Site archivé par Silou. Le site officiel ayant disparu, toutes les fonctionnalités de recherche et de compte également. Ce site est une copie en lecture seule

Coup de blues au paradis

Une fiction écrite par BroNie.

Chapitre 2

Le temps était effroyable. Une pluie battante tombait sans discontinuer, transformant le grand terrain vague en marre boueuse. Les poneys avaient la crinière plaquée contre le visage, de larges rigoles creusées dans le pelage. Il faisait froid, et la boue commençait à saisir quelques malheureux aux sabots.

Pour autant, la foule n’aurait bougé pour rien au monde.

A quelques mètres du public, sur une scène tout juste protégée par une bâche dressée à la hâte, un groupe de jeunes poneys jouaient du mieux qu’ils pouvaient, essayant de se faire entendre par dessus le fracas de l’orage.

_J’ai demandé à Luna.

Et Celestia ne le sait pas.

Je lui ai montré mes brûlures.

La Princesse s’est moquée de moi.

Spitfire, lassée de devoir rabattre ses mèches hors de son champ de vision, avait fini par craquer, et noué sa crinière en un chignon malhabile, mais qui lui permettait au moins de voir clair. Elle grelottait à moitié, transie de froid. Ça lui apprendrait à aller à un concert sans manteau, tiens ! Haydochine ou pas Haydochine, elle allait se retrouver avec un rhume carabiné. Et avec les examens de l’académie qui approchaient, c’était pas le moment de tomber malade !

Elle renifla, cherchant Chocolate dans la foule. Son ami avait promis d’aller leur chercher du café, histoire de se réchauffer un peu, mais il avait disparu depuis bientôt dix minutes. Est-ce qu’elle devrait commencer à s'inquiéter ?

Les baffles crachèrent un larsen qui fit grimacer tout le public. La pégase rabattit d’instinct ses oreilles. Ouille.

Déjà qu’elle n’aimait que moyennement le groupe, mais si ça continuait comme ça...c’était bien pour faire plaisir à Chocolate qu’elle était là. Le terrestre avait gagné deux billets d’entrée pour le festival de musique de Hoofstock, un grand rassemblement en périphérie de San Franciscolt. Pendant trois jours, des dizaines et des dizaines de jeunes artistes se succédaient sur scène. Et même si les organisateurs attendaient du monde, ils avaient été visiblement dépassés. Des centaines et des centaines de poneys avaient trouvé un moyen pour accéder au festival, soit en sautant par dessus les palissades, soit en creusant par en dessous, et par mille autres moyens ingénieux. L’affluence monstrueuse n’avait pas diminué malgré le mauvais temps. La foule se pressait d’une scène à l’autre, toujours plus nombreuse. Beaucoup de poneys étaient venus avec des pancartes, sur lesquelles étaient marqués différents messages. Spitfire se souvenait d’un “levez de la bière, pas des troupes” qui l’avait bien fait rire. Avec l’aggravation de la pluie, ces panneaux étaient devenus des abris de fortune pour leurs porteurs. L’eau qui dégoulinait des pancartes emportait avec elle de larges portions de peinture qui venaient se mêler à la boue du terrain vague.

Un flash blanc illumina la foule, qui fit plisser les yeux à tous. Presque simultanément, un craquement extrêmement violent se fit entendre. L’orage s’était drôlement rapproché.

En théorie, des paratonnerres avaient été installés en bordure du festival, mais la pégase connaissait assez bien la foudre - l’académie demandant des connaissances météo poussées - pour savoir qu’ils n’étaient pas toujours suffisants.

La foule scrutait le ciel noir avec inquiétude, se demandant visiblement si le concert valait la peine de prendre le risque. En théorie, il n’y avait pas grand chose à craindre, mais quand même, quand on avait un orage au dessus de la tête, on voyait les choses autrement.

Même le groupe s’était momentanément arrêté de jouer, hésitant à poursuivre le concert, ou bien à se retirer en coulisses.

Le nouvel éclair qui tomba juste au sommet de la pancarte “Hoofstock” en haut de la scène, les décida à préférer la seconde option.

Comme si le starter d’une course de fond venait de donner son signal, la foule courut se mettre à l’abri, le plus loin possible du terrain vague, et de la foudre qui menaçait. Spitfire déglutit quand elle se rendit compte qu’elle était au beau milieu d’un mouvement de foule, bloquée avec des poneys paniqués, qui étaient à la limite de se marcher les uns sur les autres pour gagner quelques mètres. Le décor, avec les gouttes de pluie qui tombaient en cascade, et la boue qui emprisonnait les pattes, ressemblait de plus en plus à un film d’horreur au rabais.

Elle se força à avancer avant qu’une grosse licorne avec un chapeau ne lui rentre dedans. Mais elle était écrasée contre d’autres poneys, qui avaient autant de mal qu’elle à marcher. Elle joua des coudes, essayant de se frayer un chemin. Pas devant elle : c’était noir de monde, et tous les poneys allaient dans cette direction. Mais peut-être que si elle parvenait à déployer ses ailes, et à s’envoler...

Un nouvel éclair effraya la masse, qui se pressa encore plus vite vers la sortie. La vitesse surprit Spitfire qui se fit bringuebaler comme un vulgaire ballon de hoofby. Le temps qu’elle comprenne, elle était déplacée contre sa volonté, la cage thoracique écrasée contre l’échine d’une pégase à la crinière tressée.

La jument jaune aperçut une minuscule trouée à quelques mètres, et fit de son mieux pour l’atteindre. C’était compliqué d’aller dans un sens contraire à celui d’une foule quasiment en proie à la panique...elle se serait bien gardée de le découvrir.

A quelques pas de la trouée, elle dérapa dans la boue gelée. Elle sentit son cœur manquer un battement. Ça y est. Elle allait glisser, et être piétinée par tous ces poneys effrayés. Elle allait mourir ici, bêtement, stupidement, à un concert d’Haydochine ! Sans même être entrée à l’académie des Wonderbolts ! Sans jamais avoir embrassé un garçon de sa vie ! Sans…

Une patte mimosa l’agrippa par le sabot, et la tira hors de la foule, en sécurité sous les gradins. Emportée par son élan, elle se sentit partir comme un bouchon de champagne, percutant la personne qui l’avait sauvée.

Elle se frotta le crâne du paturon, persuadée qu’elle aurait une belle bosse. Mais mieux valait ça que de se faire passer sur le corps par une centaine de poneys effrayés.

Les étoiles qu’elle avait devant les yeux se dissipèrent et elle reconnut Chocolate, qui se tenait le ventre en grimaçant.

_T’as le crâne solide, dit-il d’une voix sifflante.

Elle comprit que c’était son sauveur. Sans réfléchir, elle se jeta à son cou en tremblant. Elle n’arrivait pas à se défaire de l’idée qu’elle avait failli se faire écraser vivante. Si Chocolate n’avait pas été là, elle…

_Je te cherchais depuis les gradins quand j’ai vu tout le monde paniquer, expliqua t-il en passant malhabilement son sabot dans la crinière rousse de la jument. J’ai foncé en bas pour essayer de t’aider. Oh merci Celestia, tu vas bien !

Les tremblements de Spitfire se calmèrent un peu. Le stress retombait. Et être dans les pattes de Chocolate avait quelque chose d’apaisant.

Elle leva les yeux vers lui, observant avec attention ses grands iris émeraudes. Chocolate était sans doute la seule personne qu’elle puisse considérer comme un ami. Elle était d’une nature plutôt solitaire, et en dehors des gens du cirque, de sa famille, elle ne se liait pas beaucoup. Même depuis qu’elle était à l’académie.

C’était un étalon agréable, sportif, et même assez séduisant si on mettait de côté cette bizarrerie génétique qui l’avait fait naître avec un pelage jaune pour une crinière violette.

Et il lui avait sauvé la vie, sinon, évité d’être sérieusement blessée dans un mouvement de foule.

Spitfire se souvint que quelques minutes auparavant, elle avait craint de mourir sans jamais avoir embrassé quelqu’un.

Il était temps de rayer ceci de sa liste.

Toujours collée contre Chocolate, Spitfire s’humecta les lèvres et approcha doucement la bouche de celle du terrestre. Quand leurs lèvres se frôlèrent, le cœur de la pégase manqua un nouveau battement.

Mais cette fois-ci, la peur n’en était plus du tout la raison.

Spitfire se réveilla, blottie contre son oreiller. Elle regarda à côté d’elle, surprise d’être seule dans le lit quelques secondes, avant qu’elle ne se souvienne que Soarin avait décidé de partir en excursion tôt ce matin, dans le nord de l’île. La pégase ayant décliné son invitation hier au soir, son petit ami y était allé seul.

La Wonderbolt sortit du lit, se dirigeant d’un pas peu assuré jusque dans la cabine de douche. L’eau brûlante qui jaillit de la pomme la réveilla quelque peu, effaçant le brouillard dans lequel elle nageait plus ou moins.

Front posé contre la paroi de la douche, sabots occupés à shampouiner sa crinière, Spitfire se rappela du rêve qu’elle avait fait cette nuit. Bien sûr, il avait fallu qu’elle repense à la première fois où elle avait embrassé Chocolate, ce, juste après avoir fait l’amour avec Soarin.

Saleté de cerveau.

Maintenant qu’elle repassait le film dans sa tête, elle se rendait compte que son imagination avait quand même un peu exagéré les choses. Elle n’avait jamais manqué de mourir broyée : la foule n’était pas si importante que ça, et même si l’orage avait fait peur à la tout le monde, on avait été loin d’un vrai mouvement de panique.

Par contre, c’était vrai qu’elle avait perdu l’équilibre, et que Chocolate l’avait relevée avant que quelqu’un ne lui marche dessus. Et qu’elle l’avait embrassé sous les gradins, comme si elle n’avait été qu’une écolière.

Le souvenir de ce premier baiser oscillait entre fierté, nostalgie, et une pointe de honte.

Fierté, car ce n’était pas rien dans une vie amoureuse. Nostalgie, car cela avait été un des moments les plus heureux de sa vie. Et honte, car elle aurait quand même aimé qu’il se déroule dans un cadre plus romantique que sous des gradins détrempés de pluie.

Spitfire passa la tête sous l’eau chaude, laissant le jet emporter shampoing, saleté, et dernières traces du sommeil. Elle tourna les robinets, sortit de la cabine, et se drapa dans un grand peignoir blanc, griffé des armes de l’hôtel. Attrapant une serviette-éponge, elle se confectionna un turban à la va-vite, et regagna la pièce principale.

Elle ne commanda qu’un petit-déjeuner léger au room-service. Il était déjà tard, et la pégase évitait de prendre un premier repas trop lourd quand midi approchait. Sinon, autant sauter purement et simplement le déjeuner.

Son plateau arrivé, Spitfire remercia le groom d’un signe de tête - pas de pourboire pour ce genre de choses, il ne fallait pas exagérer - et alla s’installer sur la terrasse. Elle parcourut le journal du jour en attendant que son café refroidisse.

Rien de très passionnant à signaler. Un fait divers insolite la fit glousser toutefois, signalant que deux pégases très éméchés, avaient dans la nuit, dérobé un pingouin au zoo de Maneapolis. L'animal avait été récupéré sans dommage dans la journée, et les deux étalons avaient été quittes pour une belle amande.

Elle reposa le quotidien, et scruta la mer, grignotant ses biscottes.

L'océan était turquoise, et Spitfire mourait déjà d'envie d'aller piquer une tête. Mais elle savait déjà très bien qu'elle n'aurait pas la tête à nager et à s'amuser. Pas avec cette pensée, cette envie qui tournait en boucle dans son esprit.

Y céder serait complètement adolescent. Maiiiiiiis...

Spit, ma pauvre fille, tu deviens complètement gamine avec l’âge.

Elle tira la chaînette de la porte qui carillonna joyeusement. Si tant est qu’une sonnette puisse être contente, mais Spitfire n’avait de toute façon, pas l’esprit aux questions métaphysiques.

Le bungalow était plutôt chic vu de l’extérieur : bois blanc, persiennes, hamac sur la terrasse...qui plus est, il n’était pas situé avec les autres résidences, mais à l’écart, vers les falaises de l’île.

Déjà qu’une chambre dans l’hôtel coûtait la peau de la croupe, Spitfire n’osait imaginer combien déboursait Chocolate pour s’offrir un luxe pareil. Et surtout, comment est-ce-qu’il avait eu les moyens de régler la facture ? Il avait gagné à la loterie, ou quoi ?

C’était vrai que dans ses souvenirs, l’étalon était un chanceux. Mais il y avait quand même des limites.

La porte s’entrouvrit, révélant l’œil vert de Chocolate.

_Salut C, lança la pégase. C’est moi.

Voilà que sans réfléchir, elle utilisait son vieux surnom. Au tout début de leur relation, ils s’étaient moqués de voir à quel point leurs patronymes confirmaient leurs clichés de race : Chocolate Cake le terrestre, et Spitfire la pégase. Stupide, vraiment.

D’un commun accord, les deux amants avaient décidé de se trouver des surnoms à eux. Ils n’avaient pas fait compliqué : Chocolate était devenu C, et Spitfire, raccourci en Spit. C’était à partir de ce moment qu’elle avait commencé à s’approprier ce diminutif, et à se faire appeler ainsi par ses plus proches amis.

Mais c’était à Chocolate que revenait l’honneur de l’avoir utilisé le premier...entre autres choses qu’ils avaient fait ensemble pour la première fois.

Le terrestre ouvrit la porte en entier, s'écartant pour laisser passer Spitfire.

_Je t'attendais pas aussi tôt, confessa t-il, d'un ton où la surprise se mêlait à la joie.

_Tu me connais. Quand on me propose un coup à boire ou un repas gratuit, je suis pas la dernière à en profiter.

_Qu'est-ce qui te fait croire que je t'invite ? demanda Chocolate d'un air pince-sans-rire.

_T'es un gentlecolt, je te connais, répondit-elle sur le même ton. Tu laisserais pas une pauvre jument dans l'embarras parce qu'elle a oublié de prendre de l'argent avec elle quand elle est sortie.

Échange fugace de sourires.

Ils faisaient tous deux référence à l'habitude qu'ils avaient eu quelquefois, de sortir sans leurs bits, pour se faire inviter par l'autre. Plus une blague qu'un vrai coup tordu, leur technique imparable s'était retourné contre eux le jour où ils avaient tous deux laissé leurs bourses à la maison. Spitfire se souvenait encore à quel point ça n'avait pas été facile de fuir le diner, spécialement le ventre allourdi de toutes ces glaces et ces pancackes.

_Et puis t'as l'air de t'en sortir pas mal, glissa t-elle en découvrant le décor.

Ce dernier était luxueux. Mais même dans l'opulence d'Hoowai, l'intérieur du bungalow accrochait l’œil. Les peintures accrochées au mur donnaient l'impression d'être véritables, plutôt que des reproductions, et Spitfire ne pouvait s'empêcher de noter le grand piano à queue d'angle. Qui pouvait avoir les moyens de louer un bungalow avec un piano dedans ?

_Oui, dit l'étalon en se grattant la crinière du sabot, comme si le sujet le mettait un peu mal à l'aise. J'ai pas trop à me plaindre.

_Et dire que je t'ai connu qui négociait le prix d'un colta-cola au bar, souffla Spitfire en faisant quelques pas.

_C'était avant, ça. Le petit vendeur fauché n'est plus là.

_Dommage, ne put s'empêcher de lancer la pégase à brûle-pourpoint. Je l'aimais bien moi, le petit vendeur fauché.

Un signal s'alluma dans sa tête. Le genre de signal que son cerveau lui envoyait quand elle savait qu'elle s'engageait sur une pente glissante. Du genre faire ce genre de remarques à son ex qu'on avait pas revu depuis des années, alors qu'on était en couple. Ce genre de choses.

Chocolate toussota pour dissiper le silence qui venait de se glisser à la suite de la phrase de la wonderbolt. Il désigna le salon du sabot.

_Installe-toi, dit-il aimablement. Je vais nous chercher à boire.

Spitfire prit place près de la table basse, sur un gros pouf blanc. Deux autres coussins identiques encadraient la table. Chocolate revint, tenant dans sa gueule un plateau sur lequel étaient posés deux verres, et plusieurs bouteilles.

_Je sais pas ce que tu voulais, sourit le terrestre en déposant le plateau, alors je t'ai apporté deux-trois trucs du minibar.

Spitfire loucha sur les bouteilles, relevant l'âge du whisky, ou l'origine de la vodka.

Encore une fois, c'était le genre d'alcool qui coûtait une patte entière. C'était évident que Chocolate avait bien réussi professionnellement, elle ne l'aurait pas croisé à Hoowaï sinon, mais à ce point ?

Il était étonnant. Spitfire ne se souvenait pas de Chocolate comme d'un étalon particulièrement travailleur. Bon vivant oui, amusant oui, et bourré d'un tas de qualités. Mais il avait tendance à se borner au minimum syndical, et à ne pas trop donner dans le zèle.

Peut-être qu'il avait changé, et s'était mis à bosser d'arrache-sabot. Ou bien peut-être qu'il avait gagné au loto. Allez savoir.

_Et voilà pour l'apéro, ajouta le terrestre en apportant un assortiment de petits fours aux herbes.

_Quiche à la luzerne et canapés au cresson ? demanda Spitfire après avoir senti le plateau. Je vais encore devoir faire de l'exercice pour éliminer tout ça.

_T'es une sportive, lui répondit-il du même ton joyeux en prenant place sur un pouf. T'y arriveras.

Spitfire gloussa avant de se rendre compte que la gêne qu'il y avait entre eux hier était désormais envolée. Ils parlaient tous les deux autour de l'apéritif, comme des amis qui s'étaient perdus de vue depuis longtemps. Ce qu'ils étaient en fin de compte. Et il n'y avait aucun mal à ça. Non, aucun mal à ça.

_A propos de sport, dit-il en se servant un verre d'alcool amer, je m'attendais pas à ce que t'ailles aussi loin. A l'académie, je veux dire.

_Je faisais partie des cadettes les mieux notées, je te ferais dire.

Spitfire avait toujours été très fière de ses classes militaires. Elle, la petite pouliche de la balle, la pégase de rien du tout qui avait dû travailler encore plus dur que les autres, éviter les coups tordus des envieux, et clouer au poteau ceux qui essayaient d'avancer par leurs relations, plutôt que par leurs compétences.

_Oui, ça je m'en souviens, lâcha t-il en déposant deux glaçons dans son verre. Mais quand même : passer d'apprentie...

_Cadette, le corrigea t-elle, se servant un kir.

_Cadette, se reprit-il, à chef d'escadrille. Et directrice de l'académie en plus. En seulement dix ans !

_Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? rit-elle en haussant les épaules. Je suis douée, c'est tout.

Spitfire trempa le bout des lèvres dans le kir. Il était très bon, mais le goût était différent de ce à quoi elle s'attendait.

_Crème de framboise et champagne, lui expliqua Chocolate en notant son air étonné. On appelle ça un kir impérial. Comme un kir royal quoi, mais en mieux.

La pégase jaune hocha la tête dans une mimique d’approbation. Elle n'avait beau pas raffoler des alcools, elle devait bien admettre que celui-ci était particulièrement savoureux.

Chocolate fit tourner son verre dans le sabot, attendant que les glaçons refroidissent.

_Et toi ? demanda t-elle brusquement. Qu'est-ce que tu as fait pendant tout ce temps ?

_Ben tu te souviens que la vente de jouets, ça allait un moment, hein ? questionna t-il réthoriquement avec une ombre de sourire. Quand j'ai eu l'occasion de trouver quelque chose de mieux, j'ai pas traîné.

Le sourire ne fut pas partagé cette fois ci. Elle ne savait que trop bien que c'était pour des opportunités professionnelles que Chocolate avait dû déménager de Ponyville, et rompre de fait leur liaison. Des séparations, elle en avait vécu d'autres depuis. Son cuir s'était endurci.

Mais la première avait été dévastatrice.

_C'était un copain qui avait racheté un fond de commerce à Maresseille. Un caviste. Je me suis donc retrouvé à vendre des bouteilles de vin, et des alcools.

_T'as réussi à te retenir de boire tout ton stock ?

C'était une plaisanterie. Mais le ton était à la limite du mordant. La remarque nonchalante de Chocolate sur son avenir professionnel avait rejeté du sel sur des plaies que la pégase n'avait jamais tout à fait cicatrisé. Elle s'était préparée pourtant : il était évident qu'en le questionnant sur son passé, il allait mentionner son travail dans le sud. Mais Spitfire ne s'était pas attendue que ça fasse encore aussi mal.

_J'ai réussi la plupart du temps, répondit-il d'un air amusé, sans relever – ou sans vouloir relever – le ton sec de la jument. Et on faisait quand même attention. Même si y a eu cette fois après notre première grosse vente, où on a débouché une bouteille de champagne pour fêter ça. Je sais pas comment on a fait le coup, mais on a réussi à expédier le liège dans l'oeil du client. Du coup, il a eu un mouvement de recul automatique et bam ! Dans les grands crus qu'il venait de choisir.

Spitfire ne put faire autrement que pouffer à l'image mentale d'un Chocolate effaré voir son client se vautrer dans les bouteilles de vin.

_Et depuis vous évitez d'ouvrir le champagne au travail ?

_Non, la corrigea t-il, on l'ouvrait après que le client ait signé.

Le pouffement devint gloussement, puis un éclat de rire tout à fait franc. Le terrestre lui, préféra dignement tremper les lèvres dans son verre de vin.

_Du coup, t'es caviste ? questionna t-elle, une fois son rire calmé.

_J'étais. Pendant huit ans et demi, presque neuf. Je m'étais pas attendu à ça, mais j'aimais vraiment travailler dans le vin. Conseiller les clients, découvrir de nouveaux cépages, voir la réputation de la cave grandir avec les années. On a même racheté deux concurrents. J'irais pas jusqu'à dire que c'était l'unique cave de Mareseille, mais on pesait quand même.

_T'as dit “j'étais”, nota Spitfire. Qu'est-ce qui t'a fait arrêter si t'aimais ça ?

Pour la première fois depuis qu'elle le revoyait, un voile d'amertume et de tristesse nimba quelques secondes les yeux d'émeraude de l'étalon.

_Les affres de la vie, on va dire.

Chocolate souriait toujours, mais c'était un rictus de pure forme, un sourire de clown blanc.

Il ferma les yeux, but quelques gorgées de son verre, souffla par les naseaux comme pour expulser ces mauvaises pensées, et quand il releva les paupières, il était redevenu aussi enjoué que d'habitude.

_Maintenant, je profite de la vie. Je fais une pause. Je m'accorde quelques années sabatiques comme on dit...faire le tour du monde, essayer d'écrire enfin ce roman idiot de fantasy qui me trotte dans la tête depuis que je suis ado...ce genre de choses, quoi.

_D'où les vacances à Hoowaï.

Il leva son verre à moitié vide en un toast exagéré.

_Et le prix de la plus brillante détective de la principauté est accordé à...

_C'est méchant de se moquer, dit-elle souriante, lui donnant un petit coup de patte sur le bras.

Elle réalisa soudain que c'était la première fois qu'ils se touchaient physiquement depuis dix ans. Et quelque part...à moins que son esprit ne lui joue des tours...elle avait l'impression que la sensation n'avait pas changée. Que son pelage avait toujours la même texture, sa peau, la même chaleur.

Elle se rendit tout aussi rapidement compte du danger de ce genre de pensées. Mais c'était peut-être ça qui faisait d'elle une bonne Wonderbolt : le danger, elle savait l'apprivoiser.

Vous avez aimé ?

Coup de cœur
S'abonner à l'auteur

N’hésitez pas à donner une vraie critique au texte, tant sur le fond que sur la forme ! Cela ne peut qu’aider l’auteur à améliorer et à travailler son style.

Chapitre précédent Chapitre suivant

Pour donner votre avis, connectez-vous ou inscrivez-vous.

Aucun commentaire n'a été publié. Sois le premier à donner ton avis !

Nouveau message privé