonds de Sweet Apple Acres réussisse à briser aussi facilement les solides liens d’amitié qui m’unissaient avec eux tous, nous devions être plus proches que jamais de l’effroyable dénouement.

Il me fallait à tout prix retourner voir Applejack et sa famille, pour pouvoir les tirer des griffes de l’entité d’outre-monde ou tout du moins gagner du temps pendant que Luna et Spike rameutaient les renforts. Ni la princesse, ni le jeune dragon ne semblaient heureux de me laisser repartir seule dans la sordide ferme mais l’inébranlable détermination qu’ils purent lire dans mon regard les dissuada d’essayer de m’en empêcher. En fuyant, j’avais trahie Applejack, Big Mac, Applebloom et Granny Smith. Je ne pouvais tolérer cela et il me fallait à tout prix me racheter, qu’importent les conséquences.

Alors que Luna et Spike partaient chercher toute l’aide qu’ils pouvaient trouver, je m’envolais une dernière fois vers Sweet Apple Acres. Et tandis que je m’en approchais, mes entrailles se serrèrent lorsque je remarquais qu’une lueur bien visible se dégageait du lieu maudit, prenant elle aussi la teinte de l’abjecte non-couleur désormais synonyme de corruption. Mais plus répugnant encore étaient les pulsations dans lesquelles elle semblait se dilater et se rétracter irrégulièrement. Il m’était impossible d’en identifier un motif régulier, tant elles m’apparaissent erratiques et insanes mais j’avais en moi la certitude que ce que je voyais pouvait se comparer à un rythme cardiaque, pour peu que l’entité dégénérée qui se terrait ici ait ce que l’on pouvait considérer comme un cœur.

Je me posais à côté du corps de ferme, engoncée désormais dans une brume luminescente, brillant elle aussi de ce rayonnement insensé. Mais une odeur méphitique avait désormais envahie Sweet Apple Acres et il me fallut toute ma volonté pour ne pas laisser cette puanteur me faire vider le contenu de mon estomac. Big Mac hurlait encore et toujours mais un changement dans le son de sa voix m’interloqua et me fit approcher de la grange dans laquelle il était enfermé. En jetant un coup d’œil par la fenêtre, je fus prise d’un brutal haut le cœur mais je réussis à me retenir de vomir. Le massif étalon n’était plus. A la place ne restait qu’une carcasse famélique, comme si son corps avait englouti de lui-même ses muscles afin de lui donner l’énergie de crier encore et toujours.

Le rouge de sa robe avait lui aussi disparu, devenant un gris cendreux. Mais son corps en avait apparemment pris non seulement la couleur mais aussi la texture. A chaque cri qu’il poussait, je voyais de minces filets de matière tomber de son corps mais ce n’était pas de la crasse. Big Mac était littéralement en train de tomber en poussière. Et à entendre le son méconnaissable de sa voix, l’intérieur de son organisme était sans doute en train d’en faire de même. Ainsi, à chaque nouveau hurlement, son corps semblait toujours plus se désagréger en même temps qu’il continuait de s’étouffer avec les morceaux de sa propre gorge. Pourtant, il ne semblait n’en avoir cure, ne cessant de crier que pour reprendre une brève respiration avant de recommencer. La folie qui l’avait prise lui avait enlevé jusqu’à son instinct de survie, je pouvais le voir dans son regard écarquillé et pourtant entièrement vide de toute émotion. Et aussi horrible soit cette pensée, mais je me sentais heureuse de le voir incapable de prendre le même accent que Luna car il ne répétait désormais plus que deux mots, que je ne connaissais désormais que trop bien. « Yog-Sothoth ! Yog-Sothoth ! »

Cette vision avait quelque chose d’hypnotique mais je parvins néanmoins à en décrocher mon regard afin de retourner dans la maison d’Applejack. La pourriture du bâtiment avait dramatiquement empirée, et il était désormais couvert de moisissures à la couleur changeante, le plus souvent elle aussi indéfinissable selon nos critères. La porte s’écroula quand je la poussais pour entrer et la ferme n’allait sûrement pas tarder à en faire de même. Il était donc crucial d’en sortir la famille Apple le plus rapidement possible. Je trouvais alors Applejack dans la cuisine, avec Granny Smith, apparemment toujours endormie dans un fauteuil.

La jument ne remarqua même pas mon arrivée et il fallut que je lui tape de l’épaule pour qu’elle tourne un regard vide vers moi. « Oh Twilight, te voilà à nouveau » fut tout ce qu’elle put dire. Et alors que je la pressais de m’aider à faire sortir sa famille du bâtiment décrépi, elle restait stoïque, apparemment désormais incapable de se soucier de sa santé ni de celle de ses proches. Je m’approchais donc de Granny Smith pour essayer de la déplacer ou du moins de la réveiller mais je remarquais pour la première fois la couleur cendreuse qu’elle avait prise, similaire à celle de Big Mac. Et j’étais certaine que cela faisait des semaines qu’elle était ainsi bien que mon esprit ne l’avait pas intégré pour une raison inconnue.

Craignant ce que j’étais pourtant certaine de découvrir, je posais le sabot sur la patte avant de la doyenne de la famille Apple, posée sur l’accoudoir du fauteuil. A mon contact, celle-ci se désagrégea, tombant en poussière sur le sol. Et je réalisais enfin que cela faisait sans doute des semaines que Granny Smith reposait morte dans ce siège. Si l’entité cis dans le sol de la ferme se nourrissait réellement de l’énergie de ceux qui vivait ici, il était normal qu’elle soit décédée en premier mais je ne pouvais accepter d’être aussi souvent passée à proximité de son corps sans même remarquer ce qui lui était advenu. Le choc fut tel que je ne pus résister plus longtemps aux tiraillements de mon estomac dus à l’odeur pestilentielle, qui semblaient s’être encore aggravée maintenant que le corps de Granny Smith s’effritait, et ma bile se mélangea à ses cendres.

Applejack regardait la scène d’un œil torve et j’en restais pétrifiée. Ne restait-il à ce point plus rien de mon amie pour que même la mort de sa grand-mère ne lui fasse aucun effet ? Mais soudainement, mes craintes se focalisèrent sur Applebloom. Vu ce qui arrivait à l’ensemble de la famille Apple, elle courait très certainement un danger immédiat. Il me fallut questionner plusieurs fois la coquille vide qui avait été une de mes meilleures amies pour qu’elle me dise où se trouvait sa sœur, me forçant à hurler pour avoir une réponse. « Dans sa chambre » finit-elle par dire laconiquement et je m’élançais à l’étage, montant les escaliers quatre à quatre, me coinçant fugacement une patte dans les escaliers pourris, et démolissant la porte de sa chambre dans mon empressement.

Alors je ressentis quelque chose dans cette pièce sombre, et aujourd’hui encore le souffle vient à me manquer quand j’y repense mais ces évènements doivent être décrits dans les moindres détails dans l’espoir qu’ils servent ultérieurement. Une incarnation de l’abomination était présente ici, bien qu’elle semblait ne pas être visible. Néanmoins, et je ne sais comment, mais je parvins fugacement à ressentir ses sentiments, pour peu que l’on puisse appeler cela ainsi. La vague de haine qui me traversa me fit chanceler. Durant cet instant, je vécu intimement tout le dégoût et toute l’exécration qu’avait apparemment cette chose pour nous. Nous n’affrontions donc pas une force aveugle de la nature mais bel et bien une entité consciente dont le seul désir était notre éradication pure et simple.

Mais cette connexion ne durant pas plus longtemps qu’un battement de cœur et bientôt la présence disparut instantanément. Il me fallut un certain moment pour reprendre mes esprits et mon souffle, tant je ne pouvais comprendre comment nous avions pu mériter une telle haine de la part de ces Anciens. Toutefois, mes pensées se focalisèrent à nouveau sur Applebloom et je me précipitais vers un coin de la pièce où une forme était tapie dans l’ombre. Une vague d’effroi me prit à nouveau quand j’allumais ma corne pour identifier ce que cela pouvait être. Seul le nœud d’un rose passé qui traînait au sol pouvait me confirmer que j’avais en face de moi ce qui avait été la petite sœur de Applejack. Il n’y avait désormais plus rien d’identifiable dans le tas de chair cendreuse que j’observais mais le paroxysme dans cette abomination était que cela semblait pourtant toujours vivant.

Je pouvais voir les organes presque à nus continuer de s’agiter, de façon apparemment purement mécanique, comme s’ils étaient incapable de comprendre que l’âme qu’ils étaient censés faire vivre avait désormais disparu. Du moins l’espérais-je de tout mon cœur, comme je l’espère encore aujourd’hui. Et même si certains pourront me juger sur cet acte, je fis à ce moment la seule chose qui me semblait possible, et je continuerais à le défendre jusqu’à la fin de ma vie. Utilisant un sort interdit, je mettais fin à l’existence du sordide amas de chair. Si l’esprit d’Applebloom n’avait pas déjà trépassée dans les griffes de l’infernale créature, au moins souhaitais-je lui apporter le repos de cette manière.

Flageolant sur mes pattes, des larmes au coin de yeux, je redescendis dans la cuisine. J’avais échouée pour les autres mais au moins Applejack pouvait être sauvée. Elle n’avait pas bougée depuis le moment où je l’avais quitté, et son visage continuait d’arborer une absence totale d’émotion voir de conscience, alors même que je lui annonçais la mort de sa sœur adorée. J’essayais alors tant bien que mal de la faire se descendre de sa chaise afin que nous puissions sortir mais elle restait campée sur ses positions. « A quoi bon Twilight » me disait-elle, « cela ne sert plus à rien maintenant. » Hurlant de rage, je pratiquais alors un sort de téléportation, nous faisant atterrir toutes deux devant l’entrée de leurs terres. L’onde de choc créée par ma magie avait sans doute fini par pousser à bout la structure branlante de la maison et celle-ci s’écroula à l’instant même où nous la quittions.

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Note de l'auteur

Les termes en italiques sont ici à prononcer en prenant l'accentuation anglaise.

Ainsi, et pour prendre le plus célèbre d'entre eux, "Cthulhu" se prononce (très) grossièrement "Ka-Fou-Lou" et non "Ktulu". L'une des prononciations a du panache, l'autre est ridicule.

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