« Passered, prépare toi à prendre à droite, je crois que nous sommes suivis. » Sans laisser à son messager le temps de jeter un regard en arrière, Sweetie Drops bifurqua presque aussitôt dans la ruelle désignée. Pressant le pas afin de ne pas être vue par un potentiel suivant, la terrestre au poil beige se plaqua sous le premier porche qu’elle trouva, puis attendit, le souffle court. Comment avait-elle put ne pas se rendre compte plus tôt de cette présence, et surtout quelle erreur avait-elle faite pour être ainsi surveillée ?
Dès son embarquement à la gare de Canterlot, la jeune ponette avait eu beaucoup de chance en y rencontrant un contrôleur qui avait vu un groupe important de poneys terrestres s’arrêter à Ponyville un peu plus tôt dans la journée. Certaine d’être sur une piste intéressante, elle avait décidé d’outrepasser les directives de son supérieur et était descendue dans cette petite ville de campagne où le départ des montgolfières semblait avoir eu lieu.
Après quelques questions savamment posées à ses habitants, il lui avait été facile de retrouver les frères Flim Flam et de leur tirer discrètement les vers du nez malgré leur pitoyable tentative de fuite. Par sécurité, la jument au crin bicolore avait pris soin de les enfermer à double tour avant de reprendre le train pour Manehattan, ce n’était donc pas eux qui auraient pu la dénoncer. Mais qui était-ce dans ce cas ?
Un bruit de sabots vint interrompre les réflexions de Sweetie Drops qui se recroquevilla un peu plus encore à l’intérieur de sa cachette. S’il s’agissait d’un complice chargé de la surveiller, il ne fallait en aucun cas le laisser partir, sans quoi la sécurité des otages était assurément compromise. De même, sa capture était susceptible de fournir de précieuses informations sur ses acolytes et leurs sombres desseins…
Mettant de côté doute, peur et appréhension, la terrestre banda ses muscles, prête à bondir sur son poursuivant dès l’instant où il passerait devant elle. Si c’était une licorne, tout allait se jouer sur la vélocité de son premier coup qui devait impérativement être porté avant que sa magie ne puisse intervenir. Une chance, l’agent chargée de la lutte contre le délit magique avait l’habitude de ce type de combat et s’en était toujours tiré victorieuse.
Le poney apparut dans son champ de vision, visiblement inquiété par sa brusque disparition. Son regard fébrile eut à peine le temps d’accrocher sa cible que cette dernière le planquait déjà durement au sol. « Aïe, aïe ! Arrêtez par pitié ! gémit le mâle au poil brun sans pour autant chercher à se débattre.
-Encore vous ! s’insurgea Sweetie Drops en reconnaissant l’étalon de Ponyville. Mais quel est votre problème pour en arriver à me suivre ainsi ?
-Vous ne vous en doutez pas ? Je suis venu chercher la vérité par mes propres moyens, de nombreux signes m’ayant incité à croire que vous me l’avez cachée, répondit-il sur le ton du reproche. Vous pouvez maintenant me relâcher s’il vous plaît ? »
Après avoir étudié sans conviction l’hypothèse d’être face à l’un des terroristes souhaitant infiltrer l’enquête, son interlocutrice accéda de mauvaise grâce à sa requête. Il se releva alors dignement, épousseta son pelage foncé avec minutie, puis observa d’un œil critique la jument beige qui, échauffée par cette fausse alerte, tentait de faire redescendre sa tension. « Vous semblez bien nerveuse pour une enquête de routine, constata le poney aux iris bleus avant de baisser subitement d’un ton. Écoutez, cette fois-ci il n’y a personne susceptible d’entendre notre conversation, alors cessez de me mentir et donnez-moi ce que je suis venu chercher.
-Monsieur…
-Hooves, madame. Appelez-moi Hooves.
-Monsieur Hooves, votre comportement ne m’amuse plus du tout désormais, soupira-t-elle avec une franche lassitude. Je vous somme donc d’abandonner votre stupide obsession et de retourner immédiatement chez vous.
-Hors de question. Je vous suivrai tant que je n’aurais pas obtenu de réponses. »
Si la ponette à la crinière rose et bleue n’avait pas de préoccupations plus urgentes, elle aurait assurément prit le temps d’emmener cet hurluberlu au poste de Manehattan à grand coup de sabot dans le derrière. N’ayant aucunement l’intention de le laisser menacer sa mission, il fallait tout de même qu’elle trouve une autre manière de se débarrasser de lui.
« C’est d’accord, répondit-elle finalement après avoir réfléchi à une autre approche. Suivez-moi, et quelqu’un vous racontera toute l’histoire. » Un peu surpris par ce brusque revirement, l’étalon s’empressa tout de même de la suivre jusqu’au carrefour situé au bout de la rue. Le soleil ayant atteint son zénith depuis un moment déjà, celui-ci avait chassé l’essentiel des badauds qui l’on y trouvait d’habitude, ce qui laissait à Sweetie Drops le champ entièrement libre pour mettre son plan à exécution.
Désireuse de ne pas perdre trop de temps, la jument beige accéléra le pas avant de s’arrêter devant une cabine installée bien en évidence sur un angle du trottoir. Elle avait une forme cubique et était peinte en bleue, quatre épais tuyaux plantés dans le sol y étaient rattachés. « Vous savez ce que c’est ? demanda la terrestre à son semblable au pelage brun, juste au cas où il n’aurait jamais mis les sabots dans cette ville.
-Oui, il s’agit d’une cabine téléphonique, répondit l’autre sans hésiter. Elle est reliée à un immense réseau de tuyauterie souterrain qui permet une discussion avec un poney situé à l’autre bout de la ville.
-Effectivement. Vous savez vous en servir ? » Comme le poney au crin chocolat hochait affirmativement la tête, elle attrapa un petit bout de papier sur lequel elle inscrivit une adresse avant de le lui tendre. Comprenant ce que la jument attendait de lui, Hooves attrapa les coordonnées de ce supposé contact puis pénétra dans la cabine en oubliant dans sa précipitation de refermer la porte.
L’agent de Canterlot attendit patiemment que sa discussion entre l’opératrice et lui débute pour se rapprocher subrepticement de l’unique issue de cette étroite boîte bleue. Arrivée à une dizaine de centimètres seulement de la croupe de l’étalon, elle commença à dévisser les poignées de part et d’autre de la porte. « Comment ça, cette adresse n’existe pas ! s’exclama-t-il brusquement dans le récepteur de cuivre. Mais puisque je vous assure que je l’ai correctement épelée ! »
Comprenant que sa diversion était sur le point de se faire raccrocher au nez, Sweetie attrapa les deux poignées et tira de toutes ses forces. Il y eut un bruit de craquement caractéristique, puis elles cédèrent sans prévenir sous sa poigne destructrice. L’ayant également entendu, le jeune terrestre fit aussitôt volte-face, mais il n’eut que le temps de voir éberlué la porte désormais scellée se refermer juste devant lui.
Passée sa surprise, le poney captif se mit à crier de toutes ses forces en essayant de briser le loquet désormais hors d’usage. Par chance, la cabine avait des vitres fumées et un revêtement en mousse isolante afin de garantir la confidentialité des appels transmis, si bien qu’aucun passant n’était réellement susceptible de remarquer sa présence.
Satisfaite de cette prison improvisée, la jument au crin bicolore fabriqua un petit écriteau qu’elle placarda sur la cabine téléphonique, faisant explicitement comprendre à ses utilisateurs l’impossibilité de s’en servir. Ceci fait, elle reprit la route le cœur plus léger, après avoir au préalablement arrachée les tuyaux qui reliaient encore son captif au reste du monde.
« Je vois que ce qui vient de se passer t’a quelque peu déconcerté, constata Sweetie Drops après avoir traversé plusieurs rues. Tu ne me pensais pas capable de séquestrer un poney sans raisons valables, c’est ça ? » Perché sur son dos, le volatile auquel elle s’adressait ignora sa question comme le ferait n’importe quel animal. Insistante, la ponette lui fit un petit clin d’œil. « Tu sais, pas besoin de savoir parler pour communiquer. Il te suffit simplement d’hocher la tête par exemple…
-…
-Arrête de faire comme si la situation t’échappait complètement, je sais que tu n’es pas un simple rouge-gorge ! le petit oiseau la regarda, surpris, ce qui eut le don de l’agacer encore un peu plus. Tu te croyais vraiment discret en volant à des vitesses presque supersoniques, en portant des charges faisant cinq fois ton poids, ou en laissant derrière toi une odeur de cendres ? Tu as peut être l’apparence d’un inoffensif passereau, mais il faut être idiot pour ne pas comprendre que du sang de phœnix coule dans tes veines. »
Comprenant un peu tard que sa couverture était grillée, Passered essaya de prendre son essor mais la terrestre au poil beige l’intercepta en plein vol. Cette dernière sentit aussitôt la température grimper entre ses deux sabots et fut rapidement contrainte de relâcher sa proie qui prit aussitôt la fuite, une légère trainée de fumée à ses trousses.
La jument pesta, comprenant qu’elle venait bêtement de perdre son seul allié présent dans cette immense ville. Lui révéler sans précautions sa véritable nature avait été une belle erreur, même si elle n’aurait jamais pu deviner une telle réaction de sa part. Mais d’une autre côté, cette fuite avait de quoi attiser certains soupçons à l’égard de son messager, prouvant d’une certaine manière qu’elle avait surestimé sa fiabilité…
Les réflexions de Sweetie Drops furent brusquement interrompues par des éclats de voix qui jaillirent d’une rue voisine à celle qu’elle empruntait. N’écoutant que son instinct, la jeune ponette galopa vers ces échos menaçants. Au diable Passered, elle n’avait pas besoin de lui pour mener sa mission à bien !
Arrivée au détour d’un étroit virage correspondant tout particulièrement aux indications des frères Flim Flam, Bonbon surprit une violente discussion entre deux poneys qui s’avéra rapidement être une agression en bonne et due forme. « Mais puisque je vous assure que je suis marquée ! s’écria l’agressée, une pouliche au poil gris portant sur son dos un lourd instrument aux allures de violoncelle.
-Si c’est le cas tu devrais savoir te servir de cette contrebasse, répliqua son agresseur en montrant son bagage du sabot. Joue-moi un air pour voir.
-C’est une viole de gambe, et je ne vois pourquoi je vous obéirai !
-Parce que contrairement à ce que te disent tes petits préjugés de bourgeoise, mes oreilles sont parfaitement capables de saisir tout le raffinement de la musique classique… Et aussi parce que si tu n’obtempères pas, je vais penser que tu es une sale flanc vierge qui mériterait un châtiment dans les plus brefs délais ! »
Ravalant ses larmes, la musicienne consentit enfin à obéir, mais elle interrompit son installation dès l’instant où son regard croisa celui de Sweetie Drops, restée jusqu’à présent immobile. Cette inattention fut aussitôt remarquée par son tourmenteur qui fit volte-face avant de toiser l’importune jument ayant commencé à marcher vers eux. « Allez-vous en ! lui lança-t-il haineusement. Je déteste les poneys qui se mêlent des affaires des autres, surtout si c’est pour jouer les héros !
-C’est bien vous qui avez assuré l’embarquement d’aérostat près de Ponyville ce matin ? demanda l’intéressée sans s’inquiéter le moins du monde de cette menace.
-Oui et alors ? » Profitant de cette diversion inespérée, la ponette grise récupéra discrètement sa viole et s’enfuit ventre à terre sans que l’étalon aux lunettes noires ne puisse faire quoi que ce soit pour l’arrêter. Celui pesta une seconde mais reporta rapidement son attention sur la nouvelle arrivante qui continuait de se rapprocher, une lueur de méfiance étant apparue dans ses yeux.
« Monsieur, j’irai droit au but sur la raison de ma venue, poursuivit-elle en s’arrêtant à une dizaine de pas de son interlocuteur. Un membre de votre équipe m’a révélé il y a peu que vous êtes en possession d’une liste recueillant les noms de chaque poneys montés dans vos montgolfières ce matin. Or j’aimerais beaucoup que vous me la remettiez.
-Pourquoi je ferais ça ? demanda l’autre d’un ton désinvolte, assurément intéressé contrairement à ce qu’il tentait de faire croire. Et d’ailleurs qu’est-ce que vous voulez en faire ?
-Voyez-vous, je suis mariée avec un poney qui se trouve à l’heure actuelle en compagnie d’une autre que moi à Cloudsdale, mentit effrontément Bonbon. Je cherche depuis longtemps à obtenir le divorce mais il me manquait toujours une preuve de son infidélité. Or il s’avère que votre liste en est justement une, et elle me permettra de quitter ce stupide étalon sans lui céder ne serait-ce qu’une piécette de ma fortune ! »
« C’est étrange, mais vous n’avez pas vraiment l’allure d’une bourgeoise… » Finit-il par répondre après un instant de réflexions. Réagissant sans sourciller à cet appel du sabot, la jeune ponette vieillie grâce à ses traits empreint de sévérité sortit de sa sacoche une lourde bourse dont elle fit allègrement sonner le contenu.
Heureux de la voir accepter son implicite demande de rétribution, l’étalon sortit de sa veste le précieux document que convoitait la jument au poil beige. Difficile d’être certaine de son authenticité à cette distance, mais les circonstances lui laissaient croire que le passeur n’essayait pas de la duper. À l’inverse, celui-ci était incapable de discerner les boulons contenus dans la bourse afin d’imiter le tintement des pièces.
D’un commun accord, les deux poneys avancèrent l’un vers l’autre, l’objet de leur transaction tenu bien en évidence devant eux. S’arrêtant juste assez près pour que l’échange puisse avoir lieu, le mâle voulut tendre un sabot mais son regard fut brusquement attiré par la sacoche mal fermée de Sweetie Drops. La terrestre au crin bicolore tenta en vain de cacher son contenu, l’étalon ayant à la simple vision de son insigne aussitôt compris de quoi il retournait.
« Sale menteuse ! s’exclama-t-il en reculant d’un pas. Vous êtes une agent infiltrée venue pour me piéger ! » Sans même chercher à démentir son accusation, l’intéressée marcha vers lui à mesure qu’il s’éloignait. Étant en effet parvenue à se rapprocher suffisamment de sa cible, cette dernière avait désormais la certitude d’obtenir -que ce soit de gré ou de force- sa précieuse liste.
Après s’être heurté à un mur situé derrière lui, le tourmenteur devenu proie chercha vainement une autre issue avant de lever en désespoir de cause la tête vers le ciel. Ce comportement étrange interloqua son opposante qui le vit arracher sans aucune raison apparente son veston, comme l’aurait fait un fauve enragé. Ce n’est qu’au moment où une paire d’aile surgit entre les lambeaux de tissus qu’elle comprit la raison de ce geste, mais il était déjà trop tard.
N’écoutant que son instinct, Bonbon se précipita sur le pégase qui, animé par une vive impulsion verticale, lui échappa d’une poignée de centimètres à peine. En quelques battements d’ailes le fuyard dépassa la hauteur des toits et se mit à filer vers l’ouest. Même si les chances de le rattraper étaient minimes, la ponette beige se lança immédiatement à sa poursuite.
Elle avait fait une erreur grossière en le prenant sans preuve pour un terrestre, son cousin ailé ayant la plupart du temps l’habitude d’exposer ses flancs par fierté. Cet individu avait astucieusement fait exception, et Sweetie Drops était tombé droit dans le panneau, une faute qu’elle était sur le point de payer très cher s’il parvenait à prendre la fuite. Non, elle ne pouvait le laisser filer ! Pas alors qu’elle était aussi proche du but !
Voyant que sa course était sur le point d’être perdue, la jument arma dans un élan de désespoir sa patte avant et jeta de toutes ses forces la bourse remplie de boulons qu’elle avait machinalement pendue à son cou lors de la poursuite. Le projectile lourdement lesté s’éleva dans le ciel de Manehattan tel un boulet de canon, décrivant une longue parabole digne d’une performance olympique. En redescendant, il faucha l’aile droite de sa cible qui partit presque instantanément en vrille avant de disparaître derrière les toits.
Stupéfaite d’avoir aussi bien réussi son lancer, l’agent chargée de la lutte contre la délinquance magique s’empressa de rejoindre le point de chute de sa victime, n’ayant pour cela qu’à suivre ses cris de douleurs. Autour d’elle, de nombreux poneys commençaient à sortir de leurs maisons, l’interrogeant vainement du regard sur l’origine de ce raffut.
Rapide comme l’éclair malgré cette foule qui envahissait progressivement les rues, Sweetie Drops arriva à destination en moins d’une minute et constata sans surprise qu’un petit attroupement s’était formé autour du pégase étendu à même le sol. Un terrestre aux allures de médecin se tenait près de lui, essayant tant bien que mal d’ausculter son aile droite. À en croire ses nombreuses gémissements, la blessure devait être particulièrement grave, pourtant sa poursuivante ne fut nullement attendrie par ce qui était à ses yeux du chiqué.
Écartant avec peu de retenu les riverains placés sur sa trajectoire, la jeune ponette se fit vite remarquer par sa proie qui, sa douleur brusquement oubliée, se releva aussitôt. « C’est elle ! cria-t-il dans l’espoir de ralentir sa marche assez longtemps pour fuir. C’est elle qui m’a blessé, ne la laissez pas m’approcher ! »
Tout en repoussant d’un geste dédaigneux les quelques sabots qui tentaient de la stopper, Bonbon sortit son insigne et l’exposa bien en évidence au regard de tous. Même si sa rudesse envers le poney qu’elle appréhendait en rebutait plus d’un, il leur était difficile de faire face à cette marque d’autorité octroyant à sa porteuse un droit légitime à la violence. Les lignes de défenses commencèrent alors à tomber les unes après les autres devant la jeune ponette qui savourait déjà sa victoire. Cette fois-ci, il n’y avait aucune échappatoire pour sa cible et, malgré ses fautes de parcours, sa mission était pour ainsi dire accomplie !
Comprenant à son tour que toute fuite était désormais vaine, le pégase brandit la liste qu’il n’avait pas lâchée dans sa chute et la menaça de son briquet, ce qui stoppa net l’avancée de la ponette au crin bicolore. Elle avait peut-être crié victoire trop tôt, finalement…
« Écoutez monsieur, contrairement à ce que vous pensez je ne suis pas venu pour vous, tenta-t-elle de le raisonner. Il vous suffit juste de me donner ce document et je vous laisse tranquille.
-Non, je ne vous crois pas ! s’exclama l’autre en faisant jaillir une flamme à quelques centimètres de la feuille. On m’a déjà arrêté, je sais bien ce qui m’attend si j’obéis. Il ne vous manque qu’une preuve pour pouvoir me juger, et je suis sûr de l’avoir entre mes sabots, sinon pourquoi chercheriez-vous à la récupérer ? »
Bonbon dut se faire violence pour ne pas lui cracher la vérité au visage, les témoins étant bien trop nombreux pour cela. Elle se contenta donc d’observer gravement le poney aux abois, dominé par la peur, dans l’espoir qu’il finisse par se ressaisir. Plusieurs secondes d’angoisse passèrent.
« Poussez-vous de mon chemin, ou je le brûle ! ordonna enfin le fugitif avec le peu d’assurance qui lui restait.
-Non, je ne te laisserais pas partir. Il me faut cette liste, c’est une question de vie ou de mort.
-Je ne vous laisserais pas m’envoyer en prison…
-Alors donne-la-moi bon sang ! » Son brusque emportement surprit le pégase qui cette fois-ci ne parvint pas à cacher son incertitude. La jument le vit avec soulagement baisser son briquet toujours allumé et interpréta ce geste comme un consentement de sa part ; mais à peine eut elle fait un pas qu’il reprit une posture plus menaçante encore.
« Faites que ce soit la bonne décision… » Murmura l’étalon dans un long soupir avant de joindre à regret ses deux sabots. Il y eut alors un flash de lumière, puis la précieuse liste se volatilisa derrière une bouffée de fumée sans que personne n’eut le temps de faire le moindre geste.
Un silence pesant s’installa dans la ruelle, interrompu de temps à autres par des toux sèches ayant pour origine les vapeurs de cette combustion. Voyant que sa poursuivante ne semblait pas décidée à le capturer, le poney ailé tourna les talons et commença à fuir sans trop y croire par voie terrestre. Mais à sa grande surprise, personne ne tenta de l’arrêter, pas même Bonbon qui se contenta de l’observer comme s’il était le seul poney à plaindre dans cette histoire.
Quand il tourna au coin de la rue, la jument au pelage beige fit volte-face et partit de son propre côté sous le regard penaud des citoyens de Manehattan. « Le spectacle est terminé, rentrez chez vous ! annonça-t-elle à ceux qui n’osaient encore bouger. Le royaume vous remercie pour votre collaboration. »
Sweetie Drops traversa plusieurs rues d’un pas rapide, feignant à chaque rencontre la nonchalance, mais observant avec anxiété le ciel dès qu’elle était seule. Difficile pour elle de se l’admettre, la jeune terrestre avaient vraiment cru l’espace d’un instant que l’objet de sa mission était réellement parti en fumée. Par conséquent il n’était pas difficile d’affirmer que tous les témoins -et même cet idiot de pégase- s’étaient laissé berner par ce petit tour de passe-passe, ce qui l’éloignait de tous soupçons dans le cas où elle aurait attiré l’attention d’un complice du terroriste. Passered était décidément intervenu à point nommé, et, cela avait beau ne pas être dans ses habitudes, elle était prête à lui pardonner sa désertion… à condition bien sûr qu’il accepte de se manifester !
À peine la jument beige eut elle cette réflexion que l’oiseau concerné apparut dans son champs de vision, avec entre ses deux mandibules la précieuse feuille qu’il avait furtivement arrachée aux flammes. Il avait l’air plutôt fier de lui malgré sa récente débandade, et il prit donc le temps de faire une boucle victorieuse avant de se poser. Sans perdre plus de temps, Bonbon lui arracha du bec le fruit de ses efforts afin d’en vérifier son authenticité, ignorant au passage ses piaillements de protestation.
Bien sûr, l’agent de Canterlot était incapable de mettre ne serait-ce qu’un visage à la cinquantaine de noms raturés à la va-vite, mais ses connaissances étymologiques lui suffirent à s’assurer que tous appartenaient à la même race qu’elle. Il était en effet difficile d’imaginer un poney terrestre se faire appeler « Flash » ou « Starwirl », surtout quand celui-ci venait d’une ville aussi refermée que Manehattan ! Dès lors, il ne lui restait plus qu’à retrouver le nom de la ponette envoyée par son chef pour que le doute soit définitivement levé…
Cette dernière vérification faite, la ponette rassurée à juste titre plia avec grand soin le document avant de le ranger dans sa sacoche, ce qui eut pour effet d’interloquer Passered. « Oui je sais ce que tu penses, lui dit-elle en reprenant sa marche. Je suis normalement supposée transmettre cette liste à Homes aussi vite que possible, ce sont les bien les instructions qui m’ont été données. Néanmoins pour m’acquitter de cette tâche, il me faudrait un messager fiable, ayant toute ma confiance, or ce n’est plus ton cas. »
Laissant son ancien coursier protester tout son soûl face à cette attaque insidieuse envers sa fierté, la jument au poil beige attrapa un papier et un crayon, puis y inscrivit quelques mots à l’adresse de son supérieur. Très habile de sa mâchoire, la terrestre qu’elle était n’eut même pas besoin de s’arrêter pour y parvenir, seuls trois de ses sabots suffisant à assurer son déplacement. Les licornes avaient peut-être un avantage indéniable grâce à leur magie, Bonbon ne disposait pas moins d’une meilleure écriture que la plupart de ses collègues cornus, au plus grand dam de Homes.
Lorsque les pépiements indignés du rouge-gorge commencèrent à s’affaiblir faute de souffle, la jeune ponette daigna enfin à tourner sa tête dans sa direction. Son regard était empreint d’une telle sévérité qu’il lui cloua instantanément le bec. « C’est bon, tu as terminé ? lança-t-elle durement à son interlocuteur. Tu es prêt à me laisser m’expliquer ou je dois encore attendre la fin de ta petite crise d’oisillon ? »
Voyant qu’il ne parvenait pas à se remettre de cette agressive boutade, Sweetie Drops poussa un long soupir avant de reprendre d’un ton un peu plus conciliant : « Depuis la premier instant où nous nous sommes rencontrés, j’ai su que quelque chose ne tournait pas rond chez toi. En effet, tu disposes sans conteste d’un tempérament volcanique, propre à tous ceux de ton espèce. Par conséquent je ne parvenais à comprendre l’étrange relation qu’Homes et toi entretenez pour que tu acceptes –à reculons certes- de te plier à ses directives. Tu es un demi-Phoenix, bon sang ! Pourquoi consentirais-tu à aider des poneys dont tu te fiches royalement ? »
« Au premier abord, j’ai pensé que mon patron t’avait d’une manière ou d’une autre sauvé la vie, et que tu essayais par cette servitude de lui rendre la pareille. Cela avait du sens d’autant que l’honneur des phœnix était très semblable à celui des dragons… » Comprenant que ce parallèle l’orientait vers un terrain dangereux, la jument au crin bicolore essaya d’être plus concise, d’autant qu’ils se rapprochaient rapidement de leur destination. « Bref, je me suis contentée de cette explication sans chercher à creuser plus loin. Pour moi Homes te faisait confiance, et c’était tout ce qui m’importait. Mais tu as fait une bêtise, une grosse bêtise en me fuyant tout à l’heure, ce qui a fait rejaillir mes doutes. »
Bonbon s’arrêta brusquement au détour d’une intersection inconnue de sa mémoire, un air aussi surpris que contrarié sur le visage. Elle qui se pensait capable de discuter tout en s’orientant à travers ces rues d’apparence presque identiques, ce n’était pas ce que l’on pouvait appeler une réussite ! Par chance le soleil restait encore visible au-dessus des toits, lui permettant d’éviter un terrible aveu de perdition grâce au nouveau cap qu’il lui fournit, et que les deux compères s’empressèrent de suivre.
Le petit oiseau au cou vermeil s’était incroyablement calmé depuis les premiers mots prononcés par la jeune terrestre, celui-ci ayant écouté avec une grande attention son discours à son égard. Difficile pour elle d’y croire ni d’en être sûr, mais Passered semblait avoir mis de côté sa fierté afin de comprendre ses erreurs comme le ferait n’importe quel être doté de raison.
« Je ne connais pas la raison qui t’a poussé à me fuir, termina-t-elle. Peut-être as-tu été victime d’un traumatisme lors de ta jeunesse, peut-être es-tu considéré comme un paria auprès de tes semblables, je n’en sais et je n’en saurais sans doute jamais rien. Toujours est-il que je ne peux plus te laisser mettre ainsi en péril la vie de ces poneys. Ta mission était de rester auprès de moi, tu ne l’as pas honorée, je ne te fais donc plus confiance. »
Constatant que son messager hochait lentement la tête comme s’il comprenait son choix, Bonbon ne put s’empêcher de sourire. Ce petit hybride avait peut-être en lui le sang de la plus orgueilleuse des espèces, il n’en demeurait pas moins capable de se reconnaître ses torts et de les assumer. La jument beige n’était pas curieuse, pourtant son comportement, reflet de sa personnalité, l’intriguait. Quelle que soit la manière dont il était venu au monde, il avait certainement dû en baver pour en arriver à ce qu’il était aujourd’hui…
Sweetie Drops s’arrêta en arrivant à l’intersection où elle avait enfermé le poney de tout à l’heure. À son grand soulagement, tout était resté tel qu’elle l’avait laissé, l’ombre brune visible derrière les vitres fumées n’étant pas parvenue à s’échapper. Elle allait maintenant devoir libérer cet étalon, s’excuser pour les préjudices qu’il avait subi, et bien sûr l’emmener avec elle au poste de Manehattan où il restera enfermé jusqu’à nouvel ordre. Cela pouvait paraître un peu fou vu les nombreuses péripéties dont elle venait de s’extraire, mais l’agent chargée de combattre la délinquance magique redoutait, craignait même cet instant.
En effet, la jeune terrestre appréhendait déjà l’énervement du dénommé Hooves, ses nombreuses questions auxquelles elle ne donnerait aucune réponse, ainsi que sa simple présence pendant toute la durée du trajet. Non, Sweetie Drops n’était pas ce qu’on pouvait appeler une jument sociale, bien qu’elle fasse de nombreux efforts afin de ne pas laisser sa misanthropie prendre le dessus. « À coup sûr, quand il comprendra où je l’emmène, il se mettra à crier par tous les toits son innocence parce qu’il ne faisait soi-disant que s’inquiéter pour son amie. » Songea amèrement la ponette au crin bicolore en se dirigeant vers la cabine bleue nuit. D’ailleurs comment s’appelait-elle déjà, cette « amie » ?
Prise d’une brusque inspiration, la jument reprit la liste des otages et y chercha les deux terrestres dont le poney brun avait mentionné le nom lors de leur première discussion à Ponyville. Sans grande surprise, elle se rendit rapidement compte que celles qui se prénommaient Applejack et Cherilee n’y étaient pas mentionnées. Hooves lui avait donc menti, et sa geôlière ne voyait à cela qu’une seule explication qui, à défaut de la flatter, la rassurait beaucoup sur ses véritables motivations…
« Tu vois Passered, la première impression quand on rencontre quelqu’un est très souvent le bonne, enseigna-t-elle à son coéquipier alors que tous deux s’éloignaient de la cabine toujours verrouillée. Moi par exemple, j’ai su dès le premier instant que cet étalon souffrait d’un sérieux manque d’affection et qu’il était prêt à tout pour en obtenir… Quitte à inventer une histoire rocambolesque afin de légitimer ma poursuite. »
Voyant que son interlocuteur restait sceptique malgré son assurance, Bonbon s’empressa de le rassurer sur le devenir de l’étalon : « Ne t’inquiète pas pour lui, quelqu’une finira bien par le trouver et le libérera. Il aura sans doute quelques courbatures en sortant, mais ça lui fera une bonne leçon ! Maintenant suis-moi, je dois remettre cette liste à l’unique poney en qui je fais encore confiance. »
Sweetie Drops le savait, la décision qu’elle venait de prendre sur le devenir de ce précieux document pouvait être vu comme une trahison envers son supérieur, et elle risquait d’en payer très cher les conséquences. Mais la jeune agent n’était pas idiote : Elle avait compris que cette situation de crise ne pouvait être résolue en suivant bêtement des directives. L’heure était plutôt à la versatilité et aux initiatives de ceux qui se trouvaient sur le terrain, la réduction des échanges diminuant drastiquement les pertes de temps ainsi que les chances d’être repéré.
Et dire qu’elle venait de sermonner à l’instant Passered contre ce type de comportement, son hypocrisie était assurément sans pareilles !
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