« Mais puisque je vous dis que je suis chargée d’une mission capitale ! Si vous ne me relâchez pas, de nombreuses vies pourraient être menacées !
— Bon vous allez vous taire, oui ? l’interrompit sans ménagements Thunderlane en tirant sur ses menottes. Je vous emmène au poste un point c’est tout. Vous aurez tout le temps de vous défendre là-bas…
— Vous commettez une terrible erreur, monsieur l’agent, poursuivit aussitôt la jument aux poils gris. Je travaille au bureau luttant contre la délinquance magique, c’est mon supérieur qui m’a envoyé ici. Pourquoi ne me croyez-vous pas ?
— Pourquoi ? Et bien si l’on excepte la perte malencontreuse de votre insigne ainsi que votre jeune âge, je dirais que vous n’avez rien d’une ponette surentraînée qui combattrait le crime au péril de sa vie. » Sa prisonnière voulut bien sûr répliquer, mais le policier reprit sa marche, l’entraînant de force à sa suite.
Depuis qu’il avait accepté cette affectation à Manehattan, Thunderlane n’avait que très peu d’interpellations à son actif. Cette grande ville n’était pourtant pas avare en criminels, ses collègues terrestres devant travailler dur pour les coincer. Cependant l’espace aérien dont il était l’unique responsable avait une fréquentation quasi-nulle, la faute à un nombre très restreint de citoyens ailés. Beaucoup de policiers avides d’action considéraient ainsi ses patrouilles aériennes comme particulièrement vides d’intérêt ou de sens. L’été n’arrangeait d’ailleurs pas la chose puisque beaucoup de ses semblables prenaient leurs vacances durant cette période. Cela n’empêchait pourtant pas l’étalon d’apprécier à juste titre une tranquillité que plus d’un travailleur enviait. Après tout, ce n’était avec la régulation quotidienne des trois malheureux vols pégases qu’il risquait de recevoir un mauvais coup ! Du moins il le pensait encore avant l’arrivée de cette… furie ? Oui, le mot semblait assez approprié.
Marchant quelques pas derrière lui, la pégase dénommée Derpy émit brusquement un son plaintif qui le fit se retourner. Ses pattes antérieures emmêlées dans la chaîne métallique pendue à son cou, cette dernière venait de s’étaler sur le sol poussiéreux. Les passants qui circulaient auprès d’eux ne cachèrent pas leur amusement devant une maladresse aussi exagérée. L’étalon au pelage noir poussa alors un long soupir avant de se décider à la relever. Il leur restait encore trois rues à franchir pour atteindre le commissariat, et cette jument aussi bigleuse qu’imbécile avait déjà sérieusement entamé sa patience. Allait-il être capable de la mener au bout du parcours sans s’emporter une seule fois ? En tout cas, ça s’annonçait plutôt mal pour l’instant…
« Merci, souffla Derpy une fois remise sur ses quatre sabots. Vous savez, nous irions peut-être un peu plus vite si vous m’enleviez cette chaîne et que nous volions.
— Ne me prenez pour un idiot s’il vous plaît, rétorqua-t-il d’un ton glaçant. Vous avez beau être en train de ruiner ma soirée, je ne faillirai pas à mon devoir. Dus-je même y passer la nuit ! » Joignant le geste à la parole, Thunderlane se plaça derrière elle, puis lui ordonna d’avancer.
D’abord réticente à obéir, la jument aux crins blonds finit par s’incliner devant sa détermination et se remit pesamment en marche. Beaucoup de poneys autour d’elle la dévisageaient avec insistance sans qu’elle ne leur retourne le moindre regard. Sur son visage on pouvait lire une grande peine, comme si elle venait d’échouer à une épreuve capitale. De par ce brusque changement d’attitude, la rue était devenue bien plus silencieuse, l’envie de rire s’étant volatilisée aussi vite qu’elle était apparue. « Vous pouvez circuler, il n’y a rien à voir ! » lança alors le policier à la crinière argentée, satisfait pour sa part de sa coopération. Avec un peu de chance, il pourrait encore profiter d’une bonne nuit de sommeil auprès de sa fiancée ! Certains avaient en effet la fâcheuse à oublier qu’il n’était, malgré son uniforme, qu’un poney ordinaire.
Arrivée à l’intersection de deux rues, Derpy marqua un temps d’arrêt, n’ayant aucune idée du chemin à suivre. Mais au moment où son gardien s’approcha pour lui indiquer la bonne direction, celle-ci se mit à faire une série de gestes frénétiques en direction du trottoir opposé. « Sweetie Drops, c’est moi, Derpy ! hurla-t-elle aussi fort que sa voix le lui permettait. Homes m’a envoyée pour te retrouver. Vite, viens m’aider s’il te plaît ! »
Ne désirant en aucun cas impliquer d’autres poneys, Thunderlane se précipita aussitôt vers la pégase afin de la faire taire. Bien qu’assez frêle et malhabile, elle parvint à repousser son premier assaut sans que son regard ne quitte un instant l’individu qu’elle interpellait. Surpris par cette subite révolte, le policier décida de battre en retraite pour ensuite la traîner de force jusqu’au commissariat. Tant pis pour sa dignité, elle l’aurait de toute façon bien cherchée !
Après avoir détaché de son ceinturon la chaînette qui le liait à la jument, le poney noir l’enroula autour de sa patte droite. Maintenu de cette façon, il était à peu près sûr de fournir un effort suffisant pour avoir raison de sa résistance. Bien mal lui en prit car Derpy, profitant de ce court moment d’inattention, écarta brusquement ses ailes, puis se propulsa vers les cieux.
Pris par surprise, l’étalon noir n’eut pas le temps de trouver un appui stable. Son corps ne put alors que suivre son mouvement qui le précipita au beau milieu de la chaussée. Sur sa droite, une grande carriole lui arrivait dessus à toute allure. Impossible pour elle de s’arrêter à temps. Souhaitant s’écarter sans avoir à relâcher sa proie, Thunderlane n’eut alors d’autre choix que de s’envoler à son tour.
Cette terrible collision tout juste évitée, il prit un gain conséquent d’altitude afin de surplomber la fuyarde. Le jeune policier avait voulu être patient avec elle, ne pas céder à la facilité d’une violence légitimée par son statut. C’était après tout son rôle de protéger les valeurs chères au royaume d’Equestria. Il devait donc montrer l’exemple en faisant preuve d’une tolérance parfaite, sinon admirable. Mais cette fois-ci, elle avait vraiment dépassé les bornes ! Qu’importe les préjudices encourus, il ne ferait désormais preuve d’aucune pitié à son égard !
Voyant que sa prisonnière amorçait une descente vers le trottoir d’en face, Thunderlane fit une brusque abattée avant de piquer droit sur celle-ci. Arrivé en un clin d’œil à son niveau, il tordit avec une rudesse à peine contenue son aile droite pour la déséquilibrer. L’effet ne se fit pas attendre, car la jeune pégase partit aussitôt en vrille ; ce qui l’obligea à la soutenir jusqu’au moment de l’impact.
La faute à sa posture inclinée, Derpy se réceptionna très mal sur le sol bitumeux et dut finir sa course contre le mur attenant. Sonnée, elle devint une cible idéale pour l’étalon noir qui s’empressa de l’immobiliser malgré ses plaintes. Par chance, le trottoir n’était que peu fréquenté à cette heure tardive, et les rares piétons qui s’y trouvaient jugèrent bon de s’éloigner rapidement. Seule une ponette au pelage beige restée jusqu’alors indécise se rapprochait d’eux d’un pas assuré. Ce n’était peut-être qu’une impression, mais son visage lui disait quelque chose. Ne l’avait-il pas entraperçue quelques heures plus tôt, lorsqu’il avait sécurisé le décollage de l’aérostat diplomatique ? N’était-ce pas elle qui discutait avec la mairesse juste avant son envol ? En tout cas, nul doute qu’elle souhaitait intervenir si on se fiait à son attitude.
« Monsieur, veuillez tout de suite lâcher cette jument ! lança-t-elle donc sans grandes surprises une fois arrivée à portée de voix.
— Je suis policier mademoiselle, répliqua Thunderlane en pointant du sabot son écusson. Cette jument a commis plusieurs infractions au code du ciel, et a tenté de fuir à l’instant. Or la loi m’autorise à user de la force si je juge la chose nécessaire. Je vous prierai donc de passer votre chemin, car vous entravez le bon fonctionnement de la justice.
— Justement, je suis cette justice. » Interloqué par ces derniers mots, le pégase au pelage noir se détourna un instant de sa prisonnière. L’apparition de son propre emblème policière dans son champ de vision le fit immédiatement sursauter. Que… Que signifiait cette mascarade ? L’agent de la paix observa l’insigne de la jument dans l’espoir d’y déceler une contrefaçon, mais ce ne fut pas le cas. Non, aussi incroyable que cela puisse paraître, il avait en face de lui un membre des forces spéciales de Manehattan.
« Excusez-moi je… Je ne savais pas que vous étiez… » bredouilla Thunderlane, ayant compris qu’il s’adressait à une haute gradée. Ses sabots s’empressèrent alors de relâcher la jument qui resta un moment prostrée au sol. À en croire son visage effaré, cette révélation la surprenait autant que lui. Chose étrange vue qu’elles semblaient toutes deux se connaître.
« Relève-toi Derpy, ordonna froidement la jument au crin rose et bleu. L’endroit n’est pas sûr, il vaut mieux rester loin des oreilles indiscrètes…
— Navré de vous interrompre, mais je crois que vous prenez un risque en la libérant, objecta l’étalon noir malgré la contrariété de son interlocutrice. Cette ponette a déboulé sur un carrefour en dépassant de beaucoup les limites de vitesse autorisée. Elle a ensuite arraché d’une dizaine d’étendoirs plusieurs pièces de lingerie avant de finir sa course dans une boutique de porcelaine. C’est un véritable danger public et elle devra répondre de ses actes !
— Vous croyez peut-être que je ne le sais pas ? rétorqua-t-elle sur un ton agacé. Les victimes seront dédommagées comme il se doit en temps voulu, n’ayez pas d’inquiétudes à ce sujet. Toutefois je vous défends de mentionner l’identité de Derpy dans votre rapport.
— Et pourquoi ferais-je cela ?
— Parce que c’est un ordre ! »
Surpris par ce brusque éclat de colère, Thunderlane regarda la terrestre beige relever sa semblable pégase. Il était policier, les seuls poneys capables de lui donner des ordres étaient les commissaires de Manehattan. Or les instructions de ces derniers entraient en contradiction avec celles de cet agent spécial sorti de nulle part. Il aurait donc été tout à fait légitime d’ignorer son impérieuse demande et d’amener comme convenu sa prisonnière au poste. Rien ne lui en empêchait, après tout. Pourtant il ne bougea pas.
Ce n’est qu’au moment où les deux ponettes disparurent au coin de la rue que le pégase au crin argenté s’autorisa un long soupir de soulagement. D’un revers du sabot, il attrapa ses menottes traînant sur le sol, puis partit dans une direction opposée à la leur. À voir la manière dont il s’était plié à ses ordres, beaucoup l’auraient certainement traité de lâche, de couard. Et même si Thunderlane ne le niait pas, il savait en son for intérieur qu’il avait fait le bon choix.
En effet si l’on prenait en considération la situation dans son ensemble, on voyait que cette dernière lui était des plus favorables : lui qui désirait se débarrasser aussi vite que possible de Derpy, voilà qu’une ponette surqualifiée venait prendre sa relève. Elle récupérait ainsi la garde de sa prisonnière, mais surtout la responsabilité qui en découlait. Libéré de toute charge, il pouvait donc quitter son service et profiter de sa soirée avec la conscience tranquille. Dans le pire des cas, il lui serait toujours possible de jouer les victimes en rejetant la faute sur la jument beige. Après tout n’était-il pas un simple subalterne bon qu’à exécuter des ordres ? Comme quoi, se trouver au plus bas de l’échelle avait du bon !
***
« Allô, il y a quelqu’un là-dedans ? Répondez s’il vous plaît ! » N’obtenant pas de réponse, Derpy tourna la poignée de la cabane, puis tira son battant avec précaution. Les gonds trop rarement sollicités protestèrent aussitôt par un long grincement sonore, qui résonna dans le crépuscule. D’abord emplie d’espoir, la jument grise retourna en l’espace de quelques secondes à un état plus raisonné quand la porte du cabanon fut entièrement repoussée. Comme tous ceux qu’elle avait déjà inspectés, celui-ci était en effet vide de toute présence. Seuls quelques outils de jardinage s’entassaient pêle-mêle dans un coin, dans l’attente que leur propriétaire requière leur service.
N’étant pas du tout le poney qualifié pour ce genre de travail, l’intruse repoussa la porte non sans avoir au préalable poussé un long soupir de frustration. Autour d’elle les arbres du parc bruissaient sous une légère brise. Dans d’autres circonstances, ce bruit l’aurait certainement apaisée, mais sa longue marche avait eu depuis longtemps raison de sa patience. Sans approfondir ses recherches sur ce point de verdure situé au beau milieu du paysage urbain, Derpy fit prestement demi-tour.
Revenue devant un carrefour faiblement éclairé, la jeune pégase observa d’un air incertain les différentes routes qui s’offraient à elle. Voyons, laquelle n’avait-elle pas encore parcouru ? D’ailleurs, comment être sûre de ne pas tourner en rond ?
Contrairement à ce que beaucoup auraient pu penser, la ponette au regard asymétrique disposait d’un assez bon sens de l’orientation. C’était d’ailleurs une capacité inhérente aux équidés pourvus d’ailes, capables de voler de longues heures sans dévier de leur route. Selon certains scientifiques, ces derniers parvenaient à percevoir les lignes de force magique qui parcouraient le royaume. Bien qu’assez sceptique à la base, Derpy trouvait désormais cette hypothèse complètement stupide et pour cause : ligne de force ou pas ligne de force, cela faisait près d’une heure qu’elle était perdue !
Comprenant que la colère ne résoudrait pas son problème, elle décida de faire une courte pause et s’assit sur un banc. Autour d’elle, les lampadaires émettaient une lueur blafarde, tout juste suffisante pour éclairer la rue. Attirés par celle-ci, de nombreux insectes folâtraient librement autour. Difficile de trouver une vie plus primitive que celle d’un papillon guidé par ce phare auprès duquel il passerait chacune de ses nuits. C’était simple, dérisoire même, pourtant la jument aux humeurs d’habitudes contemplatives sentit l’agacement s’installer en elle.
Depuis les premières minutes de l’opération, Derpy n’avait pas pris le temps de souffler une seconde. Happée par la situation de crise, la jeune secrétaire avait dans un premier temps suivi aveuglément les ordres de son supérieur. Sa détermination et sa vitalité dans de telles circonstances avaient été pour elle comme un phare au milieu d’une tempête. De manière instinctive, elle avait donc calqué ce comportement bien adapté à l’urgence, laissant de ce fait son appréhension de côté. Sur le moment, seul le sauvetage des terrestres devait lui importer, et cela avait plutôt réussi !
Il avait fallu attendre son arrivée dans le bureau de Light pour qu’enfin la pégase appréhende toute l’ampleur de ses responsabilités. Entourée de poneys hostiles, ne se sentant absolument pas à sa place, elle avait sur l’instant manqué de défaillir. Par chance, une réflexion aussi simple qu’évidente avait tout à coup surgi et illuminé son esprit : si Homes avait jugé bon de lui confier une tâche aussi importante, c’est qu’elle devait être suffisamment douée pour l’accomplir, non ?
Forte de cette idée, Derpy avait fait front devant ses semblables. Quolibets, critiques acerbes, voire même remise en cause, rien de tout cela n’était dès lors parvenu à percer sa carapace mentale. Cette force nouvelle, elle la tenait d’une unique assurance, celle de sa légitimité. Qu’importe ce que pouvaient en dire les autres, il était à présent impossible de la lui retirer. Même Light, l’étalon sévère qui avait de nombreuses fois procédé à son arrestation, n’était pas parvenu à avoir raison d’elle. Cette attitude s’opposant de loin à celle de la jument calme et dissipée qu’elle était un jour plus tôt, l’intéressée avait alors compris que quelque chose de totalement nouveau s’était instillé en elle.
C’était une sensation très étrange, comme si chacun de ses muscles restait tendus et son esprit en permanence sur le qui-vive. Elle ressentait certes de l’anxiété, mais aussi une excitation grisante dont elle ne parvenait pas à se lasser. En vérité un stress permanent lui dévorait le ventre… Et elle adorait ça !
Agacée de voir ces insectes s’agiter, la jeune pégase attrapa une pierre et la jeta de toutes ses forces en direction de la nuée. Le projectile passa alors bien au-dessus du réverbère sans atteindre quoi que ce soit avant de heurter bruyamment un mur. Insensibles à cette perturbation, les petits êtres aux carapaces chitineuses continuèrent à bourdonner comme si de rien n’était.
Encore plus frustrée par cet insuccès, Derpy finit quand même par se résigner et se rassit non sans grommellements. Cette agressivité aussi stupide que dangereuse, elle ne provenait que d’un simple constat, particulièrement déplaisant : la fièvre qui l’imprégnait depuis ce matin retombait de plus en plus.
Ce n’est qu’à partir du moment où Homes l’avait envoyée à la recherche de la liste que la jeune ponette avait perçue les premiers signes d’épuisement. Il y avait d’abord eu son atterrissage manqué à Manehattan, aussi fracassant que douloureux, qui aurait pu la mener en garde à vue pour le restant de la soirée si Sweetie Drops n’était pas intervenue. Pensant être parvenue au terme de sa mission, elle avait dû rapidement déchanter face au manque de coopération de sa collègue. Cette dernière avait en effet éludé toutes les questions qui portaient sur son étrange affectation dans les forces spéciales terrestres. Derpy l’avait d’ailleurs trouvée bien plus distante qu’à l’accoutumée, comme si ses pensées étaient ailleurs. Un fait bien étrange quand on connaissait la nature terre-à-terre de la terrestre beige.
La discussion ayant commencé à s’embourber, l’émissaire ailé était rapidement revenue sur la raison même de son déplacement : la liste des otages. Bonbon avait été à peine plus bavarde sur ce sujet, et s’était contenté de dire que quelqu’un l’avait déjà amenée à Cloudsdale. Cette information l’avait bien sûr rassurée, elle qui s’était mis à douter de son existence même. Cependant l’idée de ne pas avoir réellement accompli sa mission l’avait beaucoup gêné. En effet l’heure tardive l’empêchant de retourner auprès de son supérieur, la pégase se retrouvait livrée à elle-même, sans aucune instruction. C’était la première fois depuis le début de la journée !
Par chance, cette situation embarrassante n’avait pas duré, car Bonbon, contraint de quitter la ville, lui délégua une nouvelle tâche. Derpy ne prit même pas le temps de se concerter une seconde et accepta cette requête supposément simpliste. Après tout ce qu’elle avait accompli jusqu’alors, plus rien ne pouvait lui résister, non ? Maudits soient les architectes de Manehattan et de ses rues tortueuses…
S’avérant incapable de mener à bien sa mission, la pégase contrainte à l’immobilité peinait maintenant à réfréner ses craintes, et pour cause : l’opération s’approchait irrémédiablement de sa fin. Il n’y avait effectivement pas besoin d’être très futé pour comprendre qu’une fois le dernier terrestre secouru et le terroriste arrêté, chacun des poneys impliqués reprendrait une vie normale, comme si rien ne s’était passé. Or Derpy ne voulait plus retourner à son existence lui paraissant désormais morose. Elle avait goûté à cette sensation que de moins en moins d’individus éprouvaient dans ce royaume trop paisible, et se refusait catégoriquement de la perdre.
La jeune ponette ne se le cachait plus, elle savait qu’Homes n’aurait jamais amené en mission une handicapée visuelle s’il n’avait pas eu d’autres choix. Certes elle s’en était dans un premier temps plutôt bien tirée, mais à moins d’un exploit spectaculaire, elle doutait qu’il accepte de la nommer agent de terrain. Ne lui resterait alors qu’un nombre très limité de solutions pour vivre un tant soit peu dans le risque. Ce serait bien sûr extrêmement dangereux, mais Derpy était prête à quitter les frontières du royaume, ne serait-ce que pour ressentir une dernière fois cette substance parcourir ses veines…
« Bonsoir madame. Vous… vous allez bien ? » Surprise par cette timide demande, la ponette au crin blond leva les yeux et s’aperçut qu’une petite pouliche se trouvait devant elle. Le flanc encore vierge, le pelage gris, cette étrange apparition portait à son cou un petit nœud papillon. Malgré une certaine détermination, on pouvait lire sur son visage tous les signes du malaise. « Oui oui tout va bien, mentit Derpy en adoptant un ton sec. Pourquoi cette question ?
-C’est que vous avez l’air de trembler… » Intuitivement, l’intéressée porta un sabot sur son pelage et ne put constater les faits. C’était étrange, elle ne s’en était pas du tout rendue compte ! Elle n’eut toutefois pas le temps de s’interroger davantage car la pouliche lui faisant face se décida à reprendre : « Je… Je sais que ça peut vous paraître étrange, mais j’aimerais que vous remerciiez quelqu’un de ma part.
-Comment cela ? l’interrogea aussitôt Derpy. Et qui veux-tu donc remercier ?
-Je ne sais pas son nom, juste qu’elle a un pelage beige et une cutie mark en forme de sucreries. C’est la jument avec qui vous avez conversé il y a près d’une heure. Je suppose que ça doit être votre collègue… » Perplexe, la jument grise étudia un instant le visage gêné de son interlocutrice. Depuis combien de temps cette petite pouliche avait-elle commencé à la suivre ? Et surtout pourquoi n’avait-elle pas constaté sa présence bien plus tôt ? Si Homes avait été là, il lui aurait fait passer un sacré savon pour avoir fait preuve d’une telle incompétence…
Essayant tant bien que mal de chasser ces idées noires, Derpy ramena toute son attention sur l’échange qui avait lieu. Après tout, s’il lui était encore possible d’aider quelqu’un aujourd’hui, elle ne s’en porterait que mieux. Elle demanda donc sur un ton aussi posé que possible le nom de sa cadette. « Octavia madame, répondit alors cette dernière avec un brin de fierté.
-Et bien Octavia, sache que je suis actuellement chargée d’une mission très importante. Toutefois je serai très honorée de devenir ton émissaire et transmettre ton message dès que cela me sera possible. Que veux-tu donc que je dise à Sweetie Drops ?
-En fait, j’ai justement un présent pour elle, annonça Octavia en sortant un colis bleu de son sac. Dites-lui juste que c’est pour la remercier de m’avoir sauvé. »
Ces derniers mots tout juste prononcés, la jeune pégase qui avait machinalement récupéré le paquet s’arrêta net. La pouliche grise la regarda alors sans comprendre tandis qu’elle réfléchissait à toute vitesse sur ce qu’impliquait ce supposé sauvetage. « Que s’est-il passé exactement ? finit-elle par demander, une flamme d’espoir illuminant son regard.
-Elle s’est interposée entre moi et un étalon qui m’agressait, l’informa avec émotion l’interrogée. Je l’ai suivie de loin pendant quelques heures sans oser lui exprimer ma reconnaissance. Elle avait l’air si tendue, si occupée, je craignais qu’elle me repousse…
-Et as-tu pu entendre une partie de la conversation entre elle et ton agresseur ?
-Euh, oui. Pour le peu que j’en ai entendu, ils ont évoqué un embarquement de montgolfières.
-Merveilleux ! ne put alors se retenir de crier Derpy. Peux-tu enfin me dire où cela s’est passé ? C’est très important. »
D’abord surprise, Octavia leva pendant quelques secondes les yeux au ciel, cherchant visiblement dans sa mémoire l’itinéraire adéquat. Quand ce dernier fut achevé, elle le formula avec telle application qu’il se grava dans l’esprit de son interlocutrice. C’était simple : il suffisait de suivre la rue bordée d’acacias jusqu’à la grande fontaine en marbre, puis contourner le pâté d’immeubles aux balcons fleuris. Dès lors, elle n’aurait plus qu’à parcourir la ruelle emplie d’animations toute la nuit pour retrouver la maison rouge au pied de laquelle l’action s’était déroulée. « Faites quand même attention, la prévint toutefois la petite terrestre. Ces quartiers sont dangereux, surtout la nuit. Il y a des voleurs, des receleurs, et plein d’autres poneys méchants.
-Ne t’inquiète pas pour moi, je sais me défendre ! voulut la rassurer Derpy en rangeant le paquet bleu sous son aile. Je dois vraiment y aller, mais je te remercie beaucoup pour ton aide. » Et sans même lui laisser le temps de répondre, la jument tourna les talons et galopa accomplir sa mission.
Traversant la ville comme si le vent la portait, la pégase au crin blond atteignit en une dizaine de minutes le lieu de la supposée altercation. Malgré les avertissements d’Octavia, elle ne croisa que quelques poneys fêtards, nullement susceptibles de représenter une menace. Tout juste l’avaient-ils en vain hélée pour s’enquérir de son empressement, sans insister davantage.
Une fois son souffle repris, Derpy vérifia qu’aucun passant ne l’observait, puis déploya ses ailes et se propulsa à la verticale. Arrivée au-dessus des toits, la jument grise adopta aussitôt une posture stationnaire lui permettant d’observer la ville dans sa globalité. Il ne lui fallut alors pas plus de quelques secondes pour repérer parmi la multitude de bâtiments celui qu’elle cherchait : la gare de Manehattan.
Ne pouvant réprimer un sourire victorieux, elle prit le temps de bien mémoriser sa direction avant de redescendre avec lenteur. Sauf erreur de sa part, il y avait fort à parier que l’implacable rigueur de Sweetie Drops avait conduit celle-ci à prendre le chemin le plus direct entre la gare et son objectif. Derpy n’avait donc plus qu’à parcourir cet itinéraire dans le sens inverse pour trouver ce qu’elle cherchait. Chose qu’elle s’empressa d’ailleurs de faire une fois le cap correspondant retrouvé.
La chance lui sourit une nouvelle fois quelques minutes plus tard quand, au détour d’un carrefour, elle aperçut une masse sombre occupant le trottoir. D’une couleur bleu nuit et de forme rectangulaire, la cabine tout juste éclairée par les réverbères correspondait à la vague description de Sweetie Drops. La faible lueur qui en émanait fut alors l’ultime constat confirmant à la jument qu’elle était au bon endroit.
« Bonsoir monsieur, mon nom est Derpy. Je suis agent au bureau luttant contre la délinquance magique, commença-t-elle à réciter tout en se rapprochant. Au nom de ma collègue et de toute notre équipe, nous nous excusons sincèrement des préjudices que vous avez encourus. En entendant la fin des opérations, je vous prierai de bien vouloir me suivre jusqu’à un lieu où vous serez correctement pris en char… » Stoppant net la formule d’usage maintes fois répétée lors de ses permanences, la jeune pégase regarda, éberluée, la cabine téléphonique. Aplati contre une de ses vitres fumées, ce qui ressemblait à s’y méprendre à un visage était apparu. Tordu dans une horrible grimace, ce dernier semblait la supplier de lui porter secours.
Délaissant les conseils de prudence de sa collègue, Derpy se précipita sur la porte qui s’avéra être également condamnée de l’extérieur. Insistante, l’agente ailée tenta de forcer le passage à grand coup d’épaule tandis que des sons étouffés lui parvenaient de l’intérieur. La panique recommençait à envahir son esprit, amplifiée par la sensation de se sentir impuissante une nouvelle fois. C’était trop injuste : un poney en difficulté se trouvait à quelques centimètres de ses sabots, et elle était incapable de lui porter secours ! Dans ces conditions, comment pouvait-elle encore espérer devenir agente de terrain ?
Après un dernier assaut plus pitoyable que jamais, la jeune pégase décida non sans mal de battre en retraite, résignée à chercher des renforts. C’est à ce moment précis qu’elle eut une brusque illumination. Arrachant sa plus longue et plus rigide rémige, elle inséra le tube de celle-ci dans la fente verticale de la porte. Il y eut alors un déclic, puis la cabine s’entrouvrit très légèrement.
Derpy n’eut pas le temps de faire le moindre geste que l’étalon enfonça la porte à peine débloquée. Tout juste parvint-elle à le retenir avant qu’il ne s’écrase lourdement au sol. « De l’air, enfin ! hurla l’étalon brun après une longue expiration. Merci mademoiselle, merci mille fois de m’avoir sorti de cet enfer !
-Vous êtes sûr que vous allez bien monsieur ? demanda l’intéressée en l’aidant à se remettre sur ses quatre sabots. Vous avoir l’air très pâle…
-Ça va, j’ai simplement passé plusieurs heures en plein soleil dans cette étroite cabine. Si vous n’étiez pas passé ici par hasard, je serais certainement mort déshydraté... D’ailleurs je ne me suis pas présenté : mon nom est Hooves. Et vous ?
-D… Derpy, balbutia cette dernière, intimidée par le regard d’un bleu profond qu’il lui renvoyait. Vous… Vous devez avoir soif, je vais vous accompagner jusqu’à la fontaine le plus proche. Ensuite seulement je vous emmènerais au commissariat le plus proche... »
La pégase aux joues rougies aurait bien sûr préféré employer la formulation d’usage, plus claire et plus précise, mais pour une étrange raison, les mots lui avaient échappé. Tout juste avait-elle pu exprimer sa volonté d’escorter son interlocuteur qui, à en croire son air surpris, n’avait pas saisi l’idée. « Je ne dirais pas non à un rafraîchissement, et ce serait très gentil de votre part, répondit-il sur un ton aimable. Cependant rien ne presse avec la justice car je connais l’identité de la jument méprisable qui m’a enfermé. Je sais même exactement où m’adresser pour exiger des explications ! Ça c’est sûr, ils vont m’entendre à Canterlot ! »
Essayant de masquer le plus possible son air coupable, Derpy modifia son positionnement pour mieux supporter le poids du poney affaibli. Ce n’était pas très honnête ou prudent, mais la jument ne tenait pas à lui révéler sa vraie nature. En effet, elle craignait qu’il se rebiffe et refuse de l’accompagner ; chose d’autant plus dommage qu’il avait l’air d’être d’un étalon charmant. Même en colère et au bord du malaise, celui-ci parvenait à garder une classe, une contenance qui la fascinait. Cette pensée commençait d’ailleurs à prendre un peu trop le pas sur les autres. Voyons, que lui avait demandé Sweetie Drops déjà ?
Alors que les deux poneys s’étaient mis en marche, la jeune ponette effleura -presque par mégarde- le flanc de Hooves d’une de ses plumes. « Tu… Tu es une pégase ? s’exclama alors ce dernier, comme s’il venait d’avoir une brusque révélation. Est-ce que tu es allée à Cloudsdale aujourd’hui ? Y aurais-tu vu quelque chose d’anormal ? C’est très important ! » Surprise par cette avalanche de questions, Derpy hocha affirmativement la tête, se remémorant à toute vitesse les maigres détails que lui avait fournis sa collègue. « C’est un mythomane, lui avait-elle confié juste avant son embarquement pour Canterlot. Ne l’écoute surtout pas, qu’importe ce qu’il essayera de te faire gober. Je compte sur toi, Derpy.. » Cette information aurait de ce fait dû l’amener à la prudence, pourtant son inquiétude avait l’air si réelle, si franche... Non, ça ne pouvait pas être un mensonge. Sweetie Drops s’était forcément trompée à son sujet, elle l’aurait perçu sinon !
Comme elle hochait affirmativement la tête, l’étalon expliqua brièvement ses craintes à l’égard de deux juments terrestres en visite à Cloudsdale. Sa rencontre plus tôt dans la journée avec une agente chargée de lutter contre la délinquance magique avait éveillé ses premiers doutes. Doutes qui étaient devenus certitudes quand celle-ci l’avait injustement séquestré dans cette infâme cabine téléphonique. Selon lui la question ne se posait plus : quelque chose de grave s’était passé, voir se passait encore au cœur de la cité pégase... Quelque chose qu’elle avait forcément dû remarquer.
Comprenant que la situation ne lui permettait plus de jouer les ignorantes, la pégase grise prit aussitôt la délicate décision de lui accorder sa confiance. « Vous avez raison, dit-elle sans chercher une seconde à paraître crédible. Il y a eu là-bas une énorme prise d’otages à l’encontre des touristes terrestres. Mais ne vous inquiétez pas : le terroriste a été mis en déroute et il sera sûrement appréhendé durant la nuit. À l’heure actuelle, les forces de l’ordre doivent d’ailleurs en avoir terminé avec l’évacuation des otages. Tout est bien qui finit bien, quoi ! »
D’abord horrifié par cette surprenante révélation, Hooves se détendit en comprenant que la situation était sous contrôle. « Je savais bien qu’on me cachait quelque chose… ne peut-il s’empêcher de grommeler alors qu’un profond soulagement se lisait sur son visage.
-Un campement provisoire a été installé à quelques encablures de Manehattan, pour regrouper les terrestres secourus. Vos amies doivent donc certainement s’y trouver. Si vous le souhaitez, nous pouvons y aller ensemble, histoire de nous assurer qu’elles aillent bien. Qu’en dites-vous ? » Proposa la jument au crin blond, soulagée de voir que ses renseignements, un peu trop abondants pour être honnête, n’avaient pas alerté son interlocuteur. Apparemment, il n’avait pas encore saisi qui elle était, soit une faute d’inattention dont elle espérait encore profiter un peu.
L’étalon au pelage brun sembla durant un instant enclin à accepter la proposition. Puis, après avoir réfléchi plus en profondeur à la question, il finit par se raviser. « Non ce n’est pas la peine. Pour une fois je vais faire confiance aux autorités, annonça-t-il en affichant un sourire malicieux. Au lieu de cela, je vais plutôt accorder un peu de mon temps à celle qui m’a sauvé la vie. C’est le moins que je puisse faire, après tout ! »
Confuse, Derpy hésita à insister davantage, en lui faisant par exemple remarquer que son amie avait sans doute besoin de lui. Ce serait tout à fait légitime, et elle ne s’en offusquerait pas le moins du monde. Il fallait aller à l’essentiel : la mission, la reconnaissance de Homes, puis… Puis rien d’autre ! Mais au moment où elle ouvrit la bouche pour protester, son regard croisa les deux magnifiques iris bleus qui ceignaient son visage. Et elle craqua.
« J’ai souvenir d’un bar situé à quelques pas d’ici. On pourrait aller y prendre un verre ?
-ça me convient parfaitement, Allons-y !
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