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Discors Consentus

Une fiction écrite par Nochixtlan.

Chapitre 12 : The Darkness

La situation a dégénéré à un point que je n’aurais jamais imaginé.
Depuis ce dernier cri de dragon, ce dernier coup de trompette apocalyptique, j’ai été forcé de contempler le monde partir à la dérive.
Trois jours exactement après le cri, comme d’ordinaire, survint le signe de l’Apocalypse annoncé. Une violente vague d’énergie spirituelle balaya mon esprit un très court instant, juste assez pour me faire vaciller. Cette énergie était empreinte d’une malignité à la hauteur de mon propre génie diabolique, et également d’une violence et d’une soif de sang que je n’ai jamais rencontrée jusqu’alors. J’en conçus presque de la crainte.
Evidemment, les questions me vinrent en masse, comme à tout être doué d’un minimum de sens commun. Que représentait cette énergie ? Quel sens cela avait-il en tant que signe apocalyptique ? D’après mon prêtre personnel, les morts devraient se lever de leur tombe après que la cinquième trompette ait résonné. Rien que ça, m’étais-je dit, plein d’assurance.
Le futur m’a montré que mon arrogance serait rapidement punie.

Rapidement, les prières de mes fidèles se multiplièrent. Je ne pus pas plus qu’auparavant les exaucer, mais je notais une nouvelle tendance dans les quelques jours qui suivirent.
Tous priaient instamment que le cauchemar cesse.
De quel cauchemar parlaient-ils ? Mon prêtre ne put pas m’apporter de précisions sur ce mal étrange qui semblait subitement s’attaquer à la population mondiale et à nos ouailles.

Dans mon dernier sermon par internet, j’évoquais cette épidémie de mauvais rêves apparemment répandue parmi notre communauté, et faisais mon possible pour calmer mes fidèles. Cependant, l’efficacité du sermon fut très limitée. Je n’avais aucune idée de ce qui assaillait ces gens, et je n’avais par conséquent aucune idée pour les délivrer de leurs tourments. Et cela était quelque peu gênant car malgré ma puissance égale à celle d’un dieu, je ne parvenais pas à deviner la menace qui planait au-dessus de nos têtes, et surtout parce que cela représentait un certain danger.
En effet, bien que mes fidèles m’aient accordé un surcroît de puissance en priant comme des âmes en peine, si je m’avérais incapable de régler ce problème, leurs prières perdraient rapidement de leur intensité, et je me retrouverais vite aussi perdu et dénué de pouvoir qu’à mon arrivée dans ce monde de fous.

Quelques jours plus tard, que j’ai vécus l’un après l’autre harassé par des prières incessantes, la télévision m’offrit les précisions dont j’avais besoin.
Apparemment, ce cauchemar s’était généralisé à une plus grande échelle que celle simple de mes suivants. Une bonne partie de la population semblait être victime de terreurs nocturnes, que les présentateurs de journaux télévisés ne purent se priver de décrire.
Les adolescents et les enfants surtout semblaient touchés par ces hallucinations. Lorsque la lumière quittait les recoins sombres de certaines pièces, ils voyaient des paires d’yeux luisants apparaître et s’approcher d’eux, leur ôtant tout pouvoir de hurler ou de prendre la fuite.
Intéressant… J’ai fait quelques recherches sur ce phénomène étrange, et il semblerait qu’il s’agisse d’une maladie neurologique rare appelée « paralysie du sommeil ». Les malades sont sujets à de terrifiantes hallucinations, et se trouvent dans l’impossibilité totale de crier pour appeler à l’aide ou de se lever, d’où le nom de « paralysie ».

Chose étrange, après un rapide tour nocturne, j’ai découvert que bon nombre des Messins vivant dans le voisinage souffraient de cette affection monstrueuse. Parmi eux, évidemment, se trouvait une bonne douzaine de mes plus proches fidèles, et je résolus de me pencher sur leur cas. Cette maladie m’intriguait, et je comptais bien les étudier pendant leur sommeil.

La nuit venant, je pénétrai discrètement chez l’un deux, un quadragénaire célibataire. Sachant que la maladie ne frappait théoriquement pas sa tranche d’âge, j’en déduisis que son cas serait source de forts enrichissements culturels.
Bien sûr, l’homme fut surpris et effrayé de me voir ainsi dans sa demeure – il faut admettre que je n’ai pas l’apparence la plus amicale qui soit – mais se calma rapidement, heureux de voir que je me déplaçais en personne pour m’intéresser à son cas particulier.
Après l’avoir écouté raconter un cauchemar répétitif dont la nature ne m’était plus inconnue, je l’enjoignis de se calmer, d’aller se coucher tranquillement, alors que je m’installais non loin et patientai calmement, veillant auprès de son chevet, afin de tester ses réactions. Il m’avait dit auparavant que ses cauchemars s’étaient déclarés seulement quelques jours auparavant, et revenaient une nuit sur deux depuis. Apparemment, je tombais bien, puisque la nuit précédente avait été libre de toute terreur nocturne. Ce soir devait donc être le bon soir.
Le début de la nuit fut calme. Je demeurai immobile, ne laissant échapper pour seul son que le souffle de ma respiration. La victime dormait à quelques mètres de moi, d’un sommeil aussi paisible que possible malgré l’attente du terrifiant phénomène qui ne manquerait pas de se produire.
Pendant plusieurs heures, je méditais ainsi, dans mon coin, attendant qu’un quelconque signe de trouble se déclare chez mon brave sbire.
Je réfléchissais, profitant du silence de la nuit pour me concentrer à mon aise sur les problèmes que je rencontrais en ce moment.

Tout aussi frustrant que cette pandémie de paralysie du sommeil qui frappait mes suivants comme une vague de la pire des pestes, je n’avais toujours aucun signe d’Harmonie et de celles qui portaient les Eléments d’Harmonie, et encore moins des Eléments eux-mêmes. Ils avaient tous purement et simplement disparu. Et les quelques personnes que j’avais convaincues d’entreprendre une recherche active de ces vermines avaient été totalement désorganisées par la survenue de toutes ces catastrophes successives, ce qui ne facilita pas le retour de résultats. Elles me filaient à présent tranquillement entre les doigts.
Concernant les Eléments, je n’en avais aucune nouvelle. Et sachant que depuis ma petite intervention télévisée tout le monde savait plus ou moins où j’avais installé mon quartier général, il était logique de penser que si ces maudites ponettes les avaient eu en leur possession, elles seraient venues me débusquer. J’étais donc pour l’instant en paix pour gérer ce chaos mondial.
Vers deux heures du matin, j’entendis un faible raclement dans la pièce. Tous les sens en éveil, je cherchai la source de ce bruit, sans rien trouver au premier regard.
Je sentis rapidement une présence. Une présence ni réellement amicale, ni proprement maléfique. J’eus beau scruter de toutes mes forces l’obscurité régnant dans la pièce, rien n’y fit. La présence demeurait invisible.
Je quittai la chambre en traversant la fenêtre, et me postais en embuscade à l’extérieur, afin de voir quel effet cela aurait sur notre visiteur nocturne.
Pensant que je m’étais absenté pour de bon, celui-ci ne tarda pas à se montrer. Une paire d’yeux brillants apparut, comme je m’y attendais, et avança lentement vers le lit ou reposait sa proie, qui avait ouvert les yeux et transpirait par tous les pores, en proie à une panique aussi soudaine qu’innommable.
Je passai à nouveau à travers la paroi de verre et me ruai sur la paire d’yeux. D’un coup de serre, je saisis ce qui devait être le crâne de la créature, portant les yeux lumineux.
Je créais ensuite une flamme verte au creux de ma main, qui embrasa la totalité de l’agresseur.
Je pus ainsi contempler la silhouette vaguement humaine, devenue la proie des flammes surnaturelles, sifflant sous la douleur. Malgré les langues de feu qui la léchaient de toutes parts, j’avais parfaitement pu me faire une idée de la nature de cette créature.
Elle était faite entièrement d’ombre. Un pur condensé de ténèbres orné de deux lanternes rougeâtres en guise d’yeux. Ni un être vivant, ni un pur esprit. Quelque chose à la frontière entre deux mondes.
Il me fallait en apprendre davantage.

La créature se tordait encore de douleur sous le feu qui la consumait. Je la soulevai du sol par télékinésie, et la plaquait contre un mur, maintenant une pression mentale aussi forte que possible pour l’empêcher de s’échapper.
Ayant eu vent au gré de mes pérégrinations terrestres que les esprits des morts avaient un rapport particulier avec les miroirs, je fis venir jusqu’à la chambre un des miroirs de l’appartement, d’environ un mètre de large, sous le regard toujours terrifié de mon pauvre suivant qui s’était recroquevillé dans un coin de son lit.
En effet, j’ai su par quelques-uns des plus vieux de mes fidèles que j’ai convertis « manuellement » que lors d’une veillée funèbre, il fallait absolument couvrir tous les miroirs de la maison, de peur que l’esprit du macchabée ne s’y réfugie. J’allais mettre cette ancienne croyance à l’épreuve.
Je posai le miroir à terre, et d’une forte poigne mentale, je déplaçai l’ombre au-dessus de celui-ci. En y mettant la volonté suffisante, je pressai la face de la créature contre le miroir, et parvint à lui faire pénétrer la surface de verre. Je levai le miroir pour vérifier qu’elle s’y trouvait bel et bien, ce qui m’arracha un sourire de satisfaction, puis le couvris d’un drap que j’empruntai à mon fidèle, en assurant ce dernier qu’il ne serait plus troublé par cette créature.
Ce qui était à la fois vrai et faux. Cette créature-ci ne lui causerait plus de mal, mais si son engeance était bien la raison pour laquelle le monde entier était atteint de paralysie du sommeil, il n’y avait aucune raison qu’un de ses semblables ne prenne pas le relais pour tourmenter notre ami. Ce qui ne me gênait à vrai dire pas le moins du monde, tant que je comprenais ce qu’il se passait sur cette maudite planète.
Je ramenai le miroir dans le Temple, et le posai contre un mur dans ma crypte. La chose qui se trouvait à l’intérieur s’agitait toujours frénétiquement, sifflant et crachant, tentant de griffer la surface de verre pour s’extirper de sa prison, mais en vain.
Je l’observai quelques instants. Sachant que le simple fait que je quitte la pièce avait fait croire à cette créature que j’étais parti pour de bon, j’en déduisis qu’elle est relativement stupide, et animée par un instinct plutôt que par des pensées réfléchies.
Voilà qui semblait parfaitement approprié pour me servir d’outil.

Pendant les jours qui suivirent, je tentai de percer le mode de fonctionnement de ce que j’appelais l’Ombre, en référence au Peuple de l’Ombre dont elle était issue.
Ne disposant pas d’esprit à proprement parler, la tâche était terriblement ardue. Elle ne pensait pas de la même manière qu’un être humain – elle ne pensait même pas. Ce qui la motivait, j’ai fini par le comprendre, était le seul et unique désir de s’incarner à nouveau. Et pour cela, elle disposait d’une arme assez formidable, la maladie que nous nommons paralysie du sommeil. J’ai découvert grâce à internet que la paralysie du sommeil était le prélude à ce que les humains nommaient le Voyage Astral, qui n’était ni plus ni moins qu’une expérience de sortie du corps, durant laquelle l’âme du voyageur quittait son enveloppe de chair, qui devenait libre pour des esprits tels que le Peuple des Ombres.
Seulement, ceux-ci ne disposaient pas de la puissance nécessaire pour extirper l’âme de leur victime de leur corps, et tentaient chaque nuit à nouveau leur chance, espérant que, mue par un quelconque instinct, leur victime quitte son corps.

Après plusieurs jours de travail, je parvins enfin à faire effectuer à l’Ombre un geste communiqué par ordre mental. Pour plus de plaisir, je lui ordonnai de se mettre un coup de poing en pleine figure.
En constatant ma réussite, je ris comme un dément pendant facilement trente secondes. J’étais parvenu à instaurer un contrôle mental sur une bête sans âme, sans cervelle, et cette bête était capable de transgresser les lois de la matière !
Je travaillai avec encore plus d’ardeur par la suite à me fabriquer une véritable marionnette. Bientôt, j’avais cerné tous les mécanismes, toutes les réactions induites par des stimuli plus ou moins discrets. Cette Ombre était devenue un véritable pantin prêt à servir mes quatre volontés.
Il m’en fallait d’autres. Chaque nuit, j’en localisai une, puis partait la capturer à l’aide du miroir que j’avais récupéré. Chaque nuit, mes rangs ténébreux grossissaient.
Lorsque je fus rompu au contrôle mental de cinq ombres, tant la nuit que le jour, tant en état de sommeil qu’en état de veille, autant dire cinq jours plus tard, je décidai de les lancer dans une mission sans ma supervision. J’étais parvenu à instaurer dans leur instinct bestial quelques commandements simples, notamment celui de revenir d’elles-mêmes dans le miroir au lever du jour, je n’avais donc pas à m’inquiéter de les perdre.
Leur mission était aisée : plutôt que de me déplacer en personne, j’envoyai mes cinq sous-fifres trouver, attaquer et emprisonner leurs congénères. En une nuit, huit nouvelles Ombres étaient apparues dans mon miroir.
Après les avoir asservies comme il se devait, je me mis à chercher avec acharnement un moyen de me décharger totalement de la responsabilité d’implanter manuellement mes commandements dans l’instinct de chaque créature. Au bout de deux jours de recherches, je réussis à toutes les reprogrammer : dorénavant, leur instinct ne leur dictait plus de traquer les humains pour leur voler leur corps : elles traquaient les leurs, et grâce à leurs faibles talents de contrôle mental, parvenaient à les faire adhérer d’elles-mêmes à ma cause.
Dès lors, la croissance de mon armée de l’Ombre fut exponentielle. Je les chargeai rapidement de ne s’en prendre qu’aux Ombres qui rôdaient dans les habitations où vivaient mes fidèles, ce qui me rapporta une masse incroyable de nouvelles prières de personnes qui avaient été converties par la force de la terreur et de la pression imposée par le manque de sommeil.
Mes deux armées, vivante et non-morte, grossissaient à une vitesse qui aurait dû être alarmante pour les humains, mais rien n’y fit. Les dirigeants considérèrent la conversion de masse qui s’engageait comme le fruit d’une réaction de panique totalement normale et prévisible devant le chaos qui affectait l’ordre mondial ; les gens cherchaient à se rassurer en se tournant vers une nouvelle fausse divinité qui promettait le changement d’un système qui s’était écroulé.
Rien que pour le passage de la « fausse divinité », j’envoyai une quinzaine d’ombres le terroriser pendant plusieurs jours. Il fit rapidement une nouvelle déclaration publique, prétendant à une révélation, le jour suivant la nuit pendant laquelle il avait hurlé comme un enfant et souillé ses draps sous le regard vide de mes Ombres, et que j’étais apparu pour le « sauver ».

Il me plaît de jouer ainsi avec les gens, et ces créatures étaient une véritable manne céleste pour exercer mon hobby favori. Incroyablement nombreuses, d’une bêtise exemplaire pour un contrôle facilité et tout-à-fait terrifiantes, elles étaient le parfait outil secret d’un chef comme moi. Nul doute cependant que si j’avais su ce qu’était la peur, je ne me serai pas lancé dans une aussi folle entreprise.
Mais au pire, ces créatures ne m’inspirent que du mépris et du dégoût. Après tout, ce ne sont jamais plus que les esprits des morts, de cadavres pourrissants enterrés six pieds sous terre dans un quelconque cimetière morne et ennuyeux –passez-moi le jeu de mot – à mourir.

Plus important encore que tout le reste : en plus de m’accorder une suprématie indiscutable et une mainmise directe sur l’ensemble des populations humaines survivantes aux drames de ces dernières semaines, j’avais découvert un élément de traque idéal.
En effet, j’ai détaché une demi-douzaine d’Ombres sur les traces d’Harmonie et de ces six héroïnes de pacotille. En les envoyant visiter l’appartement de la jeune femme, il semblerait qu’elles aient pu identifier les résidus énergétiques lui correspondant, comme un limier l’aurait fait avec la piste d’un renard, et j’ai ainsi pu les lancer à sa recherche.
Les ombres étaient infatigables, insensibles, et impitoyables. Ce n’était qu’une question de temps avant que je mette la main sur ma proie.
Enfin.

 

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