Ostracisation

Dans les jours qui suivirent, il semblait que tous les habitant de Ponyville s’étaient mis d’accord pour bannir officieusement la famille Apple et leurs plus proches compagnons de la ville. Tous évitaient ainsi de m’adresser la parole tout en me soutenant un regard lourd de reproches. Je pouvais bien comprendre leur colère à mon encontre, après tout je ressentais bien que mon geste avait été exagéré bien qu’involontaire. Mais il m’était douloureux de voir qu’aucun poney ne voulait entendre mes explications.

Et si encore leur mépris ne s’était attaché qu’à moi, j’aurais bien pu essayer de vivre avec, prenant mon mal en patience en attendant que nous puissions régler nos différends. Mais mes autres amies étaient apparemment elles aussi sujettes à ce rejet général. Plus personne ne passait la porte du carrousel de Rarity ni du Sugarcube Corner, forçant Pinkie Pie à donner sa démission au bout d’une semaine afin que les Cake puissent garder la boutique ouverte.

Rainbow Dash avait quant à elle été mise au placard, plus personne ne lui demandant aucun service pour la météo. Par conséquent les nuages s’amoncelaient sur Ponyville et les pluies étaient fréquentes. La pégase essayait bien de dégager le ciel autant qu’elle le pouvait mais se retrouvait à chaque fois bloquée par ses congénères. Il semblait que les habitants de Ponyville avaient décidé de nous faire sentir coupable du temps exécrable dans lequel nous nous trouvions désormais en permanence.

L’attitude de la population n’eut cependant aucun effet sur Fluttershy, celle-ci restant enfermée chez elle depuis l’épidémie qui avait ravagé le bétail de Sweet Apple Acres. Elle avait essayé tant bien que mal de sauver les animaux mais elle n’avait eu aucune idée de comment soigner cette maladie, tout comme elle avait été incapable de ne serait-ce que l’identifier. Mais ses épouvantables effets avaient été trop durs à supporter pour la pégase. Elle était habituée aux rhumes et aux foulures, pas aux êtres qui se tordaient lentement et inexorablement d’une façon immonde et inadaptée tout en se vidant de leurs fluides vitaux. Elle restait donc désormais cloîtrée chez elle, seule avec Angel, refusant de voir qui que ce soit. Y compris Discord, au grand dam de ce dernier.

L’éclair de vie que j’avais vu chez Applejack le jour du basculement de Big Mac avait quant à lui disparu. Il faut dire que tout éclat et toute beauté avait apparemment évaporé de la ferme. Je remarquais que les murs commençaient à montrer des signes de pourriture, que les couleurs étaient devenues ternes et que l’atmosphère générale suintait la ruine et la décrépitude. Les hurlements incessants de Big Mac dans la grange parachevaient de donner à Sweet Apple Acres une atmosphère profondément malsaine. L’étalon n’arrêtait ainsi presque jamais ses cris, semblant mettre toute son énergie à exprimer sa rage. « Écoute bien Twilight, ce ne sont pas des cris. Big Mac est en train de parler » me dit un soir Applebloom alors que je leur rendais visite.

En faisant attention, il était vrai que les sonorités de ses hurlements étaient étranges. Plutôt que de simplement utiliser des voyelles, il semblait tenter des mélanges complexes bien qu’incompréhensibles, tout du moins le croyais-je au début. En continuant à me fixer sur sa voix, je finissais par remarquer que certains phonèmes revenaient régulièrement. Et mon cœur se figea quand, après plusieurs minutes d’intense concentration, je les reconnaissais :

Yog-Sothoth…

Hastur…

Nyarlathotep…

Azathoth…

Shub-Niggurath…

Cthulhu…

Ces sons étaient manifestement bien trop proches de ceux retranscrits par Pinkie il y a des mois pour être involontaires. Voyant que j’avais compris, la pouliche au ruban rose sur la tête revint me voir, l’air éteinte. « Tous les jours, toutes les nuits, il les appelle. Et bientôt ils finiront par l’entendre. Alors ils arriveront Twilight, ils arriveront ici et remodèleront le monde selon leurs rêves. »

Terrifiée par ce que je venais de découvrir autant que par les propos d’Applebloom, beaucoup trop proches de la prophétie rongée par les mites et les moisissures que j’avais trouvée dans la bibliothèque royale de Canterlot pour être due au hasard, Je chancelais péniblement vers la porte d’entrée, essayant tant bien que mal de reprendre ma respiration dans ce lieu suintant désormais tant la dégénérescence que son odeur même en devenait suffocante.

Et alors que je relevais péniblement les yeux, affalée que j’étais sur les rambardes du perron, je vis le dernier élément qui manquait pour faire basculer mon esprit. La nuit était nuageuse et calme, sans un vent. Et pourtant je pouvais voir dans la pénombre du crépuscule les cimes de l’ensemble des pommiers bouger dans un mouvement parfaitement coordonné. Leurs troncs semblaient tourner autour de leur axe, en une parodie de déhanchement extatique. Les branches quant à elles semblaient essayer de s’étendre vers le ciel avant de se replier subitement et l’on aurait dit des doigts crochus chargés de haine qui essayaient de tous leurs moyens d’infliger une indicible souffrance au ciel.

Cette vision fut de trop, et alors que j’entendais Applebloom revenir vers moi, je m’enfuyais soudainement. Mon esprit était bien trop embrumée par le chaos de pensées qui envahissaient mon esprit et je n’avais plus qu’un seul désir : m’enfuir loin de tout, loin de ce monde où la ruine semblait frapper irrémédiablement tout ce qui me tenait à cœur.