« Alors, vous trouvez quelque chose de suspect ?
-Non et taisez-vous, répondit sèchement Homes en observant avec minutie l’étroite cage d’escalier. Nous sommes censés mener une mission d’infiltration je vous signale...
-Ne soyez pas stupide, je vous signale également que nous sommes encore à quatre étages du sommet, lui rétorqua l’agent Yearling d’un ton provoquant. Et comme vous l’avez dit vous-même, ce terroriste est assurément seul dans cette tour. » Pour toute réponse, la licorne au crin bleu se contenta de pousser un long soupir exaspéré. Aux dernières nouvelles, c’était encore lui le meneur de cet assaut. Pourquoi cette jument ne faisait donc pas preuve d’un peu plus de respect envers sa personne ?
Cela faisait déjà plusieurs heures que les deux poneys étaient entrés dans cette immense tour servant d’observatoire au preneur d’otage. S’en approcher avec discrétion n’avait pas été une mince affaire, mais l’étalon lilas y était parvenu de la même manière qu’il avait atteint Cloudsdale, c’est-à-dire grâce à la réquisition d’une charrette et de son chauffeur déambulant à l’arrière de la préfecture. Cachés au milieu de son chargement, ils leur avaient dès lors suffi de sauter en cours de route lorsqu’il passait au pied du grand clocher et d’y pénétrer sans attendre. Croyant le plus dur accompli, le leader du groupe avait sérieusement déchanté quand il avait compris toute l’ampleur de la tâche à suivre…
« Ok c’est bon, l’escalier n’a pas été enchanté, annonça Homes avant d’attaquer presque aussitôt les premières marches. Dépêchez-vous, nous n’avons pas de temps à perdre ! » Il n’eut même pas atteint le second tiers de l’escalier qu’une légère traction, semblable à celle d’un fil tendu, enserra l’un de ses sabots. Un faible déclic se fit entendre, puis un énorme balancier chuta du plafond, sa trajectoire croisant à merveille la position de l’inconscient qui avait déclenché le piège.
Ce dernier ne dut son salut qu’à une poigne solide qui le tira vivement en arrière, laissant le poids volumineux s’écraser contre le mur porteur à quelques centimètres seulement de son museau. Son équilibre perdu, Homes tomba maladroitement vers l’arrière en emportant sa sauveuse dans sa chute.
« Bon sang, mais vous ne pouvez pas faire un peu plus attention ! s’exclama la jument ocre une fois remise de cette douloureuse descente. C’est la cinquième fois que je dois risquer ma peau pour vous sauver de votre maladresse !
-Si je n’étais pas à vos côtés, vous n’auriez même pas atteint le premier étage. » Répliqua sèchement le poney parme en tentant de cacher ses douleurs lombaires. Cette licorne avait décidemment tout prévu pour assurer ses arrières ! Non contente d’éparpiller à tous les niveaux du bâtiment un grand nombre de pièges et d’alarmes magiques, elle avait également installé çà et là des chausses trappes digne d’un temple d’une autre époque. Il lui avait certainement fallu des mois pour les mettre au point et les installer, ce qui, à défaut d’encourager la poursuite de leur ascension, confirmait l’hypothèse d’être face à un individu seul. Sinon pourquoi prendre autant de précautions alors qu’une simple sentinelle aurait suffi à contrecarrer un assaut ?
« Bon, j’espère que vous vous êtes vite remis car le chemin ne va pas se débloquer tout seul… l’arrêta la jeune ponette, son regard levé vers la lourde masse qui s’était désolidarisée de son pivot à l’impact.
-Ne vous inquiétez par pour ça, je vais m’en occuper seul. » Répondit l’intéressé tandis que sa corne se mettait à luire avec intensité, recouvrant l’obstacle d’un aura bleu.
Il y eut une légère secousse, puis l’objet s’éleva à plusieurs centimètres des marches avant de descendre doucement vers les deux poneys. Une dizaine de secondes plus tard, l’étalon cornu le déposa en toute sécurité juste devant lui, un sourire satisfait sur le visage. « Chacun ses compétences, très chère ! lança-t-il à sa coéquipière, impressionnée à juste titre par cette performance de télékinésie. Vous passez devant cette fois-ci ? »
Cet ordre implicite étant prononcé sur un ton plutôt âpre, la pégase au crin gris abandonna rapidement le semblant d’admiration qu’elle portait à son égard pour une profonde hostilité. La tension devint très vite palpable, mais au grand soulagement de la licorne, l’agent Yearling finit une nouvelle fois par se reprendre et se dirigea sans un mot vers les escaliers. Si son devoir ne l’avait pas retenue, le poney lilas était sûr qu’elle aurait cédé face à ses pulsions et l’aurait attaqué. Pourquoi ? Simplement parce qu’il avait eu l’audace d’être impérieux envers elle.
Depuis le début des opérations, la jument au crin gris n’avait cessé de se rebiffer de manière plus ou moins violente à la moindre de ses directives, une attitude importunant Homes autant qu’elle l’intriguait. En effet, son expérience de chef intransigeant l’empêchait d’imaginer une entente viable entre elle et son supérieur, ce dernier incarnant fatalement l’autorité. Non, il y avait forcément quelque chose de plus profond entre Light et cette jeune ponette, quelque chose située bien au-delà d’une simple relation professionnelle…
Essayant tant bien que mal de repousser ses doutes pour se concentrer sur la mission en cours, l’étalon à la crinière bleue s’empressa de suivre sa partenaire de circonstance, tous ses sens-magiques et non-magiques aux aguets.
L’étage suivant fut particulièrement calme comparé aux autres qui avaient précédés. En effet, mis à part quelques pièges magiques aisément détectés et désamorcés, aucun obstacle ne vint ralentir leur progression. Utilisée comme entrepôt à provisions lors des périodes hivernales, la tour semblait désespérément vide à tout ses niveaux, seules quelques caisses oubliées trônaient encore à certains endroits sur les nombreux rayonnages recouvrant presque toute la surface de la pièce.
L’architecte chargé de construire cet édifice étant assurément un pégase, l’accès par voie terrestre avait été dénigré au profit d’un haut plafond, plus adapté aux manœuvres verticales dans lesquelles les poneys de sa race excellaient. De la même manière, les escaliers étaient par souci d’encombrement situés de part et d’autre de la pièce, ce qui forçait les deux poneys à slalomer avec prudence entre les immenses étagères pour les atteindre.
Marchant à ses côtés comme si elle n’avait que faire de la paire d’aile ceignant ses côtes, la jument ocre semblait s’être un peu calmée depuis leur dernier échange, du moins suffisamment pour reprendre une conversation raisonnable. « Homes, j’aimerais honnêtement savoir ce que vous me reprochez, demanda-t-elle brusquement d’une voix vibrant sous la colère. Vous qui êtes capable de défendre la maladresse d’une jument comme Derpy, je ne parviens pas à comprendre la raison vous poussant à me dédaigner malgré tout ce que j’ai fait jusqu’à présent.
-Ne jouez pas les victimes, s’il vous plaît, répondit froidement l’intéressé. Vous savez pertinemment que ce que je vous reproche n’a aucun rapport avec vos aptitudes qui ne sont plus à prouver. Non, le problème est tout autre et il provient de votre mentalité elle-même, qui est incompatible avec le rôle que vous remplissez. Vous êtes en effet une jument rebelle, incapable de supporter la plus petite forme d’autorité. Cela je l’ai compris dès la première seconde de notre rencontre, et c’est ce qui me déplaît chez vous. Maintenant je vous retourne la question : Pourquoi avez-vous dans un premier temps refusé de collaborer avec moi ? »
Il y eut un moment de silence durant lequel la jeune ponette sembla préparer soigneusement sa réplique, sa colère ayant laissé place à une certaine contrariété. Regrettant presque cet excès de franchise à son égard, Homes attendit avec anxiété une réponse qui, par chance, ne fut pas longue à venir.
« Vous… Vous m’avez plutôt bien cerné, admit-elle tout d’abord. Je suis en effet ce qu’on pourrait appeler un électron libre, nageant impunément au milieu de cette société sclérosée. Pour moi les règles ne sont que des barrières à abattre et les ordres se doivent d’être ignorés quel qu’en soit les conséquences. C’est ce genre de raisonnement qui m’a fait quitter tour à tour l’école de météorologie, l’académie des Wonderbolts, puis les forces d’intervention de Cloudsdale. Car oui, cela peut vous paraître étrange, mais j’avais officiellement quitté le bureau de Light il y a de ça quelques mois.
-Ce n’est pas ce qui vous empêché de rappliquer directement quand votre ancien patron vous a appelé à la rescousse… lui rappela l’étalon parme, presque sur le ton du reproche.
-Cette décision m’appartient, je n’ai pas à me justifier ! rétorqua-t-elle sèchement. Bref, toujours est-il que j’ai commencé à voler de mes propres ailes en parcourant Equestria dans ses moindres recoins. Et si les nombreuses rencontres que j’ai faites m’ont appris une chose, c’est que les poneys méritant la confiance de leurs congénères sont très rares. Or justement, monsieur Homes, à mes yeux vous n’appartenez absolument pas à cette catégorie. »
La licorne au crin bleu accusa le coup, son orgueil indéniablement atteint par l’aveu de cette jeune pégase. Pendant un court instant il pensa que ses paroles avaient été dites dans l’unique but de le provoquer, mais un rapide coup d’oeil lui suffit à comprendre qu’elles étaient des plus sincères. L’unique accès à l’étage supérieur se trouvant encore à une certaine distance de leur position, Homes ne put s’empêcher de reprendre la discussion, essentiellement pour défendre sa fierté. « Votre avis est intéressant, mais pour quelle raison pensez-vous cela ? demanda-t-il en feignant de manière assez peu crédible la nonchalance.
-Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, je ne connais aucun cornu pourvu de suffisamment d’abnégation pour prendre autant de risques lors d’un sauvetage, votre race basant presque toujours ses actions sur un intérêt égoïste. En d’autres termes, je pense que le sort des otages vous est parfaitement égal, pourvu que vous meniez à bien le véritable objectif vous ayant conduit à Cloudsdale. »
Son interlocuteur voulut immédiatement réfuter cette accusation en bonne et due forme, mais la jeune Yearling s’empressa de reprendre : « Mes doutes se sont précisés quand vous nous avez dévoilé votre ferme intention de pratiquer l’arrestation en solitaire, une décision stupide qui aurait pu vous coûter la vie ainsi que celle des otages si Light n’avait pas souhaité que je vous accompagne. Partant du principe que vous n’étiez résolument pas un idiot, il m’a dès lors été très facile d’appréhender avec certitude vos réelles motivations dans cette affaire. Ne cherchez pas à le nier, l’unique raison qui vous pousse à nous soutenir est le désir, que dis-je le besoin de devenir celui que l’on acclamera à la fin de cette histoire. »
Cette fois-ci la jument ocre marqua une pause réelle dans son argumentation, certainement désireuse d’observer la réaction de son coéquipier. Alors que ce dernier cherchait encore à protester pour sa défense quelques instants plus tôt, une grande perplexité se lisait désormais sur son visage. Homes avait beau s’être au premier abord persuadé du contraire, cette jeune ponette ne manquait pas de jugeote et l’avait magistralement percé à jour. En effet, derrière les apparences d’un chef cornu prêt à tout pour remplir son devoir, l’étalon couvait effectivement des ambitions de gloire et de reconnaissance, autant d’arrière-pensées incompatibles avec le principe même d’altruisme.
Sans paraître le moins du monde honteux ou même gêné par cette mise à nue, le poney au crin bleu observa intensément l’agent Yearling, un de ses sourcils levé en signe d’interrogation. « Supposons un instant que vous êtes dans le vrai, reprit-il avec aplomb surprenant. En quoi le fait de me savoir intéressé vous empêcherait de m’accorder un peu de votre confiance ? Même si nos motivations divergent radicalement, nous partageons malgré tout un objectif commun, non ?
-C’est vrai vous avez raison, concéda-t-elle tout en bifurquant vers la dernière allée de leur parcours. C’est d’ailleurs votre détermination dans cette affaire qui m’a finalement poussée à l’accepter. Néanmoins, j’ai bien peur que le désir de victoire vous obnubile au point de prendre des risques mettant en danger ma personne aussi bien que vous-même. Voilà pourquoi je refuse de vous considérer comme mon chef et d’obéir aveuglément à vos directives. »
La licorne s’arrêta brusquement, imitée quelques secondes plus tard par son équipière. Devant eux se dressait l’escalier particulièrement raide menant à l’étage suivant, son accès supérieur bloqué par une épaisse trappe munie d’un gros verrou. Sans perdre plus de temps, Homes se mit une nouvelle fois à scanner les marches en utilisant cette fois-ci sa vision autant que sa magie. Cette volée de marches étant l’unique moyen de poursuivre leur ascension, le terroriste y avait selon toute logique installé un piège particulièrement complexe que l’étalon devait trouver puis désamorcer à tout prix.
À la fois surprise et agacée par l’indifférence dont il faisait preuve envers sa déclaration, la jument au poil ocre ne tarda guère à rompre sa concentration. « Vous ne dites rien ? s’étonna-t-elle avec sarcasme. Auriez-vous par le plus grand des miracles finit par comprendre vos torts ?
-Non pas du tout, répondit l’autre calmement. Si je réagis ainsi, c’est que j’ai bien peur que cette discussion n’ait plus rien à nous apporter.
-Et pourquoi cela ?
-C’est pourtant simple : Vous êtes définitivement trop jeune pour comprendre le véritable rôle d’un chef d’opération. » Son interlocutrice mouchée par cette réplique, Homes poursuivit son entreprise de déminage qui étrangement ne révélait rien de suspect. Le preneur d’otage avait-il pensé que les centaines de pièges présents aux étages inférieurs auraient forcément eut raison de n’importe quel intrus ? Si tel était le cas il avait fait une grossière erreur en le sous-estimant…
« Je ne vois pas ce que vous insinuez, finit par reprendre l’agent Yearling. Qu’entendez-vous par “véritable rôle” ?
-Il arrive parfois que dans certaines situations, un poney chargé d’une importante mission soit contraint de prendre des décisions difficiles pour la mener à bien, celles-ci impliquant de mettre sa vie et celle de ses subordonnés en danger. Cette capacité à faire passer les risques après l’accomplissement de son devoir est ce qui fait l’étoffe des plus grands dirigeants, comme l’a montré à maintes reprises les grands évènements de notre histoire.
-Vraiment navré, mais j’ai bien peur que nous n’ayons pas du tout la même idée de ce qu’être chef veut dire… commença la jument ocre.
-Et quelle est votre définition ? s’emporta brusquement Homes. Celle qui correspond à un chef dominé par la prudence, prêt à tout pour se défausser de ses responsabilités comme l’a si bien fait ce cher Light ?
-Je vous défends de parler de lui sur ce ton ! »
Face à cette exclamation de colère venue tout droit du cœur, l’étalon au poil lilas ravala aussitôt la réplique cinglante qu’il avait sur le bout de la langue. La réaction impulsive de cette jeune ponette, visant à défendre l’honneur du préfet, venait en effet de réveiller ses doutes sur la nature de leurs relations, doutes qui devinrent certitudes quand il la vit comprendre son erreur. « Je me disais bien que cette gamine à la crinière arc-en-ciel vous ressemblait beaucoup… » Murmura-t-il en affichant un sourire victorieux.
L’instant qui suivit passa extrêmement vite dans l’esprit de la licorne qui, sans avoir pu esquisser le moindre geste de défense, se retrouva plaquée contre le rebord anguleux des premières marches. Sa corne étant bloquée en direction du mur, il tenta immédiatement de se dégager par la force de ses muscles avant de constater avec rage que la jeune pégase était bien plus forte que lui.
Plusieurs secondes passèrent durant lesquelles un silence glacial s’installa, rompu à intervalles réguliers par les halètements presque bestiaux de la jument. « Je… Vous interdis… De le répéter à qui que ce soit ! finit-elle par articuler avec lenteur, sur un ton respirant la menace.
-Sinon quoi ? rétorqua Homes, nullement impressionné malgré la pression d’une puissante paire de sabots sur ses omoplates. Vous me balancez froidement par une de ces fenêtres ?
-Personne ne doit savoir que je suis sa fille, vous m’entendez ? Cela entraînerait un scandale qui ruinerait sa carrière !
-Comme c’est triste, votre famille va subir le déshonneur et la honte par votre faute ! Et dire que tout aurait pu être évité si vous n’étiez pas revenue aujourd’hui à Cloudsdale... »
La réflexion du poney au crin bleu ne se basait sur rien de concret, mais elle était méchante et gratuite, ce qui eut pour effet d’atteindre son interlocutrice en plein cœur. Profitant de cet instant de faiblesse, Homes fit une brusque ruade qui désarçonna son adversaire avant de rouler adroitement sur le côté. Passée sa surprise, l’agent Yearling voulut se jeter une nouvelle fois sur lui mais elle ne fut pas assez rapide, le poney lilas tout juste revenu sur ses quatre sabots la menaçant de sa corne irradiée de magie.
« Vous êtes consciente que cette agression me donne parfaitement le droit de vous mettre hors du circuit pour le restant de la journée. » Annonça froidement l’étalon, son regard rivé sur celui de sa coéquipière. Comprenant après coup la bêtise de son geste, cette dernière qui n’en menait désormais pas large hocha la tête avec lenteur. « Bien, reprit-il, un léger sourire sur les lèvres. Dans ce cas j’ai une proposition à vous faire : Je suis prêt à tenir ma langue sur tout ce qui a été dit et fait à l’instant, en échange de quoi vous m’obéirez dorénavant au sabot et à l’œil jusqu’à la fin de cette mission. Marché conclu ? »
La pégase à la crinière grise l’observa un moment sans rien dire, digérant avec amertume le fait d’être doublement piégée par cet inconnu capable de la faire tomber, elle et sa famille. Alors que celui-ci était sur le point de s’impatienter, la jeune jument daigna enfin rompre son silence : « Vous savez Homes, quand vous m’avez demandé il y a peu la raison de ma méfiance, je ne vous ai pas confié toutes mes craintes à votre égard. En effet, la chose que je redoutais le plus était d’être volontairement sacrifiée lors de cette opération afin que vous puissiez jouir de toute la gloire offerte par l’arrestation du terroriste. Difficile pour moi d’y croire, mais votre offre vient de confirmer mes pires hypothèses…
-Ce n’est pas une réponse, rétorqua implacablement Homes, ignorant ce qu’elle venait de dire sans rien laisser paraître. Vous marchez avec moi, oui ou non ?
-Ai-je honnêtement le choix ? C’est d’accord, j’accepte.
-Parfait. Dans ce cas allez vérifier qu’aucun piège mécanique ne se soit installé sur cet escalier, nous avons assez perdu de temps comme ça. »
Passé un instant de franc désaccord, l’agent Yearling serra les dents et commença à monter les marches une par une, avançant avec une extrême prudence. En l’absence de pièges magiques à cet endroit, le poney cornu s’attendait à voir un immense boulet tomber du plafond ou une volée de flèches jaillir des murs, si bien qu’il ne cacha pas sa surprise en constatant que la pégase était parvenue à atteindre la trappe sans encombres. « Il n’y a rien ! annonça-t-elle, tout aussi perplexe. Vous pouvez venir ! »
Grimpant à son tour l’escalier avec une méfiance non feinte, Homes s’arrêta un niveau en dessous de sa coéquipière, quand sa corne se mit à frotter le panneau de bois situé juste au-dessus d’eux. Il observa le verrou consciencieusement, mais ne trouva encore une fois rien qui puisse représenter une menace pour eux. De plus en plus étrange…
Alors qu’il était sur le point de déverrouiller la trappe, la ponette au poil ocre stoppa brusquement son geste. « Vous ne sentez rien ? demanda-t-elle en dilatant ses naseaux.
-Non pourquoi ? répondit l’autre après l’avoir imité.
-Je crois… J’ai l’impression de sentir l’odeur du basilic.
-Ne soyez pas stupide ! la réprimanda-t-il moqueusement. Je me sers de cette plante chaque fois que je cuisine, je saurai reconnaître son parfum à des kilomètres ! » Et sans même lui laisser le temps de dire ou faire quoi que ce soit, l’étalon ouvrit la trappe.
À peine le poney parme eut il passé la tête par l’ouverture que son regard s’impacta sur un corps hideux, recouvert de plumes et d’écailles. Sa longue queue formée de nombreux anneaux concentriques ressemblait à celle d’un serpent, son corps et ses ailes chétives partageaient la forme et la couleur des coqs domestiques, mais c’était surtout sa tête qui le révulsa le plus. Très petite, semblable au premier abord à celle d’une volaille, elle était munie d’un bec crochu, d’une épaisse crête couleur rouge sang et d’un regard…
Au moment même où les yeux de Homes croisaient celui-ci, une brusque traction verticale le ramena aussitôt sous le couvert de la trappe que sa sauveuse s’empressa de refermer avec violence. « Je vous avais pourtant prévenu ! lança-t-elle après avoir vérifié la solidité de son bois.
-Je… J’ignorais que vous parliez de ce genre de basilic… » Se justifia-t-il mollement, encore choqué par l’irascible cruauté qui émanait de cette créature venue tout droit de ses plus sombres cauchemars. De quelle manière un monstre aussi dangereux avait-il pu survivre au sein du royaume, et surtout comment cette licorne démoniaque avait-elle fait pour l’amener jusqu’ici ?
S’asseyant sur les marches le temps de reprendre un rythme cardiaque régulier, la licorne fébrile réfléchit à un moyen de traverser cette nouvelle épreuve. Grâce à sa brève intrusion en territoire hostile, Homes savait que cet étage était à peu de choses près semblable à celui qu’ils venaient de traverser. Il n’y avait par conséquent aucun abri susceptible d’arrêter le regard meurtrier des basilics, leur retirant toute chance de repli en cas d’erreur, ce qui rendait l’opération plus périlleuse encore.
« Yearling, que connaissez-vous de ces créatures ? demanda-t-il à son équipière qui n’avait rien dit jusqu’alors. Pour le peu que j’en ai compris, vous en avez déjà rencontrées n’est-ce pas ?
-Leur regard est capable de vous pétrifier instantanément et elles ne sont généralement pas bien malines, c’est tout ce que je peux vous en dire.
-C’est largement suffisant. Écoutez-moi bien, voilà comment nous allons procéder … »
Le poney lilas expliqua alors son plan d’action, ignorant l’apparition progressive de nombreux signes faciaux qui trahissaient la mésentente de son interlocutrice. Quand il eut finit, le cerveau du groupe retira de sa crinière le bandeau qu’il utilisait pour ne pas être gêné dans sa vision et le lui tendit. Refusant avec effronterie cette protection presque vitale, la jument se contenta de fermer les paupières avant de poser un de ses sabots sur la trappe, prête à l’ouvrir. « Avant que l’on débute cette sortie -qui me sera assurément fatale-, j’aimerais que vous sachiez une chose, dit-elle sur un ton sérieux. Connaissant ma demi-sœur Rainbow Dash, je peux vous assurer qu’elle s’est bien fichue de vous au moment où vous l’avez pincée dans ce placard. Impossible pour moi de deviner ses projets, mais elle nous espionnait, ça c’est certain. » Et avant même que son interlocuteur n’ait pu dire ou faire quoi que ce soit, elle bondit à l’assaut.
Laissant son instinct mettre aussitôt cette révélation de côté, l’étalon ferma lui aussi les yeux et chargea dans sa corne un des sorts d’attaque les plus puissants qu’il connaissait. Il pouvait déjà entendre les premiers bruits de lutte éclater juste au-dessus de sa tête, lui permettant d’estimer à une dizaine le nombre de défenseurs, grâce à leurs piaillements. C’était beaucoup, mais Homes était certain de pouvoir les mettre KO en un seul tir. Un moment d’attente dominé par l’angoisse passa, puis lorsque le foyer de la bataille se fut suffisamment éloigné de la trappe, le poney au pelage lilas prit une grande inspiration et l’ouvrit à la volée.
Placés en arc-de-cercle autour de leur proie, une quinzaine de basilics assaillaient à tour de rôle la pégase ocre qui, les paupières toujours closes, utilisait avec une relative efficacité son ouïe pour se défendre. Comme preuve de son succès, trois hybrides ayant eu l’imprudence de la sous-estimer étaient prostrés sur le sol, visiblement assommés. Sans perdre une seconde de plus, le nouvel arrivant se précipita vers les monstrueuses créatures qui par chance lui tournait encore le dos, sa corne chargée de magie irradiant de mille feux.
« Yearling, maintenant ! » Hurla-t-il une fois arrivée à portée. Réagissant au quart de tour face à cet avertissement mentionné lors du briefing, la jeune pégase déploya ses ailes et quitta aussitôt sa fenêtre de tir par la voie des airs. L’étalon baissa alors sa tête, puis relâcha de toutes ses forces son sortilège d’aveuglement qui fila à une allure vertigineuse vers les basilics.
L’éclair magique illumina la salle dans ses moindres recoins avant de finir sa course en s’écrasant contre le mur dans une gerbe d’étincelles. Passé son éblouissement, Homes s’aperçu rapidement et avec horreur qu’aucune de ses cibles n’avait été atteinte par l’enchantement, ces dernières étant parvenues grâce à une formidable vivacité d’esprits à saisir la nature de la menace et de protéger efficacement leurs organes visuels. Il était un peu tard pour l’admettre, mais le poney cornu avait assurément sous-estimé leur intelligence.
Reprenant peu à peu leurs esprits, les gardiens de cet étage formèrent deux lignes distinctes, puis pointèrent leurs visions mortelles vers le couple d’intrus qui détournèrent presque instinctivement la tête. Si l’étalon au crin bleu avait fait preuve d’un peu moins de précipitation, il aurait certainement remarqué cette tactique de chasse visant à ne jamais croiser leur regard et aurait pu changer son angle d’attaque en conséquence. N’ayant ni la méthode, ni les capacités pour effacer cette négligence révolue, Homes n’avait dès lors plus qu’une seule solution viable : Improviser.
De son regard périphérique, le poney lilas vit sa coéquipière subir une nouvelle fois les assauts du premier groupe tandis que le second se rapprochait dangereusement de lui-même. Bien que particulièrement lâche, l’unique décision viable ne fut pas difficile à prendre et il se précipita aussi vite que ses sabots lui permettaient vers l’escalier menant à l’étage supérieur. Tant pis pour Yearling, elle s’était de toute manière faite à l’idée qu’il la sacrifierait pour sauver sa peau…
Bien décidés à ne pas le laisser fuir aussi facilement, les basilics se lancèrent aussitôt à sa poursuite dans ce labyrinthe formé d’innombrables étagères vides. Profitant au mieux de leur petite taille et de la souplesse de leur corps, ces derniers étaient parfaitement à l’aise sur ce terrain familier, si bien qu’un poney normalement constitué n’aurait pu faire dix mètres sans être rejoint. Seulement Homes était une puissante licorne, n’hésitant pas à user de ses pouvoirs psychique pour faire valser tous les obstacles qui entravaient sa route. Ainsi, les étagères métalliques susceptible de ralentir sa course étaient violement expulsées les unes contre les autres dans un grand fracas, et le fuyard conservait son avance.
Arrivé en nage devant l’escalier menant au niveau supérieur, le poney parme avala les marches quatre à quatre, ouvrit la trappe situé à leur sommet, puis referma celle-ci juste avant que le bec de ses poursuivants ne l’atteigne. Certains essayèrent de forcer le passage, mais le bois était trop leste pour qu’ils soient capables de le soulever, si bien que chacun d’entre eux finirent bon gré mal gré par abandonner la traque.
Plusieurs minutes passèrent alors, durant lesquelles Homes ne fit aucun geste autre que celui de respirer, son regard vide balayant sans but le nouvel étage qui s’offrait à lui. Comment avait-il pu croire qu’un assaut lancé sans aucune reconnaissance préalable aurait pu être assuré par deux malheureux poneys incapables de s’entendre ? Désormais l’étalon au pelage parme ne pouvait que l’admettre : Il avait fait preuve d’une grande stupidité en sous-estimant leur adversaire, et l’agent Yearling allait payer pour son erreur, si ce n’était pas déjà fait…
Reprenant peu à peu un cycle respiratoire régulier, le chef cornu finit rapidement par se reprocher ce brusque défaitisme dont il faisait preuve. Après tout, la moindre de ses décisions avait été prise dans l’unique but de sauver l’intégralité des otages, chose que personne n’aurait eu l’audace de tenter s’il n’était pas intervenu. En effet, sans sa présence, Light aurait appelé sans remords la cavalerie, condamnant à une chute mortelle plusieurs dizaines de poneys innocents. Non, Homes n’avait absolument rien à se reprocher.
Ragaillardi par cette idée, l’étalon se remit une nouvelle fois en marche, bien décidé à ne s’arrêter qu’au moment où il se trouverait face-à-face avec le preneur d’otage. Le reste de l’ascension lui réservait assurément d’autres surprises dont il pouvait ne pas sortir vivant, pourtant le poney au crin bleu ne ressentait aucune peur. Seule une détermination plus forte que jamais illuminait son esprit.
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La suite devrait arriver dans assez peu de temps, j'ai encore quelques détails à régler. (ce sera du lourd, du très très lourd ;-)
J'espère que tu ne tarderas pas ^^.
Ce petit cameo de Yearling est très intéressant. Surtout de la manière dont tu l'abordes.