LDS - Chapitre 23

Cadence galopait dans le tunnel, sourde à la douleur de ses blessures et au point de côté qui commençait à lui tordre le flanc. Le couloir s’enfonçait dans le roc sur des dizaines de mètres, carré et sombre. Elle finit cependant par distinguer une vague lueur orangée, devant elle. Elle débarqua dans une vaste caverne, éclairée et chauffée par des braseros. De nombreux autres tunnels et des volées d’escaliers s’ouvraient tout autour. Elle pila à l’entrée, ignorant quel chemin prendre. Un nouveau choc sourd retentit derrière elle, faisant frémir la montagne toute entière. Peu après, un cri strident s’éleva dans le lointain, porté en écho par le labyrinthe de tunnels. L’alicorne rose trembla. C’était la voix d’une jument. Ce ne pouvait être que Twilight. Elles se tourna en tous sens, dans l’espoir de déterminer d’où avait surgi le cri. Après un instant d’hésitation, elle se lança dans un des tunnels d’en face. Il s’étirait lui aussi sur plus d’une centaine de mètres au coeur de la roche. Un nouveau cri retentit, plus proche. La princesse de cristal se força à accélérer. Elle commençait à sentir sa magie s’évanouir, peu à peu absorbée à mesure qu’elle s’enfonçait au coeur de la mine. L’air et la roche eux-mêmes semblaient imprégnés du poison qui la privait de son pouvoir. Elle continua malgré tout, galopant dans les couloirs à la lueur des torches.

Spike tirait de toutes ses forces sur le manche de la lance, dont la pointe était enfoncée dans la serrure de la cellule. De l’autre côté, Célestia, désespérée, se pressait contre les barreaux.

- Arrête, Spike ! fit-elle d’une voix tremblante, au bord des larmes. C’est inutile !

- Non ! protesta l’assistant. Je vais vous sortir de là et nous allons la sauver !

Il tirait sur l’arme autant qu’il pouvait, faisant levier dans l’espoir de parvenir à forcer le verrou. Il n’était cependant pas assez fort. La manche pivota et il lâcha prise avant de s’étaler au sol.

- Laisse moi et va la rejoindre ! le supplia Célestia. Ne la laisse pas seule, je t’en prie !

Spike croisa le regard désespéré de la grande alicorne. Les larmes lui montaient aux yeux, à lui aussi. Il tourna la tête dans la direction où les bouquetins avait emmené Twilight. Il se releva et, après un dernier coup d’oeil échangé avec Célestia, s’éloigna en courant, incapable de dire un mot de plus. D’autres cellules remplies de ténèbres s’alignaient le long du mur, toutes vides. Une intersection s’ouvrait, une vingtaine de mètres plus loin.

- Spike !

Le jeune dragon pila net, au bord de l’arrêt cardiaque. Le cri perçant avait jailli du tunnel qu’il venait de croiser. Une silhouette chevaline galopait vers lui dans les ombres. L’alicorne se rua sur lui, manquant de le heurter.

- Cadence ?! parvint à articuler le jeune dragon. Comment...

- Où sont Twilight et Célestia ?! l’interrompit-elle, les yeux écarquillés. Où sont-elles ?!

Spike se tourna vers la cellule de Célestia, trop choqué pour pouvoir parler. Sans attendre, Cadence galopa dans la direction indiquée. Un instant plus tard, l’assistant secoua la tête pour retrouver son sang froid et lui emboîta le pas aussi vite qu’il put.

- Cadence ! lança Célestia, toujours pressée contre les barreaux. Il a emmené Twilight !

La jeune alicorne croisa le regard de son aînée, puis ses yeux se posèrent sur la lance, dont la pointé était toujours enfoncée dans le trou de la serrure. Sans un mot, elle s’avança vers le manche et s’appuya dessus de tout son poids.

- Non ! protesta Célestia. Ne t’occupe pas de moi ! Vas l’aider !

- Pas sans vous ! souffla Cadence en grimaçant.

Spike arriva alors et, sans que Cadence n’ait besoin de le lui demander, il se joignit à elle. Le bois du manche grinçait, mais le métal de la serrure commençait lui aussi à se tordre. L’alicorne et le jeune dragon redoublèrent d’effort. Juste avant que l’arme n’atteigne son point de rupture, le verrou céda. Alors que Cadence et Spike s’effondraient au sol, Célestia se rua hors de la cellule et s’élança dans le couloir.

- Vite ! lança-t-elle, la voix cassée par la panique.

Un nouveau cri de détresse retentit dans le lointain. La princesse et le jeune dragon se relevèrent avec peine et s'élancèrent à leur tour.

Les gardes poussèrent Twilight dans la pièce, leurs lances pointées sur elle, menaçants. Namar s’avançait au devant, sans un regard en arrière. Ils se trouvaient à l’entrée d’une salle circulaire, éclairée par des lampes à huile fixées aux murs. Au centre, un grand bassin rond s’enfonçait dans le sol. D’épais barreaux de fonte partaient du muret qui en faisait le tour et filaient à la verticale pour former une cage circulaire. Des grosses pierres rouges étaient incrustées à intervalle régulier dans les blocs qui composaient le muret. Une dizaine de bouquetins s’affairaient dans la salle. Quand Namar et sa captive entrèrent, tous tournèrent le tête vers eux, soudainement silencieux. Une seconde plus tard, sans que l’Ibex n’ait besoin de leur lancer d’ordre, ils se remirent à l’ouvrage.

Dès que les yeux de Twilight se posèrent sur l’installation, une nausée abominable lui retourna les entrailles. Des images de cauchemar lui assaillaient l’esprit, crépitant comme des flashs. La nuée empoisonnée qui se répandait sur Equestria comme une vague de sang, Célestia hurlant de douleur, elle-même s’abattant dans le blizzard, à bout de force. Elle se redressa sur ses pattes arrières, battant l’air de ses antérieurs, dans l’espoir vain de pouvoir s’échapper, mais quelque chose la frappa dans le dos et elle tomba à terre. Les pattes des gardes la soulevèrent de force et la traînèrent vers la machine. Terrassée par la douleur et la nausée, elle n’avait plus la force de résister. Elle se força à lever la tête et croisa le regard de Namar. Le souverain se tenait en retrait, dos à la cage.

- Je regrette, souffla-t-il. Je n’ai pas d’autre choix.

La jeune alicorne sentit ses sabots heurter la première rangée de marches. Elle leva à nouveau la tête vers la cage, dont la porte était ouverte devant elle. Elle sentait le poison la tirer vers l’intérieur, comme si des centaines de bras invisibles se déployaient pour la saisir et l’entraîner de force. Elle raidit ses pattes, ses sabots crissant sur le seuil de pierre. Sourds à sa résistance, les gardes la poussèrent et la firent tomber en avant dans le bassin. La porte se referma aussitôt, l’enfermant dans la cage. Alors qu’elle tentait de se relever, une migraine intolérable lui vrilla les méninges. Une tempête de pensées se levait en elle, la même qui avait agité son esprit juste avant que le premier contre-sort ne déferle. Les souvenirs de son cauchemar l’assaillirent de plus belle. Célestia, prostrée au milieu des ténèbres rougeoyantes, hurlant de douleur. Au dessus du chaos, elle entendit alors sa propre voix, comme si elle se murmurait à elle même au milieu de la tempête.

« Je suis prête à prendre le risque. En tant qu’alicorne, je partagerai votre sort. »

C’était ce qu’elle avait dit à Célestia, quelques heures plus tôt. En tant que princesse d’Equestria, elle partagerait le lot de souffrance de ses consoeurs.

Les pierres autour du bassin se mirent à luire, comme des rubis étincelants. Twilight sentait la magie bouillir dans chaque parcelle de son corps, dans chaque miette d’elle-même. Un hurlement de détresse s’éleva, lui déchirant les tympans. Il lui fallut plusieurs secondes pour se rendre compte que ce cri provenait de sa propre gorge.

Devant l’entrée de la mine, Chrysalis et les changelins qui l’entouraient lançaient leur dernier rayon sur la paroi de pierre, vaporisant les quelques mètres de roche qui les séparaient encore des tunnels de la mine. La lueur verte s'éteignit, révélant le boyau fumant qu’ils venaient de forer. Alors que la reine s’élançait, le cri et la tempête se levèrent en elle. Par réflexe, elle s’immobilisa, les pattes repliées, comme une araignée piégée par le froid. C’était bien plus fort que la fois précédente. Alors qu’elle n’avait qu’à peine senti les signe avant-coureurs du premier contre-sort, aujourd’hui elle les ressentait avec netteté. La vague se formait au coeur de la montagne, bien plus haute, bien plus menaçante que la précédente. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne les balaye à nouveau. Les changelins qui la suivaient s'arrêtèrent en voyant leur reine frémir. Eux-mêmes ne sentaient pas la tempête se lever, mais ils percevaient le trouble de leur souveraine. La lueur glauque brilla de plus belle dans leurs yeux, et ils s’élancèrent en vrombissant dans la crevasse qu’ils venaient de percer, sur les talons de leur reine.

Ils se déversèrent comme un ras de marée dans le labyrinthe de tunnels. Les quelques mineurs et les gardes qu’ils croisèrent furent aussitôt submergées par la masse grouillante et furieuse. L’essaim progressait vers le coeur de la mine. L’avant-garde finit par croiser une voie ferrée, posée au milieu d’un des couloirs qui croisaient le tunnel. Des bruits sourds et de vagues échos de voix retentissaient sur la gauche. Sans hésiter, les changelins se précipitèrent et suivirent les rails à toute allure. Au bout d’une demie minute de course, ils arrivèrent dans une vaste salle, creusée en plein coeur du pic.

Devant eux, au centre de la grotte, le sol était excavé sur des dizaines de mètres de profondeur. Des grues à vapeur se dressaient tout autour, entourées de caisses et de chariots. D’épaisses colonnes de pierres avaient été laissées en place pour servir de pilier et soutenir le plafond, loin au dessus. Des galeries étançonnées s’ouvraient sur tout le pourtour de l'excavation. Des rails parcouraient le sol en tous sens et partaient comme les bras d’une étoile vers les autres tunnels. Une poussière brun-rouge emplissait l’atmosphère. Au moins une cinquantaine de bouquetins et de chamois travaillaient dans le bruit et la saleté.

Immédiatement, un frisson collectif parcourut les créatures insectoïdes. Ils étaient au centre de la mine, au coeur du gisement de minerai. Ceux qui volaient retombèrent au sol mais restèrent sur leurs pattes, sans flancher. Tout comme ils s’étaient engouffrés dans le tunnel, ils s’élancèrent dans la salle, se déversant comme une marée noire. À peine les mineurs eurent-ils le temps de les apercevoir qu’ils tombaient déjà à la renverse sous leurs assauts. Les changelins qui s’aventurèrent au fond de la cavité finirent par s’affaler au sol, terrassés par les effets du minerai, mais d’autres continuaient à surgir dans la salle, comme une vague sans fin.

Chrysalis entra à son tour, escortée de près par une dizaine de ses enfants. Aussitôt qu’elle eut posé le sabot dans la salle, une migraine intolérable lui vrilla le crâne. Elle se courba, les yeux fermés, une grimace de douleur sur le visage. Sa garde se précipita pour la soutenir et la remettre debout. La reine recula en titubant. Une fois qu’elle se fut éloignée de quelques mètres, elle s’approcha du mur et s’appuya contre la paroi rocheuse.

- Trouvez-les, grinça-t-elle vers ses suivants.

Le changelin le plus proche croisa son regard puis galopa vers la salle. D’autres remontèrent le tunnel pour partir explorer le reste de la mine. Chrysalis leva la tête, toujours en prise avec sa migraine. La vague continuait de grandir, prête à déferler.

Dans le poste de pilotage du dirigeable caprésien, Rainbow Dash et la cinquantaine de pégases et changelins qui l’avaient suivie dans l’écoutille de l’engin encerclaient les derniers membres de l’équipage encore en état de résister. Une quinzaine de bouquetins assommés gisaient déjà le long des cloisons métalliques. Les changelins vrombissaient avec fureur, prêts à fondre sur le reste de l’équipage. Le commandant et une dizaine d’autres se tenaient au centre de la salle, les yeux rivés sur leurs assaillants.

Rainbow Dash était tendue comme un arc, les pattes campées sur le plancher, prête à bondir. Alors qu’elle s’apprêtait à donner le signal de l’assaut, un frisson lui parcourut l’échine. Instinctivement, elle tourna la tête vers la vitre, où les pentes rocheuse de la montagne se dessinaient dans la grisaille. Une impression désagréable l’assaillit. Elle entendait une voix murmurer à son oreille. Ce n’était pas des paroles, mais un cri lointain, affaibli par la distance jusqu’à ne plus être qu’un murmure. La voix de Twilight. Une goutte de sueur lui coula sur le front. Son amie était en danger. La vague qui les avaient tous cloués au sol quelques jours plus tôt s’apprêtait à déferler à nouveau.

Le commandant caprésien perçut son trouble. Avant qu’elle n’ait pu réagir, il lança un cri et bondit vers le gouvernail, bousculant les changelins qui lui barraient le chemin. Il se précipita sur la roue et la fit tourner d’un geste brusque. Les changelins bondirent sur lui et le plaquèrent au sol, mais déjà le vaisseau tanguait vers la droite. Dans un grincement, le sol s’inclina. Les pégases et les changelins se ruèrent sur les bouquetins, dans une cacophonie de cris et de vrombissement d’ailes.

Dans le vallon aux pieds du pic, Rarity, Applejack et le docteur Ulrich étaient penchés sur le corps inanimé de la princesse Luna, couchée sur un lit de mousse. Les quatre pégases qui l’avaient amenée se tenaient debout à côté, inquiets et à bout de souffle. L’alicorne marine respirait avec difficulté, le souffle rauque, le visage crispé. Au loin, un kilomètre plus haut, le fracas du combat à l’entrée de la mine continuait à retentir.

- Il faut enlever le minerai qu’elle a dans le pelage et les ailes, s’empressa Ulrich avec anxiété. Trouvez un ruisseau, vite !

Applejack et les pégases s’élancèrent avec empressement, s’éparpillant dans toutes les directions. Rarity s’approcha à son tour de la princesse, le front plissé. Même à un mètre de distance, elle sentait l’effet du poison qui imprégnait le corps de l'alicorne. Elle frissonna. Ses yeux croisèrent ceux du vieux bouquetin.

- Je ne peux rien faire, souffla-t-il, la tête basse. On ne peut qu’espérer qu’elle en a avalé le moins possible.

- Par ici ! lança Applejack

Les pégases revinrent et les aidèrent à transporter la princesse jusqu’au ruisseau qui coulait au fond du vallon, au milieu des rochers. Ils la couchèrent avec délicatesse au milieu du courant. Quand son corps toucha l’eau froide, l’alicorne frissonna, toujours inconsciente. Les étalons s'écartèrent pour laisser place à Rarity et Applejack. Les deux juments ouvrirent les ailes de la princesse avec précaution, laissant l’eau lui couler sur les plumes et les laver de la poudre qui les souillait. Rarity frémit à nouveau en sentant le poison s’écouler au fil du courant.

Une nouvelle déflagration retentit alors du côté du pic. Tous levèrent la tête vers les hauteurs, les oreilles dressées ou plaquées en arrière sur la tête. Une brise désagréable se levait, froide et sifflante. Le frisson qui parcourait l’échine de la licorne ne faiblit pas. Rarity ferma les yeux. Au milieu du sifflement, elle percevait un cri lointain, atténué par la distance mais toujours perceptible. Un tremblement incontrôlable s’empara d’elle. Elle se laissa tomber au sol, les pattes pressées sur son front. Sa corne s’était soudainement mise à la brûler, comme si elle venait de lancer cinquante sorts de suite.

- Rarity ! lança Applejack en se tournant vers elle.

- Ça recommence ! souffla la licorne en levant les yeux vers elle. C’est Twilight, je l’entends crier !

La terrestre tourna à nouveau la tête vers le sommet de la montagne, les yeux écarquillés. Luna, toujours inconsciente, se mit à battre des pattes avec force, comme en plein cauchemar. Les pégases se précipitèrent pour la sortir de l’eau et l’étendre sur la berge. Applejack se pencha à nouveau sur elle, mais le frisson la parcourut à son tour. Elle se dressa sur ses pattes, droite comme une baguette, les yeux grands ouverts.

- C’est Twilight ! bégailla-t-elle. Je… Je la sens !

Elle croisa le regard paniqué de Rarity, toujours prostrée dans l’herbe. Les regards apeurés d’Ulrich et des pégases passaient de l’une à l’autre sans savoir quoi faire.

Twilight sentait son esprit s’étendre dans toutes les directions. Dans la salle, les pierres enchâssées brillaient comme des braises. Namar détourna les yeux face à l’intensité de l’éclat. L’air bourdonnait, le sol de pierre frémissait. Une odeur fétide de métal chauffé emplit soudainement l’atmosphère. L’éclat se renforça encore. Un souffle balaya la pièce toute entière, projetant les bouquetins les plus proches contre le mur.

Au centre de la cage, au milieu de l’éclat et des volutes grésillantes, Twilight se tenait dressée, les membres en croix, la crinière hérissées sur sa nuque, comme électrocutée. Sa tête était rejetée en arrière, la mâchoire pendante. Ses yeux étaient eux aussi grands ouverts, leurs pupilles réduites à des têtes d'épingles.

Alors que les caprésiens sonnés se relevaient, un bruit de cavalcade résonna dans le couloir.

- Twilight !

Spike, Célestia et Cadence surgirent du tunnel qui menait à la salle. Dès qu’elles furent entrées, les deux alicornes s’effondrèrent au sol, la tête entre les pattes. Spike continua sa course, se ruant vers la cage. Il saisit les barreaux à pleines mains mais poussa aussitôt un cri strident. Il bondit en arrière, pressant ses paumes brûlées contre son ventre. Twilight, dans sa cage de souffrance, perçut le cri de son assistant. Elle sentait sa présence près d’elle, et celle de Célestia et Cadence non loin.

- Princesse… souffla-t-elle au milieu des cris qui rugissaient dans ses pensées.

Sa conscience disloquée s’étendait comme les vagues d’une pierre tombée dans l’eau. D’autres esprits touchaient le sien, loin dans les profondeurs de pierre. D’autres encore, hors de la montagne et au-delà. Elle touchait l’esprit de chaque habitant d’Equestria. Des milliers de voix hurlantes remontaient jusqu’à elle, tremblantes de peur. Elle percevait ses consœurs alicornes, brillantes comme des soleils dans les ténèbres. Cinq autres esprits, ceux des amies si chères à son cœur, resplendissaient de mille feux. D’autres étincelaient encore aux quatre coins de sa conscience. Spike, son frère, ses camarades de Poneyville. Elle était liée à chacun d’eux, et eux à elle. Leurs voix mêlées tonnaient comme une cascade rugissante.

L’onde se déversa alors. La vision de Twilight fut envahie par un voile blanc éblouissant. De chaque poney lié à elle, un courant de magie s’éleva et traversa l’éther aussi vite qu’une pensée. Ils affluèrent en elle, la remplissant de la puissance dont ils privaient chaque victime du sort. L’énergie traversait son corps avant d’être aspirée par les pierres. Elle était le réceptacle qui recueillait la magie avant qu’elle ne disparaisse.

Un crissement strident, à la limite de l’ultrason, retentit dans la salle. Tous les bouquetins se plaquèrent les sabots contre les oreilles. Spike se remit sur ses pattes, malgré sa brûlure et la vague qui lui soulevait le cœur. Célestia et Cadence se forcèrent également à se lever et se traînèrent vers la cage. Le corps de Twilight était entouré d’une lumière rouge aveuglante.

- Twilight ! lança Célestia en approchant de la cage.

Une paire de cornes la heurtèrent de plein fouet et la projetèrent au sol. Du coin de l’œil, elle devina la silhouette de Namar, tête baissée. Les anneaux d’or autour de ses cornes reflétaient la lueur qui flambait dans la cage.

- C’est la fin de la magie ! lança le souverain par dessus le tumulte. Qu’espérez-vous faire ?!

Au dessus d’eux, les barreaux de la cage se mirent à rougeoyer, comme sous la flamme d’une forge. Une poignée de secondes plus tard, ils se liquéfièrent complètement et retombèrent comme des filets d’eau. De grosses gouttes de métal en fusion tombèrent sur le dos de Namar, qui se cabra en hurlant. Célestia en profita pour ramper hors de sa portée. Les blocs qui formaient le bassin se fracturaient, fumants comme les bords d’un volcan. La magie du monde était toute entière concentrée là, dans le corps de l’alicorne torturée et les pierres étincelantes qui l’entouraient. L’ensemble saturait, submergé par l'afflux de puissance qui le noyait. La vague lancée par Célestia avait parcouru un millier de kilomètres, mais celle dont Twilight servait à présent de source englobait le monde, aspirant toute forme de magie sur sa route. C’était bien trop pour un seul corps, bien trop même pour la montagne de minerai autour d’eux. L’anti-magie, noyée sous le flux incessant qu’elle ne pouvait plus absorber, s’échauffait comme un morceau de métal lancé dans les braises.

Cadence profita que les barreaux de la cage avaient disparu pour bondir dans le basin. Elle heurta Twilight et la projeta au dehors. Quand la jeune princesse heurta le sol de pierre, l’éclat insoutenable s’affaiblit, mais le bruit strident ne s’interrompit pas. Twilight gisait sur le sol, secouée de spasmes. La multitude de cris continuait à hurler dans son esprit. Les innombrables flux de magie convergeaient toujours vers elle mais, au lieu de la traverser avant d’être aspirés par le cercle de pierre, ils s’accumulaient en elle, la remplissant de leur puissance. Une boule d’énergie pure grandissait dans ses entrailles, prenant racine aux quatre coins du monde. Son corps entier s’illumina, chaque poil de son pelage dressé sur sa peau.

- Twilight ! lança Cadence en claudiquant vers elle.

Elle voulut prendre le visage de sa cadette dans ses pattes, mais la peau de Twilight était brûlante. Cadence baissa alors sa tête et laissa sa corne toucher celle de sa consoeur. La princesse de cristal lâcha un cri quand une partie de la puissance se déversa en elle, lui brûlant les nerfs comme un fer tiré des braises. Célestia se traîna jusqu’à elles et joignit sa corne aux leurs. Les pierres autour du bassin continuaient à briller comme des fournaises, saturées du pouvoir accumulé en elles, incapables de le dissiper. Les blocs de maçonnerie se craquelaient en grésillant. Le plafond et les murs se couvraient de crevasses. Déjà, des fragments de roche se détachaient de la voûte pour tomber au sol. Les bouquetins encore conscients fuyaient.

- Sire, sortez ! lança l’un d’eux en galopant vers Namar. C’est la surcharge !

L’Ibex, le dos brûlé, était toujours prostré au sol, près de ce qui restait du bassin. Le bouquetin l’épaula pour l’aider à se relever, mais le monarque le repoussa d’un geste brusque. Il leva la tête, ses yeux noirs braqués sur les trois alicornes.

Dans le chaos de son esprit, Twilight prit conscience de la masse de roc qui menaçait de s’abattre. Elle sentait Célestia et Cadence à ses côtés, unies avec elle dans la douleur. D’autres présences brillaient encore dans la salle. À peine fut-elle parvenue à former la moindre ébauche de pensée que la magie jaillit autour d’elle, comme les éclairs dans un nuage d’orage. Au moment où le plafond cédait, le voile de protection se déploya, bloquant la pluie de pierre. Une bulle étincelante jaillit du néant et enveloppa la salle entière. Tous furent soulevés dans les airs, traversant l’avalanche rocheuse. Ils s’élevèrent toujours plus hauts dans le pic, traversant la pierre rendue sans consistance. La bulle étincelante creva la surface et continua son ascension

Alors que Twilight s’élevait dans les airs, elle se sentit regagner son corps. La constellation d’esprits scintillait toujours dans ses pensées, mais les flux qui la reliaient à eux s’étaient inversés. L’anti-magie, saturée, submergée, ensevelie sous les tonnes de roche, lâchait son emprise. La puissance qui gorgeait le corps de la jeune princesse remontait les fils qui l’avaient menée à elle et s’en retournait vers ceux que le contre-sort avait privés de leurs forces. En quelques secondes, le foyer d’énergie qui la brûlait se dissipa, éclaté en milliers de parcelles qui filèrent comme des éclairs vers ceux à qui elles avaient été arrachées. Elle sentait les habitants d’Equestria retrouver leurs forces. Au quatre coins du monde, la magie s’en retournait vers ses propriétaires. Les lumières d’esprit qui constellaient sa conscience s’éteignaient à mesure que les peuples retrouvaient leurs pouvoirs, comme les étoiles à l’approche de l’aube. Cependant, avant que tout ne disparaisse, ce qui restait de puissance en elle se déploya pour ralentir sa chute. Après une descente qui lui parut interminable, la jeune alicorne sentit ses pattes toucher le sol avec douceur. Elle se laissa tomber sur le sol, vidée de toute force. La tempête hurlante s’était tue, laissant son esprit silencieux.

Sa poitrine se soulevait avec douleur. Chaque inspiration était une torture. Son corps la brûlait comme si elle avait été toute entière plongée dans un bain de métal en fusion. Cependant, elle avait survécu. Célestia et Cadence l’avaient soutenue, la soulageant d’une partie de la puissance dévastatrice.

Célestia et Cadence ?!

La jeune alicorne se força à rouvrit les yeux. Elle ne put d’abord rien distinguer d’autre qu’un grand flou clair, mais peu à peu sa vision se fit plus nette. Elle reconnut les rochers, le ciel, les nuages gris qui l’encombraient. Elle était couchée sur une pente rocailleuse couverte d’une mince couche de neige. Des flocons dansaient devant son museau, portés par le vent. Twilight resta étendue, incapable de faire un seul mouvement. Elle ne sentait ni le froid de la neige ni le vent sur sa peau, accaparée par la douleur. Elle était seule dans la montagne désolée, sans forces, paralysée.

Ses yeux toujours ouvert finirent par distinguer une silhouette voûtée qui bougeait dans la grisaille. Elle voulut parler, mais aucun son ne put franchir ses lèvres. La silhouette s’avançait vers elle avec lourdeur, comme en boitant. Alors qu’elle s’approchait, Twilight reconnut les immenses cornes et la longue barbe châtain. Namar marchait vers elle, le dos voûté. Son pelage était brûlé là où les gouttes de métal en fusion étaient tombées, un filet de sang lui maculait le front et le cou et il ne s’appuyait plus que sur trois pattes. La toison sur ses flancs étaient arraché par endroits, révélant de nombreuses plaies et écorchures. Ses yeux emplis de rage étaient fixés sur la jeune princesse. Twilight s’ordonna de se lever pour fuir, mais ses pattes ne lui répondait plus. Elle ne pouvait détacher le regard du souverain qui s’approchait toujours en boitant. Sans dire un mot, l’Ibex leva la patta avec raideur, un morceau de métal acéré dans son sabot fourchu. Un éclat de haine brillait au fond de ses yeux.

- Restez où vous êtes, Princesse, gronda-t-il.

Twilight était toujours paralysée. Son regard paniqué et brouillé par la douleur était rivé sur le monarque, à présent dressé à moins d’un mètre d’elle.

Alors que le vieux bouquetin s’approchait encore, une forme blanche galopa vers eux. Célestia heurta Namar de plein fouet, tête en avant. Il écarquilla les yeux, la bouche entrouverte. Le morceau de métal lui échappa et tomba dans la neige. Quand Célestia se recula, sa longue corne blanche était couverte de sang. L’appendice de la princesse venait de perforer le ventre du souverain, y ouvrant une plaie profonde d’où le sang s’écoulait déjà. Namar s’écroula à terre. Sans prêter attention à lui, Célestia se précipita vers Twilight, toujours couchée au sol. La grande alicorne portait elle aussi de multiples égratignures et traces de coups. Sa crinière et sa queue, maculées de poussière, tombaient toujours avec lourdeur. Elle se pencha sur son ancienne élève, les pattes tremblantes, le visage creusé de rides.

- Twilight, c’est moi ! Je suis là ! Reste éveillée, ne me laisse pas !

L’alicorne lavande leva le regard vers son aînée, les yeux embués de larmes. Célestia baissa la tête pour frotter une nouvelle fois sa corne contre celle de son apprentie, sans se soucier du sang qui la recouvrait toujours. Elle pressa ensuite sa joue contre la sienne, la gorge serrée par les sanglots. La respiration de Twilight se calma.

Leur étreinte fut interrompue par un vrombissement de moteurs au dessus d’elle. Célestia leva la tête vers le ciel, l’émotion laissant place à la terreur sur son visage. Le dirigeable caprésien survolait la pente enneigée. La princesse du jour se leva d’un bond et se dressa au dessus de Twilight, comme pour la protéger. Cependant, au lieu de tirer, le dirigeable fit retentir sa corne de brume avant de ralentir avec lourdeur. Plusieurs silhouettes ailées voltigèrent vers elles.

- Princesse ! Twilight !

Rainbow Dash fila vers elle comme un météore avant de se laisser tomber dans la poudreuse, bientôt suivie par cinq ou six autres pégases. Quand elle l’eut reconnue, Célestia fit un pas de côté et se laissa retomber au sol, soupirant de soulagement. La pégase bleue se précipita vers son amie tandis que les autres entouraient Célestia pour l’aider à se relever.

- Non, souffla l’alicorne blanche et les repoussant. Emmenez-la d’abord.

Elle leva la patte vers Twilight, couchée à côté d’elle.

- Remontez et ramenez un brancard ! lança Rainbow vers les autres pégases. Vite !

Tandis que quatre pégases s’envolait pour retourner au vaisseau, la voltigeuse à la crinière arc-en-ciel se pencha vers son amie.

- Tiens bon, Twilight. On va te sortir de là.

La jeune alicorne croisa son regard, les yeux brillants de joie malgré sa douleur. Elle ferma ensuite les paupières avec soulagement. Son flanc continuait de se soulever avec peine, mais plus paisiblement.

- Célestia !

L’alicorne blanche et les pégases tournèrent la tête dans la direction d’où avait surgi le cri. À quelques dizaines de mètres, Cadence et Spike s’approchaient au trot. Quand ils aperçurent Twilight, étendue dans la neige, ils se précipitèrent vers elle. Cadence se laissa tomber à côté de sa belle-soeur, désormais endormie.

- Elle s’en sortira, la rassura Célestia. Le pire est passé.

La princesse de cristal soupira de soulagement. Elle leva ensuite la tête vers sa consoeur blanche. Quand elle aperçut le sang désormais à moitié séché qui couvrait sa corne, elle écarquilla les yeux.

- Où est Namar ?

Célestia tourna la tête vers l’endroit où le souverain s’était effondré, mais il avait disparu. La neige sur laquelle il était tombée était tassée et imbibée de sang. La trace rouge se poursuivait plus loin, jalonnée d'empreintes. Célestia se releva et suivit la piste sanglante du regard. Épaulée par Cadence, elle suivit la trace au pas.

Elles retrouvèrent le souverain une quarantaine de mètres plus loin, couché dans la neige, au milieu des rochers. Une nouvelle flaque de sang était en train de se former à côté de lui. Cadence s’immobilisa mais Célestia se dégagea et s’approcha encore. Elle contourna le corps immobile du bouquetin afin de lui faire face. Il respirait avec difficulté, les paupières closes. Quand il entendit Célestia s’avancer, il entrouvrit les yeux. L’alicorne le fixa avec froideur, sans la moindre émotion.

- Il n’y a plus rien à faire, souffla-t-il d’une voix faible.

Il ferma les yeux avec douleur, secoué par une quinte de toux, la bouche remplie de sang. Quand il rouvrit les paupières, il détourna les yeux pour échapper au regard de l’alicorne.

- Je ne pensais pas que cela finirait comme ça, parvint-il à articuler. Mais j’aime autant que ce soit vous plutôt qu’un autre.

Il se tut ensuite mais garda les yeux ouverts, le regard perdu dans la neige et la grisaille. Cadence rejoignit Célestia et se tint à côté d’elle, silencieuse. Les paupières du souverain finirent pas se fermer à nouveau. Sous le regard des princesses, son flanc cessa de se soulever et il expira pour la dernière fois.