De l'autre côté du miroir

Je venais de quitter Ember précipitamment. En effet, je ne la supportais pas assez pour la voir faire preuve d’autant de tendresse face à moi. Chrysalis était partie sans m’attendre, certainement encore en colère contre moi. Je ne m’en faisais pas spécialement, cette matriarche tenait bien trop à moi pour tenter à nouveau quelque chose. Certes, elle n’y avait pas été avec le côté tendre du sabot quand nous étions chez Ember, mais je ne m’en faisais pas de trop… C’était étrange. J’ai détesté Chrysalis le jour où je l’ai rencontrée, pourtant, je sentais qu’au fond de moi, je m’en faisais pour elle. J’étais contente de ne lui avoir rien dit, mais d’un autre côté, j’avais l’impression qu’elle était sincère… J’en venais même à penser qu’il était préférable que je m’excuse auprès d’elle. Je ne l’aimais toujours pas, mais ça éviterait peut-être d’envenimer davantage notre collaboration forcée.

Pour le moment, la meilleure chose à faire, c’était de nous laisser le temps de digérer tout ça. Je devais bien l’admettre, j’avais été bien remontée et aussi très vite refroidie quand je me suis retrouvée face à Chrysalis. J’avais surtout ressenti toute son énergie avant même qu’elle ne se rapproche de moi, une sensation toujours bien désagréable qui vous serrait la gorge. Je ne voulais plus voir de changelin pour le moment, même si j’en ressentais le besoin, même si j’avais cette fausse impression de me sentir bien en leur présence, je refusais de voir quelqu’un qui partageait un lien faible ou puissant avec Chrysalis. Je toussai légèrement avant de prendre la route qui me mènerait à mon rendez-vous.

Guerre m’avait bien fait comprendre que je devais être seule et que le soleil devait être couché… Oui, ça s’annonçait plus comme un piège ça, mais heureusement, il m’avait dit à qui j’allais avoir affaire et m’avait donné la solution pour obtenir toutes les réponses que je désirais. Tout ce que je devais faire, c’était me présenter à lui, et c’était réglé. J’allais enfin pouvoir rapidement m’occuper du Taxidermiste. Même si je ne savais pas qui il était, je ne pensais pas qu’il était urgent de me faire du souci. Il était arrivé il y a une semaine de ça à Canterlot et je n’avais rien vu d’anormal qui pourrait me mener à penser qu’il était dangereux. Un poney qui relève des cadavres, qu’est-ce qu’il peut bien y avoir comme risque ?

Comme d’habitude, j’étais dans une sacrée merde. Mais heureusement, à force de connaître cette situation, j’ai fini par comprendre que la meilleure chose à faire, c’était de ne jamais s’arrêter. Mon rendez-vous allait très vite me donner les réponses que je voulais, et il était clair qu’il n’allait me donner rien que la vérité.

Les lampadaires de la ville s’illuminèrent à l’instant où les derniers rayons du soleil eurent totalement disparus. Avoir une alicorne qui gérait un astre à elle toute seule, c’était plutôt pratique. Pas de mauvaise surprise, l’heure d’été avait déjà commencé son cycle, et le soleil allait se coucher, tous les soirs, à vingt et une heures trente, précises ! Maintenant que le soleil était totalement absent du ciel, il n’y avait plus que la faible lumière des réverbères pour éclairer ma route. Je devais admettre que j’aurais bien aimé avoir Chicha… ou Cherba à la limite pour m’aider à supporter cette ambiance plutôt froide. Je n’aimais pas particulièrement le noir, je n’étais pas spécialement en situation de stress, mais avec tout ce que je connaissais sur l’autre monde, je savais que le plus effrayant ce n’était pas le noir en lui-même, mais ce qui pouvait s’y cacher.

Bien sûr, je venais de démarrer un régime sans cafard et il fallait que ma première pensée soit pour l’un de ces deux andouilles ! Ils m’énervaient, et pourtant, je ne pouvais pas m’empêcher de les aimer. Je m’arrêtai aussi net lorsque je repris le fil de ma pensée, venais-je vraiment de considérer Cherba comme mon amoureux ? Je le trouvais mignon, ça, c’était sincère, mais de là à dire que je l’aimais… Peut-être qu’il valait mieux que je lui parle un peu de toute cette histoire, après tout, il se faisait embarquer dans les plans de Chrysalis, et en essayant de le sauver, je venais de le proclamer comme m’appartenant. Peut-être qu’il n’était pas spécialement d’accord avec ma décision…

J’arrivai enfin dans une petite ruelle complètement abandonnée. J’approchais du quartier le plus proche du rempart qui encerclait la ville. Celui-ci était toujours plus froid que le reste de la ville, comme si l’endroit n’était jamais exposé au soleil durant la journée, ce qui était pratiquement la réalité. Du moins, uniquement dans cette rue qui se retrouvait cernée de chaque côté par la grande muraille. Heureusement, cette rue ne comportait qu’une seule maison. Celle-ci était directement incrustée dans le mur d’enceinte en réalité. L’ancien propriétaire était le général de la garde qui était affecté à l’organisation sur les remparts, bien sûr, il avait trouvé original de faire construire sa maison directement à l’intérieur.

Une petite fantaisie qui ne fut pas spécialement au goût du mur, car ce dernier s’en était retrouvé fragilisé. Le général de la garde n’avait pu rester au final que deux ans avant que la princesse Luna finisse par la déclarer comme insalubre. Cela faisait maintenant cinq ans qu’elle était inhabitée, et depuis, on n’avait jamais retrouvé le général qui s’occupait du mur. Certains disaient qu’il avait quitté la capitale pour se mettre au vert, d’autres pensaient qu’il s’était suicidé, car le mur représentait toute sa vie et qu’il se refusait à admettre qu’il l’avait abîmé. La solution aurait été de le reconstruire, mais la princesse Luna m’avait informée que les frais auraient été bien trop élevés. Donc… un poney qui avait l’envie et l’argent, avait réussi à détruire la chose qu’il aimait le plus, tout en laissant Canterlot avec une faille dans ses remparts qu’il était trop cher de réparer. On laissait vraiment les poneys faire n’importe quoi…

Je passais les grandes clôtures qui avaient été installées pour éviter que n’importe qui puisse entrer… Bon, bien sûr, on aurait dû ajouter des barrières magiques pour éviter qu’un pégase n’entre aussi facilement que ça. Néanmoins, même si les pégases avaient la fâcheuse tendance de se retrouver partout où ils ne devraient pas, ils savaient aussi s’éloigner des lieux aussi lugubres que celui-là. En fait, les pégases les plus téméraires restaient rarement plusieurs mois dans la même ville… surtout celle de Canterlot qui leur semblait tellement ennuyeuse.

L’air se refroidit encore alors que je me trouvais face à l'entrée. Un vent froid me souffla brusquement au visage lorsque j’ouvris la porte sans même frapper. Guerre m’avait prévenue de la marche à suivre pour que mon indic ne se manifeste, et si je ne jouais pas parfaitement, il risquait de ne tout simplement pas venir.

La lumière de la lune perçait faiblement à travers les fins rideaux blancs. Cela rendait les lieux bien effrayants. L’odeur de moisi et de renfermé me fit aussitôt tirer une grimace. Le papier peint était décollé sur la plupart des murs, et les vieux meubles, bien que résistants grâce à leur bois déjà ancien, étaient quasiment en train de suinter à cause de l’humidité. Je repris lentement ma respiration en essayant de me faire à l’odeur, mais ce n’était pas ma première préoccupation en entrant dans une maison pareille. Tout ce que je voulais actuellement, c’était de fuir aux galops. Guerre m’avait dit de ne surtout pas faire demi-tour une fois être entrée. Il n’irait jamais me trahir en me guidant vers un traquenard… après tout, il était plus du genre à vouloir me tendre un piège dans son lit.

Je pris la direction de l’escalier, mon contact m’attendait dans l’une des chambres à l’étage, mais pouvait d’ores et déjà m’observer. Tout ceci était un test, un test cherchant à déterminer si j’étais une victime potentielle ou non. Durant mon ascension, je pus entendre chacune des marches se plaindre de mes sabots en grinçant bruyamment. J’ignorais tous ces craquements étranges qui provenaient d’ici et d’ailleurs, un vase qui se met à tomber dans une autre pièce, quelque chose qui heurte un mur en provoquant un bruit sourd, un léger gémissement. Il ne m’en fallait pas davantage pour être dans mon rôle de poney apeuré sur ce coup.

L’étage s’ouvrait sur un long couloir principal qui menait à différente chambre. Le général qui avait construit cette maison vivait seul, pourtant, il y avait bien plus de pièces que pour une seule personne. Cela n’allait pas m’aider dans mes recherches. La première porte que j’ouvris me guida malheureusement dans la salle de bain, la suite donnait sur une pièce qui servait de bureau, puis une bibliothèque. Je finis par soupirer de soulagement quand je découvris, en ouvrant l’une des trois dernières portes, la chambre à coucher.

Je retins un léger sourire en remarquant que finalement, Guerre venait littéralement de me guider jusque dans un lit. J’utilisais ma magie pour lever les draps avant de me glisser sur le matelas en essayant de faire le moins de bruit possible. Je n’avais pas peur de cet endroit en réalité… Avec tout ce qui m’était arrivé, ce qui m’effrayait le plus à l’heure actuelle, c’était de m’endormir. Je ne devais pas vraiment le faire heureusement. L’immortel m’avait simplement expliqué que son contact ne viendrait pas s’il n’avait aucun moyen de m’attaquer en me pensant totalement vulnérable.

Je n’eus pas à attendre longtemps avant d’entendre un nouveau bruit sourd. Les oreilles plaquées contre mon crâne, je plissais les yeux un maximum pour donner l’impression d’être endormie. Les bruits se rapprochant de plus en plus, comme des pas qui se faisaient dans ma direction, je rabattis aussitôt les couvertures sur ma tête. Étrangement dans toute cette moisissure, cette chambre était restée parfaitement intacte. Les draps sentaient bon et en y repensant, si Guerre ne m’avait pas dit de me coucher dedans, j’aurais aussi bien pu le faire moi-même tellement cela ressemblait à une invitation.

Les pas se rapprochèrent de mon lit alors que je gardais désormais les yeux grands ouverts. Ils finirent par s’arrêter juste au niveau de ma tête avant que je n’entende une légère respiration, cependant dans le silence qui emplissait cette vieille maison, ce simple bruit avait tout pour être parfaitement terrifiant. Je ne tins plus une seconde de plus et rejetai les couvertures avant de dire : “Bonsoir Mavrick.”

Je me retrouvais museau à bec avec un griffon noir aux plumes défraîchies. Il réussit tout de même à me faire peur avant que je ne le vis écarquiller ses yeux rouges et de se mettre à pousser un cri strident. Je reculais alors aussitôt en posant mes sabots contre mes oreilles, surprise.

Je secouai la tête et reportai mon attention sur le griffon, mais ce dernier venait de disparaître aussi brusquement qu’il était apparu. Je laissai alors mon regard voyager dans la pièce en espérant le retrouver. Allait-il utiliser une approche aussi clichée en apparaissant derrière moi ? Je fus presque déçue en constatant qu’il ne s’y trouvait pas, pourtant, ça marchait toujours dans les films d’horreur…

La chambre était tout juste éclairée par la lumière de la lune qui n’avait pas tardé à se lever et qui filtrait à travers la fenêtre ouverte. Je n’entendais que le bruit du vent qui faisait flotter les grands et fins rideaux blancs, ainsi que la vieille horloge qui rythmait chaque seconde de la manière la plus pesante qui soit. Même avec la vision de l’horrible griffon, je n’avais aucun problème à garder mon calme. Il devra faire plus d’effort pour me faire peur… sauf s’il utilisait les vieilles poupées habillées en dentelle et qui se trouvaient sur une étagère juste en face du lit. Je ne supportais pas le regard vide qu’elles m’adressaient.

Je me mis à rouler des yeux en entendant un léger grincement qui provenait d’un grand miroir qui se trouvait dans le coin de la chambre. Allait-il vraiment utiliser une approche encore plus clichée que d'apparaître dans mon dos ? Les esprits frappeurs n’avaient vraiment plus aucune imagination…

Je décidai donc de jouer le jeu en me dirigeant vers celui-ci et de me mettre à sourire en observant ma nouvelle coupe de crinière. Les changelins d’Ember avaient vraiment fait du beau travail en faisant cette natte qui pendait le long de mon encolure. Ma mèche de crin noir avait été séparée pour pendre juste sur le côté de mon visage sans me gêner la vue. Même si je n’aimais pas vraiment mettre cette partie de ma crinière en évidence, je devais avouer que pour une fois, elle rendait plutôt bien.

“Ooooh, que je suis belle…” Minaudais-je avant de voir mon reflet prendre une allure plus sombre, pour faire brusquement apparaître le griffon, qui se mit à pousser un nouveau cri strident.

“C’est bon Mavrick, ferme-là !” Ordonnais-je. Le griffon me fusilla aussitôt du regard, pourtant, il m’obéit docilement. “Parfait, maintenant que je sais que tu ne pourras pas me faire le moindre mal, Mavrick, je voudrais que tu répondes à quelques petites questions.”

Le griffon frappa violemment la fenêtre qui se trouvait entre lui et moi, puis il me demanda : “Qui t’a donné mon véritable nom ?

-Un ami…” Répondis-je en ayant le regard fuyant, puis, je me mis à sourire avant de continuer. “Non, en réalité c’est Guerre qui me l’a dit, il m’a dit aussi qu’il s’en fichait que je te dise la vérité.

-Espèce d’enfoiré ! Comment j’ai pu faire confiance à une créature qui se fiche de tout le monde ?!

-Yep… C’est l’histoire de ma vie.” J’attendis un moment que le griffon se calme. Après tout, il était maintenant totalement vulnérable face à moi. Si Guerre n’avait jamais eu l’utilité de savoir le nom d’un simple possesseur, il s’avérait être très utile dans ma situation. Il ne pouvait plus rien faire et devait se contenter d’obéir à chacun de mes ordres. Je finis par perdre patience alors que Mavrick était toujours en train de ruminer dans son bec. “Maintenant, dis-moi ce que tu sais sur le Taxidermiste !

-Ça risque de prendre beaucoup de temps si je dois commencer depuis le début.” Dit-il résilié, tout en se mettant à glousser légèrement.

“Joue pas sur les mots ! Voilà ce que je veux savoir : Mavrick, pourquoi est-ce que Guerre me dit que tu peux me renseigner au sujet du Taxidermiste ?!” En réalité, je ne savais absolument pas pourquoi Guerre m’avait mené jusqu’à Mavrick. Heureusement, ce pigeon était obligé de me répondre, et à voir la grimace qu’il fit, il n’aimait vraiment pas se faire mener à la baguette.

“Sûrement parce que je suis la seule personne sur laquelle Guerre t’a donné du pouvoir pour te renseigner au sujet de l’autre monde, et aussi parce que je connais le Taxidermiste et que je peux te donner certaines réponses à son sujet… Satisfaite ?” Il plissa ses yeux rouges alors que des plumes se détachaient pour tomber mollement au sol. C’était dommage, il n’en avait déjà pas énormément.

“Ooooh c’est très pratique ça, tu te charges de faire l’exposition à ma place…” Lâchais-je en applaudissant des deux sabots. “Donc, vu que tu as l’air de savoir mieux que moi ce que je fais ici, pourquoi est-ce que je dois récolter des informations à une créature qui vit entre les deux mondes ?” Guerre m’avait bien fait comprendre que le Taxidermiste et l’autre monde étaient liés, mais je ne savais pas encore à quel point.

“Parce que le Taxidermiste est justement dans les deux mondes !

-Quoi, tu veux dire qu’il est aux deux endroits en même temps ?

-C’est ce que je viens de dire !”

Je posais un sabot sur mon menton en me mettant à réfléchir. Luna ne m’avait jamais parlé de créature vivant dans les deux mondes, je ne savais pas ce que cela impliquait, mais il était certain que cela devait déjà être assez rare pour s’en inquiéter. Je ne savais pratiquement rien sur le Taxidermiste, mais déjà, j’avais toutes les raisons du monde pour m’en méfier.

“Est-ce que c’est lui le responsable des incendies ?

-Il y a des incendies dans ton monde ? Que c’est triste…

-Je suis sérieuse, Mavrick !

-Et moi aussi ! Il y a tellement pire que de brûler vif. Je possède des gens en espérant pouvoir foutre le camp de cette baraque, mais bien évidemment, plus personne ne vient depuis qu’une abrutie de princesse a clôturé la maison pour risque d’effondrement.”

Je me mis à soupirer en secouant la tête alors que le griffon se remettait en colère de son côté du miroir.

“Je sais déjà ce que font les démons de ton genre. C’est étrange, mais je n’arrive pas à éprouver de la compassion pour toi, dommage.

-C’est une succube qui me dit ça ? Tu crois vraiment qu’on peut devenir gentil simplement en souriant ? Je suis né pour tuer et comme tous les autres monstres, je ne ferais jamais que ça.”

Je me sentis rassurée. Enfin un véritable monstre qui ne me cachait pas ses intentions. C’était très simple, les monstres c’étaient les méchants, et les poneys étaient les gentils.

“Dis-moi si c’est lui le responsable des incendies, tout de suite !

-Non ! Même avec mon véritable nom, tu ne peux m’obliger à dire quelque chose que je ne sais pas !

-Mais tu sers à quoi bordel, Mavrick !” Rétorquais-je agacée.

Je vis le griffon serrer les mâchoires avant de poser l’une de ses griffes sur son crâne tout en secouant la tête. À mon avis, quelqu’un avait du mal parce qu’il devait me dire tout ce que je lui ordonnais.

“Je sers exactement à ce que Guerre voulait que je serve ! Il voulait que je te dise que le Taxidermiste est bien quelqu’un en qui on ne peut faire confiance ! Tout ça, juste parce qu’il ne supporte pas les fréquentations de son soi-disant petit frère ! Et moi, au beau milieu de cette histoire de famille à la con, je me retrouve obligé de te répondre, parce que tu as mon véritable nom !”

Il n’avait pas tort. Moi-même, je craignais de m’être faite embarquer dans les problèmes de Guerre.

“C’est bon, arrête de t’énerver Mavrick !” Lâchais-je alors qu’il continuait de s’énerver tout seul en poussant de drôle de piaillement. “Je ne vais pas me battre contre lui… Ce n’est pas mon but. Je dois juste lui parler de la part de Luna.

-Parce que tu crois qu’il te laissera l’approcher ?

-Heurf… Donne-moi les réponses au lieu de jouer sur les mots !” Voyant l'oiseau me dévisager toujours aussi intensément, je compris qu’il n’allait pas lâcher le morceau si je ne lui posais pas les bonnes questions. Je me mis à soupirer avant de lui dire sur un ton monocorde : “Tu crois que Mort va m’en empêcher ?” Il était clair que si c’était le cas, je n’allais pas m’approcher du Taxidermiste.

“Pas vraiment… J’en sais rien en réalité. Disons qu’un nécromancien qui fait équipe avec la mort ça semble plus dangereux qu’une succube accompagnée d’une matriarche, mais leur relation semble assez compliquée.

-T’es enfermé dans cette vieille maison depuis longtemps, alors comment ça se fait que t’es au courant de ma relation avec Chrysalis et pas du responsable des incendies ?

-Parce que je suis beaucoup moins limité dans l’autre monde !”

Je secouais la tête avant de m'asseoir face au miroir. Si c’était vrai, cela voulait dire qu’il ne savait pratiquement rien de ce qui se passait ici. Il ne pouvait m’informer sur le responsable des incendies, alors pourquoi est-ce que Guerre voulait que je le voie ? Si c’était juste pour me dire que le Taxidermiste n’était pas fait pour son frère, alors il aurait aussi bien pu me le dire directement… Heureusement pour moi, mon griffon préféré allait me donner les réponses que je souhaitais sans rechigner.

“Comment a fait le Taxidermiste pour se retrouver dans l’autre monde, Mavrick !

-C’est un nécromancien.” Répondit-il en haussant les épaules. “À la mort d’un poney, son âme peut se retrouver à plein d’endroits différents, et quand on est quelqu’un qui a la capacité de la diriger et de la conserver, on peut facilement arriver de l’autre côté du miroir.” Dit-il en frappant légèrement celui qui se trouvait entre nous.

“Mais alors comment fait-il pour rester dans ce monde ?” Demandais-je en penchant la tête sur le côté alors que le démon fuyait mon regard.

“Je te le dirais pas !” Rétorqua-t-il sèchement.

“Ooooh, mon petit Mavrick a envie de me dire quelque chose on dirait ?

-Nan !” Hurla-t-il en frappant contre le miroir. Je me mis à glousser légèrement, c’était la première fois que j’avais autant de pouvoir sur un monstre… en réalité, la simple idée de pouvoir diriger chacun de ses pas était incroyablement séduisante.

“Aller Mavrick, dis moi : je vais faire tout ce que tu veux, princesse Mi amore Cadenza.” Je me rapprochais un peu plus du miroir, penchant mon visage à moins de quelques centimètres de celui-ci.

“Ggggnnnnniiiiirrrfff ! Je vais faire tout ce que tu veux, princesse Mi amore Cadenza !” Répéta-t-il en frappant sur le miroir alors que j’étais appuyée de l’autre côté, le côté droit de mon visage plaqué contre le verre froid.

“Oooooh, tu es tellement mignon.

-Vas te faire foutre salope !”

Je me mis à lécher le miroir du bout de la langue en me mettant à lui sourire pour l’énerver davantage. Je ne savais pas jusqu’où j’aurais pu aller, et cela m'excitait autant que ça m’effrayait. Pouvoir posséder quelqu’un de la sorte était déconcertant de facilité et me donnait envie de m’amuser davantage.

“Tu me trouves comment ?

-J’ai jamais vu un poney aussi hideux que toi !

-Mavrick…” Répondis-je en prenant un air triste.”S’il te plait, dis moi à quel point tu me trouves belle... “

Le griffon poussa un nouveau cri avant de serrer son crâne entre ses griffes et de se mettre à réciter : “De tout les poneys qui sont rentrés dans cette maison, tu es sans aucun doute la plus belle et la plus séduisante.”

Je me mis à ronronner en me pressant un peu plus contre le miroir.

“Dis m’en plus Mavrick !

-J’adore ton côté succube, et j’aime la manière dont tu te moques de moi en satisfaisant tes petits désirs pervers inavouables.

-Ouiiii, continue Mavrick !

-Tu es un monstre bien pire que moi, tu aimes me voir souffrir, tu es une sadique qui ne s’assume pas et c’est tellement mignon quand on comprend à quel point tu es pourrie !

-Dis-moi que tu m’aimes.

-Je t’aime.”

Je reculais brusquement de contre le miroir en me mettant à glousser alors que le griffon lui, se rapprochait.

“Qu’est-ce que tu fous encore ?!” S’énerva-t-il en se surprenant déjà d’avoir fait un pas vers moi.

-J’ai pas dit ‘Mavrick’ !” Annonçais-je en rigolant. Le griffon se renfrogna aussitôt.

“Je pensais que tu l’avais dit, c’est sorti tout seul !

-Oooooh, tu m’aimes vraiment ?” Demandais-je en plaçant mes sabots contre mon poitrail. “Je suis tellement touchée.

-J’étais encore sous ton emprise, ça ne compte pas !

-Mon emprise, ou mon charme ?” Plaisantais-je alors que Mavrick était à nouveau en train de s’énerver dans son coin. “C’est bon, arrête de te mettre en colère, tu vas perdre le peu de plumes qu’il te reste… Si on ne peut même plus rire avec un monstre. Allez Mavrick, dis-moi comment le Taxidermiste fait pour rester dans notre monde !”

Le griffon prit un moment pour se calmer, maintenant, il était obligé de me dire la vérité. J’aurais bien voulu continuer de jouer avec lui, savoir jusqu’où il était possible d’aller avec le véritable nom d’une personne, mais j’avais encore une enquête à terminer.

-Il a juste conservé un corps pour pouvoir y placer son âme. Ainsi, il est autant dans ce monde que dans l’autre.

-Luna est au courant ?” M’inquiétais-je en fronçant les sourcils. Si l’alicorne lunaire savait ce genre d’information qu’elle refusait de me donner, j’allais lui en vouloir.

“De quoi est-ce qu’elle n’est pas au courant ?” Lâcha-t-il en ayant un sourire malsain. “Je préfère encore faire confiance à Guerre plutôt qu’à elle.

-Pourtant cela ne semble pas déranger Guerre de te mettre dans une sale situation face à moi.”

Le griffon hoqueta légèrement en riant alors que davantage de plumes se détachaient de son corps.

“Justement, ça veut bien dire à quel point elle est encore plus dangereuse.”

Je fis une légère grimace. Oui, Mavrick n’avait pas tort. Luna n’était pas la meilleure personne en qui avoir confiance… Bien sûr, je pouvais me vanter de faire partie des privilégiés qu’elle essayait d’aider… même si cela semblait plus superficiel et m’attirait davantage d’ennuis qu’autre chose… Elle avait parié de l’argent sur ma mort !

“Dis-moi où se trouve le Taxidermiste, Mavrick !

-Dans l’autre monde et ici ! Où précisément, je ne sais pas !

-Il ne t’a jamais donné une indication particulière quand il a quitté Manehattan ?

-Je suis coincé dans cette foutue baraque, tu crois vraiment que ce malade va me confier toute sa vie ? T’es vraiment du genre à faire confiance à la première créature surnaturelle que tu croises toi ?”

Il marquait un nouveau point.

“Réponds-moi par oui, non, je ne sais pas, Mavrick : Est-ce qu’il a l’intention de venir me voir ?

-Je ne sais.

-Est-ce qu’il cherche à nuire à Equestria ?

-Non.

-Est-ce qu’il m’attaquera si j’approche ?

-Je ne sais pas…

-Qu’est-ce qui le pousserait à m’attaquer ?

-...Oui…” Dit-il difficilement avant de se mettre à serrer les mâchoires.

Je croisais les sabots contre mon poitrail en haussant un sourcil.

“Des mots Mavrick, tu peux utiliser plus de mots pour me répondre cette fois !

-Ce poney est dans les deux mondes, à quel moment il devient facile de prédire ce qu’il va faire ? Un poney normal ne vient pas dans l’autre monde par choix. Si c’était le cas, c’est bien qu’il lui manque une case. Même si j’en avais la possibilité, je ne voudrais certainement pas entrer dans le corps de ce type.

-Même si ça te permettrait de quitter cette maison ?”

Le griffon pencha la tête sur le côté avant de frapper légèrement sur la fenêtre du bout de sa griffe.

“Cette prison me tiendra un long moment enfermé, je n’en doute pas, mais viendra bien un jour où un poney franchira les barrières ce qui me permettra de m’échapper. Cette maison ne restera pas indéfiniment debout, même si l’alicorne de la nuit a inventé les risques d'effondrement, elle ne pourra tenir ainsi dans le mur de la ville.

-Il n’y a pas de risque d’insalubrité ?

-Pas le moins du monde. Cet endroit est ma prison. J’ai tué le propriétaire, et c’est Luna qui m’a découvert et qui a décidé de m’isoler.

-Et pourquoi je n’utiliserais pas ton nom pour te détruire une bonne fois pour toutes ?” Demandais-je en haussant un sourcil. Certains esprits frappeurs étaient difficiles à détruire, mais avec son véritable nom, je n’avais aucun doute sur mes capacités.

“Qu’est-ce que tu attends, vas-y.” Fit-il en se mettant à sourire avant de s’arracher une plume qui ne tenait pratiquement plus. Je me doutais qu’il devait y avoir un piège. Si Luna s’était contenté de l’isoler, c’était certainement parce qu’elle ne voulait pas prendre parti. Guerre, lui, n’en avait aucune utilité et devait certainement agir que quand il avait quelque chose à gagner. Mais moi… Je tenais un monstre qui avait déjà tué et je pouvais me permettre de faire justice moi-même.

“Mavrick, pourquoi est-ce que je ne devrais pas utiliser ton nom pour te détruire ?” Demandais-je en dévoilant un large sourire. Le griffon se contenta de se frapper le visage en soupirant. C’était plutôt facile quand on était face à quelqu’un qui ne pouvait pas vous mentir ni vous manipuler.

“Parce que mon nom te donne du pouvoir uniquement dans ce monde, si tu l’utilises en tentant de me tuer, tu n’arriveras qu’à me chasser dans l’autre monde. Ainsi, j’aurais justement l’occasion de pouvoir ouvrir une nouvelle fenêtre dans ton monde qui ne sera pas située dans une maison isolée.

-Tu peux voyager entre les deux mondes, mais tu n’es pas fichu de t’ouvrir une autre porte vers le nôtre ?

-Ce n’est pas moi qui établis les règles !” S’énerva-t-il en se détournant de moi.

“Et en attendant, tu pourris ici jusqu’à l’éternité…” Fis-je en haussant les épaules.

“Parce que tu crois vraiment que je vais rester ici indéfiniment ?

-Oui, parce que je reviendrai pour barrer cette maison de plusieurs glamours pour éviter que n’importe qui essaye d’entrer. Je ferai en sorte que tu restes bien enfoncé dans les remparts de la ville jusqu’à ce que tu oublies même pourquoi tu essayes de t’enfuir.”

Le griffon se mit à glousser en secouant la tête, faisant voler davantage de plumes.

“Réfléchis un peu, tu crois que lequel d’entre nous mourra le premier ? Je n’ai qu’à attendre le temps qu’il faudra, et quand tu ne seras plus là, un autre Marshall prendra ta place, l’alicorne de la nuit ne lui donnera aucune explication, et je serai à nouveau prêt à m’échapper. Ce n’est qu’une question de temps, et du temps, je n’ai que ça.” Il se mit à rire en se rapprochant du miroir. Je trouvais ça injuste, injuste que le monde qui avait décidé de créer un monstre pareil lui ait aussi donné la possibilité de vivre éternellement. Après tout, comment pouvait-on séparer ces deux choses ? Quand le temps n’avait plus d’influence sur vous, il ne restait que vous pour déterminer si vous étiez le gentil ou le méchant de cette histoire. Et bien entendu, après avoir vécu des centaines et des centaines d’années, ce genre de notion devenait de plus en plus floue.Je n’avais jamais été dans l’autre monde, et selon les avis de Luna et de Mavrick, il fallait être littéralement fou à lier pour vouloir s’y rendre. Ce monde ne devait être empli que d’abominations et de créatures tout aussi sadiques, pourtant, la princesse de la nuit m’avait à plusieurs reprises expliqué que ce n’était pas le cas pour tous ces habitants. Pour en sauver un, nous allions en laisser passer dix, c’était un combat déjà perdu d’avance.

“Mavrick, je ne peux pas juste te demander d’être gentil ?” Demandais-je lasse. Je ne pouvais pas gagner face à ce genre de créature alors même que j’avais le plein pouvoir sur lui, c’était déprimant.

“Malheureusement, ça ne marche pas comme ça.” Répondit-il en haussant les épaules avant de s’appuyer contre le miroir. Il avait l’air sincère… aussi sincère qu’un griffon défraîchi au regard rouge sang pouvait l’être. “Je suis obligé de t’obéir parce que nous sommes en contact, celui-ci deviendra de plus en plus ténu une fois que tu seras partie jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. De plus, être gentil est relatif à chaque personne, pour moi, te tuer rapidement sans douleur est preuve de gentillesse et de compassion.

-Adorable.” Lâchais-je en roulant des yeux. Il n’avait plus aucune information à me fournir, même après que je lui ai posé la question pour être certain qu’il n’avait rien omis de me dire, il se contenta de me répondre “non”. Je fus alors sur le point de partir quand il m’interpella. Même si je savais que j’allais le regretter, je ne pus m’empêcher de me retourner. Il ne pouvait rien me faire, j’avais tous les pouvoirs sur lui.

“Je voudrais savoir, Marshall. Pourquoi est-ce que tu désires tant tenir ce rôle ?

-De quoi ?

-Si j’ai déjà entendu parler de toi, c’est parce que beaucoup de créatures dans l’autre monde s’inquiètent de ne plus t’avoir à leurs bottes, d’autres espèrent te voir mourir. Mais avec toute cette attention que tu attires sur toi, tu ne sembles pourtant pas t’en réjouir, alors dis-moi, pourquoi est-ce que tu continues à faire ça ? Tu n’es pas heureuse de le faire, et tu n’es pas motivée par des pulsions suicidaires…”

Je regardais le griffon d’un regard dur. Je le détestais, comme je détestais chacun de ces monstres qui n’étaient là que pour détruire tout ce qu’ils touchaient. Ils n’avaient aucun respect pour la vie, car ils se pensaient au-dessus d’elle.

“Parce que je veux me débarrasser de ce que je déteste le plus !” Lâchais-je sèchement. C’était une logique dure, chercher à détruire ce que nous n’aimions pas, mais force était de constater que je ne savais faire que ça. Je vis le griffon se mettre à nouveau à glousser, est-ce qu’il pensait que je n’en étais pas capable ? Il n’avait pas entièrement tort. Je ne pourrais jamais arrêter tout ça, il y aura toujours des monstres sous le lit… Mais j’avais l’occasion de me venger sur l’un d’eux. “Hey, Mavrick, tu sais ce que j’ai envie de voir ?” Le griffon m’observa d’un regard curieux, il ne s’attendait pas à ce que j’allais lui dire et je ne pouvais m’empêcher de trouver ça encore plus amusant. “Mavrick, je veux que tu souffres, que tu te mettes à hurler à la mort, jusqu’à ce que mon pouvoir ne soit plus sur toi, je veux que tu cries à t’en bousiller les cordes vocales, je veux que tu t’arraches le visage avec tes griffes tellement tu as mal. Je veux que ta douleur se propage dans tout ton corps au point que le moindre mouvement soit comme les flammes du tartarus.” Je restai silencieuse un instant, alors que le griffon avait les yeux écarquillés à cause de la promesse douloureuse que je venais de lui faire. Je me mis alors à sourire quand je le vis s’écrouler au sol pour se mettre à pousser des cris stridents. Il allait perdre le peu de plumes qui lui restait, c’était certain.

Je me mis à quitter cette horrible maison en fredonnant au rythme de mes pas. Je pouvais toujours entendre la douce mélodie produite par Mavrick, me faisant comprendre que j’étais encore assez proche pour qu’il reste à mes ordres. Je n’avais aucun regret, ce monstre méritait ça, et de toute façon, Guerre m’avait dit qu’il ne referait pas l’erreur de se présenter à nouveau à moi dans cette maison. Je n’avais eu qu’une seule chance et de toute façon, il m’avait dit tout ce que j’avais à savoir.

En réalité, je me demandais tout de même pourquoi Guerre m’avait guidée jusqu’à lui. Était-ce juste pour que j’apprenne qu’il manipule sa famille et qu’il refusait les fréquentations de son frère ? Où plutôt pour que je sache que le Taxidermiste était dans les deux mondes et qu’il se trimballait dans un corps qui n’était potentiellement pas le sien.

Je repassais rapidement au-dessus de la clôture, puis repris ma route sans réellement savoir où aller encore. En réalité, je voulais profiter de ce moment de solitude pour pouvoir réfléchir sur cette fichue enquête. Avoir Chrysalis sur le dos n’était pas le meilleur moyen pour se concentrer. Le mieux que je pouvais faire avec ces informations, c’était de retourner voir la princesse Luna. Est-ce qu’elle était au courant de la situation du Taxidermiste ? Même si elle l’était, elle n’aurait pas été capable de me le dire, certainement par équité. Donc, cela devait être légal de pouvoir disposer du corps de quelqu’un d’autre. Je n’y connaissais absolument rien en nécromancie, et l’idée la plus probable était que ce corps était mort avant qu’il ne puisse l’habiter. Posséder directement une âme était très difficile et uniquement à la portée de certains démons très puissants… Le Taxidermiste avait certainement utilisé ses pouvoirs de réanimateur pour guider son âme dans le corps d’un défunt.

Cela représentait-il un danger ? Je n’en savais rien, pour moi, ce genre de chose n’était forcément pas sans conséquence. Tout ce que j’espérais, c’était que les soucis d’équité de la princesse n’aillent pas me mettre moi ou Canterlot en situation de danger. C’était des conneries ! Elle qui laissait déjà librement un licorniqua posséder le corps d’un poney dont la corne était brisée. Mais le plus gros problème était que le Taxidermiste pouvait se faire passer pour n’importe quel poney.

Le Taxidermiste était le responsable des incendies ? Mavrick ne m’avait donné aucune indication parce qu’il ne savait pas la réponse. Les incendies avaient démarré il y a un mois de ça. La Taxidermiste, selon Luna, était arrivée à Canterlot il y a une semaine de ça. Luna ne pouvait pas me mentir sur une information du genre, mais est-ce qu’on aurait pu lui mentir à elle ? Quoi qu’il en soit, le Taxidermiste était introuvable, dans cette si grande ville, je n’avais aucun indice pour retrouver la trace d’un réanimateur capable de relever les morts… à moins que celui-ci soit assez idiot pour se trimbaler dans les cimetières…

Étrangement, je ne pensais pas que c’était une éventualité à exclure, même si je doutais de le trouver là-bas. Après tout, s’il avait réussi à rester caché tout ce temps, ce n’était certainement pas en restant à l’endroit où il avait le plus de pouvoir. Je décidais donc de retourner voir la princesse de la nuit. Seule elle pouvait me donner les dernières informations nécessaires pour savoir qui était le Taxidermiste avant d’éventuellement le retrouver. Après, je pouvais parfaitement aller faire une petite visite au cimetière.

Légèrement réjouie, je levais mon regard vers les toits de la ville pour voir où se situait le château, mais au dernier moment, je remarquai que je me trouvais à un lieu qui ne m’était pas inconnu : les jardins de Canterlot. Je me mis instinctivement à sourire en me demandant comment j’avais pu faire tout ce chemin sans même me rendre compte vers où je me dirigeai. Et ce fut avec le plus grand des bonheurs, que je pus voir la jument Pall Mall assise sur le même banc où nous nous donnions rendez-vous à chaque fois.

“B-bonsoir.” Fis-je alors en essayant de reprendre mon sérieux. La jument brune se retourna brusquement sur moi avant de se saisir.

“Oh, Cadance ! Je ne m’attendais pas à vous voir aussi tard !” Dit-elle en reprenant son sourire chaleureux.

“Alors pourquoi êtes-vous restée aussi longtemps ?” Je levais rapidement les yeux vers la lune, au vu de sa position dans le ciel, il devait être onze heures du soir.

“J-je… Je ne sais pas.” Répondit-elle en couchant les oreilles.

“Vous vous demandez toujours si vous êtes prête à partir de la capitale ?”

La jument pouffa légèrement avant de s’écarter légèrement pour m’inviter à la rejoindre sur le banc. Je ne m’attendais vraiment pas à la retrouver ici, la dernière fois qu’on s’était donné rendez-vous, elle avait bien insisté sur le fait qu’elle aurait peut-être quitté la ville.

“Oui… et disons que je ne pensais plus vous voir non plus.

-Cela fait plus d’une semaine que nous nous retrouvons ici sur ce banc, je ne manquerais nos rendez-vous pour rien au monde.” Je me mis à tousser légèrement en ressentant le vent froid de la nuit sur ma peau.

“Et encore une fois, vous venez prendre le risque de tomber malade ! Vous ne devriez pas sortir aussi peu couverte, je vous l’ai déjà dit !

-Oh, il est déjà trop tard. À force de galoper partout pour mon travail, j’ai dû attraper quelque chose.

-Et vous osez tout de même sortir ?!” Me gronda-t-elle en agitant un sabot pour me désigner. J’aimais bien son regard sévère, le même que me jetait ma mère quand elle me voyait revenir toute sale de l’école. “Vous devriez prendre quelques jours de congé, ça serait plus judicieux.

-Je ne sais pas si j’ai vraiment le droit de faire ça au beau milieu de mon affaire.” Répondis-je avec un léger sourire. “Déjà qu’il n’y a que moi pour faire ça à Canterlot…

-C’est une responsabilité énorme, j’espère que vous arrivez à vous en sortir.” Elle posa un sabot sur mon épaule. Dans le froid de la nuit, ce simple contact réussit à me réchauffer le corps et le coeur.

“Disons qu’il y a des hauts et des bas… À chaque fois que j’ai l’impression que la situation s’améliore, tout repart en cacahuète. Chaque fois que j’ai le malheur de faire confiance à quelqu’un, je le regrette aussitôt en me rappelant qu’il ne faut jamais baisser sa garde.

La jument m’adressa un sourire compatissant, mais moi, je n’arrivais pas à m’enlever de la tête Chrysalis et la manière dont on s’était quittées la dernière fois chez Ember. M’en voulait-elle encore ? Avais-je bien fait, ou était-ce moi qui étais en tort ? Il était impossible de savoir ce que pensait la matriarche, cette dernière était insondable et agissait toujours dans le plus grand mystère.

je m’étranglais légèrement et me mis à tousser en sentant une boule me serrer la gorge. Peut-être que je devrais suivre les conseils de Pall Mall et essayer de me couvrir la prochaine fois.

“Mais dites-moi Cadance.” Dit-elle en écartant l’une de ses mèches de crin blanc. “Pourquoi est-ce que vous faites ce travail ? Vous ne semblez pas y trouver votre compte, vous avez même l’air de le faire par obligation. C’est une énorme responsabilité, mais vous n’en voulez pas, alors pourquoi faites-vous cela ?”

Je me mis à réfléchir plus longuement en soupirant. Je n’aimais pas faire ce travail, surtout ces derniers temps, mais plus encore, j’avais du mal à me rappeler la raison qui m’avait poussée à accepter lorsque Luna me l’avait proposé.

“Parce que je n’aime pas ces créatures, ou du moins, je n’aime pas ce qu’ils font à mon monde…” Je me mis à froncer les sourcils. Non, ce n’était pas la véritable raison. Je reportais donc mon attention sur la jument brune en baissant légèrement la tête. “Mais plus encore, je fais ce travail parce que j’ai peur de ces choses… Je ne sais pas si c’est une réaction naturelle ou totalement idiote de ma part, mais je préfère m’en prendre à ce qui me fait peur plutôt que de le fuir.” J’entendis alors la jument se mettre à glousser, avant de me surprendre en se penchant brusquement sur moi pour venir me serrer dans ses bras.

“C’est tout à fait naturel, Cadance. Chercher à vaincre nos peurs, même si certains les fuiraient, cela ne fait pas de vous quelqu’un de moins poney qu’eux.” Ce contact était tout ce qu’il me fallait pour m’aider à me sentir mieux. Même si j’avais toujours la gorge serrée, je ne pouvais qu’être bien en compagnie de cette jument. “J’imagine que parler de votre travail est la dernière chose que vous souhaitiez faire pour vous détendre un peu.” Je n’avais jamais besoin de lui dire ce que je ressentais, elle comprenait toujours tout, parfois même avant moi.

“Vous avez raison.

-Je m’en doutais, à voir votre nouvelle coupe de crinière, vous avez trouvé un moment pour vous.” Elle passa rapidement une patte sur mon encolure pour y prendre la natte entre ses sabots, et d’inspecter davantage le travail des changelins d’Ember. “J’aime vraiment bien ce que vous avez fait, cela met votre mèche de crin noir véritablement en valeur.

-Merci… C’est l’un des frères de Chicha qui a fait ça.

-Oh, on dirait que ça va mieux entre vous et Chicha, je me trompe ?

-Non, ça va beaucoup mieux, je sors même avec l’un de ses frères !” Oups…

“Ah ah ah, j’ai toujours du mal à comprendre votre humour, Marshall.” Fit la terrestre à la crinière blanche. Son rire léger et tellement doux me surprit davantage que la réponse que je venais de lui donner. “Vous ne pouvez pas vous empêcher de me faire marcher !” Elle me tapota légèrement le sabot avant de reprendre son sérieux.

“En réalité, j’ai compris que même si je changeais, Chicha m’aimera toujours. Bien que j’ai mis longtemps avant de me dire que nous n’étions pas juste ensemble parce que ça nous arrangeait. Encore que… par moment, j’ai l’impression qu’il m’aime parce qu’il s’en sent obligé…

-Voyons Cadance, on n’aime pas quelqu’un parce qu’on est obligé.” Dit-elle avant de se mettre à rire, certainement que ça semblait drôle de son point de vue.

“Disons que c’est surtout à cause de sa mère. On dirait que le fait de m’aimer, le met en danger par rapport à elle. Et… parfois, je me dis qu’il ne le fait pas pour moi, mais pour elle, pour ne pas la décevoir.

-Sa mère semble vraiment tenir à lui…” Jugea-t-elle en couchant ses oreilles.

“En quelque sorte…” Répondis-je sans oser lui dire la vérité. j’avais beau lui avoir dit que j’étais une Marshall et que je combattais des créatures dans autre monde gardé secret, je n’arrivais pas à lui avouer que je sortais avec le fils de la matriarche de la ville. “En réalité… ce qui me fait le plus peur, c’est de me dire que son amour pour moi pourrait lui nuire à cause d’elle.

-Allons, Cadance, sa mère a juste besoin de temps pour assimiler la nouvelle. Elle aime son fils et ça sera forcément dur pour vous au départ, mais avec le temps, elle se fera une raison et comprendra qu’il est bien plus heureux avec vous.”

Je ne pouvais pas lui dire que je sortais avec Chicha depuis bientôt un an, mais en réalité le problème était bien au-delà de sa compréhension. Je me mis à tousser distraitement en plaçant un sabot devant ma bouche avant que la jument ne pose une question :

“Mais dites-moi, est-ce que vous avez déjà eu l’occasion de parler à sa mère ?”

J’eus un sourire pincé. Le fait que Pall Mall considérait Chrysalis comme une jument tout à fait normale n’aidait pas à prendre sa question au sérieux. Bien entendu, je pouvais parfaitement lui mentir, mais je préférais lui dire la vérité, de toute façon elle ne comprendrait pas.

“Oui, à plusieurs reprises même. Je pense qu’elle n’aime pas mon travail, et qu’elle espère que je le change pour ainsi être plus en sécurité.

-Eh bien, au moins un point sur lequel vous êtes toutes les deux d’accord, non ?”

Je me mis à glousser légèrement. Les efforts que la jument brune mettait en oeuvre pour me rassurer étaient touchants de simplicité. Ce n’était pas sa faute, mais la mienne.

“Disons que quand c’est elle qui le dit, j’ai l’impression qu’elle essaye de me manipuler, de contrôler ma vie, vous voyez ?

-Absolument. Vous n’être pas du genre à faire les choses pour plaire aux autres, je l’ai déjà compris. Mais vous n’avez jamais pensé qu’elle fait peut-être ça pour votre bien ?”

Chrysalis, mon bien ? Oui, elle me le répétait sans cesse, mais c’était dur à croire avec tous les avertissements que d’autres me donnaient. Les créatures surnaturelles ne faisaient pas les choses gratuitement, c’était un fait réel.

“Non… Pour moi, elle cherche juste à ce que tout se passe selon son plan à elle. Peu importe ce qui m’arrive.

-Je vois. On ne peut pas toujours faire confiance à sa belle mère.” Dit-elle en gloussant avant de placer un sabot sur mon épaule.

Ce nouveau geste réussi à me réchauffer le coeur. je regardais son sourire en constatant à quel point il était beau. Sa crinière était toujours bien coiffée, ne glissant jamais sur son visage. Ses yeux bleus laissaient voir toute son intelligence et sa maturité alors qu’elle le pointait sur moi comme pour me rassurer. Cela marchait incroyablement bien, comme une mère qui surveille son poulain. Si je n’aimais pas le halo de tranquillité qu’elle dégageait, peut-être que je n’aurais pas été aussi calme face à elle.

“Les mères ont toujours été très protectrices envers leur poulain, même quand ils deviennent plus grands, et après tout, c’est normal, beaucoup de juments ne cherchent un étalon que pour avoir ce qu’elles désirent le plus, un poulain. Cela n’a jamais été votre intention ?”

Je me mis à tousser plus violemment que je ne l’aurais voulu à l’entente de sa question. Allant jusqu’à inquiéter la jument qui se mit à me faire des tapes dans le dos.

“N-non… enfin… à vrai dire, oui, j’y ai déjà pensé, il y a longtemps de ça. Je voulais que ce genre de chose m’arrive, mais j’étais plus jeune, et j’étais avec un autre étalon.

-Et pourquoi ça n’a pas march…

-Il est parti !” Répondis-je aussitôt en la coupant, espérant qu’elle comprenne que je ne souhaitais pas plus en parler. “Sans donner de nouvelle.

-Désolée.” Souffla-t-elle les oreilles baissées.

“Il n’y a pas de mal… C’est juste que je ne me vois pas actuellement faire ce genre de chose avec quelqu’un d’autre.

-Je comprends… Mais vous n’avez pas l’impression que le mieux à faire est de passer à autre chose ?”

Je me paralysais avant de me remettre à tousser plus bruyamment. Je n’aimais pas ce genre de discussion, surtout avec cette pauvre jument qui ne savait pas de quoi je parlais. J’essayais d’articuler entre deux quintes de toux.

“N-non… c’est… c’est plus compliqué que ça !

-Oh je vois.” Dit-elle d’une voix attendrie. “Je vous comprends, mais en réalité, je vous assure que le mieux à faire est de tourner la page, vous avez aussi droit au bonheur.”

Toussant de plus en plus, je sentis mon estomac se retourner alors que je me penchais, prête à vomir.

“N-non ! J-je vous assure que c’est plus compliqué que ça !

-Le bonheur est à la portée de tous, Cadance. On ne sait jamais ce qui peut nous arriver et le mieux est de ne pas hésiter et de faire le premier pas.”

Je la sentis poser un sabot sur mon dos pour remonter entre mes ailes. J’étais tremblante et ce simple contact provoqua un frisson dans tout mon corps alors que je sentais mes entrailles se nouer davantage. Je sentis un liquide chaud sur mon sabot avant de constater qu’il s’agissait de sang.

“N-non…” Maugréais-je alors pliée en deux.

“Je vous assure que si. Vous connaissez beaucoup de monde on dirait, ces poneys sont là pour vous aider à aller mieux.”

Une douce vague de chaleur se propagea en moi. Cette fois-ci, elle ne provenait pas du sabot de Pall Mall, mais des tréfonds de mon être. Mon pouvoir se réveillait peu à peu alors que ma toux se calmait enfin. Je réussis à reprendre mes esprits, mais la situation ne faisait qu’empirer.

“Ça ne vient pas de ma décision la plupart du temps.” Je reportais mon regard sur la jument. Elle était un peu plus âgée que moi et prétendait même l’être davantage encore, cela n’arrivait qu’à attiser mon désir. “Au final, je suis bien obligée à cause de mon travail… Mais je dois dire que ça se retrouve utile par moment…” Je me penchais alors rapidement sur elle.

Je sentais encore un peu de sang chaud sur mes lèvres. Pall Mall n’eut pas le temps de me le faire remarquer que déjà, ma bouche fut contre la sienne. Je fus tellement rapide et brusque que la jument ne réussit pas à se retenir et tomba en arrière sur le banc. Je la retenais fermement contre moi, alors que mon pouvoir coulait sur elle à la manière de l’huile brûlante. Je la sentis gémir brusquement contre mes lèvres alors que j’introduisais ma langue en elle tout en faisant onduler mon corps contre le sien. Je me sentais mieux, et plus encore, j’en voulais davantage sans réussir à me contrôler. Mon pouvoir venait de me réveiller et désormais, je ne voulais plus qu’il s’arrête. Pall Mall ne pouvait rien faire, l’Ardeur était déjà en train de recouvrir son corps et elle ne pouvait plus que me supplier pour que je continue.

“ARRÊTEZ !” Lâcha-t-elle à ma grande surprise. Cela ne faisait rien, il suffisait que je continue un peu de lâcher mon pouvoir pour qu’elle cesse aussitôt de gigoter.

“Je sais que tu le veux !” Soufflais-je contre ses lèvres avant de redescendre dans le creux de son cou.

“Résistez à votre nature bon sang !” Ordonna-t-elle en plaquant un sabot contre mon visage. Ses paroles eurent l’effet d’une douche froide. Je me redressais alors en titubant avant de glisser du banc et de m’étaler à terre. Pall Mall se retourna rapidement, hésitante. Elle ne semblait pas savoir quoi faire, m’aider à me relever, ou partir en courant. Elle choisit la seconde option alors que je réalisais que j’étais trop faible pour me relever. Mon pouvoir était venu aussi vite qu’il était parti, et maintenant, prostrée au sol, je ne pouvais plus rien faire alors que je sentais mes yeux se fermer.

Mon coeur battait à cent à l’heure, mes membres étaient sourds à chacun de mes ordres, ma respiration était lourde et saccadée, et ce qui me faisait le plus peur actuellement, c’était le fait que j’étais sur le point de m’endormir. Effrayée à cette idée, je ne pus que lâcher un faible gémissement pendant que mon corps se relâchait encore et encore. Tout ce que je réussis à ressentir juste avant le trou noir, c’était le froid.

Il faisait tellement froid...