Chapitre 6

Les traits tirés par la panique, la jeune jument n’avait pas le choix : le pont était la seule issue. Après une longue expiration, les yeux fermés, elle se mit à trotter sur les planches suspendues par de simples cordages. Le vide en-dessous d’elle lui tira une grimace de terreur mais, malgré son cœur alarmé, ses sabots ne la trahirent pas.

Elle ne prêtait plus attention aux humains et ne vit pas l’un d’eux lever son arbalète, vite rabaissée par le bras d’un de ses congénères.

“On a b’soin d’son corps j’vous rappelle !” beugla une voix rocailleuse sous l’un des casques. “Pis z’allez bousiller l’pont, les débiles, alors rangez vos joujous !”

Essoufflée par son effort, le sang battant contre ses tympans, la licorne s’effondra sur le sol rocheux, prise de tremblements incontrôlables. Cependant, la présence de ses adversaires la ramena à la réalité bien vite.

Une fois relevée, et ce malgré une difficulté à ne pas convulser de peur, son expression dépeignit une vive inquiétude à la vue de la femme aux cheveux blonds en train de retirer son armure.

“Allez avertir les troupes du château,” tonna-t-elle de sa forte voix, “ dites-leur que notre proie a passé la citerne et la crevasse. Je la prends en chasse.”

Un de ses guerriers dut répondre, mais à cette distance la jument ne l’entendit pas.

“Je prend le risque,” rétorqua-t-elle. “Traverser avec est dangereux, et je veux m’assurer qu’elle ne nous échappera pas, ou que la Reine ne tentera rien.” L’humaine déporta son attention sur la jument. “Tu m’entends sale bourrin ?! Mon nom est Meghan et je ne te laisserai pas avant d’avoir repeint ce foutu portail avec ton sang !!”

Les cris à son attention fut comme un électrochoc et la jeune équidé tourna les sabots pour partir au galop dans le tunnel offert à sa vue.

…

Le tunnel sinueux était ponctué de cristaux au plafond et ses parois bien découpées abritaient de nombreuses affiches, mais le galop de la fugitive ne lui laissa guère l’occasion de poser les yeux dessus. Même une fois obligée de marcher pour reprendre son souffle et laisser son cœur se reposer, son attention était prise par l’écoute des bruits lointains de la capitaine, derrière elle, avec des regards paniqués jetés fébrilement en arrière.

Son inquiétude ne lui fit pas réaliser immédiatement être sortie du corridor et elle eut un mouvement de recul instinctif quand ses yeux se posèrent sur l’immense caverne dans laquelle elle avait débouchée. Si Snowdin se trouvait dans un endroit plus grand, c’était une simple ville perdue dans les bois ; ici, tout une ville avait été creusée dans la roche, de part et d’autre d’un grand pont sur lequel la jument se trouvait.

Au fond, un château immense s’imposait, collé à la paroi rocheuse où il devait avoir été taillé, et dominait la longue et grande avenue avec l’accès au reste des basses-fosses, bardée de rambarde incrustées de pierres lumineuses et ouvertes à l’emplacement d’escaliers pour descendre vers la ville.

Il y avait aussi des panneaux à affiches ici et là, autour desquels des humains étaient réunis. Quelques uns aperçurent du coin de l’œil la nouvelle venue et ceux-ci disparurent bien vite vers la cité en contrebas ; il ne fallut pas plus à la jument pour se souvenir de l’urgence de la situation. Les bruit de pas derrière elle et l’idée de rencontrer d’autres humains en armure sembla la motiver à cavaler.

Quand un projectile passa juste à côté de sa tête pour terminer sa course contre le sol devant elle, sans un regard vers son point d’origine la licorne bifurqua vers l’un des escaliers. Quatre à quatre elle dévala les marches pour s’enfoncer dans le dédale de rues ; éclairés par des cristaux, les humains l’imitaient et fuyaient à sa vue. Les portes claquèrent rapidement, les marchands aux devantures ouvertes essayèrent de ranger leur matériel au plus vite. Quelques individus pourvus de matraques tentèrent d’arrêter la fugitive, mais dans un crissement de poussière elle changeait de cap et fonçait dans une autre ruelle, changeait de direction, sans perdre de vue celle du château même si elle s’enfonçait plus encore dans les méandres de l’immense cité creusée dans la roche.

Le souffle court, elle finit par prendre une pause, épuisée, entre deux poubelles d’une sordide allée. Son objectif n’était plus très loin, mais sa respiration semblait de plus en plus difficile et ses muscles à bout de force. Des cris s’élevaient un peu partout, peu audible ; des ordres. Ils s’organisaient et connaissaient sa destination. Après un long moment de repos, à moitié endormie, la licorne reprit la route, avec quelques grimaces de douleurs, ses muscles probablement encore meurtris après autant d’efforts.

…

Des humains sans armures mais équipés de matraques escortaient à bonne distance la jeune jument dans les rues, en direction du château. Son regard était déterminé et avait suffit à imposer une certaine crainte aux hommes armés, même s’ils auraient eu peur même sans cela. Une fois arrivée à l’escalier le plus proche de sa destination, ils la laissèrent monter.

Ses sabots frappaient la pierre avec conviction et elle ne fut pas surprise à la vue du rang de soldats couverts de métal, alignés devant la porte, arbalètes pointée sur leur cible. Juste devant eux se tenait la dénommée Meghan, vêtue simplement d’une tunique et d’un pantalon en toile, une matraque à la main, mais cette fois-ci la femme blonde n’était pas la seule à avoir du feu dans les yeux.

D’un mouvement de tête, la capitaine ordonna à ses troupes d’attaquer et les traits fusèrent ; ceux-ci allaient atteindre leur cibles, avant de se heurter à un bouclier dressé par magie. Ils tombèrent tous au sol, intact. Et, dans un effort de concentration intense, la protection s’effaça et les projectiles furent entourés de halos colorés.

La jument grimaça et les objets sous son influence retournèrent à leur point d’origine avec la même vélocité ; les armes se brisèrent fatalement et finirent au sol, inutilisables. Un claquement de sabot sur la roche en signe de défi arracha une grimace de colère à la capitaine et elle s’avança, bouillante de rage.

“Ce n’est qu’un stupide animal… et je vais le dresser !!”

Face à face, les deux adversaires se toisèrent. La licorne plissa des yeux. L’humaine resserra sa prise sur son arme. Un renâclement poussa Meghan à brandir son arme, mais au moment de l'abattre, elle en fut incapable ; la matraque était suspendue au-dessus de sa tête, enveloppée de magie.

Le visage déformé par la rage, la capitaine essaya de tirer de toutes ses forces. Sans effet. Elle la lâcha et avança vers la jument, mais avant de brandir le poing, la matraque lui donna un petit coup sur la tête. Irritée, l’humaine tenta de se saisir de l’arme mais celle-ci s’enfuyait, pour mieux revenir la frapper gentiment lorsqu’elle se retournait pour tenter de s’en prendre à sa proie.

Celle-ci avait l’air hilare et se mettait à trotter fièrement quand Meghan lui courrait après, gênée par la matraque, et s’arrêtait pour regarder son adversaire s’énerver sur son arme dissidente. Quelques rires finirent par éclater parmi les rangs de soldats.

“LA FERME !!”

Une rage intense se sentit dans sa voix et Meghan fonça sur la jument sans réfléchir. Mais l’équidé réagit prestement et bondit sur le côté, puis regarda, impuissante, l’humaine prise par son élan percuter la rambarde et basculer. Ses pattes s’électrisèrent et elle bondit pour attraper les jambes de l’humaine et difficilement l’empêcher de tomber. Les gardes en armures se précipitèrent avec fracas pour aider le poney et sauver leur camarade.

Une fois remise, la capitaine resta assise contre la rambarde sans dire un mot. Ses subordonnées retirèrent leurs casques et révélèrent des visages pris par de multiples émotions, en plein conflit. Ils regardaient la petite jument. Elle aurait pu profiter de l’agitation pour s’enfuir, mais restait, comme pour s’assurer de l’état de Meghan. La mine sombre, celle-ci finit par se relever.

“Casse-toi,” lâcha-t-elle simplement, “avant que je change d’avis.”

La jeune licorne opina du chef et se détourna des humains, pour embrasser du regard le château. Elle approcha de la porte en bois immense, avec quelques regards en arrière pour voir les soldats et leur capitaine s’éclipser. Plus rien ne semblait se dresser entre elle et le portail ; une grande inspiration et un sourire l’habillèrent quand sa magie enveloppa la petite porte de service installée dans les doubles battants colossaux.