Loki ouvrit les yeux, entendant du mouvement à proximité. Twilight dormait toujours contre lui, avec une expression qui se rapprochait de la paix sur le visage. Le coyote poussa délicatement la patte de la licorne qui reposait sur son flanc, et se dégagea de son étreinte. Elle dormait toujours.
Il était incroyablement gêné. Il avait conscience que Twilight avait subi un fort traumatisme – lui-même n’était pas sûr de pouvoir dormir seul pendant plusieurs mois après ça – mais il était clair qu’elle éprouvait plus que de l’amitié pour le coyote. Pourquoi se serait-elle pendu à son cou ainsi, sinon ? Pourquoi avait-elle voulu l’empêcher de retourner à l’intérieur de la demeure hantée, si ce n’était par peur pour lui ? La dévotion envers les amis pouvait expliquer ce second fait, mais pas le premier.
Cela lui pesait sur le cœur. Car contrairement à la licorne, le canidé n’avait pas de tels sentiments pour elle. Décevoir son amie, une des seules qu’il ait jamais eu, pour une bête histoire comme celle-là était une véritable plaie.
Il se leva, et découvrit Harmonie qui était en train de préparer un frugal petit déjeuner à base de biscuits et de fruits récupérés dans les cuisines de la bâtisse. Elle avait récupéré la totalité des affaires qu’ils avaient abandonné la veille dans la chambre, et semblait aller bien, quoiqu’encore légèrement secouée par les terribles évènements qui s’étaient produits lors de cette nuit funeste.
- Bien dormi ? dit-elle en souriant à son frère.
- Comme si j’avais dormi sur des cailloux. Oh, mince, c’est le cas, ironisa l’animal.
- T’es con.
- Trop d’honneur.
Il s’installa à côté d’elle, et attrapa un petit beurre laissé sans surveillance.
- Dis donc, j’ai l’impression d’avoir raté un épisode. Depuis quand miss Sparkle te colle comme ça ? Parce que vous avez l’air bien proches, remarqua Harmonie à voix basse.
- Depuis hier, je le crains. Elle a dû bien cacher son jeu jusqu’ici, mais le stress a dû la forcer à se laisser aller. Si ça se trouve c’est rien en fait. Juste le contrecoup de la peur. Enfin j’espère.
- Et ça te fait quel effet ?
- Je trouve bien bizarre que tu t’intéresse plus à ma vie sentimentale qu’à ce qui à failli tous nous tuer hier soir, gronda le coyote.
- Ca fait un moment que je suis levée, et j’ai eu le temps de réfléchir, figure toi. Je préfère te poser la question maintenant, pendant que tout le monde dort, et t’écouter faire le compte-rendu de ce qui se trouve là-dedans après, quand nos chères ponettes pourront l’entendre. On peut être terrifié, frigorifié, se sentir seul et déprimer, ça n’enlève pas le droit de réfléchir.
Le coyote en resta bouche bée. Il ne s’attendait vraiment pas à ce genre de réplique.
Il vérifia que les poneys dormaient encore, et dit à voix basse.
- Pour être franc, je suis bien embêté. Si elle est vraiment amoureuse de moi, je crains de ne pas pouvoir lui rendre.
- Sérieux ? Pourtant tu avais l’air de bien t’entendre avec elle. Deux rats de bibliothèque ensemble, en plus des grosses têtes…
- Et alors ? Justement, on est trop semblables. On pense quasiment de la même façon. Ce serait comme si je sortais avec toi.
- Je vois. Tu le ferais ?
- Non, espèce de tarée ! En plus, t’as vraiment une tronche à faire peur.
- Je prends ça comme un compliment, venant d’un monstre comme toi.
- Oh, va te faire voir chez les grecs, s’ils existent encore.
- Ouais. Et sinon, y en a pas une dans tout ce joli petit monde qui fait battre ton cœur ?
- Mais qu’est-ce que ça peut te foutre, à la fin ? Non, je passe pas mon temps à me demander avec qui je pourrais sortir !
La mine d’Harmonie s’assombrit brutalement.
Loki rabattit les oreilles sur la nuque, inquiet d’un si brusque changement.
- Désolé, je ne voulais pas te vexer, s’excusa piteusement le coyote.
- C’est rien, t’en fais pas.
- Qu’est-ce qui ne va pas ?
- Je m’inquiète pour ton avenir, voilà ce qui ne va pas. Il y a de bonnes chances qu’on meure tous dans ce monde de dingues. On a toujours aucune idée du moyen de vaincre Discord, ni de ramener les poneys en Equestria. Il y a probablement des démons partout, du côté des humains ça doit être la pagaille complète. Tu comprends pourquoi je pense qu’on va mourir ici.
- Dis pas ça… et pourquoi tu t’inquièterais pour moi ? A t’entendre, personne ne sera sauvé…
- Non. Mais la différence, c’est que je ne veux pas que tu disparaisses sans avoir connu ce qu’est l’amour.
- Quoi ? Harmonie, c’est n’importe quoi, pourquoi tu me parle d’un truc pareil maintenant ?
- Parce qu’on est passés près de la mort cette nuit, répondit sèchement la jeune femme en serrant les dents. Ecoute, moi, c’est foutu. Je n’aurais jamais connu l’amour d’un homme autre que le tien. Et ce n’est pas dans un monde comme celui-là que ça arrivera. Pourtant, je pense que pour avoir réellement vécu, il faut avoir aimé. Je sais qu’elles ne sont pas de la même espèce que toi, mais elles te ressemblent quand même physiquement. Et Twilight semble avoir un faible pour toi. Tu as encore la possibilité de tomber amoureux, Loki, et si on doit tous mourir, j’aimerais que tu le fasses en ayant au moins une fois connu le bonheur d’être aimé ainsi.
- Harmonie… Je ne peux pas tomber amoureux comme ça, du jour au lendemain, soupira le coyote avec lassitude.
- Je sens qu’il y en a bien une parmi elles qui ne te laisse pas indifférent. J’es suis sûre. Fonce Loki. Ne foire pas ta vie.
Un silence tendu s’installa entre le frère et la sœur. Aucun bruit ne se fit entendre, pas même le souffle du vent, pendant plusieurs minutes.
Bientôt, Applejack se réveilla, entraînant dans son mouvement Pinkie, Fluttershy et Rarity. Twilight dormait encore, rattrapant le contrecoup du stress de la veille, et Rainbow était toujours assommée par la quantité de médicaments que lui avait administré Harmonie.
- ‘Lut tout l’monde, dit Applejack a la cantonade.
- Bonjour, dirent Pinkie et Fluttershy d’une voix neutre.
- Hello, bâilla Rarity.
Tout ce petit monde s’assit en cercle autour d’Harmonie, qui leur servit un assortiment de fruits avec trois petits beurres chacune. Sans autre forme de procès, Applejack s’empara d’une pomme et croqua dedans à pleine dents.
- Ca va ta gorge, AJ ? s’enquit Harmonie.
- Ouais, ça va mieux. J’ai encore un peu mal là où ce…truc a planté sa griffe.
Rien que d’évoquer ce souvenir terrifiant, Fluttershy en avait des frissons. Elle aussi avait mal vécu les évènements de cette nuit.
- Ces choses qui nous ont attaqué… bégaya-t-elle, il y en a partout maintenant, c’est ça ?
- Oui, répondit Loki. Si un portail vers le monde des morts s’est ouvert, il y a de fortes chances que le monde soit en train de subir une invasion en règle.
- Que va-t-on faire alors ? s’inquiéta Rarity. Si nous ne pouvons plus nous approcher de la civilisation – tu as bien dit que ces créatures vivaient plus au contact des humains, Harmonie? – il va falloir que nous continuions à survivre comme nous le pouvons dans la nature, mais que va-t-on faire pour les Éléments d’Harmonie ? Nous ne savons toujours rien à leur sujet, et nous en avons besoin pour défaire Discord, et sûrement pour rentrer chez nous.
- Je crains que nous n’ayons pas d’autre choix, fatalisa Loki. Ici, précisément, nous sommes à la merci de ce qui vit là-dedans. S’ils trouvent le moyen de sortir, nous sommes fichus. En ville, je sais pas ce que ça peut donner, il doit y avoir une quantité abominable de saletés là-dedans. Ne restent que les terres sauvages.
- Tant qu’on reste loin de Discord, tout me va. On ne sera pas moins en sécurité qu’ailleurs en restant dans le monde sauvage, dit Harmonie.
- Je l’espère en tous cas. Mais il faut qu’on se tire d’ici, continua Loki.
- Attends attends attends, l’interrompit Applejack. T’as dit que ces trucs pouvaient sortir ? Pourquoi on est restés dehors cette nuit alors ? On aurait pu y passer !
- Théoriquement, ces bestioles n’ont pas assez d’énergie pour s’aventurer à l’extérieur. Elles sont limitées par l’énergie déjà présente dans la maison et sont bornées à l’intérieur. L’énergie ambiante à l’extérieur du bâtiment n’est pas assez forte pour leur permettre ne serait-ce qu’exister. Ils sont liés à l’emplacement de leur mort, et le démon est lié à sa principale source de tourments qui le nourrissent, à savoir les Ombres.
- C’est compliqué, je comprends rien, se plaignit Pinkie.
- Moi, c’que j’ai compris, reprit la paysanne, c’est qu’ces trucs restent coincés dans les bâtiments. Donc tant qu’on reste en extérieur, on est tranquilles, c’est ça ?
- C’est ça, confirma Harmonie.
Il y eut du mouvement non loin. Twilight se réveillait enfin. Elle s’étira lentement, se frotta les yeux, et vint s’asseoir dans le cercle, s’éloignant sciemment de Loki.
- Bien dormi, Twi ? s’enquit Harmonie.
- On va dire que oui.
Elle gardait les yeux baissés. Elle éprouvait sans doute de la honte, et Loki remarqua qu’elle évitait soigneusement de regarder dans sa direction ou dans celle dans laquelle Rainbow Dash était étendue. Elle était honteuse, c’était évident.
- Qu’est-ce que j’ai raté ? demanda la licorne en faisant flotter une assiette préparée par Harmonie jusqu’à elle.
- Pas grand-chose, répondit Rarity. Nous allons juste repartir en vadrouille comme des vagabonds.
- On ne peut pas rester ici, c’est sûr, lâcha Twilight avec un sourire odieusement forcé.
Elle se cachait derrière cette apparente ironie, tout le monde le sentait. En réalité, les poils hérissés de son dos et de petits tremblements dans les pattes trahissaient son besoin de fuir l’endroit.
Le silence s’installa à nouveau. Plus personne n’osait parler, n’ayant rien de pertinent à dire ou préférant le garder pour soi.
Quand Rainbow pu enfin se tirer de son coma médicamenteux avec force gémissements de douleur, le pégase vint avaler son petit déjeuner avec un air maussade. Ses ailes pendaient lamentablement sur ses flancs, leurs extrémités frottant sur le sol. Chaque mouvement arrachait une grimace de douleur au pégase, et elle se sentait nauséeuse.
Dès que Rainbow eut avalé ce qu’elle pouvait, Harmonie fit un dernier raid dans l’armoire à pharmacie afin de vérifier s’il ne restait pas des anti-inflammatoires, prenant bien garde aux présences qu’elle sentit dans les escaliers conduisant au premier étage. Elle en trouva trois flacons, ainsi qu’une pommade, qu’elle appliqua immédiatement au poney volant.
Pendant ce temps, Rarity avait récupéré des morceaux de bois suffisamment long pour maintenir l’aile droite, et avait bricolé une sorte de harnais avec des bandages, qui permettait à Rainbow de maintenir ses ailes levées tout en les reposant. Cela sembla grandement apaiser ses douleurs, même si la rupture des muscles continuait de la lancer en permanence malgré les médicaments.
Loki la mit au courant des décisions qui avaient été prises, et le groupe se remit en route. Ils contournèrent la maison, afin de garder le chemin qu’ils avaient emprunté avant de la découvrir.
Ils tombèrent nez-à-nez avec une plaque dorée plaquée sur un panneau de marbre, et la lumière se fit dans l’esprit de Loki et de sa sœur.
Ce n’était pas un chalet de randonneurs. C’était une maison de fous.
Cela expliquait l’armoire à pharmacie bourrée de sédatifs, et surtout la quantité prodigieuse d’Ombres, ainsi que la présence du démon. Tant de souffrance avait dû être accumulée à l’intérieur qu’à leur mort, les Ombres des patients investissaient les lieux, et la douleur omniprésente avait attiré un démon, qui avait élu domicile dans les étages supérieurs, et se nourrissait de ces énergies négatives.
Cette terrible révélation fit frissonner Loki. Il avait beau avoir fait le tour, ce panneau était resté masqué par le brouillard. S’il avait su, il aurait évité la responsabilité d’avoir failli provoquer leur mort à tous.
- T’inquiète, on voyait pas à deux mètres, c’est pas ta faute, le rassura Rainbow Dash.
- Je sais pas comment tu peux me pardonner ça, dit Loki.
- Parce que je doute que tu sois assez idiot pour nous avoir lâchées là-dedans en connaissance de cause.
- En clair, elle te fait confiance, fit Rarity.
- Ouais, c’est plus ou moins ce que j’ai dit…
Ce fut une nouvelle journée de marche morose. Le ciel était presque blanc, et la lumière du soleil filtrait de plus en plus difficilement à travers le nuage de cendres. L’air était pesant, et la lumière étant plus ambiante que provenant réellement d’une source, les ombres étaient atténuées. Tout était gris et morne, et l’atmosphère était si épaisse qu’elle formait un brouillard permanent dans un rayon de cinquante mètres.
Pendant deux jours, ils se contentèrent d’avancer ainsi, sans relâche, sans but autre que la survie. Les Eléments d’Harmonie demeuraient bien présents à l’esprit de chacun, mais ils n’avaient toujours aucun indice qui aurait éventuellement pu les aider dans leur quête. Ils en étaient réduits à l’errance, perdus au milieu d’une lande qui semblait être désertée de toute vie.
Pendant tout ce temps, Loki avait réfléchi. Il avait marché seul, légèrement à l’écart, perdu dans ses pensées, tournant et retournant les mêmes questions sans relâche.
Pourquoi n’avait-il rien vu ? Avait-il été si aveugle ?
Pourtant, Twilight ne pouvait pas s’être épris de lui si soudainement, en une soirée. Cela s’était forcément développé dans les quelques mois précédents. Tant que le monde n’avait pas sombré dans la folie apocalyptique.
Que lui trouvait-elle ? Etait-ce son savoir relativement étendu ? Son humour ? Ou une autre qualité qu’il s’ignorait ?
Mais surtout, ce qui le tourmentait, était sa cécité vis-à-vis des sentiments de la licorne. Il y avait eu forcément des signes avant-coureurs !
En y réfléchissant bien, le coyote se rendit compte qu’il avait été un parfait idiot. Toutes ces soirées film lors desquelles la licorne s’était arrangée pour être placée à sa droite… Dire qu’il avait cru que c’était uniquement pour échanger des critiques sur le film à chaque fois… Ce qu’ils faisaient chacun au creux de l’oreille de l’autre...C’était d’un romantisme à en faire pâlir Rarity elle-même.
Quand ils lisaient, elle venait se placer face à lui, ou à côté de lui, dépendant de l’endroit où il s’installait. Quand il dessinait, généralement sur le sol pour mieux maîtriser le crayon avec ses dents, elle se postait sur un canapé avec un livre pour avoir un point de vue dominant. Elle se plaçait toujours soit en face soit à côté de lui pendant les repas. Bref, elle avait tout fait pour se rapprocher de lui. Et il n’avait rien vu.
Le coyote en était terriblement honteux. Être aveugle à ce point, c’était terrible au-delà des mots. Et pendant tout ce temps, il avait peut-être nourris des sentiments qui n’obtiendraient jamais satisfaction.
Il ne savait pas comment réagir. Fallait-il qu’il l’éconduise tout de suite ? Ou fallait-il qu’il laisse les choses s’écouler, en laissant lentement comprendre à Twilight qu’il n’était pas intéressé ?
Il réfléchit aux deux alternatives. En laissant Twilight dans la plus parfaite ignorance de ses conclusions, il courait le risque de la laisser se forger des illusions, ou au contraire qu’elle se rende compte rapidement qu’il la dédaignait. Dans le premier cas, plus il attendrait, plus la déception serait grande. Dans le second, elle pouvait en concevoir de la colère, et se laisser emporter sur Dieu savait quel sentier.
Loki gagnait tout autant à mettre la licorne au parfum sur-le-champ, avant que les sentiments non réprimés de Twilight ne soient pas trop exacerbés. Ainsi, il pouvait éventuellement tenter de la calmer et de lui expliquer son point de vue.
Point de vue sur lequel il avait des doutes. Il était certain de ne rien éprouver de plus que de l’amitié pour le poney mauve, mais comment le lui faire comprendre ? Comment trouver les mots justes ?
Il se dit qu’il aviserait le moment venu. La priorité était de faire savoir à Twilight qu’il s’était rendu compte qu’elle avait des sentiments pour lui, et qu’il ne pouvait se permettre de la laisser dans l’ignorance plus longtemps.
Il se plaça à son niveau, et d’un air tout à fait innocent, lui glissa :
- Je peux te parler une minute ?
- Bien sûr. Qu’y a-t-il ?
- Seul à seul, s’il-te-plaît, ajouta-t-il en jetant un rapide coup d’œil à Applejack qui marchait à côté de la licorne.
Avec un air un peu surpris, Twilight fit signe à Applejack de ne pas s’inquiéter, et suivit Loki, qui l’emmena un peu à l’écart.
- Alors ? De quoi veux-tu me parler ?
- Ecoute, j’ai… eu une prise de conscience. C’est un peu tard, je sais, mais il faut que je te le dise.
- Pardon ? fit-elle, tout en ayant parfaitement compris de quoi il voulait parler.
- J’ai été aveugle, jusqu’à hier je n’ai pas vu que tu… Enfin, tu vois de quoi je veux parler.
La licorne baissa les yeux.
- Oui, je vois.
- Je suis désolé, Twilight, je ne peux pas te rendre ce que tu me donne. Je n’éprouve pas la même chose.
- Je m’en doutais bien. Je l’aurais vu.
- Ouais… Tu ne m’en veux pas ?
- Comment le pourrais-je ? Ce n’est pas de ta faute. Ce sont MES sentiments, après tout.
Loki ne s’était pas attendu à ce que les choses se passent aussi bien. Il ne put s’empêcher de louer intérieurement l’intelligence de Twilight, grâce à laquelle tout devenait plus facile.
- Par contre, j’aimerais savoir, continua la licorne. Pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait de travers ?
Pas si facile, finalement.
- Rien, rien du tout. C’est moi. Je t’aime, Twilight, mais pas comme ça. Pour moi, tu es plus qu’une amie, c’est sûr, mais au mieux une sœur. On se ressemble trop. Essaie de te mettre à ma place, tu t’imagine sortir avec Shining Armor ? C’est un peu ce que je ressens.
- Je ne sais pas si je peux comprendre. Tout ce que je vois pour l’instant, c’est que je n’aurais pas dû tomber amoureuse de toi, et que c’aurait été mieux pour tout le monde.
- Ne dis pas ça. Ce n’est jamais une erreur de tomber amoureux.
- Pour ce que ça m’apporte, je trouve que si ! fit Twilight, entre ironie et colère.
- Et tu as tort. Je ne suis peut-être pas le bon, mais regarde-toi : tu es quelqu’un de formidable, tu es remarquablement intelligente, cultivée, tu as le sens des responsabilités, et toute la rigueur qu’il faut pour faire marcher une relation. Et pour tout dire, tu es même très jolie. Tu en trouveras de meilleurs que moi, qui te conviendront mieux.
- Et comment peux-tu savoir ça ? Si ces « qualités » ne te suffisent pas, alors que tu n’as jamais vraiment su ce qu’était l’amour, comment peux-tu affirmer que ce sera le cas d’un autre ?
- Je le sais, c’est tout.
- Et j’imagine que tu sais tout un tas d’autres choses qui te serviront d’excuses pour m’éconduire. Mais je trouve ça incroyablement hypocrite de ta part, toi qui n’as pas franchement hésité à me prendre dans tes bras pour me réconforter, et à me serrer contre toi pour me rassurer et m’aider à dormir, pour ensuite me dire que tu ne ressens rien.
- Je n’ai jamais dit ça ! S’insurgea le coyote. Twilight, je t’aime comme une sœur, c’est pour ça que j’ai fait cela. Et je ne pourrai rien te donner de plus que cet amour fraternel. C’est à prendre ou à laisser.
C’était un coup de poker. Loki se mordit la langue d’avoir sorti une ânerie pareille. Lui qui aurait voulu tout calculer, il s’était laissé emporter par les évènements, et avait commis une grossière erreur. Si Twilight était un poil plus remontée contre lui que ce qu’il avait compris, il aurait tiré une balle dans le pied à chaque membre du groupe. Si Twilight lui en voulait pour ce qu’il venait de dire, la cohésion du groupe prendrait un coup mortel, car elle ne manquerait pas de le haïr, et elle entraînerait ses amies avec elle, créant deux factions dans un groupe beaucoup trop restreint pour que cela n’ait pas de conséquences funestes.
Twilight soupira. Loki se tendit, sentant le verdict approcher.
- Ce serait idiot que le groupe souffre de nos histoires. De MES histoires. Je prends.
Le coyote se détendit et poussa à son tour un soupir de soulagement. Il venait d’éviter le plus gros écueil de sa vie.
- Frère et sœur ? Dit-il en tendant une patte, avec un regard implorant.
- Frère et sœur, répondit la licorne en esquissant un sourire.
Ils s’étreignirent tout deux un bref moment pour signer leur nouveau pacte.
Loki était soulagé. Il s’était bien débrouillé.
En proposant cette « adoption » à Twilight, il avait trouvé le moyen rêvé pour fournir la tendresse dont la licorne avait besoin en ces temps troublés, tout en rappelant en permanence qu’en dehors de cet amour fraternel, il ne pouvait rien exister entre eux. Il espérait ainsi que ce placebo permettrait à Twilight de revoir ses sentiments, et de se dire qu’ils étaient nés plus sous le coup du stress et de la peur que réellement grâce à Loki. Qu’ils n’étaient qu’un réflexe de survie, un instinct animal, et pas des sentiments réels.
Le coyote s’ancra cette idée dans la tête, niant pour lui-même toute autre alternative. C’est ainsi que les choses devaient être, et c’est ainsi qu’elles le seraient.
La licorne ralentit le pas et se cala auprès de Pinkie, qui garda le silence, comme si elle n’avait pas prêté attention à leur petit manège.
Loki, lui, se mit au niveau de Rarity, qui l’observait d’un œil accusateur.
- Que s’est-il passé ? demanda-t-elle.
- Rien, tout va bien.
La licorne blanche tourna légèrement la tête, juste assez afin de jeter un coup d’œil à Twilight. La bibliothécaire avait un air aussi morose que Pinkie, et baissait légèrement la tête. Une déception difficilement réprimée se lisait sur son visage.
- Elle est amoureuse de toi, c’est ça ?
- Très fort.
- Et ce n’est pas ton cas, j’imagine.
- Hélas.
- Eh bien, quels talents d’orateur ! Quelles réponses longues et travaillées ! Je suis grandement impressionnée !
- Tant mieux.
- Pauvre Twilight… Je me demande si elle trouvera jamais quelqu’un…
- Je ne sais pas. Mais en tout cas ce ne sera pas moi, dit le coyote laconiquement.
- Bon… pourquoi la rejettes-tu, au fait ?
Loki résuma rapidement son point de vue à Rarity, ainsi que son idée d’ « adopter » Twilight en tant que sœur. La styliste reprit :
- Je vois. Je te comprends mieux.
- N’est-ce pas ?
- Mais je ne sais pas si ton idée à été bonne. N’as-tu pas peur que cela lui donne de faux espoirs ?
- Non. Je lui ai dit assez clairement que je ne pourrais rien faire de plus.
- Nous verrons ce qu’il adviendra. Mais je pense tout de même que ce n’est pas la meilleure idée que tu aie eu.
- Trop tard. Maintenant c’est fait. Au moins, les choses sont claires, et elle ne devrait pas trop me haïr.
- Certes. J’essaierai néanmoins de plaider un peu en ta faveur, si j’en ai l’occasion.
- Vrai ?
- Bien sûr. Ce sera mieux pour vous deux si Twilight parvient à mettre ses sentiments de côté. Et je compte bien aider mes amis.
- Je t’ai déjà dit que tu étais géniale ?
- Pas encore, non, gloussa Rarity.
Le groupe arriva bientôt à la lisière d’une forêt de pins encore verts. La nuit régnait à l’intérieur du bois. Encore sous le choc de l’incident de l’asile, Twilight ne put réprimer de violents frissons devant l’obscurité du lieu.
Après un bref débat, il fut décidé que le couvert des arbres serait bienvenu. Pour se rassurer, Twilight vint marcher entre son nouveau grand frère et Rarity, afin de sentir leur présence rassurante. Elle priait pour que le coyote soit en mesure de la protéger contre ce qui pouvait rôder dans les ombres.
Loki se fit aussi important qu’il le pouvait, bombant le torse et dressant le cou. Malgré cela, Twilight, tout comme Fluttershy, continuait à jeter des coups d’œil inquiets dans les profondeurs de la forêt, cherchant à percer les ténèbres pour débusquer ce qui s’y cachait.
Environ trois heures de marche plus tard, dans la forêt qui se faisait de plus en plus sombre, Loki s’arrêta brusquement. Ses oreilles étaient tendues, et sa truffe était agitée de spasmes réguliers. Il huma l’air, cherchant une odeur particulière, indiscernable pour le reste du groupe.
- Qu’y-a-t-il ? S’enquit Rarity.
- Chut, siffla le coyote.
Un faible bruit de galopade se fit entendre, à environ une quinzaine de mètres de là. De faibles gloussements les accompagnaient.
- Qu’est-ce que c’est ? s’inquiéta Rainbow Dash en apercevant une ombre filer entre les arbres.
- J’en sais rien, mais ça n’me plaît pas, gronda Applejack, qui banda ses muscles, prête à en découdre.
Harmonie tira son arc et encocha une flèche, puis ouvrit l’œil sur les alentours. Elle voyait de petites ombres s’élancer entre les arbres, mais elle n’avait aucune idée de ce que cela pouvait être.
Fluttershy, fortement angoissée, recula pour se mettre le dos contre un tronc effondré en travers du sentier.
Quelque chose atterrit sur la masse de bois avec un bruit mat. Le pégase se retourna avec inquiétude, et poussa un cri de surprise.
Un grand oiseau de proie la toisait. Elle n’en avait jamais vu de tel, bien qu’il ressemblât fort à une buse, et était d’une taille comparable, environ soixante-dix centimètres de haut pour environ un mètre vingt de long. Il avait de grands yeux, un bec allongé et crochu, rappelant vaguement celui d’un aigle, en plus allongé. Il était haut sur pattes, et avait une griffe curieusement développée sur l’orteil intérieur de chaque serre, qu’il maintenait levée pour éviter de lui faire toucher le sol. La queue était longue et pourvue de plumes fortement allongées.
Plus curieux encore, une petite griffe dépassait sur chaque aile.
L’oiseau la toisa encore un instant, puis poussa un bref cri aigu.
En un éclair, cinq autres oiseaux accoururent et vinrent se placer à côté du premier. Puis trois autres apparurent à la droite de Fluttershy, et quatre autres à sa gauche.
- C’est quoi ces trucs… souffla Applejack entre ses dents.
- Des raptors, je ne me trompe pas ? demanda Rarity à Loki, se rappelant de ce que le coyote avait dit sur l’un des dessins qu’il exposait.
- Qu’est-ce que ça fout là ? gronda le canidé pour toute réponse.
Les rapaces sautèrent du tronc, et déployèrent leurs ailes devant Fluttershy en sifflant pour l’apeurer. Ce qui sembla fonctionner, vu qu’elle tourna les talons et prit la fuite.
- Fluttershy ! appela Rainbow.
Trop tard. Le pégase était déjà loin, et sa fuite avait entraîné deux rapaces à sa suite, les autres lançant leur charge contre le reste du groupe en sifflant. La meilleure solution restait la fuite.
Malheureusement, les raptors étaient plus rapides, et plus organisés que les fuyards. Ils remontèrent sur les flancs du groupe, dirigeant poneys, humaine et coyote avec une troublante facilité, en claquant du bec près de leurs pattes ou en sifflant près d’eux pour les guider dans la direction qu’ils désiraient.
Pire encore, à chaque mètre parcouru par les fuyards, d’autres prédateurs se joignaient à la traque, et la meute gonfla pour atteindre une vingtaine d’individus.
Harmonie ne savait pas comment réagir. Les oiseaux étaient de petite taille, et pouvaient sûrement être mis hors d’état de nuire, mais leur nombre et la menace d’une attaque dans le dos l’inquiétaient. Elle préféra continuer à fuir, tentant de réfléchir à un plan de bataille malgré le stress de la situation.
Elle ne réfléchit guère longtemps. Les rapaces avaient terriblement bien calculé leur traque. Ils avaient amené leurs proies au bord d’une falaise, qui s’ouvrait sur un torrent à environ trente mètres en contrebas. Ils se déployèrent en arc de cercle, sifflant de nouveau comme ils l’avaient fait avec Fluttershy.
Loki tenta le tout pour le tout. Il s’avança en montrant les crocs et en grondant aussi fort qu’il le pouvait, crinière hérissée, et regardait l’oiseau le plus gros droit dans les yeux.
Le raptor sifflait encore plus fort, et faisait bruisser les plumes de ses ailes déployées pour paraître plus gros. Il planta ses yeux dans ceux du coyote.
Un duel s’engageait, chacun espérant impressionner suffisamment l’autre pour le faire déguerpir.
Dans le regard ambré de l’oiseau, Loki lut une ruse bestiale, ainsi qu’un instinct de tueur extraordinairement développé. La cruauté qui se dégageait du rapace faillit faire flancher le coyote, tant elle était exacerbée par les serres et le bec acéré, deux armes meurtrières dont la créature n’hésiterait pas à se servir.
Loki faisait encore gonfler sa fourrure, paraissant deux fois plus gros qu’auparavant, et fit claquer ses mâchoires tout près du bec de son assaillant.
La réponse fut immédiate et sans appel.
Le rapace bondit au visage du canidé, et les griffes sifflèrent. Le coyote poussa un jappement de douleur.
Il recula de quelques pas, gémissant de douleur. Du sang goutta sur le sol de cendres.
Il se retourna pour se rapprocher de ses amis, et leur offrit un spectacle abominable : le côté droit de son visage portait trois longues et profondes entailles, et l’œil avait été ouvert en deux comme une cerise, répandant partout un odieux mélange de sang et d’humeur vitrée. Cela arracha un cri d’horreur à tout le groupe.
Entendant les pas légers du rapace qui se rapprochait, Loki fit un brusque volte-face et bondit en avant. Il cueillit le raptor en plein saut, et serra la gorge fragile entre ses mâchoires. Un craquement d’os effroyable claqua dans l’air lorsque les combattants touchèrent le sol, et le coyote lâcha brutalement la dépouille de son adversaire avec un air de défi pour tous les autres.
Ce fut comme un signal. Tous les autres rapaces se ruèrent à l’assaut à l’unisson.
Mais à l’arrière, le reste du groupe s’était secoué, et répondit promptement à la charge.
Harmonie décocha une flèche, qui vint par bonheur se planter dans la cuisse d’un des prédateurs, le mettant hors d’état de nuire, piaillant de douleur et épinglé sur le sol comme un papillon. L’animal se débattait tant bien que mal pour se relever et retirer la flèche, en vain.
Applejack plongea au cœur de la mêlée, côte à côte avec Loki, et donna un grand coup de sabot dans le premier oiseau qu’elle trouva. Elle sentit les sabots s’enfoncer profondément dans la chair de sa victime, broyant les os fragiles au passage, ce qui lui laissa une impression absolument répugnante. Le cadavre disloqué fit un vol plané de trois mètres avant de s’écraser sur la nuque dans un nouveau bruit de bois brisé.
Twilight et Rainbow Dash restaient prudemment en retrait, contournant la mêlée par la droite, espérant compenser leurs handicaps respectifs par la présence de leur coéquipière. Lorsqu’un oiseau les menaçait, Twilight le faisait trébucher par télékinésie, et Rainbow lui broyait le crâne sous ses sabots.
Pinkie se conformait à son style général de vie : elle fonçait en plein cœur de la mêlée, aux côtés de Loki et Applejack, et se laissait emporter par le chaos de la bataille. Elle frappait de gauche et de droite sans grand discernement, touchant un ennemi à chaque fois, ce qui suffisait largement.
Harmonie tentait tant bien que mal de rester en retrait et de bombarder l’ennemi de flèches, mais son manque d’entraînement constituait un handicap sérieux contre des cibles rapides et de petite taille. Elle parvint à épingler un autre rapace, mais plus par chance que par réel talent d’archère. Elle dut également bientôt se servir de son arc comme d’une arme de mêlée, deux raptors ayant contourné les défenses dressées par les poneys pour s’attaquer à la jeune femme. Elle parvint à envoyer le premier au fond du ravin en frappant un bon coup de son arc au niveau du cou, mais elle récolta de cruelles griffures au bras en voulant se défendre du second, qu’elle parvint à abattre en lâchant son arme et perforant l’œil droit de l’animal avec une flèche, qui parvint jusqu’au cerveau.
Rarity ne savait guère trop où se mettre, effrayée par la perspective de récolter une quelconque blessure. Elle s’était armée d’une flèche récupérée avec dégoût sur un cadavre, et en menaçait les bêtes qui s’approchaient trop avec maladresse.
L’une d’elles trouva judicieux d’attaquer une proie aussi faible et sans défense. Le raptor bondit, attaquant directement de front, sans le souci de stratégie dont avait fait preuve la meute jusqu’alors. La pointe de la flèche traversa son palais, et la créature finit ses jours appuyée sur la hampe du projectile dans une position grotesque. Rarity préféra détourner les yeux, mais dut rapidement retirer son arme du crâne de son assaillant pour repousser ceux qui tentaient de la prendre de flanc.
Loki se battait avec une rage et une vindicte effrayants. Chaque fois qu’un ennemi passait à sa portée, il le saisissait entre ses mâchoires, le secouait avec violence à droite et à gauche, brisant les os sous la contrainte, puis le lançait aussi fort qu’il le pouvait, ce qui suffisait généralement à briser les fragiles vertèbres des oiseaux. Il parvint même à intercepter un rapace qui menaçait Applejack sur son flanc gauche, le saisissant à la gorge en plein vol et le frappant au sol avec toute sa force. Le cadavre affichait un angle étrange au niveau du cou, et son crâne fracassé laissait échapper une mare de sang qui s’étendait rapidement.
En quelques minutes, la majeure partie de la meute fut réduite à l’état de cadavre, et les cinq survivants optèrent pour un repli immédiat, voyant les leurs se faire massacrer par ce qui semblait être des proies faciles de prime abord. En un instant, les raptors étaient retournés à leur état d’origine, celui d’ombres dans une forêt impénétrable.
Aucune perte n’était à déplorer du côté des poneys et d’Harmonie, mais certains avaient reçu de cruelles blessures. L’œil de Loki avait inondé sa joue droite de sang, et Harmonie, Applejack et Pinkie Pie avaient reçu plusieurs entailles sur les membres et le thorax. Les sabots des poneys étaient rouges de sang, celui de leurs victimes.
Loki passa rapidement le champ de bataille en revue. Les créatures étaient bel et bien toutes hors d’état de nuire, mais il remarqua autre chose.
Il y avait eu une grande absente lors de ce combat.
Fluttershy.
La rage encore vive dans l’esprit du canidé, il s’approcha de la falaise, au bord de laquelle reposait le sac du pégase, babines retroussées et oreilles rabattues en une expression de colère.
Il trouva le pégase en vol stationnaire, tout près de la paroi, la tête enfouie entre les sabots pour ne pas avoir à constater l’étendue du carnage.
- Bordel, c’est quoi ces conneries, Fluttershy ?! aboya Loki. Tu foutais quoi là ?!
Le pégase ne put répondre que par un couinement terrifié. Loki vit des larmes couler sous les sabots qui couvraient les yeux du poney.
- On aurait pu tous crever ! On avait besoin de ton soutien, espèce de planquée !
- Ho, calme tes ardeurs, cow-boy ! lança Applejack derrière Loki.
- Toi, la pécore, tu la ferme, c’est pas à toi que je m’adresse !
Fluttershy se mit à sangloter.
- Tu voulais qu’on claque tous peut-être ? C’est ça ? C’est pour ça que tu t’es pas battue ? brailla le coyote.
C’en était trop. Pinkie tira le coyote en arrière, et s’interposa entre lui et Fluttershy, avant de lui envoyer un crochet du droit. Du sang vola dans les airs, éclaboussant le sol. Le coyote recula sous l’impact, puis découvrit les crocs en grondant vers Pinkie.
- Personne ne parle ainsi à Fluttershy ! s’exclama le poney rose à la crinière désormais complètement raide. Même pas toi !
- On est pas comme toi, reprit Applejack. On a jamais tué, nous !
- Alors maintenant on me traite de meurtrier, c’est ça ? fit Loki sur un ton qui glaça le sang de la paysanne en s’avança vers elle.
Le coyote offrait l’horrible spectacle de son œil crevé à Applejack tandis qu’il l’invectivait, et elle dut réprimer un haut-le-cœur qui l’empêcha de protester.
- Si je n’avais pas été un tueur, vous seriez toutes mortes à l’heure actuelle, reprit le canidé. Si je n’avais pas massacré celui qui arrivait par ta gauche, tu serais en train de nager dans tes tripes !
- Stop, maintenant tu arrête tes conneries ! ordonna Harmonie avec autorité en saisissant son frère par la peau du cou, tout en maintenant sa gueule fermée de l’autre main.
Elle le plaqua au sol et pesa de tout son poids pour l’empêcher de se relever.
- Elle ne t’as pas traité de meurtrier, imbécile, elle a dit que c’était plus difficile pour elle car elles n’ont jamais dû chasser et abattre leur nourriture, contrairement à toi. Loki, c’est la première fois qu’elles tuent d’autres êtres vivants, regarde-les !
De son œil valide, le coyote passa ses amies en revues, forcé par sa sœur qui lui maintenait le museau et l’orientait en conséquence.
Applejack avait vraiment l’air désemparée. Elle avait détourné les yeux du coyote et fixait un des cadavres avec une expression d’égarement total sur le visage. Elle ne savait trop quoi penser.
Rarity semblait au plus mal. Elle respirait lourdement, et semblait sur le point de vomir à chaque instant. Ses pattes étaient parcourues de tremblements et menaçaient de céder sous son poids.
Rainbow contemplait le sang sur ses sabots d’un air incrédule. Twilight, à côté d’elle, tremblait de nouveau, et était en sueur. Elle s’efforçait de ne pas reporter son attention sur les cadavres aviens.
Pinkie, elle, tentait de réconforter Fluttershy, essayant comme elle pouvait de leur masquer la vue du champ de bataille à toutes les deux.
- Tu crois vraiment que Fluttershy, pacifique et amoureuse des animaux comme jamais personne d’autre ne l’a été et ne le sera jamais, aurait pu supprimer une seule de ces créatures ? Alors que les autres ne parviennent pas à accepter ce qu’elles ont fait ? Et moi-même, je ne suis pas fière de ce que j’ai fait, même si je suis convaincue que c’était pour nous sauver.
L’œil de Loki le faisait souffrir le martyre, aussi la rage qu’il avait accumulée pendant le combat mit-elle du temps à retomber. Le coyote exhala lourdement, et Harmonie libéra son étreinte. En se redressant, Loki porta une patte à son œil, ne serait-ce que pour le cacher. Il effleura la plaie, et grimaça fortement sous la douleur. Des étoiles dansèrent devant son œil.
- Je suis désolé, tout le monde. On n’a pas besoin que je m’emporte comme ça.
Personne ne répondit. Rarity souleva le sac des épaules d’Harmonie, et le fouilla à la recherche de bandages et de désinfectant.
- Ca va piquer un peu, prévint-elle en appliquant le produit sur une boule de coton qu’elle approcha doucement de l’œil, en faisant son possible pour ne pas détourner les yeux.
- Tu crois ?
Loki crut que son crâne allait exploser quand le coton entra en contact avec les tissus meurtris. Il poussa un cri de douleur déchirant, et recula de quelques pas. Il secoua la tête violemment pour essayer de faire partir la douleur, mais ça n’eut pour effet que d’éclabousser Rarity de sang.
Lorsqu’il se rendit compte de sa bévue, le coyote s’excusa immédiatement, mais a licorne lui fit signe que ce n’était pas grave.
Elle empaqueta la moitié du visage de son ami dans des bandages, qui se teintèrent immédiatement de rouge.
Harmonie, pendant ce temps, avait mis la main sur des antibiotiques, anti-inflammatoires et sédatifs qu’elle fit immédiatement avaler à son frère.
Dès que les deux femmes en eurent fini avec lui et que Rarity commença à s’occuper des coupures d’Harmonie, Loki s’approcha tête basse d Fluttershy, toujours en pleurs dans les bras de Pinkie.
- Je suis désolé Fluttershy. J’ai été idiot. Harmonie a raison, c’est pourtant évident que tu n’étais pas capable de participer à tout ça.
Le pégase ne répondit pas, et Pinkie jeta un regard noir à la bête à fourrure.
Celui-ci recula, tête baissée, oreilles rabattues, queue basse. Il reprit le chemin de la forêt en traînant les pattes, sous le regard lourd d’Applejack et Pinkie Pie.
Twilight et Rarity lui emboîtèrent le pas, puis le reste du groupe le suivit à pas lents.
- Loki, je ne suis pas folle, ces animaux n’ont jamais existé, pas vrai ? s’enquit Harmonie.
- Non.
- On dirait un croisement entre une buse et un raptor, glissa Rarity en se remémorant les détails du dessin de Loki.
- Ouais, confirma ce dernier. On dirait plus des buses mutantes avec une griffe plus grosse au pied et une queue plus longue.
- Question pour un million : d’où ils sortent ? demanda Harmonie.
- Pourquoi vous êtes aussi paumés que nous alors que c’est votre monde ? fit Rainbow Dash. Je sais pas, vous devriez en connaître un minimum.
- Je pense que ça a à voir avec la décharge d’énergie suivant l’ouverture des portails démoniaques, avança Twilight. Ces énergies étaient puissantes, et je pense qu’il est possible qu’elles aient altéré de manière assez forte les animaux ne disposant pas d’une psyché développée pouvant être atteinte. Ca expliquerait pourquoi nous n’avons pas muté.
- Aucun animal ne peut être changé à ce point, même par des facteurs mutagènes, contra Harmonie.
- Ce ne sont pas des énergies naturelles, rétorqua Twilight. Et peut-être qu’ils ont été touchés pendant leur croissance, et que cela a accéléré leur cycle de croissance ?
- Je m’en tiendrai à cette théorie jusqu’à ce qu’on trouve autre chose, trancha Loki. On verra si ça a tendance à se confirmer par la suite.
Le débat fut donc rapidement clos. Twilight continua cependant à réfléchir à la question, résolue à ne pas laisser ce mystère lui résister longtemps.
L’attaque de ces créatures au final bien peu naturelles avait été comme une intervention divine pour Loki. Il lui avait fallu la perte d’un œil pour qu’il y voie clair, à l’instar d’Odin, le roi des dieux de la mythologie nordique, qui avait donné son œil droit pour obtenir le pouvoir de clairvoyance.
La leçon qu’Harmonie lui avait donnée deux jours plus tôt lui apparut claire comme de l’eau de roche. Ils étaient tous passés très près de la mort en ce jour funeste. Il comprit qu’il devenait nécessaire de vivre chaque jour comme le dernier, car la fin du voyage pouvait survenir de n’importe où, sous n’importe quel masque.
Il tourna ce qui restait de son regard vers Twilight, qui marchait à sa droite. Cette fois, c’était à elle de lui témoigner son soutien. Que se passerait-il s’il venait à disparaître ? Quel déclic se produirait dans le cerveau chamboulé de la licorne, abritant des sentiments contradictoire tels que l’amour et une angoisse quasi permanente ?
Loki ne s’attarda pas sur de telles considérations. Il savait qu’elles ne mèneraient à rien de bon. En l’adoptant en tant que sœur, il avait juré de la protéger et de l’aimer comme telle, il fallait qu’il se montre à la hauteur, et la mort n’était pas une option. Jamais un coyote ne romprait un serment.
Cette pensée le troubla un instant, sentant qu’elle venait de son passé. Il se dit que si la douleur se calmait, il faudrait qu’il tente une nouvelle méditation pour découvrir ses origines.
Il abandonna ces pensées, pour tourner le regard à gauche, vers Rarity.
Malgré les horreurs qu’elle avait contemplé en ce jour, malgré le meurtre qu’elle avait dû commettre pour sauver sa propre vie, la licorne gardait cette même attitude fière et altière qui la caractérisait. Comme toujours, elle ne laissait rien paraître de ce qui se passait dans son esprit. Elle avait quelques cours à donner à Twilight, se dit Loki.
Cette noblesse dans la démarche, le port de tête digne d’une Lady de la haute société contrastaient avec les cheveux relâchés et mal coiffés, mais cet ensemble reflétait bien l’âme et le caractère de Rarity. Malgré les épreuves, elle resterait digne en toutes circonstances.
Aussi soudainement que les griffes du raptor avaient privé Loki d’un de ses yeux, le discours que sa sœur avait prononcé deux jours auparavant venait de prendre tout son sens.
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