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Les marcheurs de nuages

Une fiction écrite par EphelI.

Évacuation contrôlée

« Vite, dépêche-toi de le rattraper, il s’échappe ! » Obéissant aussitôt à l’ordre de son supérieur, le jeune pégase décolla pour se jeter aux trousses du fuyard que sa maladresse avait laissé échapper. Propulsés presque à la verticale grâce à leurs profils aérodynamiques, poursuiveurs et poursuivis fournissaient toute leur puissance pour atteindre le toit avant l’autre. Son vasistas grand ouvert afin d’évacuer la chaleur offrait en effet un moyen d’évasion idéal… Du moins s’il n’était pas refermé avant !

Bien qu’assez désavantagé sur le départ, l’apprenti ailé parvint à rattraper puis doubler sa cible. Particulièrement distrait et maladroit, ce dernier ne manquait toutefois ni d’énergie ou de vigueur. Couplées avec sa farouche volonté de bien faire, elles lui permettaient en général de réparer ses nombreuses gaffes aussi vite qu’il les créait. Manque de chance pour lui, près d’une cinquantaine de poneys avaient cette fois-ci été témoins de la scène, et beaucoup commencèrent à s’en amuser.

Complètement déstabilisé par ce brouhaha moqueur, le jeune étalon tendit le sabot une seconde trop tard, manquant de peu le mécanisme de fermeture. Incapable de lutter contre son inertie, il s’écrasa contre le plafond de verre dans une posture grotesque. Les rires de ses semblables n’en furent alors que plus intenses.

Voyant que son stagiaire reprenait non sans difficulté la poursuite en extérieur, Philéas se retourna vers son public. « Navré messieurs dames, j’ai bien peur que cette petite démonstration ne tombe à l’eau, s’excusa-t-il sur un ton plat. Ce nuage d’orage était le dernier que nous avions en stock. À moins que mon collègue ne parvienne par miracle à le capturer -ce dont je doute fort- , il n’y aura pas de simulation d’orage aujourd’hui ! »

Après quelques grognements proférés contre la maladresse de l’apprenti météorologue, la foule curieuse qui s’était rassemblée autour de lui commença à se disperser. Beaucoup d’entre eux semblaient assez déçus, étant venus de très loin pour voir cette démonstration. Ce fut néanmoins sans aucune amabilité qu’il leur fit signe de déguerpir. L’usine météo était vaste après tout, rien n’empêchait ces touristes avides de divertissement d’aller en trouver ailleurs !

Une fois certain que son stagiaire ne reviendrait pas, l’étalon au poil blanc commença à ranger son équipement de protection. Certes, il ne lui aurait pas fallu plus de deux minutes pour monter à la fabrique, demander à son collègue un nuage bien chargé en électricité statique et revenir faire sa démonstration. Seulement, Philéas n’avait ni l’envie ni l’obligation de faire cet effort juste pour contenter ces poneys ignorants. Il était docteur en météorologie, pas présentateur de foire ! Quelle obscure raison avait poussé le directeur à ouvrir l’usine au public ? L’appât du gain ou sa fierté d’être LE responsable de la météo à Equestria ? Dans tous les cas, il allait lui dire un jour ou l’autre sa façon de penser au sujet de cette tâche ingrate.

À bien y réfléchir, le vieux pégase détestait dans un sens plus général l’été. Cette saison n’avait en effet rien pour plaire : pas le moindre souffle de vent, une chaleur de bœuf, et surtout l’impossibilité de pratiquer correctement sa profession. Il était tailleur de flocons, bon sang ! Comment pouvait-il concevoir ce qui faisait l’essence même des jours d’hiver s’il ne pouvait conserver durablement ses créations ? Les immenses frigos de l’usine débordaient déjà de toute cette neige stockée en vue du prochain hivernage, impossible pour lui d’y ajouter quoi que ce soit d’autre.

Désœuvré, Philéas avait donc été affecté à cette tâche bien plus « utile », et ce malgré ses protestations. « Allez, encore 79 jours à tenir, grommela-t-il entre ses dents. 3 petits mois et tu redeviendras le chaînon indispensable de cette usine… »

En échos à ses pensées, la sonnerie indiquant aux visiteurs la fermeture de la fabrique retentit. Ces derniers commencèrent alors à se diriger lentement vers la sortie, un sourire satisfait et soulagé sur le visage. Pas fâché non plus d’en avoir fini avec cette journée, l’étalon au crin givré se prépara lui aussi pour le départ. Depuis que sa fille avait quitté le foyer un an plus tôt, plus personne ne l’attendait chez lui. Toutefois, cette habitude restait tenace et le maintenait bon gré mal gré dans une routine bien rodée. Tant pis pour son stagiaire, il ne l’attendrait pas. Après tout ce qui s’était passé était entièrement de sa faute.

Alors qu’il était sur le point de prendre son envol, Philéas se rendit compte qu’une pégase adolescente ne suivait pas le mouvement de ses congénères. Elle avait le pelage violet, une cutie mark fleurie et un sac volumineux posé entre ses deux épaules. Penchée le plus possible au-dessus du cordon de sécurité, toute son attention était focalisée sur les grandes cuves de spectra, comme si elle voyait ce liquide multicolore pour la première fois de sa vie.

À la fois agacé et intrigué par cette retardataire, l’étalon déploya ses ailes, puis voleta silencieusement jusqu’à elle. Perdue dans ses contemplations, celle-ci ne l’entendit même pas venir. « Jeune fille, l’usine ferme ses portes, annonça-t-il en se posant à ses côtés. Je vous prierai donc de regagner la sortie dans les plus brefs délais.

— Oh, excusez-moi, répondit l’intéressée une fois remise de sa surprise. Je… J’étais tellement fasciné par le contenu de ces cuves que je n’ai rien entendu. D’ailleurs, c’est bien du spectra, n’est-ce pas ?

— Oui c’est ça. Nous les utilisons pour fabriquer des arcs-en-ciel. Enfin, du moins quand la saison le permet vu qu’ils s’évaporent à partir d’une certaine température…

— Comme ça doit être intéressant de travailler ici ! s’exclama la jument violette avec enthousiasme péniblement réfréné. Enfin, pardonnez ma curiosité, je ne voulais pas abuser de votre précieux temps. Un très grand merci pour cette visite, je regrette juste de ne pas avoir vu la fabrique de nuages en fonctionnement. Mais bon, c’est l’été après tout ! »

Ces remerciements effectués, la visiteuse commença à se diriger lentement vers la sortie. Dans d’autres circonstances, Philéas aurait surement haussé les épaules et serait parti de son côté sans la moindre gêne. Mais aujourd’hui, pour une raison qu’il lui était encore inconnu, cette pégase aux yeux brillant de curiosité l’inspirait. Sa soirée en solitaire pouvait attendre, il avait envie d’en apprendre un peu plus sur elle.

« Attendez jeune fille, comment vous appelez vous ? demanda-t-il sur un ton un peu plus chaleureux.

— Euh, Cherilee pourquoi ? répondit son interlocutrice en se retournant.

— Cherilee… Je ne suis peut-être pas le poney le plus captivant, mais si ça vous intéresse, je pourrais vous faire une visite plus approfondie du complexe. Les installations accessibles au grand public sont assez dérisoires, il faut bien l’admettre…

— Vous êtes sérieux ?

— Ai-je l’air de plaisanter ?

— Oui, enfin non… s’emmêla-t-elle, peinant encore à croire en cette proposition presque trop belle pour être vraie. À vrai dire, je serai honoré de faire cette visite avec vous. Vous… Vous n’imaginez pas à quel point j’en rêvais ! » S’autorisant un léger sourire devant cette reconnaissance sincère, l’étalon blanc lui fit signe de le suivre, puis se dirigea à vitesse soutenue vers le cœur de l’usine. Aussi radieuse que la neige au soleil, Cherilee s’empressa de le suivre.

Sentir cette jeune pégase à ses côtés faisait naître en Philéas un sentiment singulier, proche de celui qu’il avait ressenti au moment où il était devenu père. Était-ce la fierté de partager ses connaissances avec la génération future, ou bien simplement le fait de côtoyer l’enfant qu’il avait toujours rêvé d’avoir ? Difficile de savoir, mais une chose était tout de même sûre : Le vieux météorologue se sentait bien en sa compagnie.

« Peu de poneys de ton âge s’intéressent à la météorologie, finit-il par constater après quelques secondes de silence. Ne souhaiterais-tu pas travailler dans ce milieu plus tard ?

— Non, pas spécialement, répondit Cherilee d’un ton mal assuré. À vrai dire, je fais actuellement des études à Manehattan pour devenir professeure. Mais ça ne m’empêche pas de m’intéresser à beaucoup de choses.

— Ah bon ? Pourtant je croyais que les écoles de cette ville ne formaient que des terrestres.

— Euh… Oui c’est vrai. Seulement… j’ai obtenu une dérogation ! » Interloqué par cette réponse maladroite, Philéas regarda avec étonnement son invitée. Malgré tous ces efforts, celle-ci ne parvenait pas à cacher une appréhension digne d’un jour d’examen et évitait donc son regard autant que faire se peut.

Sans trop y réfléchir, le pégase soupçonna rapidement la crainte que l’aveu de son lieu d’étude fasse naître en lui l’hostilité. En effet, beaucoup de pégases voyaient d’un très mauvais œil le rapprochement entre les poneys terrestres et certains de leurs semblables. Il n’était ainsi pas rare de voir à Cloudsdale de jeunes ailés ayant fait quelques connaissances sur le continent subir des persécutions, parfois violentes. Cependant, même si le météorologue n’appréciait pas non plus cette fraternisation excessive, il ne cautionnait en aucun cas ce genre de comportement. Cherilee n’avait donc rien à craindre de lui, bien au contraire !

D’abord désireux d’étouffer ses craintes avec quelques mots rassurants, Philéas jugea qu’un changement de sujet serait bien plus simple et efficace. « Il y a pas mal de choses à voir, par quoi veux-tu que nous commencions ? s’y appliqua-t-il alors sur un ton presque anodin.

— Euh, je ne sais pas, répondit la jument toujours tendue en regardant autour d’elle. Tenez, quels sont ces espèces de gros conteneurs là-bas ?

— Ce sont les frigos de l’usine. Ils servent à conserver la glace et les flocons de neige. Je suis d’ailleurs spécialisé dans la conception de ces derniers…

— Vous voulez dire que vous pouvez conserver de la neige ici malgré la chaleur ? s’émerveilla-t-elle de nouveau.

— Oui, tout à fait. Ça te dit d’aller y faire un tour ? Il y fait un peu froid, mais je pourrais te montrer mes plus beaux échantillons de flocons.

— Et comment ! Je… J’ai toujours rêvé de savoir comment ils sont fabriqués ! »

Ce fut cette fois-ci au tour de Philéas de retenir son excitation, trahie toutefois par un rythme de marche significativement plus rapide. Enfin, il venait de trouver un poney susceptible de comprendre sa passion ! Enfin, il allait pouvoir la partager avec celui-ci — ou en l’occurrence — celle-ci ! Et dire qu’en bon savant désabusé, l’espoir avait depuis longtemps déserté son esprit… Une belle idiotie, en somme.

« Après vous, très cher ! annonça le pégase en ouvrant la porte du frigo. Allez y doucement quand même, je ne voudrais pas que vous attrapiez froid. » Répondant à cet avertissement par un sourire, la jeune jument s’avança avec lenteur dans la chambre froide. Au moment où il referma la porte, Philéas eut le très net pressentiment que le jour ne serait plus quand ils ressortiraient.

***

Marchant à quelques kilomètres de là, la jeune Carrot avait déjà perdu toute notion du temps, et ce depuis un long moment déjà. Seul le soleil en plein déclin lui rappelait par ses éclats rougeoyants que la journée s’approchait de sa fin. C’était beau, très beau même. Pourtant ce moment arrivait bien trop vite à son goût.

Issue d’une grande famille de pâtissiers, cette terrestre au poil bleu était l’archétype même de la bourgeoisie manahattanienne : De nature calme et réservée, dotée d’une tenue exemplaire, et surtout pas encline le moins du monde à voler de ses propres ailes comme les autres poneys de son âge. N’ayant jamais voyagé ni même quitté une seule fois sa ville natale, ses seules connaissances n’étaient autres que certains habitués de la boutique familiale, ou — en l’occurrence — les salariés de cette dernière.

« C’était vraiment une super journée ! s’exclama l’étalon qui marchait à ses côtés. Tu as eu une idée de génie en organisant ce voyage, je ne te remercierai jamais assez !

— Voyons, tu sais que ce n’est pas grand-chose, répliqua son interlocutrice d’un air suffisant. Moi aussi j’ai adoré ce moment passé entre amis.

— D’ailleurs comment as-tu fait pour obtenir les billets ? Je suppose qu’ils ne devaient pas être donnés…

— Bah, j’ai dû faire un petit trou dans les économies de mes parents, c’est vrai. Mais ne t’inquiète pas pour ça : ils sont tellement riches qu’ils ne s’en rendront jamais compte !

— Désolé, mais tu ne t’en tireras pas aussi facilement. Demande-moi ce que tu veux, et je te promets que tu l’auras ! » Face à cette promesse lourde de significations, Carrot ne put réfréner un frémissement de plaisir. Enfin, l’instant qu’elle attendait depuis plusieurs mois était sur le point de devenir réalité !

La jeune terrestre se souviendrait toujours du moment où elle avait rencontré Cup Cake. C’était un matin froid, quelques jours avant Earth Warming Eve. Son père cherchait alors un apprenti supplémentaire pour l’aider aux fourneaux, les commandes en cette période de l’année étant particulièrement nombreuses. Le jeune étalon s’était présenté à la boutique, diplôme de pâtisserie en poche et le sourire aux lèvres. Toute la famille avait été aussitôt séduite, une de ses membres bien plus que les autres. Un contrat avait donc été signé dans l’heure qui suivit, et Carrot s’était décidée à tout mettre en œuvre pour se rapprocher de cet étalon.

« Alors, quelle est ta demande ? demanda-t-il en se rapprochant légèrement. Allez, ne sois pas timide, dis-moi ce que tu désires plus que tout au monde.

— Euh… Je… » La jument au crin rose avait déjà préparé la formulation de cette réponse, s’était même entraîné des heures durant comme on répèterait une pièce de théâtre. Après tout, il s’agissait de l’aboutissement de tous ses efforts visant à séduire Cup Cake. Une erreur était tout bonnement inconcevable à ce stade du parcours ! Malheureusement pour elle, sa nature profonde, fatiguée du rôle qu’il lui fallait tenir, avait fini par s’en libérer, laissant Carrot complètement à nue. « Je… J’aimerais que nous fassions une photo ensemble pour immortaliser ce moment, parvint-elle toutefois à formuler, l’essentiel de son courage l’ayant déjà fuie. Ça ne devrait pas prendre trop longtemps si nous nous dépêchons un peu !

— Euh, tu es sûre de ne pas vouloir autre chose ? demanda le poney jaune tandis que ses oreilles se rabattaient sous la déception.

— Est-ce que ça te dérange ? Ce n’est pas grave sinon…

— Non non, au contraire ! protesta-t-il avec vigueur. À vrai dire, j’aurai espéré quelque chose qui m’impliquerait un peu plus. Quelque chose de plus personnel, quoi. »

Ces derniers mots prononcés, la jeune pâtissière comprit qu’elle était en train de laisser passer sa chance. Son cœur l’avait également compris et faisait tout ce qui était en son pouvoir pour prendre le contrôle de son jugement. Sans un puissant effort de volonté de sa part, elle aurait certainement succombé dès ses premiers assauts nourris par la tentation et le désir inassouvi. Mais alors qu’elle était sur le point de museler définitivement cet instinct primitif dont elle ne pouvait tolérer l’existence, une pensée la frappa tout à coup : la plupart des ponettes de son âge avaient déjà trouvé leurs poneys spéciaux. Pourtant, à sa connaissance, aucune d’entre elles n’avait vraiment eu à s’échiner pour les conquérir. C’était en soi tout le contraire de son propre parcours.

Manipuler ses parents, faire la fête jusqu’à tard le soir, ou même visiter Cloudsdale malgré un vertige phobique, elle n’aurait jamais osé faire cela un an plus tôt. Bien qu’elle se le soit caché jusqu’à maintenant, Carrot avait indéniablement pénétré dans la vie d’adulte. Terminée la petite pouliche incapable de quitter le nid familial ! Celle-ci avait laissé place à une ponette ne désirant que croquer la vie à pleine dent ! Alors pourquoi continuait-elle à se dénigrer ainsi ?

Stoppant brusquement sa marche, la jeune terrestre considéra son ami qui lui retourna un regard interloqué. Sur l’instant, on pouvait à la simple vue de son visage deviner la moindre émotion qui régnait dans son esprit. Elle en était bien sûr consciente, mais ne fit rien pour se cacher. « Je… J’aurai besoin d’un peu d’aide, avoua-t-elle après quelques hésitations. Peux-tu venir jeter un coup d’œil ? Je crois que mes ailes ont besoin d’un petit réajustement.

— Oh oui, pas de problèmes ! » Répondit Cup en se rapprochant, un sourire enchanté sur les lèvres.

La faute aux conformités des horaires de travail, beaucoup de pégases traversaient déjà la rue pour rentrer chez eux. Étant toutefois un peu près sûr que personne ne le remarquerait au milieu de cette foule, l’étalon observa avec minutie les plumes postiches. Leur porteuse ne put alors s’empêcher de retenir son souffle.

« Non non, tes ailes sont parfaitement en place, finit-il par constater. Et c’est drôle de dire ça, mais pour un costume, je trouve qu’elles te vont vraiment bien !

— Merci, c’est gentil. Puis-je quand même te demander une dernière faveur ?

— Tout ce que tu voudras.

— Pourrais-tu passer un petit coup de sabot sur ces plumes ? Pour ce que j’en vois d’ici, elles ont l’air ébouriffées… » Ces derniers mots tout juste prononcés, Carrot s’attendit à un refus catégorique de la part de son interlocuteur. Elle avait agi trop vite. Elle était allée beaucoup trop loin. Comment était-elle supposée rattraper le coup après une telle erreur ? Non, c’était tout bonnement impossible, ou alors il lui faudrait des années pour…

« Pas de problèmes ! » Répondit le pâtissier en commençant d’un sabot habile le lissage. Très surprise par son geste, la jument réfréna du mieux qu’elle put un hoquet de surprise et se laissa envahir sous une cascade d’émotions plus plaisantes les unes que les autres. Ces caresses, bien qu’atténuées par l’accessoire ridicule collé sur ses flancs, avaient quelque chose de magique, de féerique même. Pour un peu, elle en aurait oublié le monde qui l’entourait, les simples notions du temps et de l’espace ayant quitté son esprit faute de place.

À sa grande dam, cette sensation s’estompa aussi vite qu’elle était apparue dès l’instant où Cup Cake écarta son sabot. La réalité lui revint alors, dure comme un pain rassis : face à eux, de nombreux poneys avaient stoppé leur marche pour les observer. Dans leur regard on pouvait lire un mélange de dégoût et d’indignation, celui-ci leur étant indéniablement destiné.

La situation de malaise était telle que Carrot vit même une mère masquer avec son aile le champ de vision de son enfant. N’ayant pas la moindre idée de ce qu’ils avaient pu faire de mal, la ponette bleue chercha dans cette masse un pégase conciliant susceptible de le leur expliquer, en vain. Plus actif, son ami fuit leurs regards accusateurs d’une façon plus conventionnelle, l’entraînant par automatisme à sa suite. Cette manoeuvre évasive fut bien sûr suivie du regard, mais personne ne chercha à s’interposer.

Arrivés à l’intersection d’une petite ruelle, les deux poneys n’hésitèrent pas une seconde et s’y engouffrèrent d’un commun accord. L’espace entre les deux maisons était assez exigu, mais ne les empêcha pourtant pas d’avancer côte à côte, comme un seul être. « Bon sang, ils sont quand même sacrément susceptibles, ces emplumés ! s’exclama Cup une fois certain de ne pas être entendu. Tu y as compris quelque chose, toi ?

— Pas le moins du monde ! répondit son interlocutrice en haussant les épaules. Il doit sans doute y avoir ici une coutume ou un usage qui nous échappe. Vraiment pas de quoi en faire un drame !

— Tu as bien raison, je les vois mal nous lapider pour si peu… Bref, où en étions-nous avec ce lissage ?

— Oh tu sais, maintenant que nous sommes seuls, on peut très bien se passer de cette étape… » Carrot venant de dévoiler ses véritables intentions, le couple de pâtissiers échangea un regard entendu. Quelques secondes s’engrenèrent avec lenteur, puis, mus par un élan réciproque, tous deux s’embrassèrent.

La jument au crin rose s’était attendue à bien des choses lors de ce contact intime. Appréhensions et fantasmes avaient ainsi tourbillonné sur eux-mêmes des mois durant, sans qu’aucun prenne durablement l’avantage. Ce fut toutefois en l’espace d’un clin d’œil que ces derniers furent balayés par un flot d’émotions brutes, impossible à endiguer. Leur victoire était alors totale et un sentiment d’extase se répandit rapidement sur tout le champ de bataille. Sentiment dont la jeune ponette profita pleinement !

Ayant en grande partie perdu la notion de son propre corps, Carrot sentit tour à tour chacune de ses fonctions vitales brusquement accélérer. Ses respirations, les battements de son cœur, tout fonctionnait désormais à une cadence infernale alors que rien ne le requérait. Était-ce normal ? Sans doute, mais après tout elle s’en fichait bien : la seule chose qui comptait à cet instant, c’était Cup Cake.

« Ils sont là ! Vite, séparez-les ! » Le cri résonna au moment même où les deux amants commençaient à s’étreindre. Orientée du bon côté, la jument bleue aperçut deux pégases en uniforme s’engouffrer dans la ruelle et se précipiter vers eux. Si sa dernière altercation à l’égard de ses semblables ailés ne l’avait que peu impactée, elle accueillit cette fois ce dérangement avec beaucoup plus d’irritation. N’avaient-ils pas autre chose à faire que d’importuner ceux qui s’aiment ? D’ailleurs, depuis quand embrasser quelqu’un était interdit ?

Sans leur accorder plus d’attention, Carrot enlaça avec force son aimé, celui-ci se laissant docilement faire. Elle venait tout juste de le conquérir, hors de question qu’on le lui enlève aussi vite ! Sa félicité était bien trop grande, elle ne la laissera pas partir avant d’en avoir décidé autrement !

Alors que leurs corps respectifs semblaient sur le point de fusionner, la jeune terrestre sentit son rythme cardiaque atteindre un point culminant qui lui fit alors perdre pied. Cette sensation de flottement, comme si plus rien autour d’elle ne la retenait, était incroyablement grisante. Les pégases ressentaient-ils la même chose en se mouvant dans les cieux ? En tout cas, Carrot était sur l’instant bien trop heureuse pour les envier ! Cette pensée ayant à peine effleuré son esprit, la ponette au poil bleu comprit que cette illusion de chute n’avait en fait rien d’irréelle…

Conscients un peu trop tard du danger, les deux pâtissiers virent avec horreur leur sabot s’enfoncer dans le plancher nuageux. À les voir, il était facile de s’imaginer un couple de fantômes tiré malgré eux vers le bas sous l’effet de la gravité. Chacun tenta tour à tour de trouver une prise dans cet amas de cumulus devenu brusquement spongieux. Malheureusement ce mouvement de panique ne fit qu’accélérer les choses et ils se retrouvèrent en l’espace de quelques secondes enfoncées jusqu’au cou.

« Prends mon sabot ! » Parvint à articuler Carrot, certaine de vivre ses derniers instants, juste avant de disparaître sous le regard impuissant de ses sauveteurs.

***

« Frangin, peux-tu me rappeler qui de nous deux a eu cette idée de voyage organisé ?

— Toi si je ne m’abuse. Et d’ailleurs je ne te remercie pas !

— Ah bon ? Pourtant ce genre de plan te ressemble bien plus...

— Et dire qu’il y a quelques heures à peine tu te félicitais de cette affaire rondement menée ! Ton comportement me dégoûte.

— Tsss… On dirait maman quand elle ne voulait pas admettre ses torts. Après ça ne m’étonne pas trop : tu as toujours été son préféré.

— Mère n’a rien à voir là-dedans, donc respecte la un peu plus !

— Bah tiens, c’est la réaction typique du fils modèle ! Toi aussi tu me dégoûtes.

— Bon, si tu voulais simplement te taire et observer un peu plus la foule ? Je te rappelle qu’on a une mission capitale à accomplir.

— C’est ça, c’est ça… On en reparlera bientôt de toute façon. »

Mettant fin à leurs discrets chuchotements, les deux licornes observèrent un temps la foule de pégases qui passaient devant elles. C’était le début de soirée à Cloudsdale, et sa grande place était sujette à un trafic quasi permanent. Intrigués par leur présence tout à fait remarquable dans cette ville, beaucoup de poneys les observaient avec une curiosité non feinte, mais pas un seul ne s’arrêtait.

« Tu te souviens d’un de leur visage, toi ?

— Non, pas un seul d’entre eux.

— Zut. On a l’air de deux idiots en restant poiroter ici.

— Tu préfères avouer la vérité à Homes, qu’ils sachent à quel point nous sommes inutiles ?

— Parbleu non !

— D’ailleurs tu y as cru toi, aux menaces qu’il nous a faites ?

— “Chaque terrestre que je n’aurai pas pu retrouver avant la nuit vous vaudra chacun une année de prison.” Non, il n’oserait pas aller jusque-là. Enfin, je pense.

— Mais tu as bien vu toutes les blessures sur son corps ! La situation doit être vraiment grave pour qu’un magicien comme lui soit dans cet état…

— Chut ! Il est en train de nous observer, fais semblant d’étudier la foule ! »

***

De l’autre côté de la place, perché sur le toit plat d’une maison, Homes observait en effet les frères Flim Flam avec attention. Pour ce qu’il en voyait d’ici, ces derniers semblaient prendre leur rôle très à cœur, dévisageant tout poney qui passait près d’eux. Toutefois cela faisait près d’une demi-heure qu’ils opéraient ainsi, sans le moindre résultat. Et leur observateur, non content de tout ce temps perdu, songeait sérieusement à mettre ses menaces à exécution. Après tout, si sa mémoire était bonne, il devait rester une ou deux prisons dans les environs d’Appleloosa. Avec un peu de chance, il leur restait un peu de place où fourrer cette paire de parfaits crétins !

« Dites donc, ils n’ont pas l’air très efficaces, remarqua tel un écho le poney à ses côtés. Vous ne pensez pas qu’ils se moquent un peu de nous, là ?

— Vous me retirez les mots de la bouche, préfet. À vrai dire, si je les observe encore, c’est dans l’espoir qu’un terrestre se découvre en les interpellant. D’ailleurs, pouvez-vous me prêter votre liste un instant ? » Attrapant le document qui dépassait de sa sacoche, le pégase au poil bleu le déroula précautionneusement avant de le tendre à son semblable cornu. Celui-ci le remercia avec froideur et se plongea dans la série de noms qu’il contenait.

Si sa première rencontre avec le préfet Light ne lui avait pas laissé une bonne impression, Homes avait vu son estime grimper en flèche quand il avait constaté toute l’efficacité avec laquelle cet étalon avait organisé l’évacuation des otages. En effet, dès l’instant où le terroriste avait été délogé de la tour, plusieurs groupes de pégases s’étaient postés en dessous de leur cité. Équipés de filets, ils devaient intercepter les terrestres dont l’enchantement s’était rompu.

Travaillant de manière synchrone, toutes les autres forces disponibles parcouraient les rues de Cloudsdale à la recherche de comportements déviants. La faute à leurs ailes factices, les terrestres étaient difficiles à distinguer des autres pégases. Pour les confondre, les agents de Light s’étaient donc dispersés dans chaque lieu clé de la ville. Camouflés au milieu la foule, s’en remettant presque uniquement à leur capacité d’observation, ils gardaient ainsi une certaine discrétion qui préservait leur cible d’un coup de stress fatal.

Lorsqu’ils avaient identifié une cible, l’un d’entre eux lâchait un fumigène qui, en traversant le plancher nuageux, indiquait aux attrapeurs le prochain point de chute. Les enchantements s’étant affaiblis de manière significative depuis le début de la journée, les ruptures intempestives étaient de plus en plus fréquentes. Les agents ailés ne prenaient donc pas de risques et provoquaient volontairement la chute de leurs porteurs. Ces derniers étaient certes secoués, voire même choqués, mais retournaient tous sur terre de la manière la plus sûre possible. Et n’était-ce pas le plus important après tout ?

« Je ne compte que trente-deux poneys sur cette liste, finis par remarquer Homes. Selon les deux autres zigotos là-bas, ils étaient près d’une cinquantaine à participer au voyage. Si nous continuons à ce rythme, nous ne finirons jamais avant la nuit !

— En ce moment, c’est l’heure de pointe, rétorqua son interlocuteur d’une voix calme. Quand la foule s’espacera, retrouver les terrestres sera plus aisé. Croyez-moi, il n’y a vraiment pas de quoi s’en faire.

— Vous devriez pourtant ! Aux dernières nouvelles, votre fille ainée est encore portée disparue si je ne m’abuse… »

Ces derniers mots prononcés, Homes se tourna vers son interlocuteur, à l’affut de la moindre réaction. Conservant un visage parfaitement neutre malgré cette tentative de démasquage, celui-ci lui retourna son regard sans sourciller. « Désolé Homes, mais vous vous méprenez : Rainbow Dash participe en ce moment même à un stage de vol, elle n’a donc absolument rien à craindre. D’autre part, même si vous n’en avez que faire, je n’ai aux dernières nouvelles qu’une seule fille. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai des équipes à coordonner. »

Sans chercher à l’en empêcher, Homes observa silencieusement son homologue ailé remettre de l’ordre dans ses listes d’instruction. Il n’était pas fou, il avait vu son visage quand un de ses subalternes lui avait signalé la découverte des basilics, tous plongés dans l’inconscience. Il avait vu son immense fierté envers l’agent Yearling qui, non contente d’avoir accompli cet exploit, s’était également volatilisée comme un fantôme. Light aimait sa famille, c’était évident. Pourtant les dernières paroles de la licorne parme avaient eu beau être sciemment chargées d’insinuations, il n’y avait tout bonnement pas réagi. Son mensonge étant indéniablement percé à jour, l’entendre le proférer avec une telle assurance avait quelque chose de perturbant. D’attristant même.

Au moment où le préfet entamait la première marche du colimaçon nuageux, une comète embrasée, surgit pour ainsi dire de nulle part, manqua de peu de le percuter. S’ensuivit alors trois boucles aussi gracieuses qu’inutiles avant qu’elle ne daigne enfin à se poser à leurs côtés. « On vient d’en rattraper deux autres, Light ! annonça la jeune pégase en reprenant son souffle. On a eu beaucoup de chance, il s’en est vraiment fallu de peu !

— Comment ça ? Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda son interlocuteur, inquiet tout à coup.

— Juste un truc qu’on ne pouvait pas prévoir : Un couple qui a jugé bon de se bécoter dans une ruelle. Heureusement ils ont commencé par se tripoter les ailes au milieu d’une foule juste avant. Il y a eu quelques personnes choquées, mais au moins ça nous a permis d’arriver à temps... Oh, bonsoir monsieur Homes !

— Bonsoir Spitfire. » Rétorqua l’intéressé sur un ton glaçant avant de détourner le regard. Affichant un sourire moqueur, la Wonderbolt reprit sa conversation avec Light d’une voix qui respirait la jubilation. Ce fut difficile, mais la licorne prit sur soi pour ne rien laisser paraître. Après tout, l’essentiel de sa fierté était en jeu !

La jeune Spitfire, numéro deux de l’escadrille des Wonderbolt malgré sa très récente intégration, était l’archétype même du pégase : orgueilleuse, immature, et surtout tête brûlée au possible. Leur rencontre avait beau ne dater que de quelques heures, Homes n’arrivait déjà plus à la supporter. « Bande d’idiots, pourquoi n’êtes-vous pas resté auprès de la princesse ! avait-il hurlé quand la ponette au poil d’or l’avait intercepté au vol, le sauvant d’une mort certaine. Si le terroriste vous avait vu, tous les otages auraient été… » Le miraculé n’avait pas pu finir sa phrase, sa sauveuse l’ayant relâché de suite avant de le rattraper sadiquement quelques secondes plus tard. Au bord du malaise, il n’avait eu d’autres choix que de se taire et l’écouter jusqu’à leur retour à Cloudsdale.

Pour le peu qu’il en avait compris, c’était une petite pouliche bleue et au crin arc-en-ciel qui avait donné l’alerte. Celle-ci était parvenue malgré son âge à traverser une grande partie d’Equestria, armée que de ses ailes et de son courage, leur apportant au péril de sa vie un rapport extrêmement précis de la situation à Cloudsdale. Il n’en avait dès lors pas fallu plus pour qu’Homes mette un nom et un visage sur cette jeune prodige. Yearling avait dit vrai quelques heures plus tôt : il aurait dû enfermer Rainbow Dash dès l’instant où il l’avait découverte, cachée au fond de ce fichu placard !

Sans rentrer davantage dans les détails, Spitfire avait ensuite exposé la manière dont les Wonderbolt s’étaient organisés : tandis que les membres de réserve effectuaient leur prestation comme si de rien n’était, une élite de quatre pégases menée par la jument dorée rejoignait Cloudsdale le plus discrètement possible. Souhaitant éviter toute fuite d’information, leur capitaine, un vieil étalon d’expérience, n’avait pas prévenu Célestia et était resté sur place. Sur le coup, la licorne au crin bleu était furieuse, mais elle dut rapidement admettre qu’il avait fait preuve de discernement en réagissant ainsi.

« Euh, monsieur Homes ? Loin de moi l’idée de vous déranger dans votre réflexion, mais un être à plume semble requérir votre attention. » Faisant l’impasse sur l’évident sarcasme de la jument, l’interpellé regarda aussitôt vers le ciel, les yeux remplis d’espoir. Son cœur eut d’abord une embardée dès qu’il aperçut la silhouette aviaire située juste au-dessus de lui… Puis cette excitation s’estompa aussi sec quand il comprit que ce n’était pas celui qu’il attendait.

Voyant que son maître avait fini par le remarquer, Hooth lâcha le rouleau de parchemin coincé entre ses serres et reprit la direction de Canterlot. Ses attentes déçues, Homes attrapa machinalement la missive avant de la lire en diagonale.

« Du nouveau ? demanda Light sur un ton qui se voulait le plus neutre possible.

— Pas vraiment, non : L’équipe que j’ai laissée à Canterlot cherche encore à expliquer l’explosion de la bibliothèque royale. D’après les premiers diagnostics, les deux agents trouvés sur place ont encaissé un sort d’une puissance prodigieuse. C’est d’ailleurs celle-là même que j’ai ressentie au sommet de la tour. Leurs jours ne sont pas en danger, mais l’un d’entre eux semble avoir subi un traumatisme cérébral grave. Les médecins ont peur que sa mémoire ne soit irrémédiablement altérée…

— Vous savez Homes, mes propres agents ont aussi une place importante dans mon cœur. Je comprends donc parfaitement l’inquiétude qui vous ronge. Si vous souhaitez retourner sur le continent pour retrouver votre équipe, sachez que je ne vous retiendrais pas.

— Merci de cette mansuétude, mais ce n’est pas la peine, répliqua l’étalon parme avec une inflexion cassante. J’ai encore une mission à accomplir ici et, contrairement à vous, je ne pense pas que la victoire soit assurée. »

Se détournant des deux pégases pour détruire la lettre grâce à un petit sort d’embrasement, Homes jeta un nouveau regard vers la foule qu’il surplombait. Parmi tous ces poneys se trouvait certainement un, voir deux terrestres émerveillés par leur visite, inconscients du danger qui les guettait. De la même manière, l’individu responsable de tous ces évènements pouvait très bien être tapi dans une ruelle, attendant le moment propice pour frapper. À la moindre erreur de leur part, au plus petit défaut dans leur vigilance, cette licorne lancerait ses représailles contre les otages, ou pire : Parviendrait à s’échapper. C’était ça, la vraie raison de son inquiétude.

Quand il avait appris que les pégases envoyés en renfort juste après son combat n’étaient pas parvenus à arrêter le terroriste, Homes était entré dans une colère noire. Savoir qu’ils avaient retrouvé des bouts de tissus calcinés sur les lieux n’avait sur le coup strictement rien changé. Et si Light ne s’était pas interposé entre lui et son lieutenant, les deux poneys en seraient sans doute venus aux sabots. Quelques mots acerbes avaient bien sûr été échangés, mais la tension avait heureusement fini par retomber après quelques instants. L’enjeu demeurant en effet bien trop grand, ils ne pouvaient se permettre de rompre leur collaboration, aussi éprouvante soit-elle.

« Sous-officier Spitfire, tant que je vous tiens : Avez-vous pensé à interroger les terrestres que nous avons déjà secourus ? demanda l’étalon cornu, pris d’une brusque inspiration.

— Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais la plupart d’entre eux sont en état de choc, répliqua l’interpellée alors qu’elle était sur le point de repartir. Je ne suis pas médecin, mais il est fort probable qu’un interrogatoire risque d’aggraver leurs troubles.

— Pardonnez ma rudesse, mais je crains que vous ne compreniez pas bien la situation, l’interrompit-il durement. Il reste encore sur ce cumulus une vingtaine de poneys dont la vie ne tient qu’à un fil. Or dans quelques heures, il fera nuit noire et les opérations de sauvetage devront être interrompues. Vous imaginez ce qui se passera si nous oublions ne serait-ce qu’un otage avant le crépuscule ?

— Je crois que vous nous sous-estimez un peu…

— Non, c’est vous qui êtes trop assurés ! Le temps joue contre nous, et toute information susceptible d’accélérer l’évacuation se doit d’être obtenue. Les terrestres ont forcément remarqué un pelage ou une crinière d’un de leur semblable lors du voyage. Il faut les faire parler, c’est une question de vie ou de mort !

— Homes, votre appréhension est tout à fait légitime, néanmoins il faut vous calmer, finit par intervenir l’autre pégase. La situation est encore loin d’être catastrophique, rien ne justifie l’usage de telles méthodes ! » Encore plus irrité, son interlocuteur voulut aussitôt lui recracher son argument à la figure. Mais l’arrêtant dans son geste, un simple regard de l’étalon bleu lui fit nettement comprendre que la décision finale ne lui revenait pas.

Comme son opposant ne répondait rien, Light fit un signe entendu à Spitfire qui décolla après un énième sourire adressé à celui qui lui devait encore la vie. Depuis leur arrivée, elle et les trois autres Wonderbolt patrouillaient en dessous de Cloudsdale. N’intervenant qu’en dernier recours, ils avaient déjà sauvé cinq poneys des griffes de la mort, par leur seule adresse. Arrivés certes après la bataille, ce serait néanmoins eux que tout le monde acclamerait à la fin de cette histoire. Ce serait eux, les vrais héros ! Et ça, Homes ne le supporterait pas.

Révolté par son impuissance, l’agent royal se détourna une seconde fois de son collègue d’un mouvement qui respirait la violence. Pendant qu’ils débattaient, le terroriste parcourait les rues, libre d’accomplir tout ce qui lui chantait. C’était un assassin, un meurtrier, et il était prêt à tout pour attendre son but. Pourquoi ce stupide pégase ne voulait-il pas comprendre ?

Homes n’était pas idiot, il savait que ce criminel pourrait facilement fuir la ville une fois l’astre du jour couché. Or que ce soit dû à son sens du devoir ou son esprit de revanche, il se refusait encore à renoncer à sa capture. Tout aurait été tellement plus simple si la liste des otages se trouvait en sa possession ! Grâce à elle, ils pourraient commencer leur traque bien avant la nuit, dès que l’évacuation serait achevée. À défaut d’avoir ces informations vitales, Light ne prendrait donc forcément aucun risque et prolongerait les recherches jusqu’au bout. Ne restait dès lors plus qu’à prendre son mal en patience et espérer, chose qu’un poney d’action comme Homes ne pouvait décemment faire. Ce dernier pouvait d’ailleurs sentir la victoire filer entre ses sabots à mesure que les secondes s’égrenaient. Comble de la frustration, son état physique l’empêchait de descendre dans les rues pour participer lui-même aux opérations ! C’était un bien cruel sort réservé au principal acteur de cette histoire...

Alors que l’étalon scrutait le ciel azuré dans le maigre espoir d’y trouver Passered, une forme grise attira son attention. Flottant à une bonne centaine de mètres de la ville, l’objet aux allures de nuage miniature se dirigeait droit vers eux, certainement poussé par le vent. Si voir ce genre de cumulus n’était pas rare, sa couleur sombre avait de quoi interpeller. « Regardez là-haut ! lança Homes en montrant du sabot l’objet volant. Qu’est-ce que fiche ce nuage d’orage ici ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, admit le pégase au crin blanc. La brigade météo était pourtant supposée nettoyer le ciel aujourd’hui… Je leur transmettrai l’information dès que possible.

— Non ! Il faut intervenir dès maintenant ! Si ce nuage se décide à libérer un éclair, il pourrait entraîner plusieurs chutes simultanément !

— Avec son volume et à cette altitude ? Ne dites pas de bêtises, on l’entendrait à peine d’ici…

— Bien, puisque vous n’êtes pas disposé à prendre ce problème au sérieux, je vais m’en charger moi-même ! » Prenant Light de court, la licorne sauta avec une grande détermination sur le toit qui leur faisait face.

Brusquement sollicité, son corps meurtri accusa le coup, l’abandonnant à la douleur malgré les anesthésiques qui circulaient dans son sang. Les bandages craquèrent, laissant ses ecchymoses et autres blessures à découvert. Difficile de se le cacher, il ne devait pas être beau à voir ! Toutefois cela ne l’empêcha pas de parcourir le toit de deux autres bâtiments avant qu’il n’en puisse plus.

Jugeant la distance désormais suffisante, Homes commença à solliciter sa magie qui, par chance, n’avait encore rien perdu de sa vitalité. Voyons : Pour se débarrasser de ce nuage instable, mieux valait faire preuve de douceur, sans quoi l’explosion était inévitable. Créer une petite bourrasque, d’une puissance la plus dosée possible, semblait donc la meilleure solution…

La corne pointée vers sa cible, le poney lilas amassa par télékinésie une grosse masse d’air juste devant son museau. Quand cette dernière atteignit un volume suffisant, il l’expulsa avec force droit vers le ciel. Plusieurs secondes s’écoulèrent alors, le regard du magicien rivé sur le cumulus qui poursuivait indolemment sa route. Il eut enfin un brusque soubresaut quand la rafale le heurta, puis ce volume cotonneux se sépara en deux moitiés, prenant chacune un cap différent.

À la fois surpris et agacé par cet insuccès, Homes chargea aussitôt un nouveau sort, significativement plus puissant que le premier. Mais au moment même où il le relâcha, une créature embrasée entra sans crier gare dans son champ vision. S’interposant entre lui et sa cible, la jeune pégase dévia d’un habile coup d’aile la bourrasque qui s’éparpilla dans toutes les directions. Pris au dépourvu, l’étalon reçut son propre souffle de plein fouet et perdit l’équilibre. Deux secondes plus tard, son corps meurtri s’écrasa dans la rue en contrebas avec un « plof » ridicule. C’était la deuxième fois en moins d’une journée que cette surface cotonneuse lui évitait une rupture lombaire. Et pour la deuxième fois, c’était un pégase qui en était la cause. Coïncidence fortuite ou provocation, le doute ne semblait plus vraiment permis…

Blessée dans son orgueil à défaut de l’être physiquement, la noble licorne une fois relevée jeta un regard foudroyant vers la responsable de cette attaque-surprise. « Bon sang, mais tu es malade ! hurla-t-il sans aucune retenue. Être Wonderbolt ne te suffit pas, tu attaques également tes propres alliés ! Quand ton supérieur apprendra ça, je ne donnerai pas cher de ta peau…

— … Maintenant ça suffit ! l’interrompit Spitfire avec une fermeté martiale. C’est vous qui devenez dangereux avec vos bêtises. Il va falloir vous calmer si vous ne voulez pas que je le fasse moi-même ! Bon, maintenant que les choses sont claires, il y a un poney qui veut vous voir de toute urgence.

— Depuis quand une gamine comme toi me donnerait-elle des ordres ? Rétorqua durement l’intéressé alors que la pégase s’éloignait déjà. Et si quelqu’un veut me parler, il devra me le dire en face. Hors de question que je passe par un intermédiaire de ton genre !

— Je suis déjà là, chef Homes. Pas la peine de vous époumoner ainsi. » Ne pouvant retenir un tressaillement de surprise, Homes s’empressa de faire volte-face. Tel fut alors son étonnement lorsqu’il détailla la jument qui venait de l’interpeller. Une paire de lunettes posée sur le nez, le crin déjà grisonnant et un pelage dans les tons beiges ; soit autant de caractères assez communs qui manquèrent de lui faire passer un détail primordial : Ses flancs totalement vierges de plumes. Pas le moindre doute possible, celle qui le regardait à l’instant même avec sévérité était une terrestre !

Son premier réflexe fut bien sûr de se jeter sur elle et la prévenir d’une chute pouvant survenir à tout moment. Par chance, il eut le temps d’enrailler ce geste en constatant la présence d’une licorne au pelage sombre à ses côtés. Cette dernière avait d’ailleurs pris une posture de défense, le voyant s’approcher d’un peu trop près. De par cette attitude, on comprenait dès lors que ces deux poneys n’étaient pas venus pour faire du tourisme.

« Qui… Qui êtes-vous ? demanda Homes, ayant oublié toute forme de politesse.

— Cela doit faire dix ans que l’on travaille ensemble et vous ne me reconnaissez pas ? rétorqua l’interrogée sans que sa surprise transparaisse vraiment. Je suis Mayor Mare, la mairesse de Manehattan. »

À la simple mention de ce titre, une flopée de souvenirs — désagréables pour la plupart — jaillit de son esprit tourmenté. Du peu qu’il en savait sur elle, Mayor Mare était une brillante politicienne, appréciée et très proche de ses concitoyens. Ses travaux avaient notamment permis la création d’une ligne grande vitesse reliant sa ville au reste du royaume. Toutefois si Homes la connaissait, c’était plus en tant qu’auteur d’une grande majorité des dépôts de plaintes archivés dans son bureau.

Avec une moyenne de deux lettres par semaine depuis le début de son premier mandat, cette dernière lui rapportait avec minutie le moindre incident magique ayant eu lieu à Manehattan. En effet selon sa logique, toutes les licornes d’Equestria se trouvaient sous sa responsabilité. Les préjudices causés par magie, même s’ils découlaient essentiellement de la maladresse, se devaient donc d’être signalés, et punis. Car après tout comment pouvait-elle gérer convenablement sa ville quand ses résidents cornus pouvaient abuser de leur pouvoir ?

Ayant associé ses demandes à un caprice d’égalitariste, l’étalon avait fini par les ignorer, et une tension s’était rapidement installée entre les deux correspondants. Insistante, la jument avait plus d’une fois exigé auprès de ses supérieurs des entrevues qu’il avait par chance toujours su écourter. Mais à bien y réfléchir, l’étalon parme aurait largement préféré que cette confrontation ait lieu dans n’importe quelle autre circonstance !

« Et bien je suis enchanté de voir ici, madame la maire, dit-il sans conviction. Je sais que nous avons beaucoup à nous dire, toutefois ce n’est vraiment pas le moment…

— … Rassurez-vous, je suis parfaitement au courant de ce qui se passe ici. » Le coupa-t-elle alors. « Ça m’aurait étonné ! » Songea l’étalon en la dévisageant d’un air faussement surpris. Vu le nombre de poneys informé plus que de raison, il fallait bien sûr s’attendre à des fuites. Il avait beau le savoir, ces nouveaux venus allaient lui poser problème. Se débarrasser d’eux au plus vite devenait donc sa priorité. Tant pis pour l’identité de leur contact, il tenterait de l’obtenir à un moment plus opportun.

« Dans ce cas, ne perdons pas plus de temps : dites-moi ce que vous voulez, puis rejoignez un endroit sûr. Le terroriste est toujours libre, je vous signale... dit-il alors à Mayor Mare qui hocha la tête tout en se rapprochant.

— Avant tout chose, je tenais à vous dire merci. Merci infiniment de ce que vous avez fait pour nous. »

Homes, qui s’était attendu à une avalanche de brimades et de reproches, tomba des nus. Croyant d’abord à une mauvaise blague, il se plongea dans le regard de son interlocutrice. Nouvelle surprise, il s’aperçut qu’elle avait les larmes aux yeux.

« Vous avez été héroïque, Homes, poursuivit la jument beige sans chercher à se défiler. Jamais je n’aurai pensé qu’une licorne comme vous pourrait faire preuve d’une telle abnégation. Rien ne vous y obligeait, pourtant vous avez sauvé mes semblables au péril de votre vie. C’est… C’est tellement rare ! Moi, mais aussi beaucoup d’autres terrestres, nous vous en serons à jamais reconnaissants ! »

Aussi bien flatté que gêné par cette reconnaissance impromptue, l’agent royal ne sut sur quel sabot danser. D’un côté il aurait voulu savourer cette gloire qui s’était longuement fait attendre. Mais d’un autre côté l’horloge poursuivait sa course, l’obligeant à mettre au plus vite un terme à la discussion. Et dire qu’il se languissait de ce moment depuis des années, quel beau gâchis !

« Vous m’en voyez flatté, madame la maire. Sachez néanmoins que je n’ai fait que mon devoir, répondit-il donc avec une courtoisie à peine forcée. Je m’excuse pour ma rudesse, mais la victoire n’est pas encore acquise. Il va donc falloir que je vous quitte…

— Monsieur Homes, vous devinez bien que je ne suis pas venue ici dans l’unique but de vous féliciter ! l’arrêta-t-elle sur un ton devenu subitement ferme. C’est mon devoir tout autant que le vôtre de protéger mes concitoyens. Hors de question que nous restions inactifs.

— Dans ce cas, essayez de trouver Light. C’est le pégase au pelage bleu qui dirige l’évacuation, il vous affectera là où vous serez le plus utiles. D’ailleurs le voilà ! » Pointant du sabot la silhouette familière qui se rapprochait clopin-clopant, Homes essaya de s’éclipser. Ce ne fut malheureusement pas du goût de la licorne aux muscles hypertrophiés qui l’arrêta sans ménagement.

D’abord surpris par ce brusque revirement d’attitude, l’étalon au crin bleu sentit son sang ne faire qu’un tour. Il caressa un instant l’idée de repousser par la force ce poney qui osait lui barrer la route, mais dut se raviser en se souvenant de son piètre état physique. À défaut d’autres solutions, il dévisagea Mayor Mare, lui signifiant ainsi sa demande d’explications. Par chance, cette dernière ne se fit pas prier :

« Je m’excuse sincèrement d’en arriver là, cependant je dois de toute urgence vous faire comprendre quelque chose, dit-elle avec diplomatie. D’abord il vous faut prendre un peu de recul sur la situation et voir un peu plus loin que l’instant présent. Je ne voudrais pas faire de prévisions hâtives sur les évènements qui suivront cette journée, toutefois laissez-moi vous donner le scénario le plus probable : Tous les terrestres présents lors de ce voyage seront ramenés à terre sains et saufs. Le terroriste n’ayant pu quitter Cloudsdale finira par être arrêté après une traque intensive des forces Pégase. Et pour finir, Célestia, tout juste revenue de son voyage diplomatique, souhaitera récompenser celui sans qui rien n’aurait été possible. C’est à dire vous. »

Écoutant ses paroles avec une inextricable fascination, Homes prit conscience de ce temps d’arrêt avec un léger retard. Il essaya bien sûr de remettre le sabot sur la conversation, mais elle le devança aisément. « Vous avez déjà gagné Homes, affirma la jument sur un ton empli de sincérité. Vous serez celui que tout le monde acclamera, celui dont l’histoire aura souvenir ! Qu’importe ce que nous ferons, ni Light, ni Spitfire, ni moi-même nous ne parviendrons à égaler votre exploit. Alors pourquoi persistez-vous encore à vous démarquer ? Pourquoi cherchez-vous à nous écarter de cette opération ? »

Homes voulut bien sûr répondre à la jument, justifier ce zèle qui l’animait, mais rien ne lui vint. C’était une sensation assez étrange, comme si une partie de lui-même avait brusquement cessé le combat. Était-ce dû à la fatigue ou bien aux antidouleurs qui circulaient dans son sang ? Impossible, il ne s’était jamais senti aussi lucide qu’à cet instant précis. Inutile donc de se le cacher, c’était la justesse de ses propos qui l’avait atteint. L’aveu était difficile, mais il fallait bien l’admettre : Mayor Mare avait raison. Il avait très mal estimé la situation dans laquelle ils se trouvaient.

Comme l’étalon ne réagissait pas, la mairesse au crin gris décida d’achever son argumentation. « Sachez Homes que je ne remets aucunement en cause votre volonté d’assurer le succès de cette évacuation. Toutefois j’aimerais vous mettre en garde contre vous-même. En effet, à force de lutter contre les menaces les plus insignifiantes, on finit par en devenir une. Or, pour le peu que je viens de voir, vous commencez à en prendre le chemin. Je vous le demande donc solennellement : ne gâchez votre exploit de manière aussi stupide. Personne ne vous le pardonnerait. »

Alors que Light se trouvait encore à une vingtaine de mètres, la jument beige tendit un sabot dans l’espoir de confirmer cet accord tacite. En temps normal, Homes aurait certainement posé sur elle un regard dédaigneux avant de se détourner sans aucune politesse. Après tout, c’était son travail de secourir tous ces poneys. Il n’avait donc aucune leçon à recevoir d’une politicienne, terrestre qui plus est ! Pourtant cela n’empêcha pas l’étalon de tendre à son tour la patte pour sceller l’entente, geste qui surprit quelque peu Mayor. C’était en effet une décision assez étonnante de sa part, d’autant qu’il n’accordait sa confiance qu’à très peu de personnes. Mais aussi incroyable que cela puisse paraître, les propos de cette inconnue l’avaient suffisamment touché pour qu’il se remette en cause. Prenant conscience de ce fait, Homes ne put réprimer un sourire. Contrairement à ce que beaucoup pensaient, il n’était pas si borné que ça au fond…

« Navré de mon retard, j’ai eu quelques peines à trouver un chemin praticable, les interrompit enfin un Light légèrement essoufflé. Tiens, je ne vous attendais pas de sitôt Mayor Mare ! Comment avez-vous su pour la prise d’otage ?

— Bonsoir Light, répondit-elle sur un ton trahissant leur familiarité. Je vous rassure tout de suite : l’information n’a pas encore fuité. Seuls moi et quelques autres terrestres sommes au courant.

— Vous m’en voyez soulagé, je craignais qu’un vent de panique n’ait déferlé sur Manehattan ! s’exclama-t-il sans comprendre que sa question avait été éludée. Ceci étant dit que nous vaut l’honneur de votre visite ?

— Comme je l’ai déjà expliqué à Homes, je viens apporter mon soutien aux équipes de recherches.

— Eh bien, je suis honoré de cette proposition. Toutefois pour des raisons évidentes de sécurité, je ne peux pas vous laisser circuler librement dans Cloudsdale…

— … N’ayez crainte, l’interrompit-elle en intimant à son garde du corps de se rapprocher. Ma participation n’est pas du tout de cet acabit. » Ces mots tout juste prononcés, la licorne noire sortit de son sac de selle un épais parchemin qu’il tendit à Light. Sa curiosité piquée, il ne suffit à Homes qu’un simple coup d’œil pour identifier son contenu. « Sweetie Drops ! » Manqua-t-il alors de s’exclamer.

Prenant sur soi pour ne rien laisser paraître, l’étalon parme regarda, impuissant, son semblable ailé parcourir la liste avec grande satisfaction. Grâce à elle, ils allaient pouvoir mettre un nom sur tous les poneys présents lors de l’embarquement. Grâce à elle, aucun terrestre n’allait être oublié, l’opération de sauvetage étant donc vouée à la réussite. L’avoir enfin en leur possession était une excellente nouvelle dont Homes ne pouvait que se réjouir. Alors pourquoi gardait-il un goût amer dans la bouche ? Ah oui : Sweetie Drops…

Depuis que le chef de la brigade de lutte contre la délinquance magique avait intégré l’agent Bond dans son équipe, il avait eu à remettre en cause de quelque manière que ce soit sa loyauté. Elle avait beau être une terrestre, c’était toujours la première à défendre le droit des cornus manehattaniens ou aider ses collègues se trouvant en difficulté. Même les membres les plus soupçonneux du bureau avaient fini par lui octroyer toute leur confiance une fois quelques jours passés. Et pourtant… Pourtant c’était elle qui l’avait trahi, détournant des informations confidentielles dont il avait cruellement besoin. C’était elle qui avait préféré accorder sa confiance à sa race plutôt qu’à son chef, un geste impardonnable !

Bouleversée par cette révélation, la licorne au crin bleu regarda avec insistance la terrestre responsable de son malheur. Il sentit alors la honte, la colère, mais également la jalousie s’immiscer en lui. Non contente d’avoir volé la loyauté de son meilleur élément, celle-ci s’appropriait impunément le fruit de son travail ! Et dire qu’elle venait à l’instant de lui faire la morale, une belle hypocrisie, tiens ! Il avait de quoi être furieux, exiger de solides réparations quand bien même la situation ne s’y prêtait pas. Chargeant donc sa corne de magie, Homes se dirigea d’un pas décidé vers la jument qui regardait Light s’éloigner avec le précieux document. Elle allait payer, et cette fois-ci son garde du corps ne la sauverait pas !

La distance qui le séparait de sa cible passa en dessous des cinq mètres, puis s’amenuisa rapidement jusqu’à trois. Ce n’est qu’au moment où l’étalon se trouva à moins de deux mètres de Mayor Mare qu’il prit pleinement conscience de son geste. Que… qu’était-il sur le point de faire ? Avait-il perdu la tête ! Non ce n’était pas possible, il ne pouvait pas tomber aussi bas. Il ne pouvait pas devenir aussi… Bestial !

Inconsciente du danger qui venait de l’effleurer, la mairesse de Manehattan se tourna vers Homes en affichant un air surpris. « Vous allez bien, Homes ? demanda-t-elle alors avec une inquiétude sincère. Ce n’est peut-être qu’une impression, mais je vous trouve pâle.

— Je vais bien, merci de votre sollicitude, répondit l’intéressé d’une voix vibrante. Je… Je m’excuse de vous avoir surprise.

— Ne le prenez pas mal, mais votre état de santé n’est pas aux meilleures. Je ne suis pas médecin, mais vous devriez vraiment prendre un peu de repos… »

Trop las pour ne serait-ce que répliquer, l’agent royal confirma son abandon d’un simple hochement de tête. Ça ne lui était arrivé que peu de fois dans sa vie, mais Homes se sentait vieux, fatigué. Comprendre et admettre son tort n’étaient pas une expérience facile, surtout de la part d’un poney comme lui. Toutefois la simple vision de ce qu’il avait failli faire à cause de ce déni justifiait largement cet effort.

Peinant encore à retrouver ses repères dans ces rues qui reflétait le soleil couchant, la licorne remarqua une petite fiche que Mayor Mare relisait avec application. À ses côtés, le cornu au pelage ébène semblait se concentrer en préparation d’un sort complexe. Fort de son expérience, le magicien au poil lilas identifia rapidement l’objectif de son semblable ainsi que son inexpérience certaine dans l’art de la magie.

« Permettez que j’apporte mon aide ? demanda-t-il alors sur un ton des plus affable en allumant son propre appendice.

— ça ne serait de refus ! » S’exclama son interlocuteur après un regard entendu à sa supérieure.

Quelques instants plus tard, la voix de Mayor Mare, maire de la ville de Manehattan, résonna dans toute la ville de Cloudsdale. Cette dernière, brillant d’assurance et de tranquillité, invitait chacun de ses concitoyens à se manifester sur la place centrale pour un contrôle de routine. Beaucoup d’entre eux connaissaient cette voix qui, après d’innombrables discours politiques, était devenue une véritable icône chez les terrestres. Ils avaient toujours cru en elle, ils avaient presque tous voté pour elle, et aujourd’hui ils allaient lui obéir.

La journée touchait à sa fin, l’évacuation également. Bientôt le rideau se fermerait sur cette dernière tirade amplifiée magiquement. Malgré un jeu quasi parfait durant les premiers actes, il fallait que Homes l’admette : refuser la collaboration de ses alliés l’aurait inévitablement conduit à sa perte.

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Note de l'auteur

C'était... Particulièrement... Long. Autant pour le temps de lecture que celui de parution, dont je m'excuse d'ailleurs platement. Pour ma défense, je ne pourrais que mentionner les fêtes de fin d'année et l'éparpillement de mon temps d'écriture (avec par exemple la rédaction de critiques).
Autre chose qui n'est pas de mon ressort : Ma relectrice @FeatherOHhope a disparu des écrans radars depuis près de deux mois. Comme vous avez sans doute pu le remarquer, ce chapitre n'a donc pas été relu (Après je me suis quand même servi du super logiciel Antidote pour éliminer le plus de fautes possibles ^^)

Au moment où j'écris ces mots, le chapitre suivant est déjà achevé, il sortira donc sous peu
Alors à très bientôt !

P.S : Pour ceux que ça a intrigués, Philéas est le personnage principal de ma seconde fiction. Sa qualité est assez discutable, toutefois elle développe d'avantage la relation entre Philéas et A.K Yearling. Donc à vous de voir ;-)

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AuRon
AuRon : #45792
Wow..... cette qualité de style et cette ambiance polar juste parfaitement orchestré de manière à nous faire ressentir un sentiment de tension uuste délicieux.

Je n'ai rien à redire ci ce n'est quelques descriptions un poil confuses.
Je veux et attend la suite avec la plus grande des impatience !!!
Il y a 11 mois · Répondre

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