Le verdoiement blafard revenait peu à peu dans la cité de cire noire et de résine luisante. Les gemmes incrustées dans les murs retrouvaient lentement leur éclat sinistre, après avoir été vidées de leur magie par l’onde qui avait déferlé sur le pays, presque deux jours plus tôt.
Dans une salle obscure et humide, au plus profond de la forteresse ensevelie, la reine se dressait, immobile, faisant léviter devant elle la lettre qu’elle venait de recevoir. Le parchemin était apparu devant elle dans une nuée bleu marine qui s’était infiltrée dans son antre telle une parcelle de nuit.
- C’était donc ça, murmura-t-elle en posant la papier.
Autour, les petites créatures insectoïdes qui l’entouraient s’agitèrent en cliquetant, leurs yeux sans reflets rivés sur leur maîtresse.
- Laissez-moi seule un moment, mes mignons, souffla-t-elle avec douceur. J’ai besoin de réfléchir.
Les créatures cliquetèrent de plus belle puis quittèrent la pièce les unes après les autres, disparaissant dans les couloirs qui s’ouvraient comme les galeries d’une termitière. Quand le dernier fut sortit, la reine leva la tête et ferma les yeux en frémissant.
La vague invisible qui avait déferlé sur la cité et les terres des changelins les avaient tous brutalement privés de tous leurs pouvoirs ; non seulement celui de changer d’apparence, mais également celui d’absorber et de se nourrir des sentiments des autres. L’essaim avait immédiatement été pris de panique et, tel l’organisme géant qu’il était, s’était enfoui au plus profond de son immense terrier. Depuis, les pouvoirs des créatures métamorphes étaient revenus, mais la terreur régnait encore dans toute la colonie.
Quand l’onde l’avait heurtée, Chrysalis avait senti sa force être aspirée hors d’elle, comme si toute la magie de son corps était soufflée telle la flamme d’une chandelle. Elle s’était abattue au sol, au milieu du peuple de ses enfants, incapable de s’envoler ni de se servir du moindre sort. Depuis, elle cherchait sans relâche l’origine de ce phénomène, envoyant ses espions aux quatre vents dès qu’ils étaient à nouveau capables de voler. Ses soupçons s’étaient immédiatement portés sur l’ennemi de toujours : Equestria. La souvenir du dernier conflit était toujours bien vivace et la reine noire gardait encore une rancœur hargneuse envers Célestia et ses protégés. La surprise avait été de taille lorsque ses espions étaient revenus, lui apprenant de quel pays était en réalité partie cette onde dévastatrice.
Chrysalis et ses ancêtres ne s’étaient jamais véritablement intéressés aux rudes contrées qui s’étendaient au delà des montagnes de l’est. Les boucs et autres créatures sans magie qui peuplaient ces régions n’étaient pour eux que des proies de piètre qualité comparées aux poneys et à leurs semblables, dont les pouvoirs rendaient les sentiments bien plus nourrissants et savoureux. Et pourtant, c’était bien de là qu’avait déferlé cette onde ; tous les messages qu’elle avait reçu depuis étaient formels. Déjà, plusieurs troupes de ses enfants sillonnaient le territoire pour en pister l’origine.
La reine changeline avait bien eu vent ces derniers jours de rumeurs concernant une bataille entre Equestria et ses voisins à cornes, mais jamais elle n’aurait cru qu’il ait put s’agir de quelque chose d’aussi sérieux, et encore moins que cela finisse par la concerner, elle et la multitude de ses enfants. Elle comprenait maintenant son erreur. Cependant, elle ne put retenir un rictus en posant à nouveau ses yeux sur la lettre.
Le monde de la magie s’effondrait, et c’est vers elle que le poneys se tournaient. Alors qu’elle-même redoutait que ce phénomène ne se reproduise, ses adversaires de toujours lui fournissaient l’explication et lui offrait de s’allier à eux pour en combattre l’auteur. La grande et toute puissante Célestia était captive, privée de tous ses pouvoirs, et celle qui vivait dans son ombre lui demandait de l’aider à la sauver, elle et sa précieuse protégée.
La reine se retint de rire puis retrouva en un instant son sérieux. Elle n’avait pas d’autre choix que d’accepter. Si cette vague déferlait pour les priver à nouveau de leurs pouvoirs pour une période plus longue, elle et son peuple risquaient bien plus que d’être simplement incapables de voler ou de lancer des sorts. Privés de leur pouvoir d’absorption, les changelins seraient condamnés à la plus terrible des famines. Il lui fallait faire en sorte que cela ne puisse jamais se reproduire. Leur survie en dépendait. Et, justement, on lui offrait sur un plateau une alliance dans ce but. Une alliance dont elle se devait d’extraire tout ce qu’elle pouvait, pour son bien et celui de son immense famille.
Dans les galeries sombre, les changelins revenaient lentement, leurs yeux sans reflet luisant dans l’obscurité. Chrysalis se tourna vers eux en frémissant des ailes. Comme s’il eut s’agit d’un signal, les petites créatures s’avancèrent sans crainte.
- Ces chers poneys nous invitent sur leurs terres, mes mignons, fit-elle de sa voix métallique et déformée. C’est là une offre que nous ne pouvons pas refuser.
Les changelins cliquetèrent de plus belle, faisant luire leurs cornes atrophiées et vrombir leurs ailes translucides et déchiquetées. La forteresse entière s’emplit bientôt de leur fourmillement, telle une ruche noire et bourdonnante. Dans la noirceur des salles et des couloirs humides, des milliers d’yeux blafards luisaient, comme ceux d’une meute dans la nuit.
Quatre silhouettes s’avançaient dans la lueur grisâtre, au milieu du vent froid qui soufflait sur la plaine. Luna et Cadence cheminaient en tête, suivie par deux gardes de cristal. L’Empire était déjà loin derrière eux ; la pointe effilée de ce qui restait du château se dressait à l’horizon, à moitié masquée par la brume. Plus près, la coque noire du vaisseau de guerre mis au sol par la princesse de la nuit se découpait dans la grisaille, fichée telle une écharde dans le sol de la toundra.
Au milieu du paysage désolé, une dizaine de formes sombres, elles aussi masquées par les volutes, se dressaient devant eux. Luna et Cadence s’arrêtèrent un instant et fit signes aux gardes qui les accompagnaient de s’arrêter. Les deux poneys échangèrent un bref regard puis se tournèrent vers les princesses et hochèrent en silence. Cadence inspira profondément, croisa le regard de Luna et, sans un mot, elles s’avancèrent.
La crinière de nuit de Luna dansait au vent comme celle de sa cadette. En face d’elles, les créatures noires n’avaient pas bougé. Quand elles ne furent plus qu’à quelques mètres d’elles, les deux alicornes s’arrêtèrent et levèrent la tête, l’air grave. La plus grande des créatures qui leurs faisaient face se dressait pour les contempler, sa lourde crinière ondulant dans la brise.
- Ne perdons pas de temps en bavardages inutiles, finit par lancer Luna sans le moindre sourire. Le péril devant lequel nous nous trouvons vous concerne autant que nous.
- Je le sais, répondit la voix métallique et déformée. Nous l’avons senti, nous aussi. Mais ne croyez pas que nous vous viendrons en aide sans rien exiger en échange.
Son regard d’insecte se braqua sur Cadence, qui se retint de trembler. Derrière elle, les créatures s’agitèrent en cliquetant, impatientes.
- Si nous l’emportons, Caprésia sera à vous, lança Luna. Vous pourrez y installer vos essaims comme il vous plaira.
En face d’elle, Chrysalis laissa échapper un petit rire méprisant.
- Célestia serait outrée d’entendre une des siennes promettre des choses qui ne lui appartiennent pas. Mais vous savez très bien que ce n’est pas cela que nous voulons. Si ces terres sans magie nous intéressaient, nous nous en serions emparées depuis longtemps.
- Que voulez-vous, dans ce cas ? demanda Luna, toujours aussi gravement.
Chrysalis la fixa en silence avant de reprendre.
- Un tribut. De quoi nourrir mon peuple. Je sais qu’il existe dans votre royaume de cristal un objet capable de drainer et d’amplifier les sentiments des vôtres. Vos poneys de cristal y sont liés, leur amour converge vers lui pour l’emplir de son ardeur. C’est cela que je veux. Il captera l’amour des vôtres pour en nourrir les miens.
Cadence se tourna vers Luna, les yeux écarquillés.
- Le Cœur de Cristal ? Il n’en est pas question !
Chrysalis agita les ailes, un rictus se dessinant sur son visage noir.
- Peut-être préférez-vous que le peuple des montagnes s’en empare et le détruise ? Avez-vous l’intention de vous rendre et de rejoindre Célestia au fond d’une geôle ?
En une fraction de seconde, son visage se durcit et toute trace de sourire s’effaça. Elle braqua son regard aux reflets d’émeraude dans celui de la princesse de cristal.
- Ou bien es-tu prête à faire office de paiement et à te livrer à nous pour nous servir toi-même de nourriture, chère princesse de l’amour ? Tes sentiments pour ton beau capitaine sont toujours aussi forts, je peux les sentir d’ici. Ils nous nourriront pendant longtemps. Ou bien toi, Luna ? fit-elle en se tournant vers la princesse de la nuit. Tes sentiments pour ta sœur et sa chère apprentie sont-ils forts à ce point, malgré tout ce qu’elle a pu te faire subir ?
Luna et Cadence restèrent silencieuses. En entendant la changeline la tutoyer aussi rudement, l’alicorne rose revit en une seconde cette terrible journée, deux ans plus tôt, quand la reine métamorphe l’avait enlevée pour prendre sa place. Quoi qu’il se passe, Chrysalis resterait toujours son ennemie.
- Je n’ai aucune envie de secourir qui que ce soit, reprit la changeline. La seule chose qui m’importe est de faire cesser ce souffle qui nous prive de nos pouvoirs. Pour cela, nous sommes prêts à combattre à vos côtés le temps qu’il faudra. Mais si vous souhaitez en plus mon aide et celle de mes enfants pour délivrer vos consœurs, il vous faudra y mettre le prix, siffla-t-elle d’un air entendu.
Les deux alicornes se tournèrent l’une vers l’autre.
- L’Empire ne peut pas survivre sans le Cœur, murmura Cadence. On ne peut pas le lui donner.
Luna soupira gravement.
- Il ne servira plus à rien si nous abandonnons, répondit-elle.
Cadence tourna le regard vers la reine changeline, dont les yeux aux reflets verdâtres étaient braqués sur elle.
- Ne fais pas ça, la pressa Luna à voix basse alors que sa cadette levai déjà la patte pour s’avancer. Les habitants de l’Empire auront besoin de toi plus que jamais quand tout sera fini. Tu leur sera bien plus précieuse que n’importe quel morceau de cristal.
Cadence inspira, frémissante.
- Comment être certaines que tu tiendras parole ? lança-t-elle aussi bravement qu’elle put.
Chrysalis fronça brusquement les sourcils, soudain frémissante de colère.
- Mes enfants affrontent déjà le danger en plein cœur de l’antre ennemie, répondit-elle avec hargne. Est-ce à moi d'apporter des garanties, alors que vous me demandez de mettre leur vie en jeu ?
La reine grondait, comme si Cadence l’avait insultée de la pire des manières.
- Ce serait plutôt à moi d’exiger de vous une garantie de paiement, reprit la changeline en se calmant, mais sans abandonner son regard féroce. Mais je pense que ce ne sera pas nécessaire. Si Célestia est libérée, je suis sûre qu’elle veillera personnellement à ce que les siens honorent leurs promesses, même celles qu’ils auraient pu faire à ses ennemis d'antan. Et si elle ne l’est pas, alors des préoccupations bien plus urgentes s’imposeront rapidement à nous.
Luna et Cadence se tournèrent à nouveau l’une vers l’autre, le regard grave. Chrysalis les fixait toujours, ses yeux aux pupilles fendues passant de l’une à l’autre. Enfin, les deux alicornes se tournèrent à nouveau vers la grande changeline, une expression résolue sur le visage.
- Le sort nous oblige à nous unir pour cette fois, fit Luna, la tête haute. Qu’il vous garde de trahir notre confiance.
- La confiance est une denrée rare, répondit la reine. Faites en sorte de ne pas l’épuiser.
Derrière elle, les changelins reprirent leurs cliquetis. Ils ouvrirent leurs élytres et déployèrent leurs ailes d’insectes, vrombissant de concert. L’entrevue était terminée.
- Nous nous retrouverons au moment venu, fit Chrysalis face aux deux princesses.
Après un imperceptible hochement de tête, les deux alicornes se détournèrent. Cadence repartit au galop vers les gardes, toujours immobiles au loin. Luna s’apprêta à la suivre, mais sentit le regard empoisonné de Chrysalis toujours braqué dans son dos. Avec majesté, elle tourna la tête vers la changeline, toujours debout devant elle. Alors que les autres créatures s’éparpillaient déjà dans la brume, la reine s’avança.
- La carapace que tu t’es construite ne fait rien d’autre que t’étouffer, Luna, fit-elle sans le moindre sourire. Je sens les émotions qui sont en toi. Tôt ou tard, elles perceront les barrières pour éclater au grand jour.
- Ne parle pas de choses que tu ne peux pas comprendre, siffla l’alicorne marine. Et ne te berce pas d’illusions quant à ce qui émergera de tout ceci.
- Ne t’inquiète pas pour cela, Princesse, fit la changeline en ouvrant à son tour ses ailes translucides et en s’élevant dans les airs tel un frelon. Les illusions sont mon met favori.
Le reine se détourna et s’envola pour rejoindre ses enfants, qui faisaient déjà route à travers le brouillard. Après l’avoir regardée s’éloigner, Luna se retourna et rejoignit d’un pas lourd Cadence et les gardes avant de s’en retourner vers l’Empire.
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