L’excitation de la découverte fut bien plus puissante qu’une nuit courte et fragmentée, et à peine Celestia faisait lever le soleil que j’étais debout et prête à retourner à la ferme des Apple étudier le corps tombé du ciel. Je connaissais bien leurs habitudes matinales et était certaine que l’évènement de cette nuit n’allait pas être suffisant pour les garder au lit plus que de raison. Non, le principal réfractaire dans cette histoire était bien entendu Spike qui, comme à son habitude, ne goûtait guère le frisson de la découverte scientifique.
Maintenant que je regarde ce moment avec ce que je sais dorénavant, je ne peux m’empêcher de ressentir un certain regret pour ma puérilité. Il m’est impossible de réprimer cette impression d’avoir précipité les évènements qui allaient suivre, si ce n’est d’en avoir été la cause même. Bien entendu, ce genre de chose ne peut être su que lorsqu’il est trop tard et jamais le moindre d’entre nous n’aurait eu l’idée de précipiter ce corps céleste au fond d’un ravin avant d’en faire s’écrouler les parois. Et en racontant à nouveau cette histoire, tout ce que je perçois est un profond et un douloureux sentiment de fatalité, comme si rien n’aurait été capable de changer le cours des choses. Comme si les évènements avaient suivi une suite terriblement logique.
C’est ainsi qu’une fois mon assistant prêt bien que toujours maugréant, nous nous envolâmes à nouveau vers Sweet Apple Acres. Comme si Applejack s’était doutée qu’il m’allait être impossible de réfréner mes pulsions scientifiques, elle m’attendait tranquillement sur le perron de la ferme, épluchant quelques seaux de pommes en profitant des doux rayons du soleil. « Hey s’lut Twilight, t’es bien matinale on dirait ! » me dit-elle alors que j’atterrissais et qu’elle s’était levée pour m’accueillir. Spike en profita pour lâcher un discret sarcasme sur l’attachement de certains à leurs lits. Néanmoins il semblait y avoir une légère inquiétude sur son visage et alors que nous nous approchions du cratère, elle se décida à lâcher le morceau :
« Dis moi Twilight, t’as pas l’impression que l’caillou était plus gros cette nuit ? »
Elle n’avait pas tort. La différence était légère mais visible. Il semblait bien que le météore avait diminué en volume au cours de la nuit. Et ce qui me troublait encore plus était la chaleur qu’il continuait d’exsuder. Je m’étais attendue à ce que la fraîcheur de la nuit fût suffisante pour qu’il soit possible d’au moins poser les sabots dessus mais c’était encore infaisable. J’émis quelques théories sur la capacité de rétention de l’énergie thermique de cette matière ainsi que sur ses probables capacités de dilatation sous les hautes chaleurs et de rétractation quand il revenait à une température plus froide. Mais bien entendu, cela passa au dessus de la vision terre-à-terre de la fermière et celle-ci roula des yeux en me lâchant un « Si tu l’dis Princesse… »
L’utilisation de mon titre par mes amis était devenue un moyen pour elles de se moquer gentiment de moi quand j’avais l’air de trop me prendre au sérieux. Et aussi peu intéressée par les explications scientifiques qu’elle était, elle restait un moment avec moi lorsque je m’attaquais a l’aérolithe afin d’en prélever quelques fragments. Je levais ainsi télékinésiquement un marteau de géologue et le fit brusquement frapper l’un des coins du rocher tombé de l’espace. L’énergie fut néanmoins entièrement absorbée sans qu’il n’apparaisse aucune fissure, marque ou ne serait-ce qu’un changement de forme à sa surface. Je frappais à nouveau à plusieurs reprises, toujours sans effets et laissa échapper un râle de frustration. Il semblait que ses secrets allaient se mériter.
Après plusieurs minutes à continuer de cogner pour rien, et alors que la scène commençait à prendre un aspect comique qui faisait discrètement sourire Applejack et franchement Spike, je décidais de changer de méthode. Cette matière ne semblait pas dure au sens strict du terme et s’il n’était pas pour autant possible de la qualifier d’élastique, il me semblait qu’arracher un morceau de l’étrange corps serait sans doute plus efficace que de tenter de le fragmenter. Posant la face affûtée du marteau sur l’une des légères aspérités de la roche, j’appuyais alors aussi fort que ma magie me le permettait.
L’horrible chuintement qui accompagna le déchirement d’un morceau de la météorite aurait sans doute dû être un signal suffisant pour comprendre qu’il aurait mieux valu s’en débarrasser. Ce son n’avait rien de minéral mais il n’était pas pour autant possible de l’approcher de quoique ce soit venant du monde vivant. Ce bruit venu d’outre monde était à ce point éloigné de par sa nature même de la réalité tel que nous la connaissions qu’il en était physiquement douloureux. Tel un avertissement venu du plus profond de notre instinct primitif, notre corps nous exhortant à nous en éloigner le plus vite possible.
Je regardais vers Applejack et Spike et mes deux amis étaient en sueur, tremblant sur leurs membres, une expression de peur primale dans leurs yeux. Et je suis certaine que je devais leur apparaître de la même façon. Winona, qui jusque là dormait à l’ombre d’un pommier hurlait désormais à la mort. Ramenant mon regard vers la météorite, je remarquais que même si j’avais réussi à l’entamer, il restait encore à terminer la déchirure afin de pouvoir en extraire un échantillon. Les deux spectateurs le comprirent aussi et nos yeux se croisèrent. Dans leur expression, je voyais qu’aucun d’entre eux ne voulait à nouveau réentendre ce bruit et qu’ils me suppliaient de laisser tomber. Et il aurait certainement mieux valu que je les écoute.
Je croyais néanmoins trouver une solution qui nous permettrait de passer au dessus de ce problème. Ainsi, j’invoquais un sort plaçant une bulle d’insonorité sur nos têtes, y compris sur Winona. Ses hurlements disparurent instantanément alors qu’elle continuait manifestement d’aboyer, prouvant l’efficacité de mon invocation. Spike et Applejack parurent ainsi plus rassurés et je me préparais à terminer ce que j’avais commencé, plaçant doucement mon marteau dans la fente et concentrant mon énergie afin de la retirer en un seul mouvement. L’outil tira, séparant brusquement l’échantillon et nous nous retrouvâmes tous à terre.
Le bruit qu’émettait cette matière avait apparemment réussi à traverser mon sort, comme s’il n’avait pas à respecter ni les règles sonores de notre monde ni même les limites imposées par ma magie. La seule loi qu’il avait semblé daigner suivre avait été de monter en puissance et en horreur avec l’intensification du déchirement. Les tremblements qui agitaient tous nos corps ressemblèrent plus à des spasmes et il nous fut impossible de nous relever durant plus d’une minute. Chancelants et suants, nous finîmes néanmoins par réussir à nous remettre sur nos pattes tout en essayant de nous calmer. Ce fut Applejack qui brisa le silence :
« J’m’excuse Twilight mais refais plus jamais ça. »
J’essayais bien de lui expliquer que je ne comprenais pas comment ce bruit avait bien pu passer à travers mon sort, je voyais qu’elle ne m’écoutait pas. Je pouvais sentir dans son regard un farouche désir de simplement creuser la fosse la plus profonde possible, d’y enterrer l’aérolithe et de ne plus jamais en parler. Aujourd’hui, je me rends compte que cette solution était sans doute la plus sage mais à l’époque, et malgré ce premier traumatisme, j’avais décidé de m’entêter pour notre malheur à tous. Je restais alors encore un peu avec elle, m’excusant et essayant de la rassurer. Quand je crû voir qu’elle allait un peu mieux, je finis par m’envoler à nouveau afin d’étudier cet échantillon pour lequel nous avions payé un lourd et inattendu tribut. Et qui était pourtant bien éloigné de celui qui allait venir.
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