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Brasier Année Zéro

Une fiction écrite par BroNie.

Seconde partie : Braises (3)

Les pas de Celestia résonnaient sur la pierre alors qu'elle avançait, un sabot après l'autre dans le bassin asséché. Contrairement à d'habitude, l'adolescente n'avait pas pris le temps de regarder le lierre dévorer les parois où de s'amuser à déchiffrer les inscriptions sur les piliers. En pleine nuit du reste, elle aurait eu du mal. Mais ce n'était pas pour un problème de pouvoir le faire, c'était un problème de volonté. Celestia était tout simplement trop impatiente de revoir Discord et de lui rapporter à quel point leur plan avait fonctionné.

Elle avait eu du mal à y croire elle-même. Quand son ami avait détaillé tout ce qu'elle devrait faire pour se venger de Séraphine, l'alicorne avait secoué la tête, l'air de dire que ça ne marcherait jamais. Que c'était trop compliqué, trop tordu. Mais d'un autre côté, ça lui avait semblé étrangement concret en fin de compte.

Et son ami avait eu raison. Tout avait marché à la perfection, toutes ses ennemies étaient tombées droit dans le panneau. D'abord Crystal et Stella mais ça avait été le plus simple. Mettre le spray dans un petit colis, ajouter une lettre et le tour était joué. Celestia avait trouvé très à propos que le produit leur attaque le visage. Rien de bien terrible d'ailleurs, elles ne finiraient pas défigurées.

Mais comme le produit avait la particularité de se fixer au pelage et de brûler une fois au contact de l'eau, la seule solution pour s'en défaire pour de bon, c'était de raser les poils. Celestia avait pouffé en imaginant la honte des deux licornes qui faisaient toujours très attention à leurs visages, quand elles seraient forcées de vivre le visage nu, en attendant que leur pelage repousse.

Sans oublier de faire accuser Séraphine du crime en lui faisant adresser la facture de l'envoi et l'achat des produits.

Mais ce n'avait été qu'un avant-goût par rapport à ce qu'avait été la cutieañera. Ça avait été sublime, il n'y avait pas d'autre mot. Séraphine avait exactement réagi comme Discord l'avait prédit, en voulant faire goûter le gâteau à sa rivale avant d'y croquer à son tour. Puis Celestia s'en était bornée au plan tout simplement : foncer vomir aux toilettes, verser le poison dans la fontaine et attendre le moment que tout le monde tombe malade. Le plus dur ça avait été de s'empoisonner elle-même mais Discord l'avait prévenue qu'elle n'aimerait pas cette partie du plan. Celestia s'était forcée en se disant que la déchéance de son ennemie valait bien quelques tourments gastriques.

Plus tôt dans l'après-midi, quand Celestia avait pu se relever une fois que son corps avait éliminé le poison, elle avait découvert que Séraphine avait tout simplement pris la fuite. Plutôt que de chercher à se disculper, elle avait préféré quitter la ville dès qu'elle l'avait pu. Son absence n'avait que mieux servi Celestia. Tous les invités avaient gobé la culpabilité de la terrestre, Celestia n'avait presque rien eu à dire.

Et maintenant, Séraphine était passée du rang de reine de l'école à celle de dingue qui empoisonnait ses invités pour se donner un genre.

Sans oublier ses deux sbires qui étaient persuadées qu'elle avait voulu les défigurer.

Celestia aurait aimé voir la tête de Séraphine dans les jours à venir. Elle aurait été même prête à payer un bon prix pour ça.

Le plus exceptionnel dans tout ça, c'était d'avoir réussi à le faire entièrement dans le dos de ses parents. En temps normal, Hélios et Aztarté avaient l’œil pour tout mais en en ce moment, ils s'occupaient plus du sacre que d'autre chose. Leur vigilance était amoindrie. Et Celestia avait réussi à mettre en œuvre son plan sans qu'ils le sachent. Elle avait trompé le futur roi des licornes. C'était assez jouissif en fin de compte.

Il n'y avait guère que Luna qui avait senti que sa grande sœur préparait quelque chose. Elle s'était contentée de s’asseoir et de regarder Celestia d'un drôle d'air, comme si la petite alicorne savait parfaitement ce qui allait se passer mais ne dirait rien, pour se racheter d'avoir attiré son aînée dans le piège de Séraphine, à l'école, près des toilettes.

Celestia avait autre chose à faire qu'à penser à sa sœur de toute façon. Il fallait qu'elle pense à un cadeau pour Discord – un vrai cadeau, pas un du genre qu'avaient reçu Stella et Crystal – ou trouver une manière de rembourser la dette qu'elle venait de contracter auprès de lui. Sans Discord, Séraphine aurait continué à la tourmenter pendant peut-être des années encore. Se débarrasser d'elle comme ça, en fin de compte, ça avait été la bonne chose à faire.

Celestia s'était sentie étonnamment joyeuse à la chute de Séraphine. Peut-être qu'elle n'aurait pas dû. Sa mère lui avait souvent répété, à elle et à Luna, qu'il valait mieux pardonner à ses ennemis pour aller de l'avant. Que la vengeance n'apportait rien de bon. Pour y avoir goûté, Celestia pouvait dire qu'effectivement, se venger n'était pas bon. C'était succulent. Ça avait été comme un torrent de feu intérieur, comme une couverture chaude qui réchauffait jusqu'au tréfonds de l'être. Comme si de son cœur avait pulsé de la joie pure.

Pour toutes ces raisons, elle en devait vraiment une à Discord. Discuter avec lui un peu cette nuit lui donnerait peut-être une piste sur le cadeau à lui offrir.

Celestia se dirigea vers l'ouverture dans le mur du bassin d'un pas tranquille. Elle ne voyait que le noir devant elle, son ami ne devait pas être près du trou.

Pas grave, elle ferait en sorte de le faire venir. L'adolescente s'approcha de l'ouverture et tapa sur les pierres du sabot. Trois coups secs. C'était leur code avec Discord pour qu'il sache quand est-ce qu'il pouvait se montrer, même si « se montrer » dans le cas de son ami, était tout relatif. Le bruit de répercuta en écho dans le bassin asséché. Celestia posa ses fesses sur la pierre froide et attendit. Elle attendit longtemps. Trop longtemps. Normalement, une fois le signal donné, Discord ne mettait jamais plus de quelques secondes à venir à la rencontre de Celestia. Il était en retard. C'était anormal.

Celestia frappa à nouveau contre la pierre, plus fort. Elle attendit, le cœur battant. Toujours rien.

Elle fronça les sourcils. Discord lui avait pourtant dit qu'il voudrait tout savoir de la réussite ou de l'échec de leur plan. Ça ne lui ressemblait pas de manquer à sa parole. Celestia avança le museau jusque dans l'obscurité, cherchant à voir si elle apercevait les yeux jaune et rouge de son ami. Rien, le noir complet.

Que devait-elle faire ? Elle pouvait tourner les talons et revenir plus tard. Mais ça l'embêtait d'avoir fait tout le chemin, et le mur pour rien. Quitte à se faire punir par les parents en rentrant à la maison, autant qu'elle ait vu Discord avant.

Celestia passa entièrement la tête dans l'ouverture et utilisa un sort de lumière pour y voir plus clair. De sa corne, naquit un faisceau de magie qui révéla à l'alicorne que le trou donnait sur une sorte d'escalier naturel, sculpté dans la roche, qui descendait dans les profondeurs de la terre. Un doute l'envahit, l'air de penser que ce n'était peut-être pas sûr en bas. Mais d'un autre côté, Discord y vivait bien lui. Ça ne pouvait pas être si dangereux que ça.

L'alicorne se tordit dans tous les sens pour se glisser dans l'ouverture, son ventre râpant la roche. Ses sabots trouvèrent l'escalier de pierre et une fois les derniers poils de sa queue passés, elle entreprit de le descendre.

Au fur et à mesure qu'elle progressait, une marche après l'autre, toujours en éclairant devant elle pour ne pas se tordre une patte, Celestia nota qu'il faisait plus froid en bas. Plus humide aussi.

En fait, en tendant l'oreille, l'adolescente pouvait percevoir un grondement qui allait grandissant à chaque fois qu'elle passait une marche. Sa théorie sur un cours d'eau sous le bassin semblait se confirmer. Quelques dizaines de secondes plus tard, les marches mouraient pour donner naissance à une longue aspérité rocheuse.

Celestia s'y engagea. Au bout d'un moment, elle releva la tête, curieuse de découvrir au milieu de quoi elle marchait. C'était une grotte ou une caverne – l'adolescente n'avait jamais su faire la différence – et elle était plutôt impressionnante. Grande, voûtée, des stalactites pendaient ici et là. Elle lui semblait noire mais Celestia supposa qu'il fallait l'aide de la lumière du jour pour la voir dans sa véritable couleur naturelle.

Toujours aucun signe de Discord en tout cas. Mais Celestia n'aurait jamais imaginé qu'il existait de pareilles cavernes sous le sol d'Equestria. Elle se demanda fugacement quelle genre de cutie mark pourrait recevoir un poney spéléologue. Une lampe-tempête ? Un caillou ? Quelque chose de boueux ?

Les réflexions de l'adolescente furent interrompues par la nature même du terrain qui rétrécissait jusqu'à devenir un goulet d'étranglement. Celestia fut tentée de rebrousser chemin une fois de plus, de peur d'y rester coincée mais finit par céder à l'impulsion qui lui conseillait de continuer.

Elle posa ses pattes avant sur les parois et poussa pour s'aider à passer. La roche qui lui écrasa momentanément la taille lui rappela que demain après-midi, elle devrait porter ce fichu corset.

Au terme d'un dernier effort, l'alicorne franchit le resserrement et sentit à nouveau avec plaisir l'air circuler sans entrave dans son corps.

Elle nota aussi que la morphologie de la grotte avait changé.

Non, en fait, c'était plus qu'avoir changé. Elle n'avait tout simplement plus aucun sens.

Comme si quelqu'un s'était amusé à sculpter cette partie de la grotte dans de la pâte à modeler, la caverne était extrêmement ondulée, inégale, ici haute de plafond, ici si basse que stalactites et stalagmites fusionnaient. Les couleurs ne collaient pas non plus : malgré l'obscurité, Celestia voyait des nuances de blanc, de vert ou de mille autres couleurs que l'adolescente avait du mal à situer sur le spectre chromatique.

Celestia posa le sabot sur quelque chose de mou. Elle sursauta, enleva sa patte d'instinct et éclaira devant elle. Juste devant elle, sur quelques centimètres carré, s'étendait une trace rose sombre.

Du bout de la corne de son sabot, Celestia la toucha à nouveau et sentit à nouveau sa patte s'enfoncer. Quand elle ramena son sabot près de son museau, elle sentit l'odeur du sucre. Intriguée, elle donna un petit coup de langue. Elle cligna plusieurs fois des yeux, stupéfaite. C'était de la barbe à papa. Qu'est-ce que de la barbe à papa faisait ici, au fin fond d'une caverne ? La seule explication logique qui vint à l'alicorne était que Discord en avait fait tomber ici mais ça ne collait pas : la barbe à papa s'étendait sur une surface bien trop délimitée, comme si elle poussait à la place de la pierre. C'était vraiment étrange.

Un grondement puissant la fit sursauter une nouvelle fois. Elle éclaira à sa droite, zone d'où provenait le bruit. C'était bien le cours d'eau, comme elle l'avait supposé mais pourquoi est-ce qu'il avait été silencieux tout ce temps avant de brusquement faire autant de bruit ? L'alicorne se rapprocha du courant et ne nota rien de particulier. Il se divisait autour d'un gros rocher avant de s'unir à nouveau et disparaissait dans une paroi. Puisqu'elle était devant l'eau, logiquement au-dessus d'elle, devait se trouver...

Un rayon de lune qui filtra jusqu'à elle par l'interstice du plafond confirma sa théorie. Elle était exactement sous le bassin. Ça lui paraissait bizarre. En haut, le trou dans le sol et l'ouverture de la caverne n'étaient distants que de quelques dizaines de pas. De grands pas. Mais l'alicorne était sûre qu'il y avait bien plus entre l'escalier et cette partie de la grotte. Et puis ce n'était pas logique non plus : depuis la fin de l'escalier de pierre, elle n'avait fait qu'aller tout droit et jamais l'escalier ne s'était enroulé sur lui même. Logiquement, elle aurait dû se trouver plus loin sous la forêt, pas revenir en arrière.

Autre chose la dérangeait mais elle n’arrivait pas à mettre le sabot dessus. Ce fut quand elle perçut la chute d'une goutte sur le sol qu'elle remarqua tout simplement, qu'elle pouvait l'entendre.

Ça n'avait pas été couvert par l'agitation du cours d'eau. Ce qui n'avait aucun sens.

Une inspection du courant la laissa encore plus perturbée qu'auparavant quand elle se rendit compte que l'eau ne coulait plus. Elle était toujours là, claire et limpide mais ne bougeait plus, comme si quelqu'un avait poussé un interrupteur. Elle toucha l'eau du bout du sabot et le ressortit trempé. Donc, l'eau était toujours liquide.

Soudainement, l'eau se remit à couler, si vite et si brusquement que Celestia eut un mouvement de recul. Le cours d'eau avait repris sa course et son grondement. Il y avait quelque chose de magique dans l'air, Celestia en mettait ses ailes à couper.

Cette partie de la grotte n'avait tout simplement pas de sens. Rien ne semblait fonctionner de façon normale et logique ici, de la roche ondulée à ce cours d'eau qui fonctionnait selon son plein gré, sans oublier cette barbe à papa qui poussait au milieu du sol... et est-ce que c'était bien une stalactite inversée qu'apercevait l'adolescente là bas ?

Pas une stalagmite, non, une vrai stalactite inversée, la pointe fichée dans le plafond, qui poussait à l'envers.

Celestia grimaça d'incompréhension.

Un nouveau bruit attira son oreille. Pas de l'eau cette fois, mais de l'air. Des halètements. Celestia se dirigea prudemment dans la direction du son. Elle se disait que s'il appartenait à un prédateur, vu la morphologie des lieux et s'il était semblable au décor, elle ferait mieux de filer vite fait. Mais la curiosité était plus forte que la prudence.

Les pas de l'alicorne l’amenèrent jusqu'à un renfoncement dans la paroi rocheuse, où une forme sombre était étendue et semblait respirer avec difficulté.

Elle était de dos par rapport à l'adolescente et bougeait très peu. Celestia pointa son faisceau de lumière pour découvrir une sorte de niche assez large, occupée par la mystérieuse forme en question.

Mystérieuse et complexe : on aurait plus dit un assemblage de différentes choses qu'un être à proprement parler. Celestia notait une aile de pégase et une autre de chauve-souris, toutes les deux attachées à un corps très long et très fin, en majorité marron mais qui devenait gris clair au niveau du cou et rouge après les jambes, qui se révélaient être une patte de lézard et une autre de bouc. Après examen, Celestia se rendit compte que ce qu'elle avait pris pour une prolongation du corps était en fait une queue de serpent. La tête repliée sur la poitrine, la créature ne laissait découvrir de sa partie supérieure que ses deux cornes, ou plutôt, une corne de bouc et un bois de cerf.

Celestia n'avait jamais vu pareille créature de sa vie mais elle lui semblait étrangement familière. Ce fut quand elle se tourna sur elle même en grognant de douleur, révélant son visage et surtout, sa longue dent qui dépassait de sa gueule que Celestia comprit qu'elle faisait face à Discord.

C'était bien son ami qui était étendu sur cette niche et il ne semblait pas en bon état.

_Discord ! l'appela Celestia en le touchant du sabot. C'est moi, Celestia. Tu vas bien ?

Il gémit pour toute réponse. Quand Celestia ramena son sabot à elle, elle le vit recouvert de sang.

Eh bien au moins elle avait sa réponse. Discord était blessé et gravement. Elle devait faire quelque chose pour l'aider, c'était son ami !

Mais comment ? Le plus urgent paraissait être un sort de soin mais l'alicorne n'en connaissait aucun assez puissant pour l'utiliser. Elle pourrait aller chercher de l'aide auprès de l'hôpital mais ce n'était pas sûr que les poneys-infirmiers acceptent de partir en opération en pleine nuit au beau milieu d'Evercon. Non, la seule solution que voyait Celestia, celle qui lui faisait peut-être le moins plaisir, mais la seule qu'elle avait, c'était d'aller chercher ses parents. Ils lui colleraient une punition d'enfer mais au moins, ils feraient le nécessaire pour Discord. Et c'était tout ce qui comptait.

_Tiens bon, dit l'adolescente à son ami. Je vais chercher de l'aide, je reviens tout de suite !

Discord ne répondit pas, à moins qu'on puisse considérer que gémir de douleur était une réponse acceptable.

Celestia se mordit la lèvre inférieure et courut de toutes ses forces pour sortir de la caverne, s'écorchant la robe quand elle passa en force le goulet d'étranglement, manquant de trébucher mille fois sur l'escalier de pierre. Quand elle rejoignit la surface, son souffle était court et son cœur battait plus vite qu'elle n'aurait jamais pu l'imaginer.

Pourtant elle devrait encore faire un effort pour rejoindre la lisière des bois, s'envoler jusqu'à Canterlot et prévenir ses parents.

Dans un juron, Celestia se mit à galoper au travers des branches et de la mousse.

¤¤¤

À cinq kilomètres de là, en rase campagne, la caravane des zèbres s'était arrêtée. La litière aux grands rideaux, les gardes du corps, les porteurs, tous avaient interrompu leur marche sur ordre de leur maître.

À quelques pas de la route, dans le fossé, Eliah, Negusse Negest du peuple zèbre, vidait son impériale vessie.

Une fois soulagé, le Négus remonta sur la route contemplant la nature aux alentours. C'était très différent de sa savane. Il était habitué à fouler de l'herbe jaune et à voir les hautes montagnes partout où il posait le regard. Ici, c'était des plaines à perte de vue. Des collines ici et là et de plus en plus d'habitations au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient de la capitale equestrienne mais elles n'avaient rien à voir avec les cases de ses villages.

Le ciel était dégagé et on voyait nettement les étoiles luire comme des pierres précieuses. Eliah se dit que si le destin ne l'avait pas fait souverain suprême des zèbres, il n'aurait pas été contre être un colporteur ou un explorateur, quelqu'un qui passerait sa vie à découvrir de nouveaux paysages.

Il aimait bien Equestria en tout cas. C'était plus joli qu'il ne l'avait pensé. Comme quoi, on pouvait entamer un voyage pour des raisons politiques et y trouver un intérêt personnel.

_Allons, ordonna Eliah en regrimpant dans sa litière au reste de la caravane, remettons-nous en route. Je veux arriver à temps pour la cérémonie.

À la base, le Negusse Negest ne s'était attendu qu'à aller présenter ses condoléances au roi Aurum et négocier un traité d'alliance entre son peuple et le sien. Mais les poneys qui vivaient au comptoir avaient appris à l'Empereur que le monarque licorne avait suivi son fils dans la tombe presque immédiatement et qu'un nouveau souverain allait être couronné. Cette nouvelle n'avait fait que conforter Eliah dans son projet d'alliance entre les deux nations et il tenait absolument à assister au sacre, d'abord en temps que chef d'État étranger et aussi parce que nouveau roi licorne voulait forcément dire bouleversement politique. Et le Négus en connaissait suffisamment en politique pour savoir que ce qui se passait en Equestria pouvait avoir une incidence sur l'Empire zèbre.

La litière s'ébranla et le Negusse Negest manqua de basculer sur le côté. Il se raccrocha tant bien que mal aux draps qui n'offrirent qu'une faible prise et battit des pattes dans l'air pour garder son équilibre. Eliah passa la tête par les rideaux, prêt à fustiger ses porteurs qui lui désignèrent son frère, planté juste à côté de la caravane, qui semblait attendre de vouloir lui parler. L'Empereur lui fit signe de s'approcher, ce que fit le shaman.

_Pardonne moi d'avoir fait arrêter tes porteurs comme ça, roi des rois, s'excusa le sorcier, mais je devais m'entretenir avec toi.

Eliah leva les yeux au ciel. Ça lui apprendrait à embarquer son frère avec lui pour les voyages diplomatiques tiens. D'un geste du sabot, il fit reprendre son chemin à la caravane, en un rythme plus lent pour que son frère puisse trotter à ses côtés.

_Qu'est-ce que tu veux Ekundayo ? demanda le Négus. Je croyais que tu voulais te retirer dans ta litière pour la nuit.

Si on pouvait encore qualifier de litière le palanquin de bois dans lequel vivait le shaman, recouvert de masques, et dans lequel une ouverture avait été faite dans le toit pour lui permettre d'y entretenir un feu quand il le souhaitait, ça n’empêchait pas les deux pauvres zèbres qui portaient le véhicule de trembler de tous leurs membres quand ils le faisaient, en ayant toujours la crainte qu'un de leurs actes déplaise aux puissances mystérieuses qui habitaient temporairement le wagon.

_Les dieux m'ont confié une mission mon frère, affirma avec aplomb Ekundayo. Le monstre qu'ils m'ont montré en rêve... il se terre ici.

Eliah dressa l'oreille.

_Tu parles bien de la créature qui d'après ta prédiction, va tous nous réduire en esclavage ? Celle qui frappera quelque part, un jour, sauf que tu n'as aucune idée des détails.

_Je sais qu'il est ici. En Equestria. Tout près de nous. Je sens la mauvaise magie en lui.

_La dernière fois que tu as senti de la mauvaise magie, fit remarquer le Négus, c'était quand Udako avait raté le foufou parce que le manioc était pourri.

Le Negusse Negest adorait sa deuxième femme mais ce n'était clairement pas la meilleure cuisinière de la tribu.

_J'ai envoyé un ngoloko pour le tuer.

_Tu as invoqué un ours nandi ? s'étrangla le Négus.

L'ours nandi – ou ngoloko comme préférait le nommer Ekundayo, respectant ainsi son nom sacré – était une créature dangereuse, cousine de la hyène, aussi grande et forte qu'un lion. Sa couleur rouge sombre lui permettait de se déplacer de nuit sans qu'on ne la voie. L'ours nandi avait pendant longtemps été l'ennemi du peuple zèbre jusqu'à ce que, disait-on, les plus grands shamans ne passent un pacte avec les dieux. Depuis, racontait la légende, un sorcier pouvait faire appel aux ours nandi afin de terrasser ses ennemis. Eliah doutait fortement de la véracité de l'histoire mais ne pouvait pas remettre en question le fait que son frère avait plusieurs fois invoqué une créature mystérieuse pour protéger la tribu.

_J'ai envoyé le ngoloko traquer et exterminer le démon, poursuivit le sorcier. Je voulais qu'on s'en débarrasse avant qu'il ne devienne une vraie menace pour notre peuple. Mais le démon était trop fort, même pour le ngoloko. Il n'a pu que le blesser avant d'être tué.

_Tu es certain que le monstre a tué l'ours nandi ? Je veux dire, tu aurais pu perdre le contrôle et l'ours aurait pu s'en retourner à la Grande Plaine.

_Je connais mes pouvoirs, répliqua Ekundayo, piqué au vif. Et le ngoloko n'a pas quitté la Petite Plaine avant qu'il n'entre dans la tanière du démon. J'ai perdu le lien après ça.

_Et tu ne peux pas en envoyer un deuxième ? interrogea le Négus.

_Je ne sors pas des ngolokos d'un claquement de sabot, répliqua d'un ton d'expert le shaman. Ce sont les dieux qui m'accordent temporairement ce pouvoir. Comme je viens d'échouer, je ne pourrai plus invoquer de ngoloko jusqu'à ce que les ancêtres estiment que je suis à nouveau prêt à les servir. Ni faire grand-chose d'autre d'ailleurs. Je devais te le dire, roi des rois.

Le Négus hocha la tête en observant son frère rejoindre sa propre litière.

Eliah se frotta pensivement le museau en retrouvant le confort douillet de ses coussins et de ses oreillers. S'il était dans l'optique de son frère, effectivement, c'était inquiétant. S'il voyait les choses comme il les avait toujours vues, avec circonspection, l'ours nandi aurait très bien pu disparaître pour une autre raison.

Et puis si Ekundayo avait déçu les ancêtres et qui lui boudaient ses pouvoirs pendant quelques jours, il ne pourrait plus rien faire de toute façon.

Inutile de se polluer l'esprit avec ça alors. Ils discuteraient tranquillement de leur plan d'action dans deux ou trois jours. Sans compter que d'ici là, ils auraient assisté au couronnement du nouveau roi des licornes et sûrement bâti des premiers liens d'amitié.

Vraiment inutile de s'en faire à propos de ce démon. Ils aviseraient bien à temps.

¤¤¤

Aztarté referma magiquement la porte de la cuisine derrière elle avant de rejoindre son mari à table, qui regardait fixement le contenu de sa tasse de café.

_Il dort, annonça-t-elle simplement, se versant aussi du liquide noir dans une tasse.

_Et Celestia ? demanda Hélios, sans relever le museau.

_Je l'ai mise au lit, dit son épouse en sucrant son café. Elle voulait le veiller toute la nuit mais je l'ai forcée à prendre un peu de repos. C'est une grosse journée tout à l'heure, entre l'enterrement et le sacre...

Un blanc passa. Un silence pesant, lourd et gênant. Le couple d'alicornes avait encore du mal à bien se rendre compte de la situation. Quelques heures plus tôt, leur fille aînée les avait réveillés parce qu'il fallait aider un de ses amis blessés, coincé dans une grotte au fin fond de la forêt d'Evercon.

Ça avait semblé si sérieux à Hélios qu'il avait foncé là-bas sans prendre le temps d'interroger plus en avant sa fille, laissant Aztarté veiller sur Luna. Le régent solaire avait été guidé jusqu'au bassin asséché par l'adolescente qui lui avait ouvert la voie jusqu'à celui qu'elle désignait être son ami, ce Discord.

La grotte débordait tellement de magie noire, que Hélios avait failli vaciller. Mais elle était surtout sporadique, comme si elle jaillissait de partout, dans n'importe quelle direction, complètement incontrôlée. Hélios avait été tenté de rebrousser chemin. Mais Celestia, à moitié en larmes, l'avait presque traîné jusqu'au corps de son ami et l'avait supplié de l'aider. Hélios avait jeté un sort de soin d'urgence sur Discord et l'avait transporté jusqu'à leur maison. Aztarté l'avait aidé à l'installer sur le canapé et s'était chargée des soins en détail ayant toujours été plus douée que son époux en magie de guérison.

Maintenant que l'étrange ami de Celestia avait sombré dans un sommeil profond, il était temps pour Hélios et Aztarté de s’asseoir et de penser cinq minutes.

_Je crois que c'est un draconequus, dit lentement Hélios, en relevant la tête vers sa femme. Tu sais ce que ça veut dire, n'est-ce pas ?

Aztarté but de son café pour toute réponse. Bien entendu qu'elle savait ce que ça voulait dire. Même si elle avait pensé avoir laissé tout ça derrière eux à l'Elysium, sept ans auparavant.

_J'ai l'impression de devenir folle, dit-elle en reposant la tasse sur la table de la cuisine. Enfin non pas folle mais comme si... comme si tout ce qui s'était passé ces sept dernières années n'avait jamais vraiment existé. Comme si on était encore à l'Elysium.

_Chérie, affirma Hélios posant son sabot sur celui de sa femme, je sais que c'est dur pour toi. Et c'est pas simple pour moi non plus. Moi aussi je pensais en avoir fini pour de bon quand on s'est enfuis de la montagne. On dirait que c'est un peu plus compliqué que ça.

L'alicorne resta silencieuse, serrant en retour la patte de son mari.

_Et puis d'après ce que m'a dit Celestia, poursuivit l'alicorne jaune, Discord ne lui a jamais fait de mal. Ça serait même son ami.

_Notre fille amie avec un draconequus ? cracha Aztarté.

_Je sais que ça fait bizarre dit comme ça, mais tu l'as vu toi-même non ? Il est encore jeune. Si ça avait été un draconequus adulte en pleine possession de ses moyens, il n'aurait jamais été blessé. Et l'état de la grotte dans lequel il vivait me fait penser qu'il maîtrise pas encore totalement ses pouvoirs.

_Sa place est au Tartare, affirma son épouse avec aplomb. Avec toutes les autres créatures de Lucimare !

_Tu veux vraiment le condamner à ça ?

_Hélios, on parle de la sécurité de Celestia, de celle de Luna, de la tienne ! Tu as oublié ce qui s'est passé la dernière fois qu'on a dû faire face aux draconequus ?

_Non, répondit le régent en baissant la tête. Bien sûr que non. Mais Lucimare, c'est du passé, répliqua-t-il après un temps. On a fini par la battre.

_Ça nous a juste tout coûté, nos amis, la maison, le jardin...

_Mais on l'a eue. Elle est morte, Az, et Lucimare ne reviendra plus.

L'alicorne rougit légèrement. Elle se sentait toujours empotée quand Hélios s'adressait à elle par son vieux diminutif.

_Tu sais que des fois, je la vois encore ? Juste avant de m'endormir, quand je ferme les paupières, je la vois, là, devant notre lit, à nous regarder avec son air si sûre d'elle-même. J'ai beau savoir que je fais que rêver, je me force à rouvrir les yeux pour vérifier qu'elle est pas là. Que ce qui reste de ses cendres est quelque part, dispersé aux quatre vents d'Equestria. Et je dois me lever et toujours vérifier que les filles vont bien. Je peux pas me rendormir tant que je ne suis pas sûre que Celestia et Luna dorment tranquillement.

Hélios attira sa femme contre lui et l'enlaça. Bien sûr qu'il savait ça. Bien sûr qu'il savait que sa femme avait été traumatisée par la monstrueuse alicorne.

Lui-même parfois ne pouvait s'empêcher d'y repenser.

Comment elle leur avait tout pris, comment elle avait failli assassiner Aztarté alors qu'elle était enceinte de Luna.

Hélios n'avait sans doute jamais autant haï quelqu'un de toute sa vie que Lucimare. Et il espérait bien que ça ne changerait jamais.

_Lucimare est morte, mais ce Discord est un draconequus et il est encore là, dit Aztarté à l'oreille de son mari. On ne peut pas prendre le risque de...

_De quoi ? demanda Hélios, prenant doucement sa femme par les épaules pour lui parler bien en face. Moi je suis certain que Discord peut devenir quelqu'un de bon. Franchement, tu vois Celestia devenir amie avec un esprit du chaos, toi ? Notre Celestia ?

L'alicorne dut admettre que ça semblait assez improbable.

_Et puis condamner Discord juste parce que c'est un draconequus, ça me semble un peu extrême. Je veux dire, tu t'abaisses presque aux théories raciales de Lucimare là, sur la supériorité absolue des alicornes. On devrait être jugé par ses actes plutôt que par ce qu'on est, non ?

Aztarté souffla par les naseaux pour marquer et sa désapprobation, et le fait qu'elle ne trouvait pas les paroles de son époux si fausses que ça.

_Alors on fait quoi ? On le garde avec nous ? Comme un genre d'animal familier ?

_Sois pas aussi cynique. Pour l'instant, Discord est blessé et il a besoin de repos. Je propose qu'il reste avec nous jusqu'à ce qu'il guérisse. On verra ce qu'on fait après. On va quand même pas le remettre dans sa grotte non ?

Aztarté s'éloigna de son mari pour finir son café, face à la fenêtre. Puis elle se retourna.

_Va pour la convalescence. Mais je te jure une chose Hélios, si Discord tente une fois, une seule fois de faire du mal à notre famille, je le tue. Ça ne sera même pas le Tartare tu entends ? Des cendres, comme sa créatrice, je t'en fais le serment.

Hélios n'avait pas besoin de la parole de sa femme sur ce coup-là pour qu'elle lui prouve sa volonté. Tout simplement parce qu'il partageait entièrement ses opinions sur ce coup-là.

¤¤¤

Luna sentit son nez la chatouiller et elle fit du mieux qu'elle put pour retenir son éternuement. Mais même ses sabots placés en urgence en coupe autour de son museau ne purent empêcher le « atchi ! » de résonner dans toute la crypte. Rouge de honte, la petite alicorne s’apprêtait à recevoir les regards réprobateurs des grandes personnes autour d'elle. Mais aucun poney ne lui fit de remarque, tous très occupés à regarder droit devant eux, cette licorne en bure marron prononcer des mots compliqués que Luna ne comprenait pas. Il n'y avait que son père qui lui avait jeté un petit regard, du genre « ce n'est pas très grave » avant de reprendre sa posture impassible. Luna ne comprenait pas bien ce qu'elle faisait là.

Papa et maman avaient dit que le couronnement c'était aujourd'hui, non ? Et que c'était une fête. Alors pourquoi est-ce qu'ils devaient s'enfermer tous dans cette grande montagne où il faisait froid, où tout le monde était en noir et faisait la tête ? Même Celestia et maman n'étaient pas là. Elles étaient restées à la maison. Luna n'avait pas su pourquoi, son père lui avait assez mal expliqué. Mais il lui avait dit qu'ils seraient tous ensemble cet après-midi pour le sacre.

À la pensée que quelques heures seulement la séparaient de sa jolie robe, Luna manqua de frapper ses sabots de plaisir. Mais elle se souvint où elle était et elle se retint.

La petite alicorne se gratta discrètement le cuir chevelu. Pour ne rien arranger, elle commençait à avoir les pattes qui la tiraient. Elle dansa légèrement d'un sabot sur l'autre, pour soulager ses jambes.

Hélios aurait aimé épargner une épreuve aussi ennuyeuse à sa fille cadette mais il n'avait pas le choix. Déjà que Celestia leur avait cassé les sabots pour rester la matinée au chevet de Discord, ce qu'Aztarté n'avait accepté qu'en restant elle aussi à la maison ce matin et Hélios, en passant un contrat avec sa fille, qui disait qu'elle ne se plaindrait pas une fois de son corset pendant toute la durée de la cérémonie de l'après-midi, il n'allait pas non plus se présenter tout seul à l'enterrement du roi Aurum. Dans quelques heures, ce serait lui qui aurait la couronne sur la tête, on attendait de voir un minimum la famille royale.

Double enterrement en fait puisqu'on prononçait en même temps l'oraison funèbre du prince Bronze. C'étaient les prêtres qui avaient insisté pour qu'on organise des doubles funérailles. On avait dû donc exhumer le corps de Bronze des Trois Pics, là où il avait été enterré à la manière pégase, c'est-à-dire, sur le lieu même de sa mort et on l'avait transporté jusque dans la grande crypte des rois, là où reposaient les corps de tous les souverains licornes depuis Platinium elle-même.

La légende disait que c'était dans cette grotte qu'à l'origine, les subalternes des trois grands fondateurs avaient mis leurs différences de côté pour lutter contre le froid des windigos.

Hélios doutait que ce soit tout à fait la même grotte, les dimensions ne correspondaient pas, on avait pas trace sur le sol des frontières tracées entre Unicornia, Pegasopolis et Terre, les trois colonies créées par les fondateurs avant qu'ils ne les unissent dans le creuset d'Equestria. Ce qui n'empêchait pas un certain nombre de poneys d'y croire, les prêtres de l'ordre des Trois Sabots les premiers d'entre eux.

Rien d'étonnant à ce qu'ils dirigent la cérémonie d'ailleurs. Leur ordre n'était plus que l'ombre de lui-même comparé à la puissance qu'il avait eu du temps de sa création, mais l'idéal premier de son fondateur, Clover le Sage, d'ouvrir ses portes à tous les poneys et pas seulement aux licornes comme c'était le cas avant lui, sous des grands magiciens comme Star Swirl, avait permis sa survie durant des siècles. Si aujourd'hui, les prêtres occupaient une fonction surtout honorifique, il leur arrivait encore de remplir des rôles d'enseignement magique et d'enseignement tout court dans les contrées trop reculées de la nation pour que le système éducatif terrestre puisse être mis en place ou encore, comme c'était le cas ici, de présider aux cérémonies religieuses. Même aujourd'hui, leur pouvoir pouvait encore être solide puisque c'était à eux que le roi Aurum III avait confié la lune quand il était devenu trop malade pour assurer le travail lui-même. Cet après-midi, cette charge reviendrait très brièvement à Hélios avant qu'il ne la transmette immédiatement à son épouse. Hélios se demandait quel effet ça faisait d'avoir les deux astres au bout de la corne. On devait se sentir puissant. Très puissant.

Le prêtre termina son sermon et d'un geste de la patte dans le public, invita quelqu'un à prononcer quelques mots. Le public vit une jument au pelage gris perle et à la crinière acajou se détacher du reste du groupe pour prendre place devant les deux cercueils.

Elle avait à peine commencé à parler que le Chancelier Strawberry donnait un petit coup de patte au Commandant Tramonstane et lui chuchotait.

_C'est elle dont je vous ai parlé ! Ira. Celle qui a essayé de me séduire l'autre jour pour me pousser à renverser Hélios.

_Vous auriez dû vous laisser faire, répliqua le pégase en fixant la croupe de la licorne d'un air approbateur. J'ai tendance à préférer mes ponettes avec des ailes mais pour celle-là, je pourrais bien faire une entorse aux règles. Je lui visiterais bien son puits des tempêtes à la cornue, moi.

_Vous êtes un véritable poète, dites-moi, dit le Chancelier, d'un air consterné.

_On fait ce qu'on peut.

Tramonstane laissa filer un blanc avant de reprendre :

_Elle ressemble donc à ça la duchesse dont l'autre cornu m'avait parlé. Je l'imaginais pas comme ça.

_L'autre cornu ? interrogea le terrestre rouge.

_L'autre jour, expliqua le militaire, on a un huppé de service qui s'est présenté la bouche en cœur à Stormpit, histoire de me vendre ses salades sur cette histoire de crise de succession licorne ou je sais pas quoi. Je l'ai envoyé se faire...

Il se reprit devant l'air réprobateur de son ami.

_... se faire voir ailleurs.

Strawberry baissa la tête l'air pensif et se gratta le museau. La situation était plus délicate qu'il ne l'avait imaginé. Hormis auprès de son compagnon, le Chancelier n'avait pas pris la peine de signaler les détails de son entrevue avec Ira, d'abord parce que théoriquement, les problèmes des licornes étaient du ressort de ces dernières et seulement de ces dernières, mais aussi parce que ça ne lui avait pas semblé si important. D'autres avaient essayé de le corrompre aussi dans le passé et s'étaient également cassé les dents. Mais si le camp de la duchesse cherchait des appuis chez les pégases aussi, ça pouvait commencer à sentir mauvais pour la stabilité du conseil tout entier. Ou alors ça voulait justement dire qu'Ira et ses partisans étaient trop faibles et qu'ils cherchaient des alliés partout où ils pouvaient en trouver, passant des pactes avec le moindre poney qui passait à leur portée, comme le corps d'un mourant était agité de spasmes avant le dernier soupir. L’inconvénient qu'il avait à être honnête, comme le lui répétait souvent son compagnon à Strawberry, c'est qu'il n'y connaissait rien en définitive aux complots.

Les coups bas oui, il avait bien dû se défendre contre des adversaires politiques, que ce soit quand il avait été pris comme un des nombreux assistants du précédent Chancelier et bien entendu, encore plus quand il s'était mis à briguer le poste suprême que pouvait rêver de caresser tout poney terrestre mais effectivement, pour ce qui était des intrigues, Strawberry était un parfait ignorant. Il avait été d'ailleurs le premier Chancelier à faire dissoudre le cabinet noir, ce service qui protégeait le haut magistrat en détruisant politiquement – quand ce n'était pas détruire tout court dans certains cas extrêmes – ceux qui menaçaient la sécurité de l'élu.

Pas tellement parce qu'il ne croyait pas à une menace du genre mais d'une, parce qu'il tenait à respecter sa ligne de transparence et d'honnêteté absolue, surtout une fois en poste et aussi parce que dans son for intérieur, il était persuadé que si on voulait vraiment l'éliminer, s'entourer de mille gardes du corps et d'autant d'agents secrets ne ferait rien d'autre que retarder l'échéance. C'était différent cela dit, si on quittait le terrain de sa sécurité personnelle pour aborder celle du conseil, donc d'Equestria dans son ensemble.

Devait-il en avertir Hélios ? Ça lui semblait une mauvaise idée. L'alicorne devait avoir la tête remplie à ras bord avec son couronnement imminent. Et lui dire qu'on essayait de lui voler son trône avant même qu'il ne pose ses fesses dessus, ça le stresserait sûrement. Strawberry décida donc d'agir à un échelon inférieur. Il chercha le baron Mérovis des yeux et trouva la vieille licorne, droite comme une statue dans son fauteuil roulant, regarder fixement la duchesse Ira faire son discours. Oui c'était sûrement mieux d'en référer à la licorne. Les éminences grises étaient faites pour ça.

Strawberry se força à se reconcentrer sur le discours que donnait Ira.

_Et c'est donc en temps que dernière descendante de la princesse Platinium, mère fondatrice de notre nation, dit Ira en se tenant extrêmement droite devant la foule, que je vous demande de ne pas oublier ce que mon oncle et mon cousin ont fait pour ce pays, allant jusqu'à donner leur vie pour le servir. Leurs corps reposeront peut-être à jamais ici mais leurs idées continuent de vivre dans nos cœurs. Merci.

Ira eut un petit signe de tête, comme pour saluer alors qu'elle regagnait les rangs des spectateurs. Strawberry ne put s'empêcher de noter que la licorne avait encore une fois très bien choisi ses mots, rappelant qu'elle était la dernière héritière de la famille royale, sans officiellement appeler à rejeter Hélios. Un rendez-vous avec Mérovis semblait plus urgent que jamais.

Le prêtre de l'Ordre des Trois Sabots revint se placer devant les cercueils :

_Il est de tradition qu'à l'enterrement du roi, ce soit le prince héritier qui prononce les derniers mots. Régent Hélios, voudriez-vous nous faire l'honneur ?

À l'annonce de son nom, Hélios releva le museau et regarda autour de lui d'un air confus. Ah oui, ce discours-là. C'est vrai qu'il devait dire quelques mots ce matin. Il avait tellement pensé au serment qu'il devrait prononcer dans quelques heures qu'il avait complètement oublié qu'on attendait de lui quelques paroles lors de la mise en terre. Mais il n'allait pas se défiler. Le destin l'avait poussé sur le trône, il assumerait.

Pour se donner du courage, il ferma les yeux un très court instant et expira profondément avant de s'avancer. Quand il se retourna vers la petite assemblée, sa voix était encore mal assurée mais ne tremblait pas.

_Aurum III était probablement le plus grand roi de l'histoire récente d'Equestria. Il n'avait que vingt-trois ans quand il est devenu roi et a régné pendant plus de quarante-sept ans. Il a dirigé notre pays avec de nombreux Commandants pégases et de Chanceliers poneys. Je ne vous ferai pas un cours d'histoire en vous rappelant tout ce qu'il a fait pour ce pays, ce serait trop long. Mais je peux vous dire ce qu'il a fait pour moi.

Hélios marqua une pause avant de reprendre :

_Quand je suis arrivé de l'Elysium, il y a sept ans, je n'avais plus rien. Moi et ma famille avions dû fuir en abandonnant tout derrière nous. Le roi Aurum m'a accordé sa confiance et m'a permis de regagner ce que j'avais perdu.

En réalité, c'était plutôt Bronze qu'Aurum qui l'avait véritablement aidé mais il était ici pour faire l'éloge du roi, pas du prince.

_Sans lui, je ne sais pas ce que je serais devenu. J'ai longtemps servi la famille royale jusqu'à ces dernières semaines, quand le prince est parti à la guerre et m'a confié le soleil. Je ne devais m'en occuper que temporairement. La vie en a décidé autrement.

Malgré ses efforts, la voix d'Hélios commença à vibrer d'émotion.

_Demain à la même heure, je porterai la couronne des licornes. Et bien que je ne prête serment que tout à l'heure, je vous jure par avance, ici, devant la dépouille de la famille royale que j'ai servie pendant presque sept ans, que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour me montrer digne de la charge que je vais recevoir.

Il leva son sabot droit et frappa à deux reprises sur sa poitrine, au niveau du cœur.

_Je le jure sur ma vie.

Puis, il reposa la patte à terre et trotta jusqu'à sa précédente place où il passa paternellement le sabot dans la crinière de sa fille, comme pour se calmer les nerfs autant que pour dédramatiser l'instant aux yeux de Luna, comme l'envie de lui prouver qu'il était toujours le même.

Le prêtre de l'Ordre des Trois Sabots prononça les dernières prières rituelles puis l'on descendit les cercueils dans le sol avant de refermer magiquement la grande dalle de pierre dessus. On annonça officiellement la fin de la cérémonie. Les poneys quittèrent silencieusement la crypte pour discuter avec plus d'entrain à peine sortis de la grotte.

Strawberry laissa le groupe partir devant et s'en alla parler avec le baron Mérovis resté à l'intérieur qui contemplait silencieusement les noms gravés dans la pierre des monarques qui reposaient sous leurs sabots.

_Je ne me souvenais pas que Silver V avait été enterré ici, déclara la licorne en tendant sa patte noire en direction de l'inscription. Je croyais que le peuple avait jeté son cadavre à la rivière...

Le Chancelier fronça les sourcils. La chute du roi fou, ça remontait bien cinquante ans en arrière. Silver V avait été un monarque tellement déplorable qu'il marquait encore l'inconscient collectif, plus d'un demi-siècle après sa disparition. Bien sûr pour Strawberry comme pour la plupart des poneys d'Equestria, tout ça n'avait jamais existé que dans les livres d'histoire. C'était étonnant de penser que de très vieilles personnes comme le baron Mérovis avaient vécu et respiré le même air que ces poneys qui n'existaient plus que dans les livres et les parchemins.

_Vous savez, dit Mérovis en ramenant sa couverture sur ses jambes paralysées, je pense que Silver V n'était pas un si mauvais roi que ça. Si on excepte ses hallucinations, et sa fâcheuse tendance à tuer tous ceux qui s'approchaient de lui quand il était en crise, sorti de ses périodes de maladie, il avait vraiment essayé de bien mener Equestria.

_Vous l'avez connu ?

_Pas personnellement bien entendu, gloussa le vieux baron, je n'ai commencé à m'approcher de ce monde qu'au couronnement d'Aurum II. Le peuple avait placé beaucoup d'espoir en lui. Il n'a presque eu le temps de rien faire en trois ans bien sûr, mais au moins, son fils a merveilleusement bien conduit Equestria pendant presque cinq décades.

Il fallut quelques secondes à Strawberry pour se rendre compte que Mérovis voulait simplement dire cinquante ans. La vieille licorne avait parfois du mal à se faire comprendre.

_Et maintenant, reprit Mérovis, une page se tourne, la lignée est tarie. Mais c'est une bonne chose je pense que ce soit une alicorne qui accède au trône. Il faut savoir évoluer et vivre avec son temps. Peut-être que dans quelques années, nous aurons un Chancelier pégase et un Commandant terrestre, qui sait ? demanda la licorne avec un petit sourire.

_Tous ne sont pas aussi enthousiastes que vous, fit remarquer Strawberry en se plaçant à droite de la chaise roulante. La duchesse Ira...

_Elle se fera à l'idée Chancelier.

_J'en doute.

_Vous êtes encore jeune. Mais croyez-moi, quand vous attendrez un certain âge comme moi, vous comprendrez la nature ponette. Et vous verrez que les gens finissent par se calmer avec le temps.

_Ira m'a quand même approché pour me demander de l'aider à monter sur le trône. Comme au Commandant Tramonstane d'ailleurs.

Les rides autour de la bouche de Mérovis se tournèrent en un sourire rassurant.

_Alors c'est bien la preuve qu'elle n'a même plus assez de partisans licornes de son propre côté. Elle plaide pour la suprématie de sa race mais cherche des appuis où elle le peut. Ça va la brûler politiquement aux yeux de son propre camp. Je vous le dis monsieur le Chancelier, le trône est solide. Elle serait un étalon, la question de la succession se poserait vraiment. Mais le destin nous a épargné cela.

Le baron fit un signe de la patte et son domestique commença à pousser son fauteuil hors de la grotte.

_Je vous laisse Chancelier, annonça le baron en s'éloignant. Nous nous voyons tout à l'heure au couronnement.

Strawberry resta un moment sur place, un peu choqué de son entretien avec Mérovis. Le baron l'avait déçu pour le coup. Le Chancelier se promit de garder la duchesse Ira à l’œil. Après tout, en tant que premier magistrat d'Equestria, l'Intérieur lui revenait. Ça serait manquer à son devoir que de laisser Ira sans surveillance.

L'étalon hocha la tête comme pour confirmer lui-même ses pensées et sortit à son tour de la crypte. Au dehors, la plupart des spectateurs avaient déjà repris la route pour Canterlot, dans l'espoir d'avoir une bonne place pour observer le couronnement. Au moins, Strawberry n'avait pas trop de soucis à se faire de ce côté-là. Il avait une place réservée. Un des avantages à être Chancelier des poneys terrestres. Et en plus, la couverture santé était bonne.

¤¤¤

Celestia tourna la tête sur le côté en direction de la fenêtre quand les cloches de Canterlot sonnèrent une heure de l'après-midi. Le moment du sacre se rapprochait. Elle était d'ailleurs en train d'enfiler sa robe, une belle pièce d'étoffe blanche, longue et vaporeuse avec un chapeau à large bord pour sublimer le tout. Elle tenait plus de la robe d'été que de la robe de sacre mais après tout, ce n'était pas elle qu'on couronnait aujourd'hui.

Son corset l'étouffait comme jamais mais elle se forçait à serrer les dents.

Elle avait fait un pacte avec son père et comptait bien le respecter : elle avait pu faire sauter l'enterrement du matin mais ne devrait pas se plaindre de son inconfort de tout l'après-midi. Remarque, vu comment sa cage thoracique était partie pour être broyée pendant des heures, effectivement, l'adolescente ne serait pas en mesure de se plaindre. Ni de respirer d'ailleurs.

Mais Discord valait bien ça. Elle ne comprenait pas pourquoi ses parents semblaient si froids envers son ami. Sa mère surtout. C'est vrai que Discord était plutôt curieux. Celestia n'avait aucune idée de quelle pouvait bien être sa race, mais il avait assez fait pour elle pour qu'elle considère cette question comme complètement secondaire, particulièrement quand il était blessé.

Il allait mieux cela dit. Il dormait toujours profondément sur le canapé du salon, sous la garde de la mère de Celestia, mais semblait hors de danger. Son père avait fait du bon boulot en le tirant hors de la grotte. L'alicorne ne comprenait même pas comment Hélios avait réussi à passer et par l'ouverture, et par le goulot d'étranglement alors qu'elle même, bien plus petite avait eu du mal, mais il l'avait fait. Il avait arraché Discord à sa couchette de pierre et l'avait transporté sur son dos jusqu'à Canterlot. Ce qui était curieux, se disait Celestia en y repensant, c'était que la grotte avait encore changé quand elle y était revenue. Des piliers naturels avaient changé de place, d'autres traces de barbe à baba étaient apparues sur le sol et il lui avait même semblé voir la rivière au cours capricieux se transformer en chocolat pendant un court instant.

Mais maintenant tout ceci était complètement sorti de la tête de Celestia qui n'avait que la guérison de Discord à l'esprit.

L'adolescente se regarda dans le miroir et déplaça un peu son chapeau de guingois. Elle avait peut-être promis de rester silencieuse sur son corset, mais pas de se donner un look un peu plus cool.

Elle termina sa préparation par quelques bijoux dorés discrets – ceux que porterait Luna seraient argentés – et par une touche de lustrant pour visage. Du vrai lustrant. Pas de l'acide.

Penser à ce qu'elle et Discord avaient fait la fit sourire. Elle savait que ce n'était pas bien de ressentir de la joie devant le malheur d'autrui mais c'était trop bon pour qu'elle l'ignore.

Sa préparation terminée, Celestia tourna sur elle-même, faisant tournoyer sa longue robe blanche. Elle était belle. Si elle n'était pas obligée de porter un corset, Celestia aurait probablement mis des robes plus souvent.

_Tu es prête ma chérie ? lui demanda sa mère en passant la tête par-dessus la porte. On doit y aller.

Aztarté aussi s'était préparée pour le sacre.

Maquillage, bijoux, robe à la longue traîne... il ne lui manquait plus que la couronne. Qui lui serait posée sur la tête dans une petite heure, à peu près.

_Oui maman, répondit Celestia.

Aztarté sourit et tourna les sabots jusqu'à descendre l'escalier. Sa fille la suivit. Dans le salon, Discord dormait toujours, un bandage autour du ventre et une grosse couverture posée par-dessus son corps. Deux licornes que l'adolescente ne connaissait pas, mais que sa mère lui présenta comme des pages du château, chargés de veiller sur Discord pendant le couronnement, discutaient autour d'un sandwich aux pâquerettes. C'était bizarre de se dire qu'ils auraient des serviteurs comme ces deux pages maintenant. Bien que techniquement maintenant, les domestiques n'étaient pas encore attachés à leur service.

Pas tant que Hélios serait officiellement fait roi des licornes. Mais bon. Savoir que quelqu'un serait là à s'occuper de son ami réchauffait le cœur de Celestia.

_S'il se passe quelque chose, les prévint Celestia, je compte sur vous pour assurer d'accord ?

_Absolument princesse, répondirent en cœur les deux pages.

Le titre sonna bizarrement aux oreilles de l'adolescente. « Princesse Celestia ». Ça ne collait pas très bien.

_Allez Celestia, lui ordonna sa mère en la poussant doucement du museau jusqu'au dehors où une voiture les attendait. On ne doit pas arriver en retard au sacre.

Celestia eut un petit mot d'approbation avant de grimper dans le fiacre frappé aux couleurs d'Equestria. Sa mère ne tarda pas à la rejoindre après avoir parlé quelques secondes avec les pages qui garderaient leur maison, et Discord pendant leur absence.

Le carrosse s'ébranla et se mit en marche. La jeune jument observa sa mère qui frottait nerveusement ses sabots les uns contre les autres.

_Tu stresses pour la cérémonie m'man ?

_Un peu, lui répondit Aztarté en replaçant une de ses longues mèches noires étoilées qui s'était défaite de son chignon. Je suis assez nerveuse pour ton père en fait.

Sans oublier le fait d'héberger sous son toit un démon du chaos, fût-il jeune et blessé. Et pire que tout, lié avec sa fille aînée.

Aztarté laissa filer son regard par la fenêtre puis demanda presque abruptement :

_Et avec ça tu nous as pas dit... ce Discord... tu l'as rencontré où ?

_À Evercon, confessa l'alicorne en baissant un peu la tête. Luna avait perdu le ballon j'étais partie le chercher mais je l'ai reperdu à cause de papa. Je suis retournée là-bas dans la nuit et Discord me l'a rendu. Il l'avait mis de côté.

_Tu es allée toute seule dans les bois la nuit ? questionna sa mère, sur un ton qui était entre la consternation et l’accusation.

_Maman, se défendit Celestia, je suis plus une pouliche. J'ai presque dix-sept ans, je sais me gérer. Et puis y a rien de dangereux à Evercon je te ferais dire.

Excepté les créations d'une alicorne folle, pensa Aztarté.

_Chérie, lui dit sa mère, ça n'a rien à voir avec ton âge. Mais tu dois comprendre que ton père et moi, on pose des règles pour que tu les respectes. Toi et Luna d'ailleurs. C'est votre sécurité qu'on veut.

_Vous êtes surtout chiants, maugréa l'adolescente en coupant court à la conversation en détournant la tête.

Aztarté eut un petit rire.

_C'est notre travail de parents tu sais. Tu seras pareille plus tard avec tes enfants à toi.

Celestia souffla par les naseaux pour exprimer son mécontentement. Aztarté hésita à reprendre sur Discord mais préféra s'abstenir. Elle ne voulait pas mettre sa fille en boule, surtout pas à quelques minutes du sacre. Elle aurait bien le temps d'aborder le problème plus tard.

Ce fut donc dans un silence gêné que le fiacre les conduisit à la grande place de Canterlot. Celestia, qui avait posé son menton contre son sabot sentit sa bouche s'ouvrir en grand quand elle découvrit les transformations qui avaient été faites pour le sacre : premièrement, une large estrade de bois avait été dressée avec de grands murs qui l'entouraient comme une scène de théâtre. Des bannières brodées d'or et de grandes enseignes colorées qui représentaient la lune, le soleil ou des têtes de licornes donnaient une ambiance à la fois solennelle et festive à la grande place. Mais c'était peut-être les spectateurs qui surprenaient le plus la jeune alicorne.

Des poneys à perte de vue, tous mieux habillés les uns que les autres. La foule n'était que décorations, uniformes et jolies robes.

Le fiacre s'immobilisa et on leur ouvrit la porte. Celestia et sa mère progressèrent jusqu'à l'estrade, foulant un tapis rouge sous les murmures de la foule.

La scène, éclairée par de grands flambeaux, car lever le soleil serait le premier acte de son père une fois couronné, était occupée par un petit groupe de poneys. Celestia vit son père en grand manteau doublé d'hermine, sa petite sœur Luna, qui se tenait très droite dans sa robe violette, ainsi que de nombreuses autres personnes que l'adolescente ne connaissait pas. Il y avait un poney terrestre en tenue verte, et un pégase bleu à l'uniforme rouge et blanc. L'alicorne nota aussi la présence d'un prête de l'Ordre des Trois sabots, reconnaissable à sa bure marron qui s'entretenait avec son père.

Elle avait presque rejoint la scène quand elle remarqua qu'au premier rang, un petit groupe de spectateurs tranchait nettement avec le reste de la foule. Ils ressemblaient à des poneys terrestres, mais en plus grand avec des traces noires et blanches sur tout le corps. L'adolescente supposa qu'ils avaient fait le chemin depuis quelque part au-delà des frontières d'Equestria.

Celestia monta sur la scène et vint se placer à côté de sa sœur, faisant un clin d'œil à son père en passant à côté de lui. Aztarté elle, s'arrêta à côté de son époux, juste devant leurs enfants.

Le prêtre embrassa la scène du regard, hocha la tête puis s'avança jusqu'au bord de l'estrade.

_Peuple d'Equestria ! annonça-t-il en utilisant un sort sur sa voix pour en améliorer la portée. Nous sommes tous rassemblés à ce jour pour assister au sacre du nouveau roi des licornes, Hélios.

Par réflexe, l'alicorne bomba le torse quand il entendit son nom. Le prêtre lui fit signe de le rejoindre sur le devant de la scène, ce qu'il fit.

_Hélios, demanda la licorne. Jurez-vous en tant que roi des licornes de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour servir et protéger Equestria et ce jusqu'à ce que vous ne soyez plus en mesure de remplir vos fonctions ?

_Je le jure, répondit Hélios d'une voix forte en posant son sabot sur le cœur. Que ma corne m'en donne la force.

Le serment que prononçait Hélios était en fait quasiment le même que celui prêté par le Chancelier terrestre lors de son élection, ou le Commandant pégase, quand il parvenait à ce rang, à la différence près que les terrestres en appelaient à l'aide de leurs sabots et les poneys volants, de leurs ailes.

_Au nom de l'Ordre des Trois Sabots, déclara le prêtre en amenant magiquement une belle couronne au-dessus de la tête d'Hélios, je vous déclare aujourd'hui roi des licornes.

Il posa la couronne sur la crinière de l'alicorne et prononça d'une voix forte.

_Que le soleil se lève sur une nouvelle ère !

Hélios ferma les yeux et sentit la magie envelopper son corps. Elle se concentra dans sa corne et il s'éleva dans les airs, les pans de son grand manteau battant autour de lui alors qu'il en appelait à l'astre du jour. Ce dernier se leva lentement, éclaboussant la grande place, Canterlot et le reste d'Equestria de sa lueur. Hélios n'avait pas encore reposé les pattes sur l'estrade que les spectateurs frappaient des sabots contre le sol en guise d'applaudissements.

_Vive le roi ! entendait-on. Longue vie au roi Hélios !

Le roi se sentit s'empourprer comme un poulain qu'on acclamait à un concours de talent. Le prêtre lui glissa à l'oreille que la cérémonie n'était pas finie. Hélios hocha la tête et fit signe à Aztarté de s'avancer à son tour. Le prêtre fixa Hélios dans les yeux et d'un simple sort lui confia les liens magiques de la lune. L'alicorne manqua de défaillir devant cette surcharge de magie qui s’emmagasinait en lui. Maintenant, il comprenait vraiment pourquoi on tenait à séparer les deux pouvoirs. Le soleil et la lune c'était trop pour un seul poney.

_Aztarté, demanda-t-il à son épouse en la regardant dans les yeux en sentant toujours la tête lui tourner légèrement, est-ce que toi, reine consort des licornes, tu acceptes de prendre la charge de régente lunaire et à compter de maintenant, de veiller au bon déroulement des cycles des jours à mes côtés ?

_Je le veux, dit sa femme sur un ton qui n'était pas sans rappeler celui qu'elle avait eu quand elle avait répondu favorablement à sa demande en mariage, il y a des années de cela.

Hélios sourit, ferma les yeux et d'une pensée, transféra le pouvoir qu'il venait juste de recevoir des sabots du prêtre à son épouse. Quand il les rouvrit, il vit la corne de sa femme briller un court instant avant de s'éteindre. Ils se sourirent et s'embrassèrent.

À quelques pas derrière eux, Luna se figea et elle poussa discrètement Celestia de la tranche du sabot.

_Hé ! Ils se font un bisou.

_J'ai vu, répondit simplement Celestia.

_Mais y ont pas le droit, s'étrangla la petite alicorne paniquée. Faut qu'ils saluent après le couronnement, elle nous a dit mademoiselle Lavande. Et l'étouquette, tout ça ?

_L'étiquette, la corrigea sa grande sœur. Et puis t'as qu'à me dire ce qu'en pense la foule de ça...

La foule continuait de frapper du sabot au sol et de crier son approbation. Des acclamations telles que « vive la reine » ou « vive Equestria » se mêlaient aux vivats. Les spectateurs commencèrent même à chanter spontanément le Cercle d'Amis, l'hymne officiel de la nation.

Sur le côté le Chancelier Strawberry et le Commandant Tramonstane s'étaient eux aussi joints aux applaudissements. Le terrestre de bon cœur, le pégase, par respect pour la fonction.

Une page se tournait dans l'histoire d'Equestria tandis que l'encre de l'avenir en inaugurait un nouveau chapitre. Et quelque part, tous les poneys présents voulaient en sentir l'odeur.

¤¤¤

Au même moment, au club de la corne d'ivoire, le marquis Nobilitas essayait de savourer son brandy. C'était un de ses petits plaisirs personnels, de boire à petites gorgées un bon verre d'alcool avec deux glaçons. Ça lui calmait les nerfs et ça l'aidait à réfléchir. C'était beaucoup plus complexe aujourd'hui puisque Ira s'était invitée au club. Pas qu'il ne veuille discuter avec sa maîtresse de leur projet politique, bien au contraire mais enfin, il n'oubliait pas que la veille, elle avait été à deux poils de crinière de le tuer. Sa gorge portait encore la marque de ses sabots. Une chance qu'en tant que dandy, il puisse se mettre un foulard de couleur autour du cou pour camoufler le tout et faire passer ça pour une excentricité.

Par prudence, le marquis s'était assuré qu'ils soient seuls au club cet après-midi. C'était presque automatique en même temps, les autres licornes ayant voulu assister au couronnement du nouveau roi. Nobilitas y serait bien allé lui-même, mais il craignait la réaction de sa maîtresse. Se faire étrangler hier lui avait bien suffi.

Ira était plutôt détendue. Elle n'avait fait aucune remarque sur leur discussion de la veille et se comportait comme si elle ne s'en était pas prise physiquement à son amant il y a moins de vingt-quatre heures. Tout semblait normal pour elle. Nobilitas ne savait pas si elle avait décidé de mettre ses excuses de côté ou bien avait vraiment oublié l'incident, mais ça le confortait dans son idée qu'Ira n'était pas jument à revenir en arrière.

_Donc, demanda le marquis en sirotant son verre, est-ce que tu as pu réfléchir un peu cette nuit ? Comment est-ce qu'on va faire pour te donner la couronne ?

_Je suis tombée sur quelque chose, dit Ira avec enthousiasme, farfouillant du museau dans l'imposante collection de livres du club. Déjà ce matin, je me suis montrée à l'enterrement de mon oncle et de mon cousin, histoire de rappeler au peuple que je suis là et que j'ai droit au trône. Et de deux, je ne suis pas au sacre pour bien montrer que celui qu'on couronne est illégitime.

Ça c'était le plus simple. Mais surtout, Ira avait reçu du nouveau. Des informations de la part de John Colt. C'était encore assez laconique, mais en cherchant des vieux papiers dans les archives, il avait découvert la date précise à laquelle Hélios et sa famille s'étaient installés en Equestria. Ceci, recoupé avec les rares informations qu'ils avaient de l'Elysium, et Ira ne pouvait en arriver qu'à une seule conclusion.

_Lucimare, ça te dit quelque chose ? demanda la duchesse en continuant sa recherche.

_Comme tout le monde je pense, répondit le marquis en haussant les épaules. Une alicorne dingue qui a régné sur l'Elysium une semaine avant que le peuple ne la tue.

_Elle est restée en poste six jours en fait, précisa Ira en tirant un volume de la bibliothèque avec ses dents et en le posant sur la table basse de la pièce. Et c'était une occultiste. Du genre très méchante et très puissante.

Nobilitas ne voyait pas vraiment où sa maîtresse voulait en venir mais il la laissa finir.

_D'après la légende, expliqua-t-elle en ouvrant le livre et en tournant magiquement les pages, elle avait réussi à dompter des draconequus. Les esprits du chaos.

_Les draconequus se domptent pas Ira, répliqua le marquis. Je sais même pas si quelqu'un pourrait-être assez puissant pour un invoquer un, alors plusieurs...

_Qu'est-ce que tu lis là ? le questionna-t-elle en lui mettant l'ouvrage sous le museau.

_De la haute montagne j'ai vu descendre trois créatures au corps de chimère charriant avec elles mille plaies. Trouble était l'une, brouille était l'autre, la dernière enfin n'était que néant. De la haute montagne, j'ai vu descendre les draconequus. Et la fin des temps était attachée à leurs pas.

Nobilitas termina sa lecture en citant l'auteur, le célèbre Star Swirl le barbu.

_Alors ? lui demanda Ira. Qu'est-ce que t'en penses ?

_Que le vieux Star Swirl était meilleur en magie qu'en poésie, répondit le marquis en rendant le livre à sa maîtresse.

_C'est pas de la poésie, le reprit-elle, c'est une prédiction. Une prophétie.

_Je vois pas en quoi ça peut nous aider.

Ira souffla bruyamment par les naseaux. Il fallait vraiment mettre les points sur les i avec lui.

_Réfléchis un peu. Il y a des siècles de ça, Star Swirl prédit l'arrivée des draconequus et il y a sept ans, Lucimare s'empare du pouvoir à l'Elysium grâce à eux. Ça veut bien dire qu'il y a un moyen de les invoquer, de les contrôler. On peut faire ici ce qu'a fait Lucimare là-bas !

_Ça lui a pas super réussi je te ferais dire, fit remarquer Nobilitas. Elle est morte et ses partisans sont enfermés au Tartare. Donc les draconequus aussi. Et à moins de s'avaler Cerbère, on passera pas.

Ira roula des yeux, se contrôlant pour ignorer la remarque du marquis.

_C'est pas parce qu'elle s'est plantée qu'on doit pas essayer, nous. Je suis encore en train de vérifier cette information mais d'après ce qui paraît, au moment de sa chute, Lucimare venait tout juste d'invoquer un quatrième draconequus plus puissant que les autres. Mais lui, il aurait pas fini au Tartare. Elle l'aurait envoyé en urgence ici, en Equestria pour qu'il puisse lui servir d'atout dans la manche.

_Clairement, tu veux partir à la recherche d'un démon du chaos plus puissant que ses frères, invoqué par une alicorne marteau qui se cacherait quelque part ici en Equestria ? demanda-t-il, ne cachant même pas son ton mi-moqueur, mi consterné.

_Je suis prête à utiliser n'importe quel moyen pour avoir le trône Nobilitas. Et si ça passe par l'occultisme, j'en suis.

_Bien, déclara le marquis en vidant son verre de brandy, et en se levant de son fauteuil, ne m'en veux pas si je sens moins ce plan que les autres, hein ?

_Tu me lâches ? demanda Ira, trop étonnée pour être en colère.

_Non, répondit Nobilitas. J'ai trop investi là-dedans pour me retirer maintenant. C'est juste que je vais arrêter de t'obéir au sabot et à l’œil sans réfléchir. Je manque de me tuer en allant voir les pégases pour toi, et t'es à ça de me finir... maintenant cette idée avec les draconequus...

Il trotta jusqu'à la porte, l'entrouvrit et avant de la passer, s'adressa une dernière fois à la duchesse.

_J'abandonne pas la cause Ira. C'est juste que je vais trouver un moyen plus sûr d'arriver à nos fins. Et avant que j'oublie, je vais espacer un peu mes visites chez toi, le soir. Je suis du genre à préférer les griffures de la corne des sabots dans le dos aux traces d'étranglement sur le cou.

Ira lui jeta un regard glacial. Il lui sourit et quitta la pièce. Il n'avait pas atteint le grand escalier qu'il percevait le fracas des meubles de la bibliothèque que la duchesse devait être en train de réduire en miettes.

Il faudrait penser à augmenter la cotisation des membres du club pour réparer tout ça.

¤¤¤

La salle du conseil avait été nettoyée à fond. Des murs au plafond, Hélios avait donné l'ordre que la pièce soit resplendissante. Ce n'était pas tous les jours qu'ils recevaient un Seigneur-Aile griffon tout de même. Le Commandant Tramonstane avait fait quadrupler la garde du château et de tous les points sensibles d'Equestria, craignant que la délégation griffonne ne profite des pourparlers pour tenter un coup fourré. Les mots du Chancelier Strawberry n'avaient en rien calmé sa méfiance à l'encontre de la Horde et même le roi Hélios, qui lui avait fait remarquer que cette sécurité pourrait effrayer leurs invités zèbres pendant le temps où ils logeraient à Canterlot n'avait pu calmer le chef suprême des pégases.

Même maintenant Tramonstane faisait les cent pas en attendant Gver et ses serviteurs, tournant et retournant autour de la table comme un manticore en cage. Strawberry fidèle à son habitude, était à demi-affalé sur sa chaise, amorphe avant que le travail ne commence et enfin, Hélios lui, classait des papiers avec l'aide de ses secrétaires.

Enfin, un bruit de trompettes résonna et l'on annonça l'arrivée des griffons. Ils passèrent par la fenêtre, au grand désespoir des pages qui avaient ouvert les portes en grand. Leur chef, le Seigneur-Aile Gver, se démarquait des autres griffons par sa taille et surtout, par la couleur de ses plumes, d'un gris fer et par la noirceur de ses serres. À peine posé dans la salle du conseil, il inclina respectueusement la tête à l'intention des chefs d'Etat equestriens.

_Chancelier Strawberry, roi Hélios, Commandant Tramonstane. Je vous salue et j’honore les morts de votre famille.

_Comme nous honorons les vôtres, répondit le pégase, respectant jusqu'au bout le traditionnel salut griffon, même si ça lui déplaisait visiblement.

Gver s'approcha de la table et s'assit à la place qu'on lui avait réservée. Hélios fit glisser jusqu'à lui une dizaine de feuilles de papier.

_Voilà les conditions du traité de paix, Seigneur-Aile. La Horde Griffon et Equestria signent immédiatement un pacte de non-agression. La Horde cède à notre nation l'accès militaire à son territoire pour une durée de cinq ans. La Horde devra payer des dommages de réparation de guerre à hauteur de dix millions de bits. Et dissoudre son armée pour ne conserver qu'une force minimale de défense.

_Je suis prêt à signer ce que vous voulez, déclara Gver en lisant avec attention le traité de paix. Mais je ne peux pas accepter de briser les clans en dissolvant l'armée.

_Vous vous êtes engagé à signer, fit remarquer Strawberry qui était redevenu aussi professionnel que possible.

_Ce point pose problème. La Horde vit par la guerre, pour le combat. Sans l'armée, nos ennemis vont revenir nous frapper. Les chiens diamants, les ânes !

_Fallait y penser avant de les envahir, dit sèchement Tramonstane. Et soyez contents qu'on vous pique aucun territoire. C'est moi qu'aurait pondu ça, vous auriez même plus eu assez de nuages pour en faire un oreiller.

_Ce que le Commandant essaye de dire, dit Hélios avec diplomatie, tentant d'amortir le coup, c'est que nos conditions sont généreuses. Nous pourrions être plus durs.

_Je sais, répondit le Seigneur-Aile. Mais démanteler l'armée...

_Nous pouvons vous offrir un délai, pour préparer mentalement vos clans à l'idée.

_Combien ?

_Quatre mois.

_Huit.

_Huit ? explosa le Commandant Tramonstane. On est sur un foutu marché ou quoi ? On est pas en train de négocier des œufs là, on parle de conditions d'un traité de paix, nom d'un dodo !

_Six, proposa Hélios sans tenir compte de la protestation du pégase.

Gver se passa la serre sur le bec avant de hocher la tête. Hélios fit signe à ses secrétaires de modifier le traité en conséquence. Gver le reprit et le parapha. Hélios, en tant que chef de la diplomatie extérieure signa au nom d'Equestria. Puis, il se leva et tendit le sabot au griffon. Ce dernier fit de même et lui serra la patte.

Gver déploya ensuite ses ailes et partit par la fenêtre, laissant ses griffons finir le travail administratif avec les secrétaires licornes. Tramonstane ne cacha pas sa colère en tapant du sabot sur la table :

_Vous leur avez donné six mois, tempêta-t-il. Ils vont avoir tout le temps de faire une armée parallèle, de se torcher avec le traité de paix ! Sérieusement, si j'avais voulu me faire enfiler je serais allé dans les quartiers chauds plutôt qu'au travail aujourd'hui !

_Ils ont tout de même signé le document et la guerre est finie, lâcha Strawberry. Je trouve ça pas si mal en fin de compte.

_Bah, grimaça le chef des pégases, vous pouvez être sûrs que pendant les six prochains mois, je colle mes gars en alerte maximale au bord de la frontière. Le premier griffon qu'on voit avec un cure-dents passé le délai, on lui éclate la face.

_Les griffons n'ont pas besoin de cure-dents, fit remarquer le Chancelier. Ils ont un bec vous savez.

_C'était une expression, grogna Tramonstane. Comme celle qui dit que je peux tellement noyer Manehattan sous la pluie que vous devrez vous transformer en foutu poney des mers pour survivre sous l'eau.

_C'est une expression pégase ça ?

_Non. Ça s'appelle une prédiction si vous arrêtez pas de me les briser.

Hélios sourit en observant les taquineries que s'envoyaient les deux poneys. Au moins, même s'il s'était retrouvé roi par hasard, les réunions de travail du conseil étaient amusantes.

Il ramena des feuilles du traité à lui et se mit à les relire.

Galdric, un des griffons membres de la délégation de la Horde attendait patiemment à l'extérieur que ses collègues aient fini le travail de paperasse avec les licornes.

Le traité de paix allait être dur à avaler mais ils n'avaient pas le choix. Ils avaient perdu après tout. Le vainqueur vole les œufs, le vaincu mange la paille du nid comme on disait chez eux.

Il trompait son ennui et observant Canterlot quand un domestique en livrée vint à son approche.

_Pardonnez-moi monsieur, vous appartenez bien aux plénipotentiaires griffons ?

Galdric hocha la tête. Le poney lui remit une lettre scellée.

_Voudrez vous avoir l'amabilité de remettre ceci au Seigneur-Aile Gver ? Je crois que la proposition du monsieur qui l'envoie peut intéresser le Seigneur-Aile.

_Quelle proposition ? demanda Galdric en retournant la lettre

_Je l'ignore monsieur, je ne fais que porter le message et de répéter ce qu'on m'a dit de répéter. Bonne journée monsieur, le salua le poney en s'éloignant.

Galdric déchira l'enveloppe en sortit la lettre et la déplia. Il la lut quelques secondes et ses yeux s’écarquillèrent. Ah oui en effet. Le Seigneur Gver serait des plus intéressés par ce projet. De qui venait-il ? Le regard du griffon sauta jusqu'au bas de la lettre et il répéta dans son bec le nom qui accompagnait la signature.

Marquis Nobilitas.

¤¤¤

Celestia parcourut du regard sa chambre vide. Ou presque. Il n'y avait plus que quelques cartons qui n'étaient pas encore partis au château, dans ses nouveaux appartements. Elle aurait sa propre chambre cette fois, elle n'aurait pas à la partager avec Luna ! Elle serait un peu plus tranquille au moins avec plus d'intimité.

L'adolescente s'écarta pour laisser passer les pages chargés de déplacer ses affaires. Ça lui faisait drôle quand même de déménager. La dernière fois, c'était quand ils avaient bougé de leur belle maison de l'Elysium à Equestria en pleine nuit, presque sans rien. Luna n'était même pas encore née à l'époque. Celestia avait du mal à avoir des souvenirs précis de cette nuit-là mais se souvenait sans mal que ses parents l'avaient récupérée alors qu'ils étaient blessés et à demi-morts de fatigue.

Ils n'avaient jamais voulu dire à leur fille ce qui s'était passé. Déjà qu'une semaine avant cette nuit-là, ils l'avaient confiée à une voisine en urgence.

Ça avait vraiment été une période bizarre. Et ils avaient toujours refusé de revenir en détail dessus une fois à Equestria, expliquant simplement à Celestia qu'ils avaient dû fuir par sécurité.

Quelque part, l'adolescente espérait pouvoir retourner à l'Elysium un jour ou l'autre. Revoir son lieu de naissance, là où elle avait grandi pendant dix ans.

Elle soupira et descendit les escaliers. Le salon aussi était presque vide, hormis le sofa, toujours occupé par un Discord endormi. Il semblait aller mieux cela dit depuis quelques temps. Aztarté continuait de lui prodiguer des sorts de soins, mais il respirait déjà plus normalement et ses blessures avaient cicatrisé.

Celestia se dirigea jusqu'à la cuisine pour se servir un verre d'eau et revint au salon, boisson en patte. Elle se demandait bien ce qui avait pu attaquer son ami. Qui aurait bien pu en vouloir à Discord et pourquoi ? Par sécurité, Celestia demanderait qu'on attache des gardes du palais à la protection de son camarade. Elle était une princesse après tout maintenant, comme Luna et elle avait du pouvoir.

Celestia porta son verre à ses lèvres et le vida d'un trait. Mais quelque chose d'étrange se passa. Quand elle ramena son sabot à hauteur de ses yeux, elle vit qu'elle tenait toujours l'eau dans sa patte mais que le verre lui même avait disparu. Elle avait bu le verre ?

Sous le choc, Celestia lâcha le verre – ou l'eau techniquement – qui s'écrasa au sol en inondant la moquette. Elle se tâta le ventre, essayant de sentir si le verre avalé allait lui déchirer les entrailles. Mais rien. Elle n'avait pas eu mal et n'avait même plus soif. Comme si boire du verre était la chose la plus naturelle du monde.

_Ça n'a pas de sens, balbutia-t-elle en contemplant la moquette détrempée.

_Du sens ? répéta une voix à sa droite. Mais Celestia, comment cela peut-il être drôle si ça a un sens ?

L'adolescente tourna la tête sur le côté pour découvrir son ami, à demi-couché sur le flanc, qui la regardait en souriant.

Discord s'était réveillé.

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Enis
Enis : #9456
Le.coup.de.pute.de.Nobilitas.
Il y a 3 ans · Répondre

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